Dialogue entre les deux ordres de juridiction

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé à l'Ecole nationale de la magistrature le 21 juillet 2017

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Promotion ENM 2017 - Pôle « Humanités judiciaires »

Dialogue entre les deux ordres de juridiction

Ecole nationale de la magistrature - Vendredi 21 juillet 2017

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’Etat

Monsieur le directeur de l’École nationale de la magistrature

Mesdames et Messieurs les auditeurs de justice,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux d’avoir été convié par la direction de l’Ecole nationale de la magistrature à m’exprimer devant votre promotion.

En faisant le choix de devenir magistrats, vous entrez au service de la construction ou, plutôt, de la consolidation de l’Etat de droit dans notre pays. Plus précisément, vous devenez des acteurs du service public de la justice. Rendre la justice est une belle vocation. C’est aussi une immense responsabilité. Vous l’avez sûrement déjà perçu lors de vos premiers stages. Vous en prendrez encore la mesure à l’occasion de vos futurs stages en juridiction et plus encore lors de votre première affectation. Avant cela, il faut, en complément de vos études de droit et, pour certains, de vos expériences professionnelles passées, vous familiariser avec les outils procéduraux, les méthodes de travail et le fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire, mais aussi avec l’éthique des magistrats, du siège ou du parquet. Au-delà des techniques et du raisonnement juridique qu’il doit maîtriser, chaque magistrat doit aussi être conscient des enjeux et des défis auxquels la justice est confrontée dans son exercice quotidien et, de manière plus large, des questionnements qui la traversent.

En France, la justice est rendue par deux ordres de juridiction distincts et aussi par un troisième ordre, le dernier né, mais le premier juridiquement et protocolairement : le Conseil constitutionnel. Les deux ordres juridictionnels historiques sont l’ordre judiciaire, dans lequel vous êtes entrés, à la tête duquel se trouve la Cour de cassation, et l’ordre administratif, composé des juridictions administratives de droit commun – les 42 tribunaux administratifs, dont 31 en métropole, et les 8 cours administratives d’appel –  et des juridictions spécialisées – en particulier la Cour des comptes, la Cour de discipline budgétaire et financière, la Cour nationale du droit d’asile ou les juridictions disciplinaires nationales des ordres professionnels. Cet ordre, qui est régulé par le Conseil d’Etat, juridiction administrative suprême selon les termes mêmes de l’article L. 111-1 du code de justice administrative, reçoit et juge environ 300 000 recours par an, soit 10 fois plus qu’il y a 40 ans. Le dualisme juridictionnel, qui est souvent questionné et parfois contesté, est un élément essentiel de l’organisation et de la compréhension du service public de la justice dans notre pays. Mais si notre histoire, nos missions et nos compétences nous séparent, il nous revient conjointement de répondre aux attentes croissantes, et parfois pressantes, des justiciables et de dispenser un service de la justice de qualité : tels sont les objectifs partagés, pour ne pas dire communs, des juridictions aussi bien judiciaires qu’administratives.

Dans cet esprit, je souhaite évoquer devant vous les origines et les compétences de la juridiction administrative (I) ainsi que l’intérêt et l’utilité du dualisme juridictionnel (II). Au-delà de ce qui nous sépare et de ce qui fait notre spécificité, j’insisterai aussi sur ce que nous avons en commun : le fait d’être des juges et de concourir ensemble à la résolution des conflits au service des justiciables et de notre pays (III).

I. Le dualisme juridictionnel est le fruit d’une longue histoire nationale, mais il garde aujourd’hui sa pertinence pour des raisons autres que celles qui l’ont vu naître.

A - Il résulte, en premier lieu, d’une certaine conception de la séparation des pouvoirs dans notre pays.

1. Pour bien comprendre la « conception française de la séparation des pouvoirs »[2], je crois utile de revenir rapidement sur les théories qui sont au fondement de notre développement institutionnel.

Notre pays a inscrit la séparation des pouvoirs au frontispice de sa Constitution à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui proclame que « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». La séparation des pouvoirs est un principe fondateur et fondamental de l’organisation des pouvoirs publics de notre pays, comme de tout Etat de droit. Elle est à juste titre invoquée pour justifier l’indépendance et les pouvoirs propres des juges ; à l’inverse, dans les régimes autoritaires et les démocraties dites « illibérales », comme la Hongrie ou la Pologne, qui s’affranchissent des principes fondateurs inscrits à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, le pouvoir s’emploie de différentes manières, grossières ou subtiles, à « mettre au pas » la justice. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de juger que l’article 16 de la Déclaration de 1789 « implique le respect du caractère spécifique des fonctions juridictionnelles, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement »[3]. Il en résulte que les décisions de justice ont force exécutoire et que leur exécution forcée ne saurait être subordonnée à une diligence administrative[4]. De même, les principes d’impartialité et l’indépendance des juridictions sont le corollaire de la séparation des pouvoirs affirmée à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[5].

En 1789, l’application par l’Assemblée constituante de ce principe de séparation des pouvoirs a résulté d’une lecture radicale et orientée de l’œuvre des auteurs qui ont inspiré la philosophie des Lumières et, en particulier, Locke et Montesquieu. John Locke, dans son Traité du gouvernement civil, s’intéresse principalement aux pouvoirs législatif et exécutif et à leur articulation. Dans L’esprit des lois, Montesquieu distingue, quant à lui, « trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil »[6].Tous deux posent le principe d’une séparation ordonnée des pouvoirs comme fondement de la liberté civile et politique. Montesquieu affirmait notamment que  « lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté […] Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice »[7]. Dans le droit-fil de ces théories, le constituant de 1789, soucieux de mettre fin à la confusion des pouvoirs qui caractérisait l’Ancien régime et de protéger les citoyens contre l’absolutisme et les risques de tyrannie que peut comporter toute forme de souveraineté, s’est attaché à promouvoir une organisation des pouvoirs publics dans laquelle chacun d’entre eux est entièrement séparé de l’autre[8]. C’est une conception rigide de la séparation des pouvoirs qui s’est ainsi exprimée, car la lecture de L’esprit des lois permettait d’y déceler une théorie de la balance et de l’équilibre des pouvoirs bien plus que celle de leur stricte séparation[9]. Pourtant, outre que le pouvoir législatif, en ce qu’il exprime la volonté souveraine du peuple, ne saurait être totalement ramené au même niveau que les deux autres pouvoirs, le constituant révolutionnaire était convaincu de la nécessité d’assurer une séparation étanche entre les différents pouvoirs[10]. Si certaines mesures ont alors été prises pour prévenir les empiètements du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire – je pense en particulier au décret des 15 et 20 octobre 1789 qui interdit les évocations, c’est-à-dire la possibilité pour le Conseil du Roi de dessaisir les juges d’une affaire pour trancher directement un litige[11], et à la création en 1790 d’un tribunal de cassation[12] –, ce sont surtout les empiètements du pouvoir judiciaire sur les autres pouvoirs que redoutaient les révolutionnaires. En effet, l’opposition récurrente des Parlements de l’Ancien régime aux initiatives réformatrices du pouvoir royal demeuraient présentes dans les esprits. La Révolution a, par conséquent, été très soucieuse de prévenir l’immixtion des juges dans la conduite des affaires publiques. Les Parlements s’étaient en particulier arrogé le droit de refuser d’enregistrer les ordonnances royales, notamment lorsqu’il s’agissait de créations d’impôts, et d’adresser des remontrances au Roi[13]. A plusieurs reprises, le Roi avait dû les rappeler à l’ordre. En janvier 1632, Louis XIII avait mis le Parlement de Paris en garde en l’avertissant ainsi : « Je veux que vous sachiez que vous êtes les seuls qui entrepreniez contre l’autorité royale. Vous n’êtes établis que pour juger entre maître Pierre et maître Jean et je vous réduirai aux tenues de votre devoir »[14]. En 1641, l’édit de Saint-Germain-en-Laye a rappelé les limites des pouvoirs des cours de parlements qui « n’ont été établies que pour rendre la justice à nos sujets » et leur a fait interdiction de « prendre connaissance d’aucunes affaires qui peuvent concerner l’Etat, administration et gouvernement d’icelui ». Ces avertissements n’ont cependant pas suffi à mettre fin aux dérives constatées. Le 2 septembre 1715, au lendemain de la mort du roi Louis XIV, le Parlement de Paris a ainsi cassé plusieurs dispositions de son testament afin de reconnaître comme seul régent le duc d’Orléans, contrairement à la volonté exprimée par le défunt. Le Parlement de Paris s’est aussi opposé vivement et, finalement, avec succès[15] aux réformes du chancelier Maupeou qui, à la fin du règne de Louis XV, entendait abolir la vénalité des charges afin, notamment, de soumettre les parlements au pouvoir royal. La Révolution s’est donc attachée à limiter le pouvoir des tribunaux. Ce projet pouvait également se recommander des philosophes des Lumières qui, dans leurs écrits, ont tous rappelé le rang inférieur du pouvoir judiciaire par rapport aux autres puissances. N’est-ce pas Montesquieu lui-même qui disait que la puissance judiciaire doit être limitée à n’être qu’une puissance « invisible et nulle »[16], les juges devant n’être que « la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés »[17] ? Dans ce contexte, la fonction judiciaire n’est envisagée par le constituant de 1789 que comme une fonction d’application mécanique de la loi[18].

La loi des 16 et 24 août 1790 contient l’essentiel des mesures prises aux fins de subordonner l’exercice du pouvoir judiciaire aux autres pouvoirs. Elle interdit aux tribunaux de « prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du corps législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture »[19]. Les tribunaux doivent « transcrire purement et simplement » les lois qui leur seront envoyées[20]. Les arrêts de règlement leur sont interdits et les juges se voient même privés du pouvoir d’interpréter la loi avec l’institution de la procédure de référé législatif[21]. S’agissant des relations entre les juridictions et le pouvoir exécutif, l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 dispose que : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. » En raison de sa méconnaissance persistante, cette interdiction a été rappelée quelques années plus tard par le décret du 16 fructidor an III selon lequel : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».

2. Ces dispositions ont été interprétées comme excluant la compétence des tribunaux judiciaires pour connaître des litiges nés de l’action de l’administration. Ce n’était peut-être pas leur sens profond ou leur développement inéluctable[22]. L’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 exprime une stricte conception de la séparation des pouvoirs au sens où l’ensemble des théories politiques l’entendent, c'est-à-dire l’impossibilité pour un pouvoir, fût-il le pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire, de se substituer à l’un des autres pouvoirs. En vertu de cet article 13, les juges ne peuvent pas faire acte d’administrateur, ni se substituer à l’administration dans l’exercice de ses prérogatives. En cela, ces dispositions sont bien conformes au principe de séparation des pouvoirs. Mais l’application qui a été faite de cet article et les conséquences qui en ont été tirées ne se déduisaient pas clairement de ce principe[23]. La séparation des pouvoirs impliquait sans nul doute que les juges ne puissent se substituer à l’administration. En revanche, elle ne supposait pas nécessairement que les juges ne puissent, en usant des outils qui sont propres et spécifiques à leurs fonctions, trancher les litiges nés de l’action administrative. C’est pourtant la tournure que prit la séparation des pouvoirs en France sous la Révolution. Dès l’origine, la « conception française de la séparation des pouvoirs »[24] et la défiance à l’égard des juges ont conduit à écarter la compétence des tribunaux judiciaires pour connaître du contentieux administratif[25]. Alors que la séparation des pouvoirs commandait qu’une puissance ne puisse à la fois être exécutive et juridictionnelle, la pensée révolutionnaire a soustrait au contrôle du juge toute l’action de l’administration. C’est de ce paradoxe qu’est née la juridiction administrative : de la rigidité d’un dogme poussé à l’extrême au point de se contredire. Ce cadre fixé, il fallait bien résoudre la question du traitement des litiges nés de l’action de l’administration. L’option consistant à les confier à des tribunaux judiciaires spécialisés a été envisagée[26], mais la spécificité de ce contentieux et la volonté d’éviter de créer à nouveau des juridictions particulières, qui avaient été décriées sous l’Ancien régime, ont conduit à l’écarter[27]. Il ne restait dès lors que deux options : priver les litiges administratifs de tout juge ou confier leur traitement à une autorité qui n’est pas un juge, mais qui ferait office de juge[28]. C’est cette dernière solution qui a été retenue avec la décision de confier à l’administration le soin de se juger elle-même ce qui, au regard des théories philosophiques des Lumières sur la séparation des pouvoirs, apparaît comme un contresens.

C’est donc d’un vide, d’une absence de juge, qu’est progressivement née la juridiction administrative. Sous la Révolution, le Gouvernement a instauré un mécanisme de recours hiérarchique, dit du « ministre-juge » : l’administration instruisait et jugeait elle-même les plaintes dirigées contre elle. Les ministres étaient alors « juges de droit commun » pour connaître en premier ressort des litiges s’élevant entre l’administration et les usagers. C’est sous le Consulat qu’a commencé à se produire la rupture qui, par étapes successives, a permis la construction d’une véritable juridiction administrative. L’article 52 de la Constitution de l’an VIII créa en effet un Conseil d’Etat « chargé de rédiger les projets de loi et les règlements d’administration publique et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». Là réside l’acte fondateur de la juridiction administrative. Quelques mois plus tard, la loi du 28 pluviôse an VIII créa les conseils de préfecture, présidés par le préfet, qui étaient chargés de trancher certains litiges en matière administrative : ces conseils départementaux[29], puis interdépartementaux[30] furent transformés, par le décret du 30 septembre 1953[31], en tribunaux administratifs devenus juges de droit commun du contentieux administratif. Initialement, la mission contentieuse du Conseil d’Etat et des conseils de préfecture était limitée. Elle s’est affirmée au long du XIXème siècle. Conformément à la théorie du « ministre-juge », le Conseil d’Etat ne disposait initialement que d’une compétence d’attribution dans les seules matières où les textes avaient prévu la possibilité de former un recours contre la décision du ministre devant le chef de l’Etat. Mais par un décret du 11 juin 1806, l’Empereur Napoléon Ier créa au sein du Conseil d’Etat une commission du contentieux, préfigurant l’actuelle section du contentieux. Une ordonnance du 12 mars 1831 institua la publicité des audiences, ainsi que les commissaires du Roi, devenus ensuite commissaires du gouvernement – et, depuis le décret du 7 janvier 2009[32], rapporteurs publics. A cette époque, la jurisprudence a aussi créé le recours pour excès de pouvoir[33]. En 1849[34], sous la Seconde République, fut institué un concours destiné à recruter sur la base du mérite les plus jeunes membres du Conseil d’Etat, les auditeurs dont le grade avait été créé en 1803. Si, les procédures se « juridictionnalisaient » petit à petit, elles se développaient néanmoins dans le cadre du système dit de la « justice retenue » : la décision préparée par le Conseil d’Etat incombait au final au chef de l’Etat. Celui-ci suivait certes presque toujours les avis du Conseil  : Napoléon Ier disait ainsi : « On me fait signer aveuglément des décisions délibérées dans le Conseil d’Etat sur des matières contentieuses ; je ne suis pour cela qu’une griffe »[35]. Mais le Conseil d’Etat ne tranchait pas à proprement parler les litiges. Ce n’est qu’après la chute du Second Empire que la loi du 24 mai 1872 a consacré l’abandon de ce système et le passage de la « justice retenue » à ce que l’on a nommé « la justice déléguée », rendue par le Conseil d’Etat « au nom du peuple français ». Cette mesure très symbolique a été suivie de l’abandon de la théorie du ministre-juge par l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889[36]. Cet arrêt, qui a reconnu au Conseil d’Etat une compétence générale pour connaître du contentieux administratif, même sans intervention préalable d’un ministre, a parachevé l’affirmation du Conseil d’Etat comme juridiction souveraine. Il existe depuis lors, en France, un ordre juridictionnel judiciaire, chargé de régler les différends en matière civile et pénale, et un ordre juridictionnel administratif, juge de la légalité des actes administratifs et de la responsabilité de la puissance publique, qui est chargé d’assurer une « tutelle contentieuse »[37] sur les activités de l’ensemble des autorités administratives. L’existence de la juridiction administrative a été ultérieurement dotée d’une assise constitutionnelle par le Conseil constitutionnel par deux décisions majeures, celle du 22 juillet 1980, qui affirme l’indépendance du juge administratif[38], et celle du 23 janvier 1987[39], qui détermine l’existence d’un noyau dur de compétence au profit du juge administratif. Le dualisme juridictionnel est même désormais implicitement, mais très clairement, inscrit dans notre Constitution, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a créé l’article 61-1 relatif à la question prioritaire de constitutionnalité[40].

