Avis sur un projet de loi relatif à la modernisation et à la régulation de l'enseignement supérieur

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d’État sur un projet de loi relatif à la modernisation et à la régulation de l'enseignement supérieur

1.   Le Conseil d’Etat a été saisi le 23 juin 2025 d’un projet de loi de modernisation et de régulation de l’enseignement supérieur. Ce projet de loi a été modifié par trois saisines rectificatives reçues les 2, 11 et 17 juillet 2025. L’étude d’impact a été transmise le 3 juillet et a fait l'objet de deux saisines rectificatives reçues les 11 et 18 juillet 2025.

2.   Ce projet de loi, qui comprend quinze articles, est organisé en quatre titres respectivement intitulés « Renforcer l’autonomie des établissements publics d’enseignement supérieur », « Renforcer la régulation en redéfinissant le cadre de reconnaissance par l’Etat des établissements de l’enseignement supérieur privé », « Simplifier et innover dans l’enseignement supérieur » et « Dispositions diverses et application en outre-mer ».  

 3.   Le titre Ier porte sur les établissements publics d’enseignement supérieur. Il comprend des dispositions relatives, en premier lieu, à l'accréditation permettant de délivrer des diplômes nationaux, en deuxième lieu, à la prolongation de la durée de l'expérimentation des nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d'enseignement supérieur et de recherche résultant de l'ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018, à la détermination des règles applicables à l'issue des expérimentations et à la modification des règles relatives à la coordination territoriale  entre établissements, et en troisième lieu, aux règles constitutives de l'Ecole polytechnique notamment en ce qui concerne les compétences du directeur général.

Le Conseil d'Etat propose, dans un souci de cohérence, d’insérer dans ce titre Ier les dispositions qui assouplissent les modalités de création des composantes des universités et déconcentrent la procédure de nomination des directeurs des écoles et instituts qui leur sont liés.

4.   Le titre II porte sur les établissements d’enseignement supérieur privés. Les dispositions de ce titre, réparties en quatre chapitres, sont en grande partie inspirées par les préconisations faites par le Conseil d’Etat dans son étude sur la simplification de l'encadrement de l'enseignement supérieur privé, adoptée en Assemblée générale le 13 mars 2025, et visent, d’une part, à simplifier le cadre juridique actuel, et d’autre part, à rénover le système de régulation du secteur et rationaliser son organisation. Le chapitre Ier, qui est relatif à l'ouverture des établissements, harmonise les règles qui leur sont applicables. Le chapitre II, qui est relatif aux relations avec l'Etat, crée deux procédures nouvelles d’agrément et de partenariat, notamment liées à la présence des formations sur la plateforme Parcoursup, étend les pouvoirs de contrôle de l’inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) aux personnes morales qui concourent à la gestion des organismes de formation et étend le champ d’application du référentiel national qualité dit Qualiopi à tous les organismes dispensant des formations sanctionnées par un titre professionnel. Le chapitre III, qui est relatif aux diplômes, précise leurs conditions de délivrance selon qu'ils sont reconnus par l'Etat, qu'ils confèrent un grade universitaire ou qu'il s'agit d'un diplôme national. Enfin le chapitre IV, qui est relatif aux droits des usagers, instaure une nouvelle mission de service public relative à la vie étudiante et ajuste les règles de versement aux établissements de la contribution à la vie étudiante et de campus, reconnaît aux étudiants un droit de résiliation d’un contrat avec un établissement d’enseignement supérieur privé avant le début de la période de formation et interdit diverses clauses dans les contrats conclus avec les établissements d’enseignement supérieur privés et avec les centres de formation des apprentis.

Le Conseil d'Etat suggère de déplacer dans le chapitre II, les dispositions du chapitre IV qui simplifient, par voie de conséquence des dispositions relatives à l'agrément et au partenariat, le régime d’habilitation à recevoir des boursiers. Il propose enfin de modifier l’intitulé du titre II pour préciser son objet qui est de renforcer l’encadrement des établissements d’enseignement supérieur privés et d’ajuster, le titre du projet de loi en suggérant qu’il soit simplement « relatif à l’enseignement supérieur ».

5.   L’étude d’impact du projet de loi dans sa dernière version reçue le 18 juillet 2025 comporte, exposés dans l’ensemble avec clarté et précision, les éléments requis par l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, pris pour application du troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution, à l'exception des éléments mentionnés au point 20 à propos du maintien de certaines des dérogations autorisées par l'ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018.

6.   Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi a fait l’objet, ainsi qu’il le devait, de la consultation du Conseil supérieur de l’éducation et du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche ainsi que, pour celles de ses dispositions qui le nécessitaient, de la commission des titres d’ingénieur, de la commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle, ainsi que du comité social d'administration et du conseil d'administration de l'Ecole polytechnique.

Au-delà de ces remarques liminaires et outre de nombreuses améliorations de rédaction qu’il propose au Gouvernement de retenir, ce projet de loi appelle de la part du Conseil d’Etat, les observations qui suivent.

Dispositions relatives au renforcement de l’autonomie des établissements publics d’enseignement supérieur

En ce qui concerne l’accréditation des établissements publics d’enseignement supérieur

7.   Le projet de loi ajoute une seconde modalité selon laquelle les établissements publics d’enseignement supérieur peuvent être accrédités en vue de délivrer des diplômes nationaux en plus de la faculté qui leur est déjà ouverte, pour une durée déterminée, après évaluation par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur de la qualité de celles des formations faisant l'objet de la demande. Cette nouvelle accréditation, d’une part, n'est pas limitée dans le temps mais s'accompagne d'un dispositif d'évaluations périodiques par une instance nationale indépendante assorti d'une possibilité de la suspendre ou de la retirer. Elle permet, d'autre part, à l'établissement de délivrer, s'il le souhaite, tout diplôme relevant de ceux des quatre secteurs de formation dans lesquels il propose déjà des enseignements et pour lesquels il est accrédité, à savoir : les disciplines juridiques, économiques et de gestion, les lettres et sciences humaines et sociales, les sciences et technologies et les disciplines de santé. L’objectif poursuivi par le Gouvernement avec cette mesure est de renforcer l’autonomie et la responsabilisation des établissements délivrant des diplômes nationaux dans la gestion de leur offre de formation.

