Conseil d'État, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy

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Valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement - Compétences respectives du Parlement et du pouvoir réglementaire.

Faits et contexte juridique

Un décret du 1er août 2006 relatif à la procédure d’élaboration des décisions de délimitation des zones de protection autour des grands lacs de montagne, avait été pris en application de l’article L. 145-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n°2005-157 du 23 février 2005. Cet article prévoyait que des décisions de délimitation d’un périmètre restreint autour des lacs doivent intervenir par décret pour arrêter un secteur dans lequel seules les dispositions particulières au littoral s’appliquent, excluant celles de la « loi montagne », qui demeure seule applicable au reste du territoire des communes concernées. Ce mécanisme est moins protecteur de l’environnement dès lors que la « loi littoral » ne s’applique plus sur l’ensemble du territoire de ces communes.
La commune d’Annecy a attaqué ce décret, en invoquant la méconnaissance du principe de participation et d’information du public, tel qu’énoncé par l’article 7 de la Charte de l’environnement, lors de l’élaboration des décisions de délimitation dans le domaine de la protection des grands lacs de montagne.

Le sens et la portée de la décision

Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel avaient depuis longtemps reconnu la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et des textes ou principes auxquels il renvoie : déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (CE, Section, 12 février 1960, Société Eky, n°s 46922, 46923 ; CC, 27 décembre 1973, n°73-51 DC) ; préambule de la Constitution de 1946 (CC, 15 janvier 1975, n°74-54 DC ; CE, Assemblée, 8 décembre 1978, GISTI, CFDT, CGT, n°10097, 10677, 10679) ; principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (CE, Assemblée, 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, n°26638 ; CC, 16 juillet 1971, 71-44 DC). Dans la continuité de cette jurisprudence, la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement de 2004, qui est mentionnée dans le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 depuis la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, a été reconnue (CE, 6 avril 2006, Ligue pour la protection des oiseaux, n°s 283103 et s. ; CC, 19 juin 2008, n° 2008-564 DC).

Par la décision Commune d’Annecy, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État a solennellement confirmé cette solution en jugeant que, comme toutes les dispositions qui procèdent du préambule de la Constitution de 1958, l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle.

Le Conseil d’État a également précisé la portée de la Charte de l’environnement sur la répartition des compétences entre la loi et le règlement. Plusieurs dispositions de la Charte ont réservé au législateur le pouvoir de définir les conditions, voire les limites, des droits et devoirs qu’elles énoncent. Ainsi, seule la loi peut les déterminer et, le pouvoir réglementaire ne peut établir que les mesures d’application des règles fixées par le législateur. Il en est ainsi en particulier pour l’article 3 relatif au principe de prévention (CE, 24 juillet 2009, Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique, n°305314 ; CE, Assemblée, 12 juillet 2013, Fédération nationale de la pêche en France, n°344522). Les dispositions de l’article 5 de la Charte de l’environnement, relatives au principe de précaution, n’appellent en revanche pas de dispositions législatives et réglementaires précisant les modalités de mise en œuvre de ce principe (CE, 19 juillet 2010, Association du quartier "Les Hauts de Choiseul", n°328687).

Cette répartition des compétences ne s’applique qu’aux textes adoptés postérieurement à l’inscription de la Charte de l’environnement dans le préambule de la Constitution. Les dispositions compétemment prises dans le domaine réglementaire, tel qu’il était déterminé antérieurement à l’entrée en vigueur de la Charte, demeurent applicables alors même qu’elles seraient intervenues dans un domaine désormais réservé à la loi en vertu de la Charte.

Lorsque des dispositions législatives assurent la mise en œuvre des différents articles de la Charte de l’environnement, un requérant en peut pas invoquer directement la Charte pour contester la légalité d’une décision administrative. Il doit se prévaloir de ces dispositions législatives. En effet, et c’est là la justification de la théorie de la loi-écran (CE, Section, 6 novembre 1936, Arrighi, n°411221), seul le Conseil constitutionnel est compétent pour opérer un contrôle de constitutionnalité des lois. Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a introduit l’article 61-1, le Conseil constitutionnel peut être saisi, par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par un justiciable. Son contrôle ne s’exerce donc plus seulement a priori mais également a posteriori.

Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la Charte n’a pas eu pour effet d’affecter la répartition des compétences entre les différentes autorités administratives. Ainsi, le principe de précaution consacré à l’article 5 de la Charte de l’environnement est applicable à toute autorité publique agissant dans ses domaines d’attributions. Il n’a pas eu pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence.

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