B - La justice dans notre pays s’appuie donc sur deux ordres de juridiction qui rendent la justice selon une répartition des compétences clarifiée au besoin par le Tribunal des conflits.

1. Le dualisme juridictionnel est construit sur deux blocs complémentaires de compétences exclusives et, pour partie, constitutionnellement protégées. Tel est l’objet, par exemple, de l’article 66 de la Constitution qui prohibe la détention arbitraire et qui, à cette fin, érige l’autorité judiciaire en gardienne de la liberté individuelle. La répartition des compétences entre ordres de juridiction est parfois présentée comme inutilement complexe. Elle est pourtant stable et elle suit en son cœur des lignes directrices simples et claires. S’appuyant sur la loi du 24 mai 1872, le Conseil constitutionnel a consacré l’indépendance de la juridiction administrative[41], au titre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, avant d’affirmer son existence constitutionnelle en reconnaissant le cœur de sa compétence : le contentieux de la légalité des actes administratifs. Ainsi, selon sa décision Conseil de la concurrence du 23 janvier 1987, « (…) relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle (…) »[42]. Cette décision prévoit, dès ses premières lignes, l’hypothèse des « matières réservées par nature à l’autorité judiciaire » au nombre desquelles peuvent être rangés la liberté individuelle[43], la privation de la propriété immobilière, l’état et la capacité des personnes et le fonctionnement des juridictions judiciaires. Hors de ces cas, la compétence du juge administratif est garantie par la Constitution, dès lors que sont identifiés un critère matériel, l’exercice de prérogatives de puissance publique, et un critère organique, l’action d’une personne morale de droit public, agissant directement ou par le truchement d’un organisme placé sous son autorité ou son contrôle.

Une fois affirmé ce principe constitutionnel, la détermination de la compétence de la juridiction administrative se fait plus fine, sans être dépourvue de rationalité et de logique. Le Conseil constitutionnel a apporté une première nuance au principe précédemment énoncé en reconnaissant la possibilité pour le législateur de modifier les frontières de cette répartition dans « l’intérêt d’une bonne administration de la justice », lorsque « l’application d’une législation ou d’une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire »[44]. Cette exigence de bonne administration de la justice, qui est au nombre des objectifs de valeur constitutionnelle reconnus par le Conseil constitutionnel[45], vise notamment à « supprimer ou éviter des divergences de jurisprudence » entre les diverses juridictions susceptibles d’être saisies[46]. L’intérêt souvent avancé est aussi de réduire les délais de jugement autant que l’incertitude qui peut naître de procédures contentieuses multiples. Le législateur n’avait d’ailleurs pas attendu que le Conseil constitutionnel l’autorise à créer des blocs de compétence, puisque dès 1937, puis en 1957, il avait reconnu la compétence du juge judiciaire pour traiter, respectivement, de la responsabilité des enseignants[47] et des litiges résultant d’accidents causés par des véhicules, quels qu’ils soient et quelle que soit la qualité du conducteur et de la victime[48]. Par la loi du 9 janvier 1986, le législateur a aussi attribué au juge administratif la compétence pour connaître des actions tendant à la réparation des dommages causés par les attroupements et rassemblements[49]. Il a ultérieurement fait usage de la possibilité ouverte par la jurisprudence constitutionnelle de 1987 à plusieurs reprises : soit au profit du juge judiciaire, s’agissant, par exemple, des décisions d’homologation de la rupture conventionnelle du contrat de travail[50], des sanctions prononcées par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) – dès lors que ces décisions punissent des atteintes à la propriété intellectuelle, ce qui risquait de multiplier les questions préjudicielles[51] –, ou des décisions d’hospitalisation d’office[52], dont la légalité externe relevait auparavant de la juridiction administrative, ce qui était générateur de complexité et allongeait de manière injustifiée les délais de jugement ; soit au profit du juge administratif, en ce qui concerne la passation et l’exécution des marchés passés en application du code des marchés publics[53] ou le contentieux des plans de sauvegarde de l’emploi[54].

La détermination constitutionnelle et législative des règles de compétence ne fait pas obstacle à ce que d’autres critères, d’origine jurisprudentielle, précisent la répartition des matières entre les deux ordres de juridiction. Au juge administratif, il revient d’appliquer les règles du droit public aux litiges nés de l’action de l’administration, dont la finalité et la légitimité reposent sur la poursuite de l’intérêt général. La notion de service public ou l’exercice de prérogatives de puissance publique[55], qui traduisent la spécificité des objectifs et des moyens de l’administration, déterminent à la fois l’application d’un régime de droit public et la compétence du juge administratif. Mais, dès que l’administration agit dans les mêmes conditions qu’une personne privée et cesse donc de faire valoir la particularité de son action, elle doit se voir appliquer les règles du droit privé par le juge judiciaire[56]. Ainsi, les litiges susceptibles de naître de l’activité d’un service public relèvent de la compétence du juge administratif, si ce service est administratif, mais de la compétence du juge judiciaire, s’il est de nature industrielle ou commerciale[57]. Il en va de même des litiges relatifs aux agents employés dans ces services publics[58]. Relèvent aussi du juge administratif les actes de gestion du domaine public d’une personne publique, mais du juge judiciaire ceux qui concernent son domaine privé[59].

2. Cette répartition des compétences entre les ordres de juridiction repose sur l’expertise et les compétences développées par chacun d’eux dans les domaines qui leur sont propres. La spécialisation des ordres juridictionnels évite que le juge ne se trouve « démuni sur un terrain qui n’est pas le sien »[60]. L’évolution des lignes de partage procède ainsi de l’idée selon laquelle chaque domaine du droit, privé ou public, obéit à des règles spécifiques et des logiques différentes. A la puissance publique et aux services publics administratifs, qui assument la finalité d’intérêt général de l’action administrative, correspondent les règles du droit public et la compétence du juge administratif. Mais ce fondement, à la fois principiel et technique, justifie en miroir que le contentieux des atteintes au droit de la propriété intellectuelle et artistique ressortisse traditionnellement à la compétence du juge judiciaire[61], y compris lorsqu’est en cause un contrat public[62]. Les théories jurisprudentielles de la voie de fait[63] et de l’emprise[64] illustrent également les lignes de force du partage des compétences : le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle et de la privation de la propriété, est tout désigné, en cas d’empiètement manifeste et grave sur ces droits, pour faire cesser les effets de ces atteintes et en réparer les conséquences. A l’inverse, le contrôle de la légalité des actes administratifs est une compétence propre du juge administratif. Le contrôle, parmi ces actes, des mesures de police administrative prises pour prévenir les atteintes à l’ordre public ou les infractions et, le cas échéant, limiter les libertés relève également de la compétence du juge administratif. C’était le cas depuis les origines de la juridiction administrative ; c’est a fortiori le cas depuis que le Conseil constitutionnel a reconnu à la juridiction administrative une compétence exclusive pour connaître des décisions prises par l’autorité administrative dans l’exercice de prérogatives de puissance publique[65]. Dans ce cadre constitutionnel, la finalité d’une opération de police, selon qu’elle est préventive ou répressive, détermine le juge compétent. Les missions de la police judiciaire, qui visent à réprimer les infractions commises[66], relèvent naturellement du juge judiciaire. C’est cette clé de répartition, aussi ancienne que la République, qui justifie que le juge administratif soit compétent pour les mesures prises sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence – perquisitions administratives, assignations à résidence, fermetures de lieux de réunion… – qui n’ont pas vocation à réprimer des infractions déjà commises, mais à prévenir que de nouvelles soient perpétrées sur notre territoire. Ainsi, la loi sur l’état d’urgence n’a procédé à aucun transfert de compétence au profit du juge administratif ; la reconnaissance de la compétence du juge administratif pour connaître, notamment, des mesures d’assignation à résidence s’appuie sur une jurisprudence et des principes constitutionnels constants issus de la distinction entre les mesures « privatives » de liberté visées par l’article 66 de la Constitution et les mesures seulement « restrictives » de liberté[67], comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel[68]. Ce sont ces principes[69] qui ont aussi justifié que soit confié au Conseil d’Etat le contentieux né de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement[70] laquelle institue une procédure d’autorisation par le Premier ministre prise après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, avant que ne soient déclenchées des procédures de collecte d’informations en vue, notamment, de prévenir des actions terroristes ou portant atteinte à la sécurité nationale.

Le dualisme juridictionnel et la répartition des compétences qui en procède s’inscrivent par conséquent dans l’histoire de nos institutions, marquée par la Révolution française et une conception radicale de la séparation des pouvoirs. En dépit des conditions de sa naissance, ce dualisme s’est inscrit dans la durée.

II. La longévité du dualisme juridictionnel tient à sa pertinence et son efficacité au service de notre Etat de droit.

A. Les remises en cause de cette dualité ne sont pas nouvelles, mais elles sont largement injustifiées.

Elles ont toujours existé sous la plume de certains auteurs dont je ne me risquerai pas à glisser les noms à de futurs magistrats judiciaires, plus ou moins hostiles à la juridiction administrative et toujours inquiets de voir dans le dualisme juridictionnel une source de complexité inutile et de difficultés pour les justiciables.

1. La première critique des contempteurs de l’ordre juridictionnel administratif tient aux incertitudes quant à la répartition des compétences. En réalité, cette répartition est loin d’être aussi complexe qu’elle ne paraît au premier abord, ainsi que l’illustre le très faible nombre de saisines du Tribunal des conflits, qui reçoit 50 à 60 affaires par an et seulement 32 en 2016[71]. Par ailleurs, beaucoup de ces saisines procèdent moins d’une difficulté sérieuse de compétence que de l’ignorance de certaines règles de base par l’un ou l’autre des juges à l’origine du renvoi. La répartition des compétences est, en outre, demeurée extrêmement stable depuis 1872. Les quelques transferts de compétence récemment opérés par le législateur, de manière très équilibrée entre les deux ordres, ne changent rien à ce constat général. Par ailleurs, le Tribunal des conflits a vocation à simplifier la répartition des compétences, tout en assurant sa cohérence. Sa composition paritaire favorise, dans un véritable esprit de coopération juridictionnelle, une régulation harmonieuse entre les deux ordres grâce à une culture ancienne du dialogue qui a permis d’éviter les logiques d’affrontement, comme en témoigne la rareté des cas de partage par le garde des sceaux[72]. Car le Tribunal des conflits est composé à stricte parité d’un nombre égal de magistrats de l’ordre judiciaire et de juges de l’ordre administratif, la présidence étant alternativement assurée par un membre de la Cour de cassation ou du Conseil d’Etat. C’est actuellement Yves Maunand, conseiller à la Cour de cassation, qui assure cette présidence dans laquelle il a remplacé Jacques Arrighi de Casanova, membre du Conseil d’Etat. La réforme du Tribunal des conflits en 2015[73], qui a supprimé l’anachronique présidence du garde des sceaux, a confirmé et renforcé à la fois le paritarisme et la culture du dialogue juridictionnel. En cas de désaccord, les juges des deux ordres sont invités à approfondir leur dialogue et, le cas échéant, à le poursuivre dans une composition élargie à douze juges – au lieu de huit – mais toujours paritaire. Les juridictions des deux ordres, et notamment le Conseil d’Etat, ont par ailleurs le souci de faire un usage constructif de la procédure de saisine du Tribunal des conflits. En 2016, sur treize renvois opérés pour difficulté sérieuse de compétence, cinq émanaient du Conseil d’Etat et cinq d’autres juridictions administratives, ce qui témoigne du fort attachement de la juridiction administrative dans son ensemble à une répartition à la fois scrupuleuse et régulée des compétences entre les deux ordres[74]. Aux antipodes de l’unilatéralisme, le juge administratif joue sans restriction, ni arrière-pensées, la carte de la coopération dans le cadre de ce tribunal. Le souci de la simplicité pour le justiciable et pour les juridictions est une source d’inspiration constante pour le Tribunal des conflits et c’est sur ce fondement que, par exemple, l’arrêt Berkani a rassemblé au sein de la juridiction administrative les litiges relatifs aux agents non titulaires d’un service public administratif, quelle que soit la nature précise de leurs fonctions[75], ce qui a permis de mettre fin à des raffinements jurisprudentiels devenus ésotériques. Le Tribunal des conflits a aussi affirmé la compétence du juge administratif pour connaître des actes relatifs à l’organisation du service public de la justice, à l’exception de ceux touchant à l’exercice de la fonction juridictionnelle[76]. Récemment, il a tiré les conséquences des évolutions qui ont doté la juridiction administrative de procédures d’urgence efficaces, notamment lorsque sont en cause des libertés fondamentales[77], et il a simplifié la répartition des compétences en resserrant la définition de la voie de fait[78]. Le Tribunal des conflits a aussi transposé les principes de cette jurisprudence en matière d’emprise[79]. Guidé par le souci de simplicité et de bonne administration de la justice, le Tribunal des conflits contribue ainsi, par sa jurisprudence, à clarifier les contours des compétences juridictionnelles, à réguler les relations entre les deux ordres de juridiction et, par conséquent, « à faire régner l’harmonie entre les composantes de notre droit », comme l’a souligné mon collègue, le président Bernard Stirn[80].