8.   Dès lors, d'une part, que le Conseil constitutionnel a jugé, au paragraphe 42 de sa décision n° 2022-844 DC du 15 décembre 2022, que la règle relative au monopole de l'Etat pour la collation des grades et diplômes nationaux ne peut être regardée, en elle-même, comme figurant au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et dès lors, d'autre part, que la mesure en cause ne porte pas atteinte, par elle-même, à la garantie d'indépendance des professeurs d'université et des enseignants-chercheurs, le Conseil d'Etat estime que, dans son principe, la disposition ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel.

9.   Le Conseil d'Etat estime que la disposition ne se heurte pas davantage à un obstacle d’ordre conventionnel qui serait tiré, notamment, des règles relatives à l'espace européen de l'enseignement supérieur. Il note, d'ailleurs, qu'il ressort des éléments transmis par le Gouvernement que d'autres Etats relevant de ces mêmes règles ont déjà adopté un tel dispositif.

10.    En revanche, pour garantir, d’une part, que le législateur exerce pleinement la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution en matière de détermination des principes fondamentaux de l’enseignement et, d’autre part,  que les diplômes nationaux sanctionnent, quel que soit le grade qu'ils confèrent, l'acquisition d'un haut niveau d'enseignement supérieur, le Conseil d'Etat suggère de préciser que c'est la qualité de la stratégie et de l'organisation de l'établissement ainsi que de sa politique de formation qui devra être prise en compte lors de l'accréditation, que celle-ci devra être précédée d'une évaluation par une instance nationale indépendante et que les modalités d’application du dispositif seront fixées non par un simple arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur, comme c'est le cas pour les accréditations actuelles, mais par un décret en Conseil d'Etat. Par ailleurs, il propose de compléter les dispositions relatives aux grands secteurs de formation auxquelles il est renvoyé, en y indiquant leur nombre aux fins d'en assurer une meilleure lisibilité.

En ce qui concerne la déconcentration de la nomination de certains dirigeants

11.    Les dispositions qui, dans un souci de simplification, d'une part, suppriment la condition selon laquelle la création ou la suppression des composantes des universités doivent être inscrites dans leur contrat pluriannuel qui n'est actualisé que tous les cinq ans, et d'autre part, déconcentrent la procédure de nomination des directeurs des écoles et instituts qui leur sont liés n'appellent pas, dans leur principe, d'observation de la part du Conseil d’Etat.

12.    S'agissant toutefois, des dispositions qui visent à confier, non plus au ministre chargé de l'enseignement supérieur, comme le législateur l’avait souhaité à titre de garantie, mais au recteur de région académique, la nomination des directeurs des écoles et instituts, que ces derniers soient ou non dotés de la personnalité morale, le Conseil d'Etat précise qu'en tant qu'elles continuent à donner compétence à l'Etat, elles intéressent les principes fondamentaux de l'enseignement et, s'agissant des établissements publics, les règles constitutives de la catégorie à laquelle ils appartiennent, si bien qu'elles relèvent du domaine de la loi. Il rappelle toutefois, à l'instar de ce que le Conseil constitutionnel a indiqué dans sa décision n° 99-185 L du 18 mars 1999, que ces dispositions ont un caractère réglementaire en tant qu'elles désignent les autorités habilitées au nom de l'Etat à prendre les décisions concernées. Par suite, il propose de modifier leur rédaction pour mentionner l’ « autorité administrative compétente de l’Etat ».

En ce qui concerne la prorogation de la durée d’expérimentation applicable à l'ordonnance du 12 décembre 2018

13.        S'agissant de l'ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018 relative à l'expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, le projet de loi comporte une première mesure visant à prolonger la durée de l'expérimentation qu'elle permet de dix à treize ans.

14.    Comme le Conseil d'Etat l'avait indiqué lors de l'examen des deux projets de loi qui ont successivement comporté l'article d'habilitation en vertu duquel cette ordonnance a été prise, l’article 37-1 de la Constitution qui en constitue le fondement commande que l'expérimentation ne soit possible que pendant le temps strictement nécessaire pour mesurer les effets du dispositif expérimental avant de décider, après évaluation, son abandon, sa modification ou sa généralisation (cf. Avis d'Assemblée générale des 20 juillet et 23 novembre 2017, n° 393424 pt 69 et n° 393744 au pt 62).

15.    Le Conseil d'Etat avait, ainsi, estimé que la possibilité, envisagée par le Gouvernement dans le projet qu’il lui avait alors transmis, de conduire l’expérimentation sur une période de quinze ans à compter de la publication de la future ordonnance ne satisfaisait pas aux prescriptions de l’article 37-1 de la Constitution qui exige que l’expérimentation ait une « durée limitée » comme l’a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2009-584 DC du 16 juillet 2009, cons. 38. Et il avait ajouté qu’une durée maximale de dix ans était suffisante pour atteindre l'objectif poursuivi, car si les nouveaux modes envisagés de rapprochement, regroupement ou fusion d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche ne peuvent réussir que s’ils s’inscrivent dans la durée, un tel délai est proportionné aux enjeux institutionnels (construire une gouvernance forte et durable), financiers (répondre aux appels d’offres internationaux) et de recherche (bâtir des programmes de recherche conjoints de long terme) des établissements concernés.

16.    Si une prolongation de cinq ans, comme initialement envisagée par le projet de loi, qui porterait la durée totale à quinze ans lui paraît toujours exclue, compte tenu notamment de la durée déjà très longue de l'expérimentation, le Conseil d'Etat estime qu’une prolongation plus courte est possible afin de tenir compte, s'agissant de la période passée, des perturbations occasionnées par la crise sanitaire de la Covid 19, du fait que les premières transformations d'établissements publics expérimentaux en grands établissements, au nombre à ce jour de seulement quatre, n'ont eu lieu qu'à partir de la fin 2022, et de ce que sept nouveaux établissements publics expérimentaux ont encore été créés au 1er janvier 2025, et, s'agissant de la période à venir, de ce qu'il serait difficile, en pratique, pour la vingtaine d'établissements qui doivent encore pour la plupart délibérer sur leur sortie, de faire procéder à leur évaluation individuelle avant fin 2028, la sortie du régime expérimental requérant pour chaque établissement, en application de l’article 20 de l’ordonnance, une évaluation conduite par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Il estime donc possible que la durée de l’expérimentation soit portée à treize années, conformément aux échanges intervenus avec le Gouvernement.

