Sites pornographiques : l’arrêté imposant de vérifier l’âge des utilisateurs est maintenu

Décision de justice
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Saisi après une décision du juge des référés du tribunal administratif de Paris, le Conseil d’État rejette, pour défaut d’urgence, la demande de suspension de l’obligation de vérification de l’âge des utilisateurs imposée à certains services de diffusion de contenus pornographiques établis dans d’autres États membres de l’Union européenne. En effet, la société qui demande sa suspension ne démontre pas que cette mesure porte une atteinte grave et immédiate à sa situation économique. Par ailleurs le dispositif imposé ne constitue pas une interdiction de diffuser du contenu pornographique à destination des personnes majeures. Enfin, il est bien susceptible de contribuer à atteindre l’objectif de protection des mineurs poursuivi par la loi du 21 mai 2024.

Afin de protéger les mineurs contre l’exposition à des contenus pornographiques, la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique a imposé à certains services diffusant ce type de contenus de mettre en place des systèmes de vérification de l’âge des utilisateurs, conformes à un référentiel établi par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Par un arrêté du 26 février 2025, la ministre de la culture et la ministre déléguée chargée du numérique ont rendu cette obligation applicable à certains prestataires établis dans d’autres États membres de l’Union européenne.

A la demande de l’un de ces prestataires, la société Hammy Media Ltd (site « xhamster »), cet arrêté interministériel avait été suspendu par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris. Celui-ci avait jugé que les deux conditions prévues par la loi pour prononcer une telle suspension, à savoir l’urgence et l’existence d’un doute sérieux sur la légalité, étaient satisfaites. Saisi par la ministre de la culture et la ministre déléguée chargée du numérique, le Conseil d’État annule aujourd’hui cette ordonnance pour une erreur de raisonnement juridique et rejette, pour défaut d’urgence, la demande de suspension.

Le Conseil d’Etat relève que la société n’apporte aucun élément permettant d’établir que l’application de l’arrêté contesté porterait une atteinte grave à sa situation économique. Il constate également que l’arrêté n’interdit pas la diffusion de contenus pornographiques auprès des personnes majeures, mais qu’il impose seulement de mettre en place des systèmes de vérification de l’âge efficaces, dans le cadre des garanties prévues par la loi. Il n’y a donc pas d’atteinte à la liberté d’expression et à la protection de la vie privée.

Enfin, le Conseil d’État prend en compte, dans la mise en balance des différents intérêts en présence, l’intérêt public qui s’attache à la protection des mineurs contre l’exposition à des contenus à caractère pornographique et juge que le dispositif est susceptible de contribuer à atteindre cet objectif. 

Constatant l’absence d’urgence, le Conseil d’État rejette la demande de suspension l’arrêté du 26 février 2025 sans avoir à se prononcer ni sur sa légalité, ni sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l’encontre de la loi par la société requérante. 

Lire la décision n°505472

 

Pour aller plus  loin...

 

…sur les conditions de suspension d’une décision administrative en référé

Selon l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut ordonner la suspension d’une décision d’une administration, en attendant d’examiner la demande « au fond », après instruction approfondie. Le juge peut suspendre une mesure si deux conditions sont réunies : une situation d’urgence et un doute sérieux sur la légalité de la décision. Lorsque le juge des référés constate que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie, il rejette la demande sans se prononcer sur l’autre.
La condition d’urgence est considérée comme remplie lorsque la décision administrative contestée porte préjudice de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Pour cela, le juge des référés met en balance les différents intérêts public et privés en présence. Une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée à l’appui d’une demande en référé mais l’absence d’urgence peut dispenser le juge de se prononcer sur cette question.

…sur le cadre juridique du litige

La loi du 21 mai 2024, dite loi « SREN » visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique a refondu le cadre juridique en matière de protection des mineurs contre l’accès aux contenus pornographiques en ligne. Les éditeurs de services de communication au public en ligne et les fournisseurs de services de plateforme de partage de vidéos, doivent désormais mettre en place des systèmes de vérification de l’âge des utilisateurs conformes à un référentiel établi par l’Arcom après avis de la CNIL. L’Arcom peut mettre les prestataires concernés en demeure de se conformer à ce référentiel et, à défaut, prononcer à leur encontre des sanctions pécuniaires.

La loi prévoit également que, lorsqu’il est constaté que les services concernés permettent aux mineurs d’avoir accès à des contenus pornographiques, en violation de l’article 227-24 du code pénal, l’Arcom peut mettre en demeure les fournisseurs de ces services de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs à ces contenus et, à défaut, prononcer à leur encontre des sanctions pécuniaires. L’Arcom peut également demander notamment aux fournisseurs de services d’accès à internet d’empêcher l’accès à ces services.
Ces règles s’appliquent de plein droit aux prestataires établis en France ou en dehors de l’Union européenne. La loi prévoit également qu’elles peuvent être rendues applicables aux prestataires établis dans un autre État membre de l’Union européenne par arrêté conjoint des ministres de la culture et du numérique. C’est ce qu’a fait, pour un certain nombre de prestataires, l’arrêté du 26 février 2025.

… sur les autres contentieux en cours sur ce sujet 

Dans un recours portant sur le dispositif antérieure à la loi « SREN » de 2024, en matière d’accès des mineurs aux sites pornographiques (loi du 30 juillet 2020), le Conseil d’Etat a renvoyé le 6 mars 2024 à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle sur la possibilité d’appliquer ce dispositif à des sociétés établies dans d’autres Etats membres de l’Union européenne. 

Le Conseil d’Etat est également saisi de recours au fond contre notamment le référentiel technique sur la vérification de l’âge adopté par l’Arcom dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 21 mai 2024.

Le tribunal administratif de Paris est également saisi de recours au fond dirigés contre l’arrêté ministériel du 26 février 2025 qui était contesté dans le recours jugé ce jour par le Conseil d’Etat.
 

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