En outre, afin de réguler dans la durée les rapports entre les ordres de juridiction, le Tribunal des conflits s’est préoccupé de ne pas allonger à l’excès les procédures contentieuses par des mécanismes de renvois préjudiciels incessants. Le principe selon lequel le juge du principal est le juge de l’exception et qu’il est donc compétent pour répondre à toutes les questions qui viendraient à se poser dans le règlement du litige a longtemps trouvé une limite insurmontable dans la détermination des champs de compétences des deux ordres de juridiction. A condition que la question fût sérieuse et nécessaire à la résolution du litige, il appartenait donc au juge judiciaire, saisi au principal, d’inviter les parties à se pourvoir devant le juge administratif pour répondre à la question soulevée par voie d’exception de la légalité d’un acte administratif[81]. De la même manière, le juge administratif devait renvoyer au juge judiciaire une question préjudicielle relative à la propriété d’un immeuble afin de déterminer ensuite son appartenance au domaine public ou privé d’une collectivité[82]. En dépit de plusieurs atténuations de ce principe, notamment en matière de voie de fait[83], et de la plénitude de juridiction reconnue au juge pénal en vertu de l’article 111-5 du code pénal[84], un assouplissement de cette jurisprudence était devenu nécessaire pour rendre plus fluide le fonctionnement de notre système juridictionnel. Par son arrêt du 17 octobre 2011 SCEA du Chéneau[85], le Tribunal des conflits, après avoir rappelé les principes de la jurisprudence Septfonds de 1923, a atténué l’obligation de transmission d’une question préjudicielle en jugeant que, lorsqu’il apparaît que la contestation peut être accueillie par le juge judiciaire « au vu d’une jurisprudence établie » - celle-ci étant entendue comme une jurisprudence administrative suffisamment claire et fixée pour que son application soit dépourvue de difficulté[86] -, il n’y a pas lieu de procéder à un renvoi préjudiciel devant le juge administratif. Cet assouplissement est réciproque et le juge administratif peut lui aussi se prononcer, à titre incident, sur la légalité d’un accord de branche ou d’une convention collective au vu d’une jurisprudence établie de la juridiction judiciaire[87]. Sans marquer l’abandon de la question préjudicielle, cette évolution a assoupli les rapports entre les ordres juridictionnels et favorisé une meilleure administration de la justice : il en résulte une plus grande célérité des procédures et une moindre complexité pour le justiciable. Un décret du 27 février 2015 a également simplifié la procédure de renvoi préjudiciel en imposant que le juge initialement saisi, et non plus le justiciable, renvoie lui-même la question préjudicielle à la juridiction compétente de l’autre ordre[88], qui statue désormais sous le seul contrôle de son juge de cassation.

L’intervention d’un tiers régulateur pour faire régner l’harmonie entre les juridictions n’est pas le signe d’un dysfonctionnement ou d’une complexité inutile. La spécialisation des juges, justifiée comme je l’indiquais notamment par la technicité des affaires, est toujours susceptible de susciter des interrogations quant au juge compétent, y compris au sein d’un même ordre de juridiction. Au regard de ces difficultés, le Tribunal des conflits, qui procède avec une relative simplicité et selon des règles et des principes clairs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, ne présente pas de degré de complexité supplémentaire.

2. La répartition du contentieux entre deux ordres de juridiction distincts fait aussi naître la crainte qu’émergent des jurisprudences contraires entre les deux ordres. Là encore, ces craintes ne sont pas fondées. Au contraire, le dualisme juridictionnel contribue à l’enrichissement réciproque des jurisprudences. Les deux ordres de juridiction se livrent de fait à une « compétition pour l’excellence »[89] qui se traduit par une observation attentive de leurs jurisprudences réciproques particulièrement visible dans les matières qu’ils partagent. Par exemple, l’observation par le juge administratif de la pratique du juge judiciaire dans le domaine de la responsabilité médicale a permis la reconnaissance de certains préjudices jusque-là ignorés, l’évolution des conditions d’indemnisation et in fine l’émergence d’un droit plus protecteur des victimes. De son côté, le juge judiciaire a accepté de reconnaître l’effet direct des stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant sous la poussée de la doctrine favorable à l’approche déjà adoptée par le juge administratif en la matière[90]. Hors du cas des matières partagées, l’incorporation par le juge administratif de principes du droit privé est « justifiée si elle est à la fois utile en ce qu’elle permet de pallier un vide juridique, compatible avec les exigences du service public et cohérente avec les autres règles et principes du droit administratif »[91]. Le juge administratif emprunte ainsi au droit privé certains principes ou règles du droit positif, soit qu’il accepte de les appliquer tels quels, comme le droit de la concurrence[92] ou le droit de la consommation[93], soit qu’il discerne dans des dispositions de droit privé l’existence d’un principe général dont elles sont la traduction formelle[94]. Enfin, le juge administratif se réfère régulièrement aux dispositions du code civil, comme c’est le cas pour l’ancien article 2262 du code civil relatif à la prescription trentenaire[95] ou l’article 2061 posant le principe de la nullité des clauses compromissoires[96]. De son côté, le juge judiciaire a, lui aussi, su emprunter au juge administratif certaines de ses pratiques et certains éléments de sa jurisprudence[97]. Dans l’affaire Giry de 1956, la Cour de cassation a par exemple estimé que, s’agissant d’un litige mettant en cause la responsabilité de la puissance publique à l’occasion du fonctionnement du service public de la justice, il appartient au juge judiciaire « de se référer aux règles du droit public »[98]. En l’espèce, la Cour de cassation a accepté de transposer en droit privé le principe de responsabilité sans faute à l’égard des collaborateurs occasionnels du service public, faisant sienne la jurisprudence déjà dégagée par le Conseil d’Etat alors même qu’aucun texte ne prévoyait une telle possibilité[99]. Par ailleurs, l’observation réciproque des deux ordres a permis de faire évoluer les procédures dans le sens d’un perfectionnement de la justice et, notamment, de la justice administrative. La création de référés urgents devant le juge administratif par la loi du 30 juin 2000 résulte de la comparaison des procédures d’urgence entre les deux ordres juridictionnels et du constat que le juge administratif ne disposait pas d’outils efficaces pour donner une réponse rapide aux litiges qui le justifiaient, à la différence des procédures d’urgence existant devant le juge judiciaire.

Le dualisme juridictionnel, par l’émulation qu’il suscite entre les deux ordres de juridiction et par la comparaison des procédures et des jurisprudences, concourt en réalité au renforcement de la justice française au service du justiciable et du droit, bien plus qu’à sa division et sa complexité.

B. Aujourd’hui, le dualisme juridictionnel contribue toujours à l’affermissement de l’Etat de droit dans notre pays.

1.L’existence d’un juge spécialisé dans le contentieux administratif a permis l’émergence d’un contrôle crédible et effectif de l’administration, dans le respect de ses prérogatives et des droits des administrés et des citoyens. La conception française de la séparation des pouvoirs n’affranchit pas l’administration du respect du principe de légalité et elle ne crée pas d’îlot d’irresponsabilité. Au contraire, c’est le Conseil d’Etat qui, par son œuvre jurisprudentielle de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, a réalisé le « miracle »[100] de la soumission de l’administration au principe de légalité. L’affaire n’était pourtant pas entendue, si l’on se rappelle les conditions de la création de la juridiction administrative : la méfiance à l’égard des juges avait en effet conduit à soustraire tout le contentieux administratif au contrôle du juge. Le Conseil d’Etat avait initialement été érigé en protecteur de l’intérêt général et de l’ordre public et il s’assurait principalement du bon fonctionnement de l’administration. Il n’était pas vraiment regardé comme un instrument au service du faible contre le fort ou de l’individu contre les autorités publiques. Et le droit administratif était perçu comme un « droit de privilège »[101] conçu pour préserver les prérogatives de l’administration et assurer l’efficacité de son action. Dans un contexte marqué par le rôle singulier de l’administration, les rapports entre cette dernière et les administrés ne peuvent être des rapports strictement égalitaires[102] compte tenu des objectifs poursuivis qui, ne l’oublions pas, sont la satisfaction de l’intérêt général et la préservation de l’ordre public. C’est ce qui justifie encore aujourd’hui que l’action administrative soit régie par un droit autonome[103], sous le contrôle d’un juge spécialisé. « Juger l’administration, c’est encore administrer », selon l’aphorisme du conseiller d’Etat Henrion de Pansey, devenu premier président de la Cour de cassation en 1828. C’est donc un tour de force que le Conseil d’Etat a réalisé en soumettant l’administration au principe de légalité tout en préservant ses prérogatives et l’efficacité de son action au service de l’intérêt général. Il est vrai que cette soumission ne s’est pas faite du jour au lendemain. Le Conseil d’Etat a procédé par étapes successives au cours du XIXème siècle. L’extension du contrôle du juge administratif est d’abord restée mesurée, le Conseil ne souhaitant pas laisser « l’exigence du contrôle prendre le pas sur les impératifs de l’ordre », comme l’a illustré la théorie des circonstances exceptionnelles développée pendant la première guerre mondiale[104]. Durant cette période, l’administration était certes soumise au principe de légalité et le juge n’a pas refusé par principe de connaître de la légalité d’un acte administratif, mais l’existence d’une situation grave et exceptionnelle a justifié que les mesures administratives soient contrôlées à l’aune de critères aménagés de légalité, faisant une large place au pouvoir discrétionnaire de l’administration[105]. Néanmoins, le Conseil d’Etat a progressivement développé une jurisprudence protectrice des droits des administrés, j’y reviendrai.

La juridiction administrative, marquée par l’ambiguïté de sa naissance et la double nature de sa cour suprême – à la fois conseiller du Gouvernement et juge administratif suprême – a soumis l’administration au droit à raison même de cette dualité fonctionnelle. C’est aussi cela qui justifie, aujourd’hui encore, l’utilité de la juridiction administrative. Parce que le juge administratif est en même temps conseiller du Gouvernement, il dispose de l’expérience et du recul suffisant pour juger l’administration avec pertinence et exigence. Et parce que le conseiller du Gouvernement est aussi juge de l’administration, il rend des avis éclairés et sait affirmer, souvent avec vigueur, les faiblesses et les illégalités des projets de texte qui lui sont présentés. Les conseils qui émanent d’un corps juridictionnel sont de fait revêtus d’une force qui pèse lourd. Parce qu’il connaît les devoirs, les moyens et les contraintes, mais aussi les dysfonctionnements et les travers de l’administration, le juge administratif est en capacité de la comprendre pour mieux en contrôler les actes et les agissements. Il ne s’agit pas de comprendre pour excuser. Le juge administratif connaît les contraintes de l’administration, mais c’est pour mieux lui rappeler ses devoirs et lui expliquer comment éviter de nouveaux excès de pouvoir à l’avenir. Il les comprend aussi pour atténuer les effets des illégalités de pure forme qui entravent inutilement l’efficacité de l’action administrative. Car une erreur dans la procédure, lorsqu’elle ne prive pas les intéressés d’une garantie ou lorsqu’elle a été sans incidence sur le sens de la décision adoptée, ne doit pas paralyser l’action de l’administration[106]. Enfin, le juge administratif comprend les intérêts et les contraintes de l’administration pour mieux les mettre en balance avec les autres intérêts qui s’expriment dans la société : ceux de nos concitoyens et, en particulier, la protection de leurs droits et de leurs libertés. Le juge administratif, parce qu’il dispose d’une expertise juridique et d’une expérience professionnelle qui lui sont propres, comprend les spécificités du fonctionnement de l’administration et il est ainsi capable de la juger le plus finement possible. En même temps, par les pouvoirs qui sont les siens, il assure sa soumission au droit et la protection des droits fondamentaux des administrés. Il fallait un juge spécialisé pour opérer cette délicate pesée, cette conciliation entre la nécessaire garantie des droits des personnes et la satisfaction de l’intérêt général. C’est ce que souligne l’arrêt Blanco de 1873 du Tribunal des conflits lorsqu’il juge que la responsabilité de l’Etat « a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés »[107]. Reconnaître les compétences naturelles du juge administratif, ce n’est pas en creux remettre en cause l’action des autres juges. C’est au contraire admettre que si nous partageons un fonctionnement et des principes propres à l’exercice des fonctions de juge, « deux droits, différents par leurs règles, leur technique, leur esprit, seront mieux appliqués par deux ordres de juridiction dont chacun se consacre à l’un de ces droits », comme le soulignait le professeur Jean Rivero[108].

L’observation des pratiques de nos voisins européens affermit l’idée que l’existence de juges spécialisés dans les litiges administratifs est un atout. L’existence d’une juridiction administrative spécialisée n’est en effet pas une exception française. Au contraire, le modèle dualiste est majoritaire en Europe[109]. Parmi les 28 Etats membres que compte encore l’Union européenne, 5 seulement ont retenu un modèle unitaire : le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark, Malte et Chypre. A l’inverse, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie ou le Luxembourg, pour ne citer qu’eux, ont retenu une organisation judiciaire comportant une juridiction administrative séparée. Parmi ces 23 Etats, deux modèles peuvent être distingués. Un premier groupe de pays, représenté par l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, la Pologne, les trois Etats du Benelux ou la France, comporte des ordres juridictionnels spécialisés de la base au sommet avec des tribunaux de première instance et d’appel exclusivement consacrés au traitement du contentieux administratif. Un second groupe de pays prévoit l’existence de tribunaux administratifs à la base et de formations spécialisées en matière administrative au sein de la juridiction suprême. La Hongrie et l’Espagne sont deux exemples de ces pays pratiquant cette spécialisation avec un tribunal ou une cour suprême unique qui comporte une chambre spécialisée dans le contentieux administratif. En Espagne, c’est la « Sala tercera », la troisième chambre. Mais en réalité, même dans les cinq Etats qui ont fait le choix d’un ordre juridictionnel unique, il existe une certaine forme de spécialisation. Dans le pays d’origine de la common law, le Royaume-Uni, caractérisé par une organisation juridictionnelle parfaitement unitaire, l’essor du contrôle de l’administration – le « judicial review » – a conduit à la spécialisation de certaines chambres au sein de la High Court traduisant la spécificité de ce contrôle et la nécessité d’avoir des magistrats spécialisés[110] et la réforme de 2007 a créé l’Administrative Justice and Tribunals Council qui supervise l’activité de juridictions appelées Administrative Tribunals[111]. En affirmant la spécificité de l’action administrative, l’existence d’un droit public autonome, appliqué par des juges spécialisés, permet en réalité l’approfondissement du contrôle de l’administration au profit d’une meilleure protection des droits des citoyens, dans le respect de l’intérêt général. Cette remarque vaut pour la France, comme pour tout pays ayant un juge administratif spécialisé : l’existence de ce juge, c’est une évidence partout où il existe, a renforcé l’intensité du contrôle de légalité des actes administratifs et la mise en cause de la responsabilité des personnes publiques. Le dualisme juridictionnel est fondé sur une spécialisation fonctionnelle : on a besoin de juges différents pour traiter des affaires publiques qui requièrent des méthodes, des compétences et le maniement d’un droit différent. Certes, dans les autres pays européens, le dualisme juridictionnel n’est pas toujours aussi complet et radical qu’en France. Cela tient à notre histoire particulière. Mais partout, il existe des chambres ou des juridictions spécialisées dans le traitement du contentieux administratif.  