En ce qui concerne le maintien des dérogations autorisées par l'ordonnance du 12 décembre 2018 pour les grands établissements et les communautés d'universités et établissements qui en sont issus

17.    Les deux principales autres mesures du projet de loi relatives à l'ordonnance du 12 décembre 2018 consistent à inscrire dans le code de l'éducation, celles de ses dérogations qui continueront à s'appliquer aux grands établissements, ainsi qu'à leurs « établissements-composantes », et aux communautés d'universités et établissements qui sont issus des expérimentations lorsque l'ordonnance aura épuisé ses effets, comme d'ailleurs le Conseil d'Etat a invité le Gouvernement à le faire s'agissant de la première de ces catégories (cf. note de la section de l’administration du 17 décembre 2024, n° 409010 publiée au rapport annuel de la juridiction administrative pour 2024 p. 284)

18.    Le Conseil d'Etat relève qu'en la matière, les exigences constitutionnelles tiennent, d’une part, à la jurisprudence en vertu de laquelle le législateur est seul compétent, en application de l'article 34 de la Constitution, pour fixer les règles constitutives de chaque catégorie d'établissements publics, et d’autre part au respect du principe d’égalité devant la loi.

19.    Dans la décision n° 93-322 DC du 28 juillet 1993, le Conseil constitutionnel a précisé que, pour la détermination des règles constitutives de la catégorie d’établissements publics que constituent les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, le législateur peut, dans le respect des principes de valeur constitutionnelle, en premier lieu prévoir, eu égard à l'objectif d'intérêt général auquel lui paraît correspondre le renforcement de l'autonomie des établissements, que puissent être opérés par ceux-ci des choix entre différentes règles qu'il aurait fixées, qu'il lui est aussi possible, en deuxième lieu, une fois les règles constitutives définies, d'autoriser des dérogations pour des établissements dotés d'un statut particulier en fonction de leurs caractéristiques propres et qu'en troisième lieu, il est même loisible au législateur de prévoir la possibilité d’expérimentations comportant des dérogations aux règles ci-dessus définies de nature à lui permettre d'adopter par la suite, au vu des résultats de celles-ci, des règles nouvelles appropriées à l'évolution des missions de la catégorie d'établissements en cause. Il a ajouté qu'il incombe alors au législateur de définir précisément la nature et la portée de ces expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon.

20.    S’agissant des éléments d’évaluation au regard desquels la mesure a été élaborée, le Conseil d'Etat invite le Gouvernement à compléter l'étude d'impact pour y mentionner les dérogations mises en œuvre par les « établissements-composantes ». Il relève que l’évaluation générale qui doit être conduite, un an au plus tard avant la fin de l’ensemble des expérimentations pourrait conduire à ajuster les dispositions en cause quant à leur contenu ou quant à leur champ d'application, notamment pour ce qui concerne les établissements qui en sont restés à l’écart.

21.        Le Conseil d'Etat estime nécessaire de préciser la rédaction des deux mesures mentionnées au point 17 afin que le législateur épuise la compétence confiée par l'article 34 de la Constitution. Il considère qu’ainsi modifiées les dispositions introduisent une différence de traitement au bénéfice des établissements ayant participé aux expérimentations, qui est en rapport avec la situation particulière dans laquelle ils se trouvent par rapport aux autres établissements, compte tenu des démarches engagées autour de leurs projets partagés d'enseignement supérieur et de recherche ainsi que de l'évaluation favorable dont ils ont fait l'objet lors leur sortie de l'expérimentation.

S'agissant des grands établissements, la mesure conduit à distinguer deux catégories d’établissements : ceux répondant à la définition juridique de l’article L. 717-1 du code de l’éducation (soit des établissements de fondation ancienne ou présentant des spécificités liées à leur histoire ou ne délivrant pas des diplômes dans les trois cycles de formation) et ceux créés sur le fondement de l’article 20 de l’ordonnance du 12 décembre 2018 (soit des établissements qui dérogent à cette définition et peuvent disposer d’ « établissements-composantes » conservant leur personnalité morale). Pour les grands établissements issus des expérimentations, le Conseil d’Etat estime possible que leurs « établissements-composantes » puissent continuer, comme sous l'empire de l'ordonnance, à déroger à l'ensemble des dispositions des livres VI et VII du code de l'éducation en faisant néanmoins apparaître explicitement le caractère cumulatif des conditions qui doivent être respectées en pareil cas, à savoir en premier lieu, le respect des principes mentionnés au deuxième alinéa du II de l'article L. 711-4 du même code, en deuxième lieu, qu'elles soient strictement nécessaires tant à l'organisation et au fonctionnement du grand établissement qu'à la cohérence de sa stratégie avec celles des établissements-composantes qu'il regroupe, et en troisième lieu, que l'objectif poursuivi soit de prendre en compte les dispositions figurant dans le statut du grand établissement. Par ailleurs, en accord avec le Gouvernement, le Conseil d'Etat estime opportun de reprendre les dispositions de l'ordonnance selon lesquelles, d'une part, un établissement-composante ne peut participer qu'à un seul grand établissement, et d'autre part, que les statuts de ce dernier déterminent les modalités d’intégration d’un nouvel établissement-composante et d’exclusion ou de retrait d’un établissement-composante existant.

 S'agissant des communautés d'universités et établissements issues des expérimentations, qui sont en nombre bien plus réduit, le Conseil d'Etat relève que les dispositions du projet de loi résultant des échanges avec le Gouvernement, qui cristallisent les dispositions dérogatoires de leurs statuts qui ont été adoptées au cours de l’expérimentation, d’une part, ne posent pas de difficulté au regard du principe d’égalité et de la jurisprudence sur les règles constitutives des établissements publics et, d’autre part, sont susceptibles d’être, à l’avenir, assouplies pour tenir compte des besoins que manifesteraient, en la matière, les premiers établissements concernés.

En ce qui concerne les autres mesures relatives à la coordination territoriale

 22.    Le Conseil d'Etat n'a pas d'observation sur les dispositions qui ajoutent les deux modalités de regroupement et rapprochement entre établissements qui précèdent parmi les modes de coordination territoriale autorisés.

