Les autorités administratives indépendantes

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention du 11 février 2010 de Jean-Marc Sauvé - audition par MM. Christian Vanneste et René Dosière, Députés, rapporteurs de la mission mise en place par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) sur les autorités administratives indépendantes

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Les autorités administratives indépendantes

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 Audition par MM. Christian Vanneste et René Dosière, Députés, rapporteurs de la mission mise en place par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) sur les autorités administratives indépendantes

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 Jeudi 11 février 2010

10h00

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 Intervention de Jean-Marc SAUVÉ

Vice-président du Conseil d’Etat

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Ainsi que le rappellent les considérations générales du rapport public du Conseil d’Etat de 2001[1], c’est la loi du 6 janvier 1978 qui, en créant la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), a introduit pour la première fois dans le droit positif la notion d’autorité administrative indépendante (AAI). Après de nombreuses hésitations sur le statut qu’il convenait de donner à cet organisme, le Parlement, à la suite d’un amendement déposé au Sénat, écartant à la fois l’hypothèse de création d’un établissement public à la tutelle allégée et celle du rattachement pur et simple de la commission aux services du ministère de la justice, a finalement opté pour la solution la plus radicalement nouvelle. Le statut de l’autorité ainsi créée, tout comme celui de toutes les autorités administratives indépendantes qui l’ont été après, était en effet l’expression d’un oxymore que l’on pourrait presque qualifier d’ontologique : celui d’être à la fois une autorité administrative, c’est-à-dire relevant de l’exécutif de l’Etat, mais dans le même temps une autorité indépendante, et donc soustraite au principe rappelé par l’article 20 de la Constitution selon lequel le Gouvernement, responsable devant le Parlement, détermine et conduit la politique de la Nation et dispose pour ce faire de l’administration.  

En dépit du caractère circonstanciel de cette création initiale, la catégorie juridique des autorités administratives indépendantes s’est, depuis lors, imposée dans le paysage institutionnel français. L’évolution de leur nombre permet à elle seule de l’attester : alors que le rapport du Conseil d’Etat de 2001 recensait 34 organismes pouvant être qualifiés d’autorités administratives indépendantes, on en compte aujourd’hui plus de 40. Pourtant cette expansion ne doit pas faire oublier que les autorités administratives indépendantes ne sauraient devenir un mode d’administration de droit commun. Le recours à cette catégorie juridique particulière doit rester adapté et raisonné ; le mouvement de consolidation qui se dessine actuellement me paraît aller dans cette direction.