Il est vrai que l’on observe aussi depuis quelques années un mouvement dans la ligne de partage entre droit privé et droit public qui mettrait en cause, selon certains, l’existence d’un système juridictionnel dual. D’une part, l’on constate une certaine tendance à la « privatisation » du droit public. D’autre part, l’influence du droit européen a enclenché un certain mouvement d’unification. Le droit de l’Union européenne et celui de la Convention européenne des droits de l’homme sont en effet indifférents à la distinction entre les régimes juridiques et les ordres juridictionnels. Les cours de Luxembourg et de Strasbourg ne font, en principe, aucune distinction entre un agent de droit public et un salarié du secteur privé[112], pas plus qu’elles ne font de distinction entre une entreprise publique et une entreprise privée[113]. Le principe d’effectivité du droit de l’Union européenne contribue aussi à faire converger les droits privé et administratif, d’un point de vue tant substantiel que procédural. Néanmoins, la summa divisio droit public-droit privé ne disparaît pas dans ce mouvement de globalisation du droit. Si la frontière entre les deux matières se déplace, les Etats et les personnes publiques restent dépositaires d’un intérêt général qui ne saurait être réduit à la somme des intérêts particuliers. La Convention européenne des droits de l’Homme fait ainsi obligation aux cours nationales de mettre en balance les libertés et les droits de l’Homme avec les intérêts légitimes qui peuvent, dans un Etat démocratique, justifier une atteinte proportionnée à ces droits et libertés. Même le droit de la concurrence admet des atténuations à l’application générale d’un droit unique, lorsque l’intérêt général et les intérêts de la puissance publique le commandent[114]. Par exemple, si le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit expressément que les règles de la concurrence s’appliquent à tous[115], la rigueur de ce principe est immédiatement nuancée par la possibilité de déroger à l’application de ces règles, dès lors qu’elles feraient échec à l’accomplissement de la mission particulière impartie aux entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général[116]. La pertinence d’un juge spécialisé dans le contentieux administratif n’est donc pas remise en cause par cette évolution.

2. Bien plus, il faut souligner que le dualisme juridictionnel n’ôte rien ni à l’un, ni à l’autre des ordres de juridiction. La justice a pour mission de garantir les libertés, toutes les libertés, publiques ou privées. La justice, en son entier, a la garde des valeurs et des principes que le peuple s’est donnés par la Constitution et la loi. Elle assure, dans le temps long, l’effectivité et la pérennité des grands principes démocratiques et républicains, c'est-à-dire des droits fondamentaux qui s’expriment dans notre Constitution et dans les instruments internationaux de protection des droits de l’homme auxquels notre pays est partie. Plus encore que le débat sur le bien-fondé d’un ou deux ordres juridictionnels, la question qui se pose à nous est de savoir si notre justice, dans sa dualité, garantit une bonne application de la loi et une protection effective des droits fondamentaux. A cet égard, le juge administratif n’a eu de cesse de démontrer, au cours des années écoulées et plus clairement encore depuis la déclaration de l’état d’urgence, sa capacité à être un défenseur efficace des libertés publiques. Il a dans la durée su donner corps aux droits fondamentaux en protégeant les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[117] et en faisant émerger les principes généraux du droit puisés dans notre tradition démocratique et républicaine[118], voire même des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République[119]. Depuis 1933 et l’arrêt Benjamin, le Conseil d’Etat exerce un entier contrôle de proportionnalité sur les mesures de police administrative dont il vérifie le caractère adapté, nécessaire et proportionné[120]. Ce contrôle, il l’exerce bien évidemment aussi lorsqu’il vérifie la légalité des mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence[121]. En outre, le législateur a doté le juge administratif d’outils de contrôle et de procédure plus performants. D’abord avec les lois du 16 juillet 1980[122] et du 2 mars 1982[123] portant sur les premiers pouvoirs d’astreinte aux mains du Conseil d’Etat et le « déféré-liberté » pour les actes des collectivités territoriales[124]. La loi du 8 février 1995[125] a ensuite permis au juge administratif d’émettre des injonctions à l’égard de l’administration, y compris à titre préventif, afin d’assurer l’exécution complète, effective et diligente de ses décisions et, le cas échéant, de les assortir d’une astreinte. Enfin, la loi du 30 juin 2000[126] a institué des procédures d’urgence crédibles et efficaces. Au référé-suspension, qui a avantageusement remplacé l’ancien sursis à exécution, s’est ajouté le référé-liberté qui permet au justiciable de saisir en urgence le juge administratif afin de faire cesser « toute atteinte grave et manifestement illégale » à une « liberté fondamentale »[127]. Statuant en principe en 48 heures, il dispose de pouvoirs étendus et peut ordonner toute mesure nécessaire à la cessation de l’atteinte relevée. Par exemple, il peut ordonner à l’administration de prendre toutes les mesures utiles à l’éradication d’animaux nuisibles dans une prison[128]. L’affirmation des droits subjectifs, avec l’essor du contrôle de conventionalité[129] depuis 1989[130] et l’instauration du référé-liberté, a profondément remodelé la nature et la structure du contentieux administratif en mettant en lumière la nécessité d’assurer, au-delà de la soumission de l’administration au droit, une protection efficace des droits fondamentaux des personnes. L’extension du recours de plein contentieux, parfois jugé plus efficace que le recours pour excès de pouvoir dès lors qu’il permet au juge de substituer sa propre décision à celle de l’administration et lui confère des pouvoirs plus larges[131], et le perfectionnement des outils du juge administratif ont permis la transformation de la juridiction administrative en une véritable « juridiction des droits de l’homme »[132]. Sans renoncer à ses acquis historiques – le contrôle de la légalité objective –, la juridiction administrative a su combler ses insuffisances et enrichir son rôle initial.

Ces évolutions ont été déterminantes. Elles ont permis le renforcement du contrôle exercé sur l’administration au regard des droits fondamentaux bien sûr, mais aussi de tous les intérêts généraux dont le juge a la garde[133] : la santé publique, la protection de l’environnement et non pas seulement la prévention des atteintes de l’ordre public. A cet égard, il n’est pas établi que le juge de droit commun, par nature moins rompu aux spécificités de l’action administrative, aurait su concilier de manière aussi équilibrée les impératifs de l’intérêt général et de l’ordre public avec la protection des droits des administrés.

III. Au-delà des matières qui les séparent, les juges administratifs et judiciaires partagent une fonction de juger qui repose sur des principes communs.

A - En tant que juges, il nous appartient d’assumer pleinement notre office dans toute son étendue et ses limites.

1. La fonction première de la justice est de trancher des litiges en droit en rendant, au nom du peuple souverain, des jugements sur les cas qui lui sont soumis. La justice remplit son office par suite de sollicitations extérieures qu’elle ne suscite, ni n’inspire. Elle ne se prononce que sur des cas particuliers. Et le juge rend ses décisions sur la base, d’un côté, de la règle de droit qu’il ne crée pas, qui s’impose à lui et qu’il doit souvent interpréter et, de l’autre côté, des considérations d’espèce des litiges portés devant lui dont il ne peut se saisir de sa propre initiative. Dans l’exercice de cette mission, le juge ne peut se retrancher derrière le silence, l’obscurité ou l’insuffisance de la loi. L’article 4 du code civil nous l’interdit expressément en prévoyant que « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » Mais les règles de droit que nous sommes susceptibles d’appliquer se sont multipliées et complexifiées au cours des dernières décennies. Il nous appartient donc non seulement de les interpréter, mais aussi de les décoder, de les concilier et de les clarifier pour pouvoir exercer notre mission.

Ce travail, nous devons le mener à bien avec un souci constant de cohérence. Ce devoir de cohérence est au cœur même de la garantie des droits. Il est aussi au cœur de la jurisprudence qui doit éviter les soubresauts, les contradictions ou les revirements inopinés. Au contraire, la stabilité et la prévisibilité de la jurisprudence sont essentielles pour les justiciables et tout revirement de jurisprudence doit être examiné avec prudence, si possible annoncé par des signaux préalables et être rigoureusement justifié. Il s’agit là d’une question essentielle qui est étroitement liée à la sécurité juridique et au bon fonctionnement d’un ordre de juridiction : si les juges s’en remettaient trop à leurs intuitions ou convictions personnelles, il n’y aurait plus de garantie des droits, ni d’égalité devant la loi. Du point de vue de l’administration de la justice, cela ne pourrait que multiplier les recours et  « emboliser » le système juridictionnel. Il appartient par conséquent aux cours suprêmes d’assurer l’unification de la jurisprudence en tranchant les questions de principe. La procédure d’avis contentieux contribue à assurer cette unité en permettant aux juridictions de première instance et d’appel de demander l’avis du Conseil d’Etat[134] ou de la Cour de cassation[135] lorsqu’une affaire soulève « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». La réponse donnée par la cour suprême préfigure bien souvent la solution qu’elle aurait retenue si elle avait été saisie d’une telle affaire au stade de la cassation et elle permet d’éclairer le plus précocement possible les juridictions subordonnées sur la solution à adopter[136]. D’autres méthodes permettent aussi de fixer rapidement la jurisprudence, comme le traitement prioritaire par des « juridictions pilotes » de contentieux nouveaux et massifs qui émergent dans toutes les juridictions à la fois, de telle sorte que la juridiction suprême – le Conseil d’Etat en l’occurrence – puisse se prononcer dans les meilleurs délais pour fixer la jurisprudence[137]. Une fois affirmées, ces solutions jurisprudentielles ont vocation à être appliquées par les juridictions de première instance et d’appel. En France, comme ailleurs en Europe, une certaine déférence de la part des tribunaux de première instance et des cours d’appel suffit le plus souvent à assurer l’unité de la jurisprudence mais, à cet égard, la jurisprudence administrative est souvent plus unifiée et prévisible que la jurisprudence judiciaire. Cette situation résulte dans l’ordre administratif moins d’une hiérarchie imposée ou d’un comportement grégaire que de l’attachement de tous à l’autorité de la jurisprudence du Conseil d’Etat, y compris au sein même du Conseil de la part de ceux qui ont été minoritaires lors de l’élaboration ou d’un changement de jurisprudence. La conscience de notre devoir de juge nous conduit à mettre davantage l’accent sur l’œuvre collective que nous construisons, plus que sur le libre arbitre personnel des juges. La cohérence de la jurisprudence tient, en partie, à la mise en place d’instances informelles de concertation entre présidents de chambres – nommées « troïka » dans notre jargon interne – qui peuvent recommander la prolongation et l’approfondissement d’un délibéré ou encore renvoyer une affaire devant une formation de jugement supérieure aux fins d’éviter des contradictions ou des divergences entre chambres. L’explication de la différence substantielle existant entre nos deux ordres peut aussi être reliée aux spécificités de nos deux histoires. La juridiction judiciaire s’est en effet construite de la base vers le sommet. Ont d’abord été créées des cours locales – les Parlements d’Ancien régime – qui rendaient la justice à leur échelon, sans aucun contrôle d’une cour suprême, sinon celui du Conseil des parties, qui s’est, dans une certaine mesure, affermi aux XVIIème et XVIIIème siècles. Ce n’est que tardivement, en 1790, qu’est apparu un véritable tribunal de cassation chargé de couronner l’ordre judiciaire et d’unifier la jurisprudence. A l’inverse, la juridiction administrative s’est construite du sommet vers la base. C’est à partir du Conseil d’Etat que se sont construits l’ordre administratif et la jurisprudence administrative. Il existait certes des conseils de préfecture, mais ils ne disposaient que d’une compétence d’attribution. Jusqu’en 1953, il y avait un seul juge administratif de droit commun ; c’était le Conseil d’Etat. Si la situation a changé avec la création des tribunaux administratifs, le Conseil d’Etat est resté, jusqu’au début des années 1990, le juge d’appel de leurs jugements. C’est donc lui qui a historiquement affirmé, développé et concrétisé les grands principes de la jurisprudence administrative. Cela explique encore aujourd’hui à la fois son influence, sa prégnance et, par suite, la très forte unité et cohérence de la jurisprudence administrative. Cela n’interdit pas aux juges du fond de faire remonter, par leurs jugements et leurs arrêts, les cas où telle jurisprudence mérite d’être réexaminée. Ils peuvent également faire preuve de créativité en interprétant les premiers les lois nouvelles et en appliquant des jurisprudences établies à des situations inédites. Mais le souci partagé de cohérence et de stabilité juridique fait que les juges du fond appliquent en principe la jurisprudence établie du Conseil d’Etat. Sur ce sujet, je tiens à souligner que, quelle que soit notre histoire respective, l’indépendance du juge ne peut, ni ne doit être un prétexte à l’incohérence des décisions de justice qui ne peut s’opérer qu’au détriment des justiciables qu’il nous appartient au contraire de servir. L’indépendance ne signifie pas l’isolement ou l’ignorance du travail des autres juges. Au total, la sécurité juridique, qui est au cœur de la réflexion du Conseil d’Etat[138] et du Conseil constitutionnel[139], et la bonne administration de la justice se trouvent toujours favorisées, sinon assurées par une jurisprudence cohérente, stable et prévisible. C’est aussi la sécurité juridique qui justifie que le juge administratif se soit attaché à assurer une plus grande stabilité des situations juridiques en s’autorisant à moduler dans le temps les effets des revirements de jurisprudence[140] ou des annulations contentieuses[141]. C’est, là encore, la traduction de la spécificité de sa mission : un justiciable peut obtenir l’annulation d’un acte administratif sans en bénéficier à titre personnel car, au terme d’une mise en balance entre la gravité des vices dont cet acte est entaché, les dommages causés par cet acte et les conséquences parfois systémiques de la rétroactivité d’une annulation, l’intérêt général peut commander que les effets passés d’un acte illégal soient regardés comme définitifs ou que l’annulation de cet acte ne prenne effet qu’à une date ultérieure que le juge fixe.