Il relève, en revanche, s'agissant des dispositions complémentaires qui, d'une part, suppriment l'exigence que cette coordination territoriale soit réalisée a minima à l'échelle académique, et d'autre part, admettent qu'elle puisse ne se traduire, même en dehors de l'expérimentation, que par une convention de coordination territoriale du même type que celle qui a été instituée par l'ordonnance, que l'obligation de coordination territoriale qui s'impose depuis 2013 sera ainsi largement vidée de sa substance puisqu’il suffira désormais uniquement qu'a minima deux établissements géographiquement proches se coordonnent pour que l'obligation soit satisfaite. Le Conseil d’État ne peut pourtant, à cet égard, que rappeler l'importance d'enrayer la dispersion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche français et de leur conférer une dimension internationale.

En ce qui concerne les règles constitutives de l'Ecole polytechnique

23.    Le projet de loi revient, s'agissant du président du conseil d'administration de l'Ecole polytechnique, actuellement chargé de l'administration de celle-ci, et du directeur général, que l'article L. 755-1 du code de l'éducation place sous autorité, à une répartition des compétences proche de celle qui prévalait avant 2012 quand l'administration de l’école relevait du second.

24.    Le Conseil d'Etat n'a d'observations ni sur la nouvelle répartition des compétences qui redonnera un caractère non exécutif à la présidence à la suite notamment d’un rapport de la Cour des compte de 2019 qui déplorait la complexité de l'organisation actuelle, ni sur les compléments apportés aux dispositions législatives pour qu'y soient précisées l'ensemble des règles constitutives de l'école, dès lors qu'en raison de l’originalité de la mission qui lui est confiée, elle a été reconnue comme une catégorie particulière d'établissement public par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-304 L du 14 mars 2024.

25.    Le Conseil d'Etat admet, compte tenu de ce qui précède, que soit précisé dans la loi que sont applicables à l'école les dispositions législatives relatives aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, qui figurent au titre Ier du livre VII du code de l’éducation, sans pointer en leur sein, comme le faisait le projet de loi, celles qui ont trait aux grands établissements, dès lors que même si l’école a adopté le statut de grand établissement, une telle qualification ne relève pas de la loi mais d'un décret en Conseil d'Etat en vertu de l'article L. 717-1 du code de l'éducation.

Le Conseil d'Etat estime possible, par ailleurs, de ne pas rendre applicables les dispositions du deuxième alinéa de cet article qui auraient pour effet de soumettre à appel à candidatures préalable, la nomination du président du conseil d'administration, alors qu'elle intervient par décret en conseil des ministres en application du décret n° 59-587 du 29 avril 1959 relatif aux nominations aux emplois de direction de certains établissements publics, entreprises publiques et sociétés nationales.

26.    En revanche, le Conseil d'Etat estime nécessaire de rétablir dans le projet de loi la précision selon laquelle le directeur général est un officier général et assure le commandement militaire de l'école, dès lors qu'il ressort de la décision mentionnée au point 24 qu'elle constitue une des règles constitutives de l’Ecole polytechnique en tant qu’école supérieure militaire dont les élèves français servent sous statut militaire. Elle ne peut donc simplement relever d'une disposition réglementaire.

Dispositions relatives au renforcement de l’encadrement des établissements de l’enseignement supérieur privés

En ce qui concerne l’harmonisation du régime d’ouverture des établissements d’enseignement supérieur privés

 

27.    Le projet de loi fusionne les régimes d’ouverture des différents types d’établissements d’enseignement supérieur privés – dits « libres » ou techniques - pour n’en conserver qu’un, dont les modalités sont par ailleurs harmonisées avec celui, spécifique, des cours. Ces évolutions, qui n’ont pas pour effet de sortir d’un régime de déclaration, n’appellent en elles-mêmes aucune observation de la part du Conseil d’Etat.

28.    S’agissant du pouvoir d’opposition à l’ouverture d’un établissement ou d’un cours dont disposent l’autorité académique et le procureur de la République, le projet de loi renforce la capacité de contrôle des autorités publiques en réécrivant l’article L. 731-1-1 du code de l’éducation afin de préciser, pour l’ensemble des catégories d’établissements, les motifs permettant à l’autorité administrative compétente ou au procureur de la République de s’opposer à l’ouverture d’un établissement ou d’un cours. Le Conseil d’Etat suggère de modifier la rédaction de l’un des motifs figurant à cet article dans la version du Gouvernement, qui vise le cas où il ressort du projet de l’établissement n’a pas le caractère d’un établissement d’enseignement supérieur, pour en réduire le champ et en préciser le contour. Si ce motif est l’équivalent pour l’enseignement supérieur privé de celui figurant à l’article L. 441-1 du code de l’éducation pour les établissements d’enseignement scolaire privés, le Conseil d’Etat propose de procéder de la sorte compte tenu, d’une part, de l’absence de définition par la loi de ce qu’est un établissement d’enseignement supérieur privé ou un cours, qu’il déplore et à laquelle le projet du Gouvernement aurait pu permettre de remédier, et, d’autre part, de ce que qu’il s’agit de limiter la liberté d’enseignement, principe fondamental reconnu par les lois de la République consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977 et étendu à l’enseignement supérieur par la décision n° 99-414 DC du 8 juillet 1999.

29.    L’instauration, au sein de chacun des deux régimes d’ouverture, d’une obligation nouvelle d’information du ministre en cas de modification des informations contenues dans la déclaration d’ouverture de l’établissement ou du cours, n’appelle pas dans son principe de commentaire de la part du Conseil d’Etat. Ce dernier propose en revanche de modifier le montant de l’amende prévue en cas de non-respect de cette obligation, dans un souci de cohérence avec celle, prévue à l’article L. 731-13 du code de l’éducation, en cas de refus d’un établissement de se soumettre à la surveillance du ministre chargé de l’enseignement supérieur.

30.    Le Conseil d’Etat prend acte de ce que le Gouvernement souhaite accorder, à travers les dispositions transitoires, un délai d’un an pour que les acteurs concernés se mettent en conformité avec ces nouvelles obligations déclaratives. Un tel différé d’application est nécessaire pour permettre aux établissements exerçant leur activité sur le fondement du régime déclaratif actuel de se conformer aux conditions de fond imposées par le nouveau régime. Les procédures d’ouverture en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi restent par ailleurs régies par les dispositions du code de l’éducation dans leur version antérieure à la présente loi.

