QPC et question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne

Décision de justice
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Le Conseil d’État articule les procédures de la QPC et de la question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne

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L’essentiel

•    Dans le cadre d’un litige relatif à l’imposition de plus-values, un requérant soutenait que la loi fiscale applicable ne respectait pas le droit de l’Union européenne. L’examen de cette contestation pouvait conduire le Conseil d’État, en tant que juge de l’impôt, à plusieurs solutions :
-    écarter l’application de la loi pour les plus-values correspondant à des opérations transfrontalières, qui sont dans le champ d’application du droit de l’Union ;
-    appliquer la loi fiscale en estimant qu’elle respectait le droit de l’Union ;
-    donner de la loi une interprétation qui permette d’assurer sa compatibilité avec le droit de l’Union.

•    Le requérant a également soulevé une QPC contre la loi : il estimait que le juge, pour assurer le respect du droit de l’Union, n’appliquerait pas la loi aux plus-values transfrontalières, qui sont dans le champ d’application de ce droit, mais continuerait de l’appliquer aux autres plus-values, qui ne sont pas dans son champ d’application. Il en déduisait que la loi conduisait à une méconnaissance du principe d’égalité.

•    S’inscrivant dans la ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a jugé qu’en l’état, la QPC n’était pas sérieuse, car le juge de l’impôt n’avait pas donné une interprétation du droit de l’Union le conduisant à écarter l’application de la loi aux plus-values transfrontalières ; la loi s’applique donc uniformément à toutes les plus-values.

•    Le Conseil d’État a ensuite jugé que la question d’interprétation du droit de l’Union posait une difficulté sérieuse ; il a donc transmis une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

•    Le Conseil d’État a enfin précisé que, s’il venait à juger, à la suite de la réponse de la CJUE, que le droit de l’Union européenne impose d’écarter la loi pour les plus-values transfrontalières, une nouvelle QPC pourrait être posée par le requérant.

Les faits et la procédure

Le requérant a contesté l’imposition de plus-values qu’il avait réalisées. Il a obtenu la décharge des impositions devant le tribunal administratif. Mais la cour administrative d’appel, sur appel du ministre, a rétabli les impositions en litige. Le requérant a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

A l’appui de son pourvoi en cassation, il soulevait une double argumentation :
-    il soutenait que l’article de loi fondant l’imposition était incompatible avec une directive du droit de l’Union européenne, qui encadre la faculté d’imposer certaines plus-values résultant d’opérations transnationales ;
-    il présentait en outre une QPC contre cet article de loi ; selon lui, en effet, dès lors que la loi ne pourrait pas être appliquée aux plus-values transfrontalières, qui sont régies par le droit de l’Union, mais continuerait d’être appliquée aux autres plus-values, elle entraînerait une méconnaissance du principe d’égalité.

Le cadre juridique

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est la procédure, prévue par l'article 61-1 de la Constitution, par laquelle tout justiciable peut soutenir, à l'occasion d'une instance devant une juridiction administrative comme judiciaire, « qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant le Conseil d’État, il procède, dans un délai de trois mois, à son examen. Il renvoie la question au Conseil constitutionnel si la loi contestée est applicable au litige, si elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et si la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Par une décision du 14 mai 2010, le Conseil d’État avait jugé, comme le Conseil constitutionnel avant lui (décision n° 2010-605 DC), que la procédure de QPC n’empêche pas le juge administratif, qui est juge de l’application du droit de l’Union européenne, de poser à tout instant une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En vertu du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Conseil d’Etat doit saisir la CJUE lorsqu’une question d’interprétation ou de validité du droit de l’Union européenne se pose dans le litige dont il est saisi et présente une difficulté sérieuse.

La décision du Conseil d’État

1.    Pour examiner la QPC soulevée par le requérant, le Conseil d’État s’est fondé sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Par sa décision n° 2015-520 QPC du 3 février 2016, le Conseil constitutionnel a jugé qu’une loi peut entraîner une méconnaissance du principe constitutionnel  d’égalité lorsqu’en vertu d’une jurisprudence établie, elle est écartée par le juge dans les cas qui entrent dans le champ d’application du droit de l’Union européenne, tandis qu’elle continue de s’appliquer dans les autres cas.

Toutefois, en l’espèce, le requérant ne pouvait pas se fonder sur une jurisprudence établie : le juge fiscal n’avait pas encore eu l’occasion de préciser la portée de l’article de loi applicable au litige. Or cette question présentait une difficulté sérieuse. En effet, selon l’interprétation à donner au droit de l’Union européenne, le juge fiscal pourrait :
-    soit écarter l’article de loi en cause s’il n’était pas compatible avec le droit de l’Union ;
-    soit, à l’inverse, faire application de cet article s’il était compatible avec le droit de l’Union ;
-    soit enfin adopter une interprétation de cet article qui assure sa compatibilité avec le droit de l’Union.

Le Conseil d’État a déduit de cette situation que la QPC posée ne présentait pas, en l’état, de caractère sérieux. En effet, en l’absence de jurisprudence affirmant que la loi devrait être écartée pour certaines opérations, aucune différence de traitement n’était créée, et la loi restait donc la même pour tous. Elle ne pouvait donc pas être contraire, sur ce fondement, au principe d’égalité.

2.    Pour statuer sur le reste du litige, le Conseil d’État a ensuite transmis une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : dès lors que l’interprétation du droit de l’Union présentait une difficulté sérieuse, il lui appartenait, en vertu de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’interroger la Cour de justice.

3.    En fonction de la réponse de la Cour de justice (CJUE), le juge pourra ensuite déterminer la portée exacte de la loi. Le Conseil d’État a précisé que, une fois que sera levée l’incertitude quant à l’interprétation de la loi et quant à sa conformité au droit de l’Union, le requérant pourra alors, s’il l’estime utile, présenter une nouvelle QPC.