Dans un monde marqué par la pluralité des ordres juridiques, notre devoir de cohérence impose également que les juges assurent la coordination entre les différents droits et l’articulation harmonieuse des jurisprudences. Ce pluralisme juridique est particulièrement visible en Europe où coexistent les différents ordres juridiques nationaux, celui de la Convention européenne des droits de l’homme et celui du droit de l’Union européenne. Ces systèmes juridiques sont certes indépendants les uns des autres, mais ils sont en interaction permanente et il serait vain d’ignorer leurs liens ou de jeter un voile pudique sur leur interdépendance et les risques de conflit qui peuvent surgir entre eux en l’absence de mécanisme juridictionnel de résolution. Il appartient par conséquent à chaque juge et, en particulier, à chaque juridiction suprême de contribuer à mettre en harmonie les différents systèmes juridiques dans lesquels ils s’inscrivent. C’est dans cet esprit que les juges français, judiciaires et administratifs, ont développé une interprétation très rigoureuse, et même inflexible, de l’article 55 de la Constitution[142], donnant la priorité au droit européen et au droit international sur toutes les normes de droit interne, y compris les lois postérieures[143]. Le développement de certaines techniques jurisprudentielles contribue également à l’articulation harmonieuse des différents ordres juridictionnels. Les juges doivent notamment veiller à la coordination et à l’intégration des principes du droit de l’Union européenne et du droit européen des droits de l’homme et s’assurer que les règles internes sont interprétées conformément aux engagements européens et internationaux de la France. C’est l’intérêt de la technique de l’interprétation conforme. Pour ne citer qu’un exemple, le Conseil d’Etat[144], dans la lignée du Conseil constitutionnel[145], a interprété les dispositions nationales relatives à la question prioritaire de constitutionnalité conformément au droit de l’Union, comme l’a ensuite confirmé la Cour de justice de l’Union[146]. Cet esprit de coopération est également nécessaire lorsqu’un principe général du droit est garanti à la fois en droit interne et en droit européen : en cohérence avec la jurisprudence dite « Solange » de la Cour constitutionnelle fédérale allemande[147], le Conseil d’Etat a ainsi jugé que si le niveau de protection garanti par un principe de droit européen équivaut à celui qu’apporte le même principe en droit interne, le juge devait s’en tenir à l’interprétation du principe européen, telle que donnée par les juridictions européennes[148]. C’est ce que l’on nomme la technique de « l’équivalence de protection » qui permet d’éviter des chocs ou des contradictions frontales entre les juridictions nationales suprêmes et les cours européennes.

2. Le juge, quel qu’il soit, doit également respecter un certain nombre de devoirs personnels. Indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité : tels sont les cinq piliers, désormais inscrits dans la loi[149], de l’éthique qui est celle des membres de la juridiction administrative et qui rejoint les termes du serment des magistrats judiciaires lorsqu’ils jurent « de bien et fidèlement remplir [leurs] fonctions, de garder le secret des délibérations et de [se] conduire en tout comme un digne et loyal magistrat »[150].

Le statut des magistrats n’est pas institué pour leur bénéfice, mais pour l’avantage de tous, dès lors qu’il doit permettre aux juges de disposer de l’indépendance et de l’autorité nécessaires à l’exercice plein et entier de leurs fonctions. L’indépendance de la juridiction administrative est garantie par la norme constitutionnelle, au même titre que celle de la juridiction judiciaire. Par sa décision du 22 juillet 1980 Loi portant validation d’actes administratifs, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que l’indépendance de la juridiction judiciaire résulte de l’article 64 de la Constitution et que celle de la juridiction administrative est protégée par un principe fondamental reconnu par les lois de la République résultant de la loi du 24 mai 1872[151]. Le fait que l’indépendance de la juridiction administrative ne résulte pas de son inscription formelle dans la Constitution n’ôte rien à sa protection constitutionnelle, reconnue à maintes occasions par le juge constitutionnel[152], sans qu’il ne puisse en résulter aucun doute quant à la réalité de cette indépendance. Les juges français, judiciaires et administratifs, n’ont d’ailleurs pas attendu que leur indépendance soit inscrite dans la Constitution par un constituant bénévolent pour se comporter en acteurs juridictionnels indépendants du pouvoir exécutif et législatif. Les juges administratifs en particulier n’ont pas attendu 1980 et la décision du Conseil constitutionnel pour exercer un contrôle indépendant, impartial et approfondi de l’action de l’administration. Comme illustration de cette indépendance, il est aussi remarquable que la juridiction administrative s’administre de manière autonome depuis près de trente ans. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1987[153], la gestion des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel dépend du seul secrétariat général du Conseil d’Etat qui en assure le recrutement, la formation, la promotion et l’affectation, sous l’autorité du vice-président et sur la proposition ou l’avis, conforme ou simple, du Conseil supérieur des tribunaux administratif et cours administratives d’appel. Ce Conseil supérieur a été réformé par l’ordonnance du 13 octobre 2016 qui a renforcé ses pouvoirs et modifié sa composition. Il inflige désormais lui-même les sanctions disciplinaires, sur la base d’une échelle spécifique et selon une procédure contradictoire codifiée dans le code de justice administrative, alors qu’il se bornait à les proposer au chef de l’État. Il établit aussi et, par conséquent, ne se contente plus seulement proposer, les tableaux d’avancement aux différents grades du corps des magistrats administratifs, ainsi que les listes d’aptitude pour l’accès aux échelons supérieurs du grade de président. Il émet un avis conforme sur la nomination des présidents des tribunaux administratifs et un avis simple sur celle des présidents de cours administratives d’appel. Sa composition a enfin été revue, le représentant du ministre de la fonction publique étant remplacé par un chef de juridiction élu par ses pairs. Ce Conseil est désormais composé de six magistrats élus par leurs pairs, de trois gestionnaires et de trois personnalités qualifiées sous la présidence du vice-président du Conseil d’Etat. Cette même ordonnance du 13 octobre 2016 a aussi modernisé et actualisé le statut des magistrats administratifs qui sont, depuis une loi du 12 mars 2012, soumis à un régime propre, distinct de celui des fonctionnaires[154]. En outre, les juges administratifs, au même titre que les magistrats du siège[155], sont inamovibles. Ce principe découle, pour les membres du Conseil d’Etat, d’une règle coutumière qui a été reconnue par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Sacilor-Lormines de 2006[156]. Pour les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, cette inamovibilité découle de l’article L. 231-3 du code de justice administrative, issu de la loi du 6 janvier 1986[157], et elle a été confirmée par la loi du 20 avril 2016 relative aux droits et obligations des fonctionnaires[158]. L’indépendance de la justice française prise dans ses deux branches est donc incontestable. Les débats qui peuvent naître à cet égard me paraissent dépassés et à contre-courant complet de tout ce que les juges français, judiciaires ou administratifs, donnent à voir depuis des décennies. La justice dans notre pays est affligée de maux suffisamment sérieux quant à ses moyens et sa gestion pour ne pas y ajouter de vaines querelles sur son indépendance. Les questions ou les polémiques qui peuvent épisodiquement surgir à ce sujet doivent, par conséquent, être traitées avec la plus grande sérénité de notre part. Rien de ce que nous sommes, faisons et observons ne pourrait justifier qu’il en aille autrement.

Les juges doivent aussi pouvoir bénéficier dans l’exercice de leurs fonctions de l’autorité nécessaire à l’accomplissement de leur mission de gardiens du pacte social. Pour cela, il est nécessaire que leur comportement soit exempt de tout soupçon. Cela vaut pour le juge judiciaire, comme pour le juge administratif, qui doit veiller à ne pas s’affranchir de l’obligation d’impartialité qui pèse sur lui. L’impartialité relève, à l’évidence, des principes fondamentaux qui s’imposent aux juges, que ce soit dans sa dimension subjective, c’est-à-dire l’exigence d’impartialité personnelle qui est inhérente à la fonction de juger, mais aussi dans sa dimension objective : la justice doit manifester aux justiciables qu’elle revêt les apparences de l’impartialité. Comme l’a écrit en 1924 le juge anglais Gordon Hewart « not only must justice be done, it must be seen to be done »[159]. Elle doit offrir aux parties et à la société l’assurance que la solution d’un litige et les principes rappelés ou dégagés par le juge à l’occasion d’une affaire particulière résultent bien de l’application de la loi au sens le plus large, et ne sont pas biaisés, même en apparence, par des liens, des affections, des engagements ou des inimitiés qui pourraient avoir une incidence sur la solution du litige. Dans la juridiction administrative, l’impartialité est assurée par les incompatibilités et les règles de déport qui entourent l’exercice des fonctions juridictionnelles. Les magistrats administratifs ne peuvent ainsi pas être affectés dans le ressort de la juridiction où ils ont exercé, dans la limite d’un certain délai, des fonctions électives ou des fonctions de préfet, sous-préfet ou de directeur dans une collectivité territoriale ou une administration déconcentrée[160]. La loi du 20 avril 2016 impose aussi aux membres de la juridiction administrative d’établir une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts et de ceux de leurs conjoints. Cette déclaration, qui donne lieu à un entretien déontologique et doit être remise aux chefs de juridiction[161], permet de prévenir les risques de conflit d’intérêts en incitant les magistrats à anticiper leur déport sur certaines catégories de dossiers. En outre, une charte de déontologie adoptée en 2011, dont la dernière version a été arrêtée le 14 mars 2017, souligne et précise les principes qui fondent l’exercice de la fonction de juge administratif et les bonnes pratiques recommandées pour éviter que les membres de la juridiction administrative ne se trouvent en situation de conflit d’intérêts ou ne manquent à leurs obligations. Un collège de déontologie permet, le cas échéant, de résoudre les difficultés rencontrées par les magistrats ou les chefs de juridiction qui se heurtent à une difficulté déontologique. La loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats judiciaires a créé un collège de déontologie équivalent dans l’ordre judiciaire[162].

Par ailleurs, la dualité fonctionnelle du Conseil d’Etat, ainsi que les mobilités pouvant être effectuées dans l’administration par les membres de la juridiction administrative imposent qu’une attention particulière soit portée au respect du principe d’impartialité. Des règles spéciales visent donc à assurer l’étanchéité entre les différentes fonctions, conformément à l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[163]. Pour mieux assurer la séparation des fonctions juridictionnelles et consultatives, plusieurs décrets[164] ont cloisonné l’exercice de celles-ci au sein du Conseil d’Etat[165]. Il est formellement prévu que les membres du Conseil d’Etat ne peuvent juger une affaire dont ils ont eu à connaître en qualité de conseiller du Gouvernement[166] ; les membres des formations de jugement ne peuvent plus, en application d’une règle interne consacrée par un décret de 2011, accéder aux avis du Conseil d’Etat et aux dossiers de ces avis lorsque les avis en cause n’ont pas été rendus publics[167]. Enfin les requérants peuvent connaître la liste des membres ayant rendu un avis, lorsqu’est attaqué devant le Conseil d’Etat un acte pris après cet avis[168]. En outre, la composition de la formation supérieure de jugement du Conseil d’Etat, l’Assemblée du contentieux, a été modifiée pour garantir que la section administrative éventuellement concernée par une affaire ne puisse y être représentée[169]. De même, a pris fin en 2008 la représentation organique des sections administratives du Conseil d’Etat dans toutes nos formations juridictionnelles[170].

Dans nos fonctions de juge, nous sommes aussi assujettis au secret du délibéré et à un devoir de discrétion et de réserve que nous devons strictement respecter. Ces obligations protègent les magistrats contre les pressions extérieures qu’ils pourraient subir. Elles préservent ainsi leur impartialité et leur indépendance. Nous devons également faire preuve de retenue dans notre comportement et notre expression publique pour ne pas prêter le flanc à une critique de proximité ou de complaisance à l’égard des pouvoirs publics ou de certains groupes économiques, politiques ou sociaux. L’expression sur les réseaux sociaux doit, en particulier, être mesurée et vigilante pour ne pas faire naître la suspicion ou le doute dans l’esprit des justiciables. Un point me semble à cet égard essentiel : la justice est dans son ensemble victime de la suspicion de nos concitoyens qui doutent à tort de son impartialité. C’est pourquoi nous devons non seulement respecter les devoirs de réserve et de discrétion professionnelle que la loi nous impose, mais aussi nous comporter avec dignité dans nos fonctions, comme hors de l’exercice de celles-ci. Comme magistrats au service de nos concitoyens, nous sommes soumis à un devoir particulier d’exemplarité, qui dépasse celui qui est imposé à tout agent public. Cela implique de notre part une conduite respectueuse de l’ensemble des parties et des autres acteurs de la procédure contentieuse. Le comportement d’un juge doit être constamment guidé par l’écoute, le respect et une certaine distance, sans être une hauteur injustifiée, à l’égard des parties. Lors d’une audience, comme dans le reste de ses fonctions, un juge représente la justice : sa tenue, son langage et l’attitude qu’il manifeste à l’égard des parties en sont le reflet. Nous devons aussi être conscients du rôle qui est le nôtre. Rendre la justice, ce n’est pas faire justice. Cela implique notamment de savoir reconnaître que le juge n’a pas le même pouvoir d’appréciation que le Parlement et le Gouvernement. Tel est le sens des différents degrés de contrôle du juge administratif : du contrôle restreint, dit de l’erreur manifeste d’appréciation, au contrôle de l’utilité publique d’un projet d’aménagement urbain. Pour les mêmes raisons, le Conseil constitutionnel s’astreint à une certaine réserve dans son contrôle des décisions du législateur. Il ne s’agit pas de conférer une immunité à certaines décisions du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif. Mais le contrôle du juge s’arrête là où commence l’appréciation en opportunité d’une décision.

B - Notre responsabilité s’exerce enfin aussi à l’égard de la société dont nous avons la tâche d’assurer la régulation.

1. Nous partageons un objectif commun : dispenser une justice de qualité, dans l’intérêt et au service du justiciable. Ce constat n’est pas nouveau. Toutes les réflexions menées sur le dualisme juridictionnel le soulignent[171] : les critères de qualité de la justice et les objectifs poursuivis sont les mêmes que l’on parle de la juridiction administrative ou de la juridiction judiciaire. Ne sommes-nous pas en effet au service des mêmes justiciables – nos concitoyens –, quel que soit le juge auquel ils s’adressent ? Cet objectif commun se décline de multiples façons dans l’exercice quotidien de nos fonctions.