En ce qui concerne les relations entre l’Etat et les établissements d’enseignement supérieur privés

 

Sur les nouvelles procédures d'agrément et de partenariat

31.    Le Conseil d’Etat prend acte de la mise en extinction du statut d’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG), dont le projet de loi prévoit qu’il ne pourra plus être délivré mais seulement renouvelé. Il estime en outre bienvenue la création, à l’article L. 732-1 du code de l’éducation, d’une faculté de retrait de cette qualification par le ministre chargé de l’enseignement supérieur en cas de non-respect des conditions ayant conduit à sa délivrance, qui vient remédier à une situation dans laquelle la seule régulation possible résidait dans le non-renouvellement de la qualification à échéance.

32.    Le projet de loi crée, en lieu et place de la reconnaissance par l’Etat et du statut d’EESPIG, une procédure d’agrément par l’Etat (article L. 732-5 du code de l’éducation) et une procédure de « partenariat » (L. 732-6 du même code). L'agrément, qui atteste de la qualité globale de l'offre de formation de l'établissement, est ouvert à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur privés et est délivré pour une durée limitée, après une évaluation par une instance nationale indépendante, qui porte notamment sur la stratégie, la gouvernance et la gestion de l'établissement, l'offre de formation et l'existence d'une politique sociale en faveur des étudiants. Le partenariat, réservé aux établissements à but non lucratif, définit les conditions dans lesquelles l'établissement concourt aux missions du service public de l'enseignement supérieur définies à l'article L. 123-3 et est subordonné à une évaluation préalable qui porte notamment sur la non-lucrativité, la stratégie, la gouvernance et la gestion de l’établissement, la politique de formation, l’adossement des formations à la recherche et l’organisation de la vie étudiante. Ce nouveau cadre pour les relations entre les EESP ou cours et l’Etat, qui vient se substituer à un ensemble plus disparate, renforce l’encadrement de l’enseignement supérieur privé et en clarifie les critères. Le Conseil d’Etat relève que le choix a été fait par le Gouvernement de supprimer le comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé (CCESP), remplacé par une « instance nationale indépendante » chargée de rendre un avis sur la délivrance d’un agrément ou la conclusion d’un partenariat sur la base de critères différenciés, dont il suggère de modifier la rédaction dans un objectif de lisibilité pour les acteurs concernés.

33.    S’agissant de la condition de « non-lucrativité » pour la conclusion d’un partenariat, le Conseil d’Etat relève que, contrairement à ce qui est le cas pour les EESPIG, dont l’article L. 732-1 du code de l’éducation réserve la qualification aux établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif qui ont été créés par des associations, des fondations reconnues d’utilité publique ou des syndicats professionnels, cette condition doit être regardée, compte tenu notamment de l’intention affichée par le Gouvernement dans l’étude d’impact, comme n’ayant pas nécessairement pour effet d’exclure des partenariats tous les établissements d’enseignement supérieur consulaires relevant de l’article L. 711-17 du code du commerce qui sont constitués sous forme de sociétés anonymes, eu égard aux obligations auxquelles ils sont soumis et qui ne s’imposent pas aux organismes lucratifs. En effet ces établissements ne peuvent pas distribuer de dividendes et s’agissant de leur capital, les chambres consulaires en détiennent plus de 51 % des parts, aucun autre investisseur ne pouvant en détenir plus du tiers. Le Conseil d’Etat observe que ceux de ces établissements qui ne rempliront pas la condition de « non-lucrativité » pourront en tout état de cause, s’ils remplissent les autres conditions prévues à cet effet, être agréés.

34.    Le Conseil d’Etat considère en outre que la nature juridique du « partenariat » créé par l’article L. 732-6 du code de l’éducation, dont l’étude d’impact indique qu’il s’agit, au même titre que l’agrément de l’article L. 732-5 du même code, d’une « reconnaissance » de l’Etat, mérite d’être précisée. Il considère que si ce partenariat peut avoir, à certains égards, l’apparence d’un contrat, notamment en ce qu’il est prévu qu’il définisse les conditions dans lesquelles l'établissement participe aux missions du service public de l'enseignement supérieur, telles que définies à l’article L. 123-3 du code de l’éducation, et qu’il emporte un contrôle de l’Etat sur le respect des engagements pris par l’établissement dans le cadre de ce partenariat, il n’en a pas les caractéristiques. Il estime que ce partenariat relève, d’un régime d’association sanctionné par un acte administratif unilatéral en ce que, d’une part, les engagements pris par l’établissement sont en lien direct avec, notamment, la possibilité de bénéficier d’une reconnaissance par l’Etat, de délivrer des diplômes reconnus par celui-ci ou encore d’accueillir des étudiants boursiers et, d’autre part, qu’il revient en tout état de cause au ministre en charge de l’enseignement et à lui seul d’accepter ces engagements et de nouer un partenariat qui peut être retiré ou suspendu dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat. Enfin, le Conseil d’Etat relève qu’à la différence de la qualification d’EESPIG, le statut de partenaire ne requiert pas la signature d’un contrat pluriannuel tel qu’il est prévu à l’article L. 732-2 du code de l’éducation.

35.    Le Conseil d’Etat note que le projet de loi est accompagné de dispositions transitoires étoffées qui aménagent l’évolution vers ce nouveau régime de relations avec l’Etat. Elles prévoient ainsi que les établissements d’enseignement supérieur technique privés et consulaires qui, à la date d’entrée en vigueur de la loi, bénéficient d’une reconnaissance par l’Etat en application de l’article L. 443-2 du code de l’éducation, bénéficient de droit, pour une durée limitée, d’un agrément au sens du nouvel article L. 732-5 inséré dans le code, et qu’un décret en Conseil d’Etat devra préciser les conditions dans lesquelles ces établissements se voient délivrer cet agrément de droit, ainsi que sa durée.

36.    Les dispositions transitoires prévoient, par ailleurs, la requalification rétroactive, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, des demandes de reconnaissance du statut EESPIG en cours, lesquelles constitueront des demandes de partenariat au sens de l’article L. 732-6 du code de l’éducation. Le Gouvernement ayant exprimé son intention de ne plus octroyer le statut d’EESPIG, lequel n’est pas accordé de plein droit mais relève du choix du ministre chargé de l’enseignement supérieur, le Conseil d’Etat estime que peuvent être retenues de telles dispositions prévoyant l’application d’un nouveau régime aux demandes en cours dès lors qu’elles permettent d’éviter de vaines demandes de qualification et de faire perdurer la procédure antérieure et, par voie de conséquence, le CCESP, le temps d’examiner l’éventuel stock de demandes qui pourrait s’être constitué avant l’entrée en vigueur de la loi.