En premier lieu, c’est une évidence, les décisions de justice doivent être justifiées au fond. Dans l’ensemble de nos fonctions, nous sommes tenus d’appliquer avec rigueur le syllogisme juridique et de prendre appui sur la loi et la jurisprudence. Mais une justice de qualité ne se résume pas au prononcé d’une décision fondée en droit, c'est-à-dire à la qualité substantielle de la décision. Elle s’appuie également sur des procédures et des processus qui doivent permettre à l’ensemble des parties et des usagers de bénéficier d’un service public équitable, performant et efficace. Nous devons notamment nous assurer de rendre la justice dans un délai raisonnable qui préserve l’utilité et la pertinence de la décision de justice. Dans une société en proie au doute, rongée par les divisions ou les fractures et dans laquelle les solidarités et le vivre ensemble s’érodent, les citoyens se tournent de plus en plus vers le juge pour résoudre leurs problèmes et, d’abord, pour trancher les litiges qui les opposent les uns aux autres ou aux administrations publiques. Il s’agit d’une tendance structurelle devant la juridiction administrative :le nombre des affaires nouvelles augmente en effet en moyenne de 5,2 % par an depuis cinquante ans dans les tribunaux administratifs et de 8,2 % dans les cours administratives d’appel depuis leur création en 1989. Les juridictions judiciaires sont également confrontées à de grandes difficultés[172]. La croissance du contentieux crée une tension évidente pour toutes les juridictions qui sont soumises par ailleurs à une forte contrainte budgétaire et, par conséquent, à la nécessité de travailler avec des moyens humains et techniques restreints. Cela implique que nous repensions nos méthodes de travail pour y répondre avec efficacité, sans remettre en cause la qualité de traitement des dossiers. La juridiction administrative a récemment mis en place plusieurs outils visant à améliorer le traitement des affaires. Sans entrer dans le détail de ces réformes, j’évoquerai quelques pistes de réflexion qui intéressent nos deux ordres de juridiction. D’une part, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle a ouvert la voie aux actions de groupe devant le juge judiciaire[173] et le juge administratif[174]. Ces nouvelles voies de recours devraient contribuer à réduire les contentieux sériels pouvant générer jusqu’à plusieurs milliers de dossiers individuels. L’accent doit aussi être mis sur la nécessité de développer le recours à la médiation et à la conciliation pour éviter que toutes les affaires ne soient portées devant le juge. Ces modes alternatifs de règlement des litiges permettent, dans un certain nombre de cas, de régler précocement et définitivement des litiges complexes qui pourraient durer plusieurs années. Ils peuvent conduire à limiter l’engorgement des tribunaux, mais ils présentent surtout le grand avantage de reposer sur l’adhésion des parties, ce qui favorise l’acceptabilité de la décision et assure de vider au mieux le litige. Ces dispositifs pourraient permettre aux juridictions de se recentrer sur « leurs missions essentielles » selon les termes retenus par le législateur dans la loi du 18 novembre 2016. Enfin, il faut souligner l’importance des procédures de filtrage des recours, en particulier devant les cours suprêmes de chaque ordre. Ce filtrage devrait leur permettre de se concentrer sur quelques centaines à quelques milliers d’affaires[175], 2 000 ou 3 000 au maximum, soulevant des questions de droit ou de principe nouvelles ou qui permettent d’adapter ou de faire évoluer le droit applicable. Devant le Conseil d’Etat, une telle procédure de sélection des recours existe depuis 1987. Indépendamment du rejet par ordonnance des recours irrecevables, la procédure d’admission des pourvois en cassation permet de ne pas admettre les pourvois qui ne reposent sur aucun moyen sérieux[176] : cela permet de limiter à 3 000 le nombre des affaires jugées au fond[177], alors que le Conseil d’Etat enregistre entre 9 000 et 10 000 recours par an.

Nous devons encore garantir l’accessibilité de la justice et la transparence des procédures. La dématérialisation de celles-ci est une source de progrès en termes de sûreté et de rapidité des échanges, d’économie et d’écologie, source qui ne doit pas être sous-estimée. Elle permet aussi d’alléger significativement les tâches d’exécution dans les greffes qui peuvent ainsi davantage contribuer à l’aide à la décision. La juridiction administrative s’est pleinement engagée dans cette voie qui permet aux avocats de déposer leurs requêtes et leurs mémoires et aux greffes des juridictions d’assurer la transmission des pièces ou des mesures d’instruction de manière plus rapide, directe et efficace. En 2018, elle va également ouvrir l’accès des téléprocédures aux parties non représentées.

L’open data va, de son côté, bouleverser la communication des juges, leur rapport aux parties et à la société, puisque la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 prévoit que toutes les décisions de justice doivent être mises à disposition du public à titre gratuit, dans le respect de la vie privée des personnes concernées[178]. Cette évolution va favoriser le développement d’une justice prédictive, c'est-à-dire la possibilité pour les avocats ou toute personne intéressée de réaliser des séries statistiques sur les décisions de justice. Il sera ainsi possible de déterminer quelles sont les chances de succès d’un recours et la durée probable d’une procédure à partir d’une base de données recensant toutes les décisions de justice disponibles. Les parties et les avocats pourront savoir dans quelle proportion les recours contre le licenciement d’un salarié protégé sont accueillis ou rejetés et quel est le montant des dommages-intérêts octroyés le cas échéant. Les requérants potentiels pourront aussi mesurer les chances de succès de leur recours en fonction de la juridiction saisie. La conséquence de cette « prescience » pourrait être d’éviter des contentieux, si les parties sont convaincues du sens de la décision à venir grâce aux outils de recensement et d’analyse dont elles disposent. Le développement de la justice prédictive est aussi susceptible de contribuer à l’harmonisation et la stabilisation de la jurisprudence ainsi qu’à l’égalité devant la justice. Il peut encore aider à réduire les arrêts disciplinaires des cours d’appels et de la Cour de cassation, comme du Conseil d’Etat, pour méconnaissance de la jurisprudence. Les juges des deux ordres auront en effet plus facilement accès au sens des décisions prises par leurs collègues, ce qui permettra de gommer certaines disparités tout en favorisant une plus grande constance dans les décisions. L’open data comporte toutefois un certain nombre de risques. L’harmonisation des décisions, permise par la justice prédictive, ne doit pas faire oublier que le juge n’est pas un automate. Il doit exercer ses fonctions en appliquant au litige dont il est saisi les textes et la jurisprudence pertinents et il doit le faire en considération des faits et circonstances propres à chaque affaire dans le cadre d’un débat qui doit en principe rester public et contradictoire. La justice prédictive ne saurait donc remplacer l’analyse par le juge du dossier dont il est saisi. Si, dans un souci de sécurité juridique, il faut éviter la méconnaissance ou les revirements aléatoires de la jurisprudence, l’analyse statistique et algorithmique ne doit pas être un prétexte à des comportements mimétiques irréfléchis[179]. En outre, l’open data a pour effet d’araser toute différence entre les décisions de justice. Ainsi, un arrêt rendu par une formation ordinaire ne se distingue pas d’un autre rendu dans une formation solennelle et faisant l’objet d’un signalement particulier par sa publication au Recueil Lebon ou au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Cela devrait forcément limiter les conséquences à tirer des arrêts les plus solennels. A cet égard, il est important de maintenir une véritable hiérarchie des formations de jugement, si possible dans les tribunaux de première instance, mais aussi dans les cours d’appel et au sein des juridictions suprêmes. Les arrêts des formations supérieures viennent en effet poser, dans une navigation juridictionnelle parfois périlleuse, des phares et des balises aidant au repérage du juge qui peine à tracer sa route[180]. On ne peut mettre sur le même plan un arrêt d’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat avec une décision rendue par trois juges, voire par un juge unique. Dans le cadre de l’open data, tout cela est égal ; rien ne sépare plus le meilleur grain de l’ivraie.

2. Nous devons aussi assumer d’ouvrir les yeux sur la société dans laquelle nous intervenons. Le juge est présent dans la Cité. Il ne réside pas hors d’elle. Il est, avant tout, appelé à réguler les relations sociales et, en ce qui concerne plus précisément le juge administratif, les rapports entre les pouvoirs publics et les citoyens. La réalité de ces relations et du contexte dans lequel il statue ne peut être ignorée de lui et ses décisions doivent sinon les refléter, du moins concourir à régler effectivement les litiges et les problèmes dont il est saisi. Nous ne devons pas céder aux passions de l’opinion publique, à l’emballement médiatique ou à la pression du temps court. Mais nous ne saurions vivre reclus dans une tour d’ivoire. Tout juge, le juge administratif comme le juge judiciaire, est responsable de ses décisions et il doit, par suite, être en capacité d’en assumer les conséquences pour le reste de la société, ce qui implique de bien mesurer et peser celles-ci. Bien comprendre les conséquences de ses actes, n’implique pas de statuer en équité. Le principe de proportionnalité, la mise en balance des divers intérêts en présence, n’implique pas de dégager des solutions uniquement d’espèce, principalement fondées sur la considération des conséquences équitables ou non d’une décision. En tant que juges, nous sommes tenus d’appliquer la règle de droit. Il ne faut certes pas céder à une théorisation juridique déconnectée de la réalité des choses. Il faut toujours s’interroger sur la viabilité d’une décision de justice, une fois qu’elle est sortie du prétoire. Peut-elle être raisonnablement appliquée sans offenser le bon sens ? Voilà ce que nous devons tous nous demander. Mais être juge et trancher un litige ne doit pas conduire à s’affranchir de la règle de droit, qu’elle procède de la Constitution, des engagements européens, de la loi ou du règlement, au nom d’une équité fondée sur des considérations d’espèce nécessairement fluctuantes, subjectives et instables.

Enfin, compte tenu de la fonction régulatrice du juge, la motivation et la rédaction des décisions restent un enjeu majeur de la qualité de la justice. Il fut un temps où les décisions du juge administratif étaient caractérisées par leur brièveté et leur laconisme. Ce n’est plus le cas depuis longtemps, le juge administratif étant, en ce qui le concerne, de plus en plus attentif à répondre avec précision à l’ensemble des moyens soulevés, afin que ses décisions soient bien comprises de leurs destinataires. La juridiction administrative continue toutefois de s’interroger sur ses modes de rédaction et de mener des expérimentations à ce sujet. Il lui appartient, en particulier, de concentrer ses efforts sur la rédaction des motifs de ses décisions, afin de les améliorer et de les densifier en fait comme en droit. L’objectif est de rendre plus intelligible et plus transparente la décision de justice, sans toutefois renoncer à la rigueur et à la qualité du raisonnement juridique. Cet enjeu est l’un des plus importants auxquels nous sommes confrontés. Il est un élément central de notre responsabilité qui est de rendre compte des choix parfois difficiles et douloureux que nous formulons. En rédigeant les décisions de justice dans un style plus proche du langage naturel et en développant leurs motivations en fait et en droit, les juges se donnent les moyens d’être mieux compris du public et de la communauté juridique. Une rédaction plus transparente ne peut que favoriser, outre la compréhension, l’acceptabilité des jugements et des arrêts. Elle doit aussi, surtout pour les décisions des juridictions suprêmes, contribuer au rayonnement de notre droit qui souffre de modes de rédaction trop lapidaires ou laconiques.

Nous voyons bien qu’il existe un standard commun du juge, qu’il soit administratif ou judiciaire. Le juge doit juger vite, bien et avoir un impact réel sur les situations qui lui sont soumises. Nous avons parfois, dans les deux ordres de juridiction, abordé ces questions différemment ou avec des temps de décalage. Le juge administratif s’est longtemps refusé à adresser des injonctions à l’administration. Il n’a trop longtemps pas disposé de procédures d’urgence efficaces. A l’inverse, le juge administratif a toujours fait preuve d’une grande créativité jurisprudentielle. C’est la conséquence de son histoire. Sorti du néant, il avait tout à inventer[181]. Le juge judiciaire s’appuyait au contraire sur un droit positif, en partie déjà codifié, qu’il lui était même à l’origine expressément interdit d’interpréter. Mais le juge judiciaire a aussi su s’inspirer de la technique des principes généraux du droit lorsque cela s’est avéré nécessaire[182]. Enfin, nous avons toujours eu en partage le sens de l’indépendance, le souci de la rigueur juridique et la volonté de respecter une éthique exigeante au service de nos concitoyens. Certains voudraient nous opposer et nous éloigner, mais par-delà nos différences légitimes et parfaitement justifiées, nous sommes les deux faces d’une même pièce, celle de la justice qui est rendue dans notre pays « au nom du peuple français » [183]. Ne l’oublions pas.

 

En 1990, mon collègue Louis Fougère, conseiller d’Etat honoraire, s’interrogeait, à l’occasion du bicentenaire de la loi de 1790, sur la pertinence du dualisme juridictionnel. Sans trancher la question de savoir s’il était faisable, voire même souhaitable, d’aboutir à l’unité juridictionnelle, il faisait remarquer qu’en toute hypothèse, les juges administratifs et judiciaires « ont encore beaucoup à se dire »[184]. Plus encore que des querelles stériles sur la pertinence du dualisme juridictionnel et le bien-fondé de l’ordre administratif, je crois en effet que ce qui marque et doit continuer à marquer nos relations, c’est le dialogue et l’écoute réciproque. Aucun ordre juridictionnel, ni le judiciaire, ni l’administratif, ne peut considérer qu’il a accompli sa mission qui est d’assurer, à son échelle, un service public de la justice de qualité, sans le concours actif et la collaboration de l’autre ordre. La justice, même dans notre pays, forme un tout : nos concitoyens la pensent à juste titre globalement. Aucun ordre de juridiction ne peut par conséquent concevoir, ni construire son avenir dans l’indifférence à l’autre ordre. Aucun ne peut prétendre incarner à lui seul, sinon la réussite ou la perfection, du moins la qualité de la justice. Nous sommes condamnés à réussir ensemble ou à échouer ensemble ; car si l’un des deux ordres est à la peine, c’est notre système de justice tout entier qui se trouve en difficulté. La justice ne sera donc forte et respectée dans notre pays que si les deux ordres parviennent à se hisser ensemble et durablement à la hauteur de la mission constitutionnelle qui leur incombe. C’est pourquoi si je pense que nos différences sont un atout, car elles peuvent et doivent conduire à un enrichissement, une complémentarité, voire une émulation réciproques, elles ne doivent en aucun cas conduire à l’indifférence, la rivalité, pire encore à l’hostilité. Dans ce contexte d’un destin commun que nous devons bâtir ensemble, nous devons poursuivre et approfondir notre dialogue et évoluer vers une véritable coopération. Une telle coopération n’est pas décorative, elle n’est pas seulement utile ou judicieuse ; elle est impérative et d’intérêt général, si nous voulons que notre justice soit reconnue à la place qui doit être la sienne dans une société démocratique fondée sur la séparation des pouvoirs.

 

[1]Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2] CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC.

[3] CC, 10 novembre 2011, Mme Ekaterina B. épouse D. et autres [Secret défense], n° 2011-192 QPC, pt. 21.

[4] CC, 29 juillet 1998, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions,n° 98-403 DC, pt. 46.

[5] CC, 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, n° 2006-545 DC, pt. 24 et CC, 25 mars 2011, M. Jean-Pierre B. [Composition de la commission départementale d’aide sociale], n° 2010-110 QPC, pt. 3.

[6] Montesquieu, Œuvres complètes, Garnier frères, 1877, Tome 4, « De l’esprit des lois », Livre XI, Chapitre VI, p. 7.

[7] Montesquieu, op.cit. note 6, p. 8.

[8] J. Chevallier, L’élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, LGDJ, 1970,p. 66.

[9] Voir sur ce point l’article de G. Timsit, « M. Le Maudit. Relire Montesquieu », in Droit administratif. Mélanges en l’honneur de R. Chapus, Montchrestien, 1992, pp. 617-632

[10] J. Chevallier, op.cit. note 8,p. 66.

[11] K. Weidenfeld, Histoire du droit administratif du XIVe siècle à nos jours, Economica, 2010, p. 36.

[12] Loi des 27 novembre et 1er décembre 1790 instituant un tribunal de cassation.

[13] J. Chevallier, « Du principe de séparation au principe de dualité », RFDA, 1990, p. 712.

[14] Cité dans B. Stirn et Y. Aguila, Droit public français et européen, Dalloz et Presses de Sciences Po, 2014,p. 523.

[15] Sous l’influence du chancelier Maurepas, Louis XVI rétablit rapidement les parlements après son accession au trône.

[16] Montesquieu, op.cit. note 6, p. 10.

[17] Montesquieu, op.cit. note 6, p. 18.

[18] J. Chevallier, op.cit. note 13, p. 712.

[19] Article 10 de la loi des 16 et 24 août 1790.

[20] Article 11 de la loi des 16 et 24 août 1790.

[21] Article 12 de la loi des 16 et 24 août 1790 : « Ils [les tribunaux] ne pourront point faire de règlements, mais ils s’adresseront au corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle. » L’article 5 du code civil (« Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ») est le prolongement de l’interdiction des arrêts de règlement.

[22] Voir sur ce point l’article de P. Delvolvé, « Paradoxes du (ou paradoxes sur le) principe de séparation des autorités administrative et judiciaire », in Droit administratif. Mélanges en l’honneur de R. Chapus, Montchrestien, 1992, pp. 135-145.

[23] P. Delvolvé, op.cit. note 21, p. 137.

[24] Cette expression apparaît pour la première fois dans la décision CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC.

[25] G. Vedel, « La loi des 16-24 août 1790 : Texte ? Prétexte ? Contexte ? », RFDA, 1990, p. 698.

[26] Voir sur ce point l’article de P. Binczak, « Un silence fondateur (réflexions sur la loi des 16-24 août 1790), in G. Bigot et M. Bouvet (dir), Regards sur l’histoire de la justice administrative, Litec, 2006.

[27] Sous l’Ancien régime, s’étaient multipliés les tribunaux d’exception ou juridictions spécialisées aux compétences multiples et parfois concurrentes créant ainsi un système judiciaire complexe. Voir sur ce point P. Binczak, op.cit. note 26 et J. Chevallier, L’élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, op.cit. note 8.

[28] P. Binczak, op.cit. note 26, p. 81.

[29] Loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800).

[30]cret du 6 septembre 1926 portant suppression des conseils de préfecture et créant des conseils interdépartementaux.

[31]cret n° 53-934 du 30 septembre 1953 portant réforme du contentieux administratif.

[32]cret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l’audience devant ces juridictions.

[33] Certains auteurs font de l’arrêt Landrin du 4 mai 1826 l’acte de naissance du recours pour excès de pouvoir même si des exemples d’annulation d’actes de pure administration pour incompétence peuvent être relevés avant cette date. Voir sur ce point K. Weidenfeld, op.cit. note 11, pp. 172 à 179,

[34] Article 20 de la loi organique du 3 mars 1849.

[35] Cité dans Privat Joseph Pelet de la Lozère, Opinions de Napoléon sur divers sujets de politique et d’administration, Firmin Didot Frères, 1833,p. 192.

[36] CE, 13 décembre 1889, Cadot, Rec. 1148.

[37] Selon l’expression du président J. Romieu dans ses conclusions sur l’affaire Jacquin (CE, 30 novembre 1906).

[38] CC, 22 juillet 1980, Loi portant validation d’actes administratifs, n° 80-119 DC.

[39] CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC.

[40] Loi constitutionnelle n° 2008-274 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République.

[41] CC, 22 juillet 1980, Loi portant validation d’actes administratifs, n° 80-119 DC, pt. 6.

[42] CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC, pt. 15.

[43] Tel est l’objet de l’article 66 de la Constitution selon lequel : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. / L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

[44] CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC, pt. 16.

[45] CC, 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, n° 2006-545 DC, pt. 24 ; CC, 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution,n° 2009-595, pt. 4.

[46] CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC, pt. 17.

[47] Loi du 5 avril 1937 modifiant les règles de la preuve en ce qui concerne la responsabilité civile des instituteurs et l’article 1384 du code civil.

[48] Loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule et dirigés contre une personne de droit public.

[49] Loi n° 86-29 du 9 janvier 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales qui abroge l’article L. 133-5 du code des communes qui confiait au juge judiciaire les recours en indemnisation des préjudices nés d’attroupements ou de rassemblements

[50] Article L. 1237-14 du code du travail, issu de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008. Cette unification du contentieux au profit du juge judiciaire comporte toutefois une exception s’agissant des salariés protégés pour qui la Cour de cassation s’est reconnue incompétente au profit du juge administratif (Cass. soc. 26 mars 2014, Bull. 2014, V, n° 91).

[51] Loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, dite « HADOPI II », qui tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009.

[52] Article L. 3211-12 du code de la santé publique issu de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

[53] Loi n° 2011-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.

[54] Article L. 1235-7-1 du code du travail issu de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation du travail.

[55] Le juge administratif est compétent y compris lorsque ce sont des personnes privées qui exercent des prérogatives de puissance publique (CE Ass., 31 juillet 1942, Monpeurt, Rec. 239) ou qui sont chargées d’une mission de service public hors de tout lien contractuel (CE Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection », Rec. 417).

[56] Par exemple, lorsqu’une personne publique décide de louer un bien immobilier (CE, 9 octobre 1991, SARL Endless International, n° 80610).

[57] TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain, Rec. 91.

[58] Les litiges relatifs aux agents des services publics administratifs relèvent de la compétence du juge administratif, quelles que soient leurs fonctions (TC, 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône et autres c/ Conseil de prud'hommes de Lyon (Berkani)). Les litiges relatifs aux agents des services publics industriels et commerciaux relèvent de la compétence du juge judiciaire (CE, 15 décembre 1967, Level, n° 65807), sauf pour les directeurs et comptables publics (CE, 13 janvier 1967, Syndicat unifié des techniciens de la radiodiffusion-télévision française, n° 58091).

[59] CE, 3 juin 1998, Commune de Saint-Palais-sur-Mer, n° 173186 ; CE, 14 janvier 1998, Epoux Formwald, n° 159220.

[60] D. Labetoulle dans « L’avenir du dualisme juridictionnel. Point de vue d’un juge administratif. », AJDA, 2005, p. 1770.

[61] Article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle issu de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.

[62] CE, 6 mars 2015, M. Minisini, n° 373637.

[63] TC, 8 avril 1935, Action française, Rec. 1226.

[64] TC, 17 mars 1949, Société « Hôtel du Vieux Beffroi », Rec. 592.

[65] CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC, pt. 15. Le principe dégagé dans la décision de 1987 a été appliqué dès 1989 au sujet des mesures de police des étrangers qui sont des décisions prises en application de prérogatives de puissance publique (CC, 28 juillet 1989, Loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France, n° 89-261 DC, pt. 21).

[66] CE Sect., 11 mai 1951, Consorts Baud, Rec. 265 ; TC, 7 juin 1951, Dame Noualek, Rec. 636.

[67] L’article 66 de la Constitution qui fait référence à la « liberté individuelle » n’était envisagé par le Constituant de 1958 que comme un habeas corpus à la française, c'est-à-dire une garantie contre les privations arbitraires de liberté et la détention arbitraire. Après avoir initialement retenu une conception extensive de la liberté individuelle garantie par cet article, le Conseil constitutionnel a renoué avec l’esprit du Constituant à partir de 1998 (CC, 29 décembre 1998, Loi de finance pour 1999, n° 98-405 DC, pts. 60 à 62 où le Conseil constitutionnel distingue la vie privée de la liberté individuelle ; CC, 23 juillet 1999, Loi portant création de la couverture maladie universelle, n° 99-416 DC qui rattache la vie privée à la vie personnelle garantie par l’article 2 de la DDHC de 1789).

[68] Le Conseil constitutionnel a jugé qu’une assignation à résidence « est une mesure qui relève de la seule police administrative » (CC, 22 décembre 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC, pt. 5) ; il en va de même du gel des fonds, instruments financiers et ressources économiques qui appartiennent à des personnes liés à des actions terroristes (CC, 2 mars 2016, M. Abdel Maname M. K., n° 2015-524 QPC, pt. 9).

[69] CC, 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement, n° 2015-713 DC, pt. 9 : le recueil de renseignement en vue de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions relève de la police administrative ; O. Le Bot, « Etat d’urgence et compétences juridictionnelles », RFDA, 2016, p. 436.

[70] Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

[71] 42 saisines en 2015 ; 55 saisines en 2014 ; 42 saisines en 2013 ; 39 saisines en 2012 ; 59 saisines en 2011.

[72] Il y a eu 11 cas de partage de voix en 140 ans et le dernier remonte à l’arrêt du 12 mai 1997, Préfet de police c. TGI de Paris, n° 03056.

[73] Voir le titre III de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, qui a modifié la loi du 24 mai 1872, et le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles.

[74] En 2015 le Conseil d’Etat a transmis 5 affaires au Tribunal des conflits contre 9 en 2014, 4 en 2013, 2 en 2012, 7 en 2011, 6 en 2010. En 2005, le Conseil d’Etat a transmis 23 affaires au Tribunal des conflits. 

[75] TC, 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône et autres c/ Conseil de prud'hommes de Lyon (Berkani), n° 03000.

[76] TC, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane, Rec. 642.

[77] Article L. 521-2 du code de justice administrative, issu de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives, qui crée le référé-liberté.

[78] Désormais, pour que la qualification de voie de fait soit retenue, l’administration, lorsqu’elle procède irrégulièrement à l’exécution forcée d’une décision ou prend une décision sans y être manifestement autorisée, doit soit porter atteinte à la « liberté individuelle » - et non à plus une liberté fondamentale ou personnelle -, soit conduire à « l’extinction du droit de propriété » et non plus seulement porter une atteinte grave à ce droit. TC, 17 juin 2013, M. Bergoend c/ Société ERDF Annecy Léman, n° 3911.

[79] Le tribunal des conflits a jugé que « dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété », TC, 9 décembre 2013, M. et Mme Panizzon, n° 3931.

[80] Conclusions de B. Stirn sur l’arrêt TC, 6 juin 1989, Préfet de la région d’Ile-de-France, n° 02578.

[81] TC, 16 juin 1923, Septfonds, Rec. 498.

[82] CE, 29 juin 1990, M. et Mme Marquassuzaa,Rec. 188, n° 77011.

[83] TC, 30 octobre 1947, Barinstein, Rec. 511.

[84] TC, 5 juillet 1951, Avranches et Desmarets, Rec. 638 et Article 111-5 du code pénal : « Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis. »

[85] TC, 17 octobre 2011, SCEA du Chéneau, n° 3828 et 3829.

[86] TC, 12 décembre 2011, Société Green Yellow et autres c. EDF, n° 3841 s’agissant de l’application du principe de non-rétroactivité des actes administratifs affirmé par la jurisprudence du Conseil d’Etat Société du journal « l’Aurore » de 1948.

[87] CE Sect., 23 mars 2012, Fédération Sud Santé Sociaux, n° 331805. Cette jurisprudence a été précisée par l’arrêt CE, 1er juin 2015, Fédération UNSA spectacle et communication, n° 369914.

[88] Article R. 771-2 du code de justice administrative issu de l’article 47 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015.

[89] A. Van Lang, « Mirages et miracles du dualisme juridictionnel français », in A. Van Lang (dir), Le dualisme juridictionnel. Limites et mérites., Dalloz, 2007, p. 7.

[90] Par un arrêt du 18 mai 2005, (Civ. 1ère n° 02-20.613) la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence antérieure (Civ. 1re, 10 mars 1993, n° 91-11.310) et s’aligne sur la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 29 juillet 1994, Préfet de la Seine-Maritime c/ Abdelmoula n° 143866 ; CE, 22 septembre 1997, Mlle Cinar, n° 161364).

[91] Conclusions de J-D. Combrexelle sur CE Sect., 28 juin 1996, M. Krief, n° 138874.

[92] CE Sect., 3 novembre 1997, Société Million et Marais, Rec. 406.

[93] CE Sect., 11 juillet 2001, Société des eaux du Nord, Rec. 348.

[94] Voir pour exemples les PGD inspirés du code du travail : interdiction de licencier une femme enceinte (CE Ass., 8 juin 1973, Dame Peynet, Rec. 406) ; interdiction de rémunérer un agent public à un salaire inférieur au SMIC (CE Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse c. Mme Aragnou, Rec. 152) ; obligation de chercher à reclasser un agent contractuel recruté pour une durée indéterminée lorsqu’il est écarté de l’emploi qu’il occupe pour être remplacé par un fonctionnaire (CE Sect., 29 septembre 2013, Mme Sadlon, n° 365139). Voir également la transposition en droit public du principe de prescription trentenaire (CE Ass., 8 juillet 2005, Société Alusuisse Lonza France, n° 247976).

[95] CE Sect., 30 mars 1990, Leca, n° 57018.

[96] CE Sect., 3 mars 1989, Société des Autoroutes de la région Rhône-Alpes, n° 79532.

[97] J. Antippas, « L’utilisation du droit administratif en droit civil », RFDA, 2014, p. 795.

[98] Cass. Civ. 23 novembre 1956, Trésor Public c/ Giry, Bull.civ. II, 407.

[99] CE Ass., 22 novembre 1946, Commune de Saint-Priest-la-Plaine, Rec. 279.

[100] P. Weil, Le droit administratif, PUF, 1964, p. 3.