Sur les dispositions relatives à Parcoursup

37.    Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi procède à une simplification des règles d’inscription sur Parcoursup, à travers une solution elle-même simple et lisible qui consiste à lier l'inscription des formations sur la plateforme à l’obtention d’un agrément ou la conclusion d’un partenariat avec l’Etat. Les établissements privés qui n’appartiennent pas à l’une de ces catégories de reconnaissance de l’Etat ne seront pas autorisés à référencer leurs offres de formation sur Parcoursup. Cette évolution matérialise la volonté de ne référencer sur Parcoursup que des formations proposées par des établissements ayant démontré des gages de qualité pédagogique selon les critères définis par la loi. Bien que ces cas devraient être marginaux au regard des nouvelles modalités d’inscription des formations sur la plateforme, le Conseil d’Etat estime opportun de prévoir, comme le fait le projet de loi, la possibilité de retirer, en modulant le cas échéant la date d’effet de la mesure pour tenir compte des intérêts des étudiants,  une formation qui ne présenterait plus la qualité requise, dans les hypothèses où il serait disproportionné que cette circonstance fasse perdre à l'établissement en cause son agrément ou son partenariat.

38.    Le Conseil d’Etat considère en outre que ces évolutions posent deux séries de questions.

En premier lieu, s’agissant du devenir du dispositif prévu actuellement au niveau réglementaire qui permet au ministre de prévoir l’inscription sur Parcoursup de formations délivrées par des établissements non mentionnés aux articles L. 612-3 et L. 612-3-2 du code de l’éducation, il estime nécessaire, pour ce qui constituera une dérogation au principe établi par l’article L. 612-3-2 tel que modifié par le projet de loi, consistant à ne permettre l’inscription sur la plateforme que de formations délivrées par des établissements agréés ou proposées par des établissements ayant conclu un partenariat avec l’Etat, d’établir une base légale de niveau législatif pour cette faculté du ministre. Il propose également d’en préciser le champ, en faisant explicitement référence aux formations concernées, qui sont des diplômes ou titres à finalité professionnelle bénéficiant d’une reconnaissance de l’Etat.

En second lieu, il note que ces évolutions supposent des mesures transitoires, qui figurent dans le dernier titre du projet de loi, afin de ne pas porter atteinte à la situation des étudiants engagés dans une formation et permettre aux établissements de se saisir des nouvelles procédures d’agrément ou de partenariat sans prendre le risque d’un retrait massif de formations de la plateforme. Il prend acte du choix qui a été fait par le Gouvernement d’accorder une longue période aux établissements, soit jusqu’à la rentrée universitaire 2029. Il souligne que si celle-ci a pour mérite de favoriser la bonne appropriation du nouveau système et d’éviter des effets déstabilisateurs pour la plateforme et ses usagers, elle devra être accompagnée de mesures visant à encourager les acteurs concernés à s’en saisir le plus rapidement possible.

Sur l'habilitation à recevoir des boursiers

39.    S’agissant de l’habilitation à accueillir des boursiers, le projet de loi met fin à la reconnaissance automatique des établissements privés existant à la date du 1er novembre 1952, survivance du passé difficilement compréhensible et pour laquelle le ministère de l’enseignement supérieur ne dispose pas d’une liste exhaustive des établissements concernés. Il tire les conséquences de l’évolution des relations entre l’Etat et les établissements d’enseignement supérieur privés et vient se calquer sur les deux nouvelles procédures d’agrément et de partenariat. Le Conseil d’Etat estime que cela justifie de faire figurer ces dispositions au sein du chapitre relatif aux relations entre les établissements ou cours et l’Etat. Le projet de loi distingue ainsi deux régimes d’habilitation à recevoir des boursiers : les établissements ayant conclu un partenariat avec l’Etat ainsi que les EESPIG seront habilités de plein droit à accueillir des boursiers, les établissements bénéficiant d’un agrément devront quant à eux demander à être habilités à recevoir des boursiers. Il estime que cette différenciation présente une forte cohérence en lien avec la prise en compte, d’une part, de la politique sociale et du degré d’accompagnement des étudiants dans les établissements concernés et, d’autre part, de la qualité des enseignements qui y sont dispensés.

40.    Le Conseil d’Etat estime en outre nécessaires les dispositions transitoires introduites par le Gouvernement dans sa saisine rectificative du 2 juillet 2025, compte tenu de ce que l’entrée en vigueur immédiate de ces dispositions aurait pu porter préjudice aux étudiants ayant obtenu une bourse et en cours de formation au sein d’un établissement qui pourrait ne pas être agréé ou en partenariat avec l’Etat au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi.

Sur l’extension des pouvoirs de contrôle de l'IGESR

41.    Le projet de loi renforce les pouvoirs de contrôle de l’Inspection générale de l’enseignement supérieur et de la recherche (IGESR) pour tenir compte de la complexité accrue et du phénomène de filialisation dans la structuration juridique de certains établissements d’enseignement supérieur privés. Cette évolution bienvenue, dont l’objet est d’identifier et de mettre un terme aux abus mis en lumière par un rapport parlementaire et des enquêtes journalistiques de la part d’acteurs de l’enseignement supérieur privé tournés presque exclusivement vers le profit et la performance économique et qui consiste à étendre le champ du contrôle de l’IGESR aux personnes morales exerçant « directement ou indirectement » un « contrôle exclusif ou conjoint » sur les organismes relevant de l’article L. 241-2 du code de l’éducation, n’appelle pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

Sur l’extension de l’obligation de certification Qualiopi

42.    Le projet de loi élargit l’obligation de certification prévue par l’article L. 6316-1 du code du travail, désormais obligatoire quelle que soit la source de financement de l’établissement d’enseignement supérieur privé ou de l’organisme de formation. Le Conseil d’Etat note que cette mesure améliore la lisibilité et contribue à sécuriser l’offre de l’offre de formation auprès des entreprises et des usagers.

En ce qui concerne les diplômes

Sur la délivrance des diplômes reconnus par l'Etat ou conférant un grade universitaire

43.    S’agissant des diplômes propres délivrés par les établissements, le projet de loi adapte le cadre légal en matière de délivrance de diplômes reconnus par l’Etat au nouveau système d’agrément et de partenariat. Le Conseil d’Etat constate que le projet de loi n’instaure aucune différenciation entre l’agrément et le partenariat et en prend acte. Il estime qu’une autre option, plus cohérente avec l’objectif du Gouvernement de renforcer l’association de certains établissements au service public de l’enseignement supérieur, aurait été d’introduire une gradation dans la possibilité de délivrer des diplômes bénéficiant d’une reconnaissance de l’Etat ou conférant un grade universitaire entre les établissements simplement agréés et ceux ayant conclu un partenariat.

44.    Le Conseil d’Etat relève qu’en raison du monopole de l’Etat pour la collation des grades énoncé à l’article L. 613-1 du code de l’éducation, tel qu’interprété par le Conseil d’Etat statuant au contentieux (CE, 7 juin 2017, Conférence des grandes écoles, n° 389213 au recueil), l’évolution de ce cadre suppose l’intervention d’un texte de niveau législatif sans, d’une part, qu’un principe de niveau constitutionnel y fasse obstacle, le Conseil constitutionnel ayant, ainsi qu’il a été dit au point 8, exclu de manière expresse que ce monopole figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République par sa décision n° 2022‑844 DC du 15 décembre 2022 ni, d’autre part, que le droit de l’Union européenne y fasse davantage obstacle, la Cour de justice ayant jugé  que les Etats membres pouvaient valablement imposer, sous certaines conditions, que des établissements souhaitant conférer des grades universitaires bénéficient d'une autorisation à cette fin (4 juillet 2019, Kirchstein, C-393/17).

Sur la délivrance des diplômes nationaux

45.    S’agissant de l’obtention de diplômes nationaux par les étudiants des établissements d’enseignement supérieur privés, le Conseil d’Etat relève que le projet de loi maintient les deux possibilités prévues à l’article L. 613-7 du code de l’éducation, pour les établissements qui soit ont conclu une convention avec un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, soit ont demandé l’ouverture d’un jury rectoral, afin de permettre à leurs étudiants d’obtenir un diplôme national. La possibilité de conclure une convention avec un établissement public sera désormais réservée aux établissements agréés ou ayant passé un partenariat avec l’Etat, sans que le projet de loi fasse non plus de différence entre les deux régimes. Si, par ailleurs, le projet maintient le système des jurys rectoraux, il le réforme de manière substantielle en prévoyant explicitement qu’il revient au recteur, lequel n’est plus placé en situation de compétence liée, de décider ou non de l’ouverture d’un tel jury et, surtout, qu’il doit prendre en compte la dimension territoriale de la carte des formations.

46.    S’agissant de la délivrance de titres d’ingénieur, le projet de loi procède à une réforme importante et clarifie le rôle de la commission des titres d’ingénieur (CTI) chargée, en vertu de l’article L. 642-4 du code de l’éducation et en tant que juridiction administrative spécialisée statuant en premier et dernier ressort, de se prononcer sur les demandes des établissements d’enseignement supérieur technique privés. Le projet de loi prévoit ainsi qu’elle conserve son rôle d’instance nationale d’évaluation des formations d’ingénieur mais perd, au profit du ministre en charge de l’enseignement supérieur et comme c’est le cas pour l’ensemble des autres diplômes, le pouvoir de statuer en premier et dernier ressort sur les demandes d’autorisation à délivrer le titre d’ingénieur.  Le projet de loi aligne ce faisant le régime de délivrance de titres d’ingénieur par des établissements privés sur celui des établissements publics, qui doivent être accrédités par l’autorité administrative compétente après avis de la commission des titres d’ingénieur (article L. 641-1 du code de l’éducation).

47.    Le Conseil d’Etat relève que, pour assurer une transition maîtrisée, un délai d’adaptation est accordé aux établissements disposant de conventions en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi, qui permettra aux établissements d’engager la démarche d’évaluation requise pour obtenir un agrément ou conclure un partenariat avec l’Etat, tout en assurant aux étudiants inscrits sous le régime actuel des jurys rectoraux de valider leur cycle.

En ce qui concerne le renforcement des droits des usagers

Sur la vie étudiante

48.    Le projet de loi entend consacrer expressément parmi les missions du service public de l'enseignement supérieur l'organisation de « la vie étudiante et de campus ».

Le Conseil d'Etat relève qu'une telle expression n'est pour l'instant consacrée que par l'article D. 841-4 du code de l'éducation pour dénommer la contribution prévue à l'article L. 841-5 du même code et que la disposition en cause apparaît largement superfétatoire dès lors que l'affectation par une loi ordinaire de cette contribution suppose, en application de l'article 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qu'ait déjà été confiée à ses bénéficiaires une mission de service public qui soit en lien avec cette imposition.

Le Conseil d’Etat relève, à ce titre, que l'article L. 123-2 du code de l'éducation prévoit déjà, dans son 3°, que le service public de l'enseignement supérieur contribue, notamment, à l'amélioration des conditions de vie étudiante, à la promotion du sentiment d'appartenance des étudiants à la communauté de leur établissement, au renforcement du lien social et au développement des initiatives collectives ou individuelles en faveur de la solidarité et de l'animation de la vie étudiante. Si le Gouvernement tient néanmoins à ajouter, en la matière, à l'article L. 123-3 une mission de service public en lien avec la vie étudiante, le Conseil d’Etat suggère qu'elle porte sur l’organisation de cette dernière, sans qu’il soit fait référence à la « vie de campus » dont l’acception juridique paraît plus incertaine.

49.    Le projet de loi prévoit, par ailleurs, une modification du champ des établissements bénéficiant du reversement de la contribution, qui se traduit, d’une part, par un ajout des établissements sous partenariat, lequel conduit le Conseil d’Etat à proposer de supprimer la mention actuelle des établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général dès lors qu’en vertu de l’article L. 732-1 le contrat qu’ils concluent avec l’Etat vaut partenariat, et d’autre part par une suppression des établissements dits consulaires qui devront, dès lors, être sous partenariat pour continuer à bénéficier de ces reversements. Les établissements bénéficiant d’un simple agrément ne sont en revanche pas éligibles au reversement de la contribution, ce qui, avec l’habilitation de plein droit ou non à recevoir des boursiers, constitue la seconde différence significative entre le régime de l’agrément et celui du partenariat.