[101] J. Chevallier, « Le droit administratif, droit de privilège », Pouvoirs, 1988, n° 46, p. 57.

[102] J-F. Lachaume, « Droits fondamentaux et droit administratif », AJDA, numéro spécial 1998, p. 92.

[103] TC, 8 février 1873, Blanco, Rec. 1er supplt 61.

[104] K. Weidenfeld, op.cit. note 11, p. 95.

[105] Voir, par exemple, CE, 28 juin 1918, Heyriès, Rec. 651, sur le droit des fonctionnaires à obtenir communication de leur dossier même en période de guerre ;CE, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, Rec. 208, sur une autre application de la théorie des circonstances exceptionnelles, mais où cette fois le Conseil d’Etat juge que le préfet a fait un usage « légitime » de ses pouvoirs.

[106] CE Ass., 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, Rec. 649.

[107] TC, 8 février 1873, Blanco, Rec. 1er supplt 61.

[108] J. Rivero, « Le juge administratif, gardien de la légalité administrative ou gardien administratif de la légalité ? », Mélanges offerts à Marcel Waline, LGDJ, 1974, p. 701.

[109] Y. Aguila, « La justice administrative, un modèle majoritaire en Europe », AJDA, 2007, p. 290.

[110] J. Bell, « Unité ou dualité de juridiction en matière administrative au Royaume-Uni », RFDA, 1990, p. 892.

[111]Tribunals, Courts and Enforcement Act, 2007.

[112] Voir, par exemple, CJCE, 9 septembre 2003, Mme Burbaud, aff. C-285/01 ;CEDH, 19 avril 2007, Vilho Eskelinen c. Finlande, n° 63235/00.

[113] CJCE, 27 avril 1991, Höfner, aff. C-41/90.

[114] Voir, a contrario, l’arrêt CE Ass., 19 juillet 2017, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 370321 qui fait suite à un arrêt de la CJUE sur renvoi préjudiciel du Conseil d’Etat (CJUE, 7 septembre 2016, ANODE, aff. C-121-15). La Cour de justice invitait le Conseil d’Etat à rechercher si l’entrave à la réalisation d’un marché concurrentiel que constituent les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont justifiés par un objectif d’intérêt général. Le Conseil d’Etat a jugé que la fixation d’un tarif réglementé pour la fourniture du gaz constitue une entrave à la réalisation d’un marché concurrentiel qui ne poursuit aucun objectif d’intérêt économique général. En revanche, le Conseil d’Etat a modulé dans le temps les effets de cette décision compte tenu de l’effet que cela aurait eu sur la situation contractuelle de plusieurs millions de consommateurs.

[115] Article 106 paragraphe 2 du TFUE.

[116] Voir sur ce point les arrêts CJCE, 19 mai 1993, Corbeau, aff. C-320/91 : la CJCE juge que des compensations entre des activités rentables et non rentables sont envisageables si elles permettent d’assurer la couverture de l’ensemble du territoire ; CJCE, 27 avril 1994, Commune d’Almelo et autres c. NV Energiebedrijf Ijsselmij, aff. C-393/92 : la CJUE juge que les Etats-membres peuvent autoriser des restrictions à la libre concurrence, telles que des approvisionnements garantis, si elles sont nécessaires pour permettre à une entreprise investie d’une mission d’intérêt général d’accomplir celle-ci.

[117] Voir notamment les conclusions du commissaire du gouvernement Corneille dans l’affaire CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855, Rec. 638.

[118] L’expression de « principe général du droit » apparaît pour la première fois dans l’arrêt CE Ass., 26 octobre 1945, Sieur Aramu, Rec. 213.

[119] CE Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris : par cette décision le Conseil d’Etat reconnaît dans la liberté d’association un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; CE Ass., 3 juillet 1996, Koné, Rec. 255 : le Conseil d’Etat fait de l’interdiction d’extrader une personne dont l’extradition est demandée pour un motif politique un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

[120] CE Ass., 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image, Rec. 506, n° 317827, 317952, 318013, 318051.

[121] CE Sect., 11 décembre 2015, M. Doumenjoud, n° 395009 (assignations à résidence) et CE Ass. Avis, 6 juillet 2016, M. Napol et M. Thomas, n° 398234 et 399135 (perquisitions administratives).

[122] Loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public.

[123] Article 3 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ; voir, dans le code de justice administrative, l’article L. 554-3, renvoyant aux articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales.

[124] Le déféré-liberté est une procédure qui, à l’initiative du préfet, permet au juge administratif de suspendre, dans un délai de 48 heures, l’exécution d’un acte d’une collectivité territoriale de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle.

[125] Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.

[126] Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives.

[127] Les libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont entendues largement : au nombre des libertés fondamentales susceptibles d’être invoquées en référé-liberté figurent notamment la liberté de se marier (CE, 9 juillet 2014, M. Mbaye, n° 382145), le droit pour un fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral (CE, 19 juin 2014, Commune du Castellet, n° 381061), l’égal accès à l’instruction (CE, 15 décembre 2010, Ministre de l’éducation nationale, n° 344729), le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical (CE, 14 février 2014, Mme Lambert, n° 375081), la liberté d’aller et venir (CE, 19 janvier 2001, M. Deperthes, n° 228928), le principe de libre administration des collectivités territoriales 5CE, 18 janvier 2001, Commune de Venelles, n° 229247), le principe de libre disposition de ses biens (CE, 1er juin 2001, Ploquin, n° 234321), le droit de grève (CE, 9 décembre 2003, Mme Aguillon et autres, n° 262186), la liberté de culte (CE, 16 février 2004, Benaissa, n° 264314).

[128] CE ord, 22 décembre 2012, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 364584, 364620, 364621, 364647. Par sa décision CE Sect., 27 mars 2015, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 385332, le Conseil d’Etat a jugé que le juge des référés pouvait prescrire toute mesures, mais que des mesures réglementaires, y compris d’organisation des services, n’étaient pas au nombre de celles qui pouvaient être demandées au juge des référés.  

[129] Les traités et accords internationaux prévalent en droit interne (Article 55 de la Constitution) et priment sur les actes réglementaires (CE, 30 mai 1952, Dame Kirkwood, Rec. 291) et les lois antérieures (CE, 15 mars 1972, Dame Sadok Ali, Rec. 213) et postérieures (CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190).

[130] CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190.

[131] Dans la décision Société ATOM(CE Sect., 16 février 2009, n° 274000), le passage au recours de plein contentieux contre les sanctions pécuniaires dans le champ du plein contentieux a par exemple été justifié par le principe de rétroactivité « in mitius » : la possibilité pour le juge de se placer à la date du jugement et non à la date d’édiction de la décision lui permet de prendre en compte les lois répressives plus douces entrées en vigueur depuis l’édiction de la décision.

[132] R. Chapus, L’administration et son juge, PUF, 1999, p. 15.

[133] Par exemple, le Conseil d’Etat a enjoint à l’administration de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air afin de faire redescendre la concentration en éléments polluants sous les valeurs fixées par le code de l’environnement, dans les plus brefs délais (CE, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre France, n° 394254).

[134] Article L. 113-3 du code de justice administrative.

[135] Article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire.

[136] Par exemple, l’avis contentieux du Conseil d’Etat du 6 juillet 2016, M. Napol et M. Thomas, n° 398234 et 399135, éclaire les juridictions de première instance sur la nature de leur contrôle en matière de perquisitions administratives et sur les conditions d’engagement de la responsabilité de l’Etat à raison des conditions d’exécution matérielle de la perquisition.

[137] Ce dispositif – à la fois électronique et humain, un groupe de travail se réunissant régulièrement – est mis en œuvre dans la juridiction administrative sous le nom de Juradinfo.

[138] CE Ass., 24 mars 2006, KPMG, Rec. 154.

[139] CC, 19 décembre 2013, Loi de financement pour la sécurité sociale 2014, n° 2013-682 DC

[140] CE Ass, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545 et CE Ass., 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n° 358994.

[141] CE Ass., 11 mai 2004, Association AC ! et autres, Rec. 197.

[142] « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »

[143] La Cour de cassation a admis la supériorité des traités sur les lois internes postérieures et antérieures (Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Administration des douanes et Société des cafés Jacques Vabre) ; le Conseil constitutionnel, statuant comme juge électoral, a accepté d’examiner, pour l’écarter au fond, un moyen tiré de la méconnaissance de la CEDH par les dispositions de la loi électorale française dans un raisonnement similaire à celui de la Cour de cassation (CC, 21 octobre 1988, Elections dans la cinquième circonscription du Val d’Oise, n° 88/1082/1117 AN). Le Conseil d’Etat a reconnu la primauté des traités internationaux sur les lois postérieures par l’arrêt CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190, n° 108243.

[144] CE, 14 mai 2010, Rujovic, n° 312305.

[145] CC, 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, n° 2010-605 DC.

[146] CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. C-188/10 et C-189/10.

[147] Cour constitutionnelle fédérale allemande, 29 mai 1974, Solange I ; 22 octobre 1986, Solange II ; 7 juin 2000, Solange III.

[148] CE Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, n° 287110.

[149] Article 13 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui crée l’article L. 231-1-1 du code de justice administrative selon lequel : « Les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel exercent leurs fonctions en toute indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard. / Ils s'abstiennent de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. / Ils ne peuvent se prévaloir, à l'appui d'une activité politique, de leur appartenance à la juridiction administrative ».

[150] Article 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

[151] CC, 22 juillet 1980, Loi portant validation d’actes administratifs, n° 80-119 DC, pt. 6.

[152] CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC, pt. 15 ; CC, 11 janvier 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques,n° 89-271 DC, pt. 6.

[153] Loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif.

[154] Depuis la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, le statut des magistrats administratifs est régi par le code de justice administrative et par les dispositions statutaires de la fonction publique de l’Etat, pour autant que ces dernières ne sont pas contraires avec le code de justice administrative (article L. 231-1 du code de justice administrative).

[155] Article 4 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Les magistrats du siège sont inamovibles. / En conséquence, le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement. »

[156] CEDH, 9 novembre 2006, Sacilor-Lormines c. France, aff. n° 65411.01, pt. 65.

[157] Loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 fixant les règles garantissant l’indépendance des membres des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel.

[158] Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

[159] Cité dans B. Stirn, Vers un droit public européen, Montchrestien, 2012,p. 68.

[160] Articles L. 231-5 et L. 231-6 du code de justice administrative.

[161] Article 13 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui crée l’article L. 231-4-1 du code de justice administrative.

[162] Article 28 de la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, qui crée l’article 10-2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Le décret n° 2017-898 du 9 mai 2017 relatif au collège de déontologie des magistrats de l'ordre judiciaire et au statut et à la formation des candidats à l'intégration directe dans le corps judiciaire prévoit les modalités d’application de ces dispositions.

[163] Dans un premier temps, la Cour européenne des droits de l’homme s’est montrée réticente à l’égard du cumul des fonctions consultatives et contentieuses, dès lors que certains membres siégeaient en tant que juges dans des affaires dont ils avaient auparavant eu à connaître en formation consultative (CEDH, 28 septembre 1995, Procola c. Luxembourg). Elle a ensuite admis le principe de la dualité fonctionnelle, à condition qu’une même personne ne puisse se prononcer sur la même question en formation consultative, puis en formation juridictionnelle (CEDH, 6 mai 2003, Kleyn c. Pays-Bas ; CEDH, 9 novembre 2006, Sacilor-Lormines).

[164] Décret n° 2008-225 du 6 mars 2008 relatif à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’Etat et décret n° 2011-1950 du 23 décembre 2011 modifiant le code de justice administrative.

[165] Articles R. 122-21, R. 122-21-1, R. 122-21-2 et R. 122-21-3 du code de justice administrative, issus des décrets du 6 mars 2008 et du 23 décembre 2011.

[166] Article R. 122-21-1 du code de justice administrative, issu du décret du 6 mars 2008.

[167] Article R. 122-21-3 du code de justice administrative, issu du décret du 23 décembre 2011.

[168] Article R. 122-21-2 du code de justice administrative, issu du décret du 6 mars 2008.

[169] Article R. 122-20 du code de justice administrative, issu du décret du 6 mars 2008.

[170] Article R. 122-18 du code de justice administrative, issu du décret du 6 mars 2008.

[171] Voir le texte de M. Long, « L’état actuel de la dualité de juridictions », RFDA, 1990, p. 689 et l’article de B. Genevois, « Juge administratif et juge judiciaire : ressemblances et différences », in B. Bonnet et P. Deumier (dir), De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé ?, Dalloz, 2010, pp. 155-175.

[172] Voir sur ce point le rapport d’activité du Conseil supérieur de la magistrature pour 2016.

[173] Titre V, chapitre I de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[174] Titre V, chapitre II de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Devant le juge administratif est également ouverte une voie d’action en reconnaissance de droits (Titre VI, article 93 de la loi du 18 novembre 2016).

[175] Le Club des Juristes, La régulation des contentieux devant les cours suprêmes, Octobre 2014, http://www.leclubdesjuristes.com/mwg-internal/de5fs23hu73ds/progress?id=IE0SDU-4z5WjOwt8zH1HHIcXU6QMrGMe6NmrJY4X0aA, p. 177.

[176] Article L. 822-1 du code de justice administrative

[177] Les pourvois en cassation représentent 65% des affaires enregistrées devant le Conseil d’Etat, mais seulement un tiers de ces recours passe l’épreuve du filtre de l’admission du pourvoi en cassation.

[178] Articles 20 et 21 de la loi n°  2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

[179] Voir sur ce point l’article d’A. Garapon, « Les enjeux de la justice prédictive », JCP, Janvier 2017, p. 31.

[180] En 2016, le Conseil d’Etat a rendu 15 arrêts d’assemblée, 31 décisions de section et 1325 décisions de chambres réunies. Sur la même année, l’Assemblée plénière n’a été saisie que de 4 affaires et la chambre mixte n’a été saisie d’aucune affaire (chiffres disponibles sur le site de la Cour de cassation <https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2016_8205/livre_4_activite_cour_8226/i._activite_juridictionnelle_8228/b._donnees_statistiques_8230/2._activite_chambres_8232/jugees_assemblee_37058.html>  (19.07.2017).

[181] P. Sargos, « Points communs et divergences des deux ordres de juridiction », AJDA, 1990, p. 585.

[182] F. Terré, « Perspectives et avenir du dualisme juridictionnel », AJDA, 1990, p. 595.

[183] CC, 5 mai 1998, Loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, n° 98-399 DC, point 15 ; voir aussi CE Sect., 27 février 2004, Mme Popin, Rec. 86.

[184] L. Fougère, « 1790-1990 : deux siècles de dualisme juridictionnel », AJDA, 1990, p. 579.