50.    Le projet de loi prévoit, enfin, qu'en cas d'utilisation par un établissement du produit de la contribution précitée, non conforme aux conditions de fond ou de procédure qui la régissent, le montant qui lui est versé l'année suivante peut être réduit.

Le Conseil d'Etat considère qu’une telle sanction administrative peut être prévue et qu’il n'apparaît pas nécessaire de rappeler qu'elle doit être précédée d'une procédure contradictoire et être motivée. Il relève que, s'agissant d'une taxe affectée et d'une mesure qui ne remet pas en cause, d'après les explications données par le Gouvernement, la somme déjà versée mais qui porte sur celle qui le sera l'année suivante, n'est pas applicable la jurisprudence sur le retrait des subventions dont l'utilisation ne respecte pas les conditions mises à leur octroi. Compte tenu de ce que l'affectation de la taxe est prévue, ainsi qu'il a été dit, par la loi, et au regard du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, il estime qu’il doit en être de même des modalités selon lesquelles cette affectation peut être modulée en cas de sanction.

Dans son dernier état résultant des travaux devant le Conseil d'Etat, le projet de loi fixe, comme il le doit, un pourcentage maximal de réduction que le bénéficiaire peut subir afin d'encadrer de manière suffisante le renvoi opéré vers un décret, dans le respect du principe constitutionnel de proportionnalité des sanctions qui conduit à ce qu'elles soient moindres pour une violation d'une obligation procédurale que pour la méconnaissance d'une règle de fond en matière d'utilisation de la contribution. Le Conseil d’Etat prend acte des taux de 30 % et 70 % qui ont été respectivement fixés à titre de plafonds par la dernière saisine rectificative.

Sur la résiliation des contrats de formation

 51.    Le projet de loi, dans le prolongement notamment d'un rapport d'information de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale du 10 avril 2024 relatif à l'enseignement supérieur privé à but lucratif et afin, notamment, de permettre aux bacheliers d'attendre les résultats de Parcoursup avant de s'engager définitivement dans une formation, ouvre la possibilité de résilier sans autre frais que ceux, de nature administrative, qui étaient liés à l'inscription, le contrat conclu avec un établissement privé. Il prévoit également que les clauses contractuelles contraires à ces dispositions sont réputées non écrites.

52.    Le Conseil d'Etat rappelle qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi (p. ex. Décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013). Il estime qu'en l'espèce, le motif d'intérêt général mentionné au point précédent, qui est tiré de la protection des usagers, justifie la mesure et qu'il ne résulte pas de celle-ci une atteinte disproportionnée aux libertés précitées.

53.    Le Conseil d'Etat relève que le Gouvernement n'a souhaité ni encadrer la durée de la période de formation figurant dans les contrats de formation en cause ni prévoir que la nouvelle faculté de résiliation soit également ouverte pour la deuxième année du contrat ou les suivantes.

Il observe, toutefois, qu’au-delà de la disposition déclarant que les clauses contractuelles contraires sont illicites, à l’instar de la logique déjà retenue par l’article L. 444‑10 du code de l’éducation pour les établissements privés d’enseignement à distance, le dispositif de droit commun des clauses dites abusives devrait permettre de traiter les situations non couvertes les plus problématiques. Il observe, à cet égard, que la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, fait application de cette dernière réglementation à des contrats qualifiés par elle d'enseignement ou de formation, à propos desquels la commission des clauses abusives a d'ailleurs émis, le 6 septembre 1991, sa recommandation n° 91-01 (Voir notamment Civ. 1, 13 décembre 2012, 11-27.766 publié).

Le Conseil d'Etat relève à cet égard que l'arrêt de la Cour de Cassation du 9 mars 2022 (Civ. 1ère, n° 21-10.487), qui juge que ne peut être qualifiée de consommatrice une personne physique qui était inscrite auprès de Pôle emploi et qui avait conclu un contrat de formation pour acquérir et faire valider des connaissances au regard de la finalité professionnelle de ce contrat, ne peut être regardé comme revenant  sur la jurisprudence précitée, comme en atteste son fichage, mais correspond à une exception justifiée par les circonstances particulières relevées par la cour, tirée de ce qu'en tant que demandeur d'emploi, le statut de l'intéressée était régi par les dispositions spéciales du code du travail et que le contrat était, en partie financé par Pôle emploi.

Sur les contrats conclus avec les centres de formation des apprentis

 

54.    Le projet de loi, en complément de la mesure précédente et suivant aussi la logique du renforcement de la protection des usagers, répute non écrites certaines stipulations des contrats conclus entre un centre de formation des apprentis et un apprenti ou une personne en recherche d'apprentissage lorsqu'elles contournent le principe posé par l'article L. 6211-1 du code du travail selon lequel la formation est gratuite pour l'apprenti et pour son représentant légal.

55.    Le Conseil d'Etat estime que la disposition ne se heurte pas davantage à un obstacle constitutionnel que la précédente pour des raisons similaires à celles mentionnées au point 52.

En revanche, dès lors que le Gouvernement indique qu'il souhaite pouvoir recourir, à titre de sanction, à l’annulation de l’enregistrement de la déclaration du centre en cause, le Conseil d'Etat invite à inscrire les dispositions non pas au titre II du livre II de la sixième partie du code du travail sur le contrat d'apprentissage comme c'était envisagé mais au titre III du même livre, relatif aux dispositions spécifiques aux centres de formation d’apprentis, qui, d'une part, est davantage en rapport avec la mesure puisqu'il porte sur les centres de formation des apprentis et dont les règles, d'autre part, sont de celles, à la différence du titre II, dont la méconnaissance peut, après mise en demeure, faire l'objet de la sanction précitée, en application de l’article L. 6351-4. Il retient que le chapitre II du titre III, qui ne contient qu'un seul article relatif à des conventions que les centres peuvent conclure avec des prestataires, est l’emplacement le plus pertinent et propose de modifier, par conséquence, l’intitulé de ce chapitre.

Autres dispositions du projet de loi

Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ont pour objet :

- de prévoir l’application du projet dans les départements et collectivités d’outre-mer ;

- de prévoir les dispositions d’entrée en vigueur et transitoires.

Ces dispositions n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’Etat sous réserve d’amélioration de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de retenir.

Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du 23 juillet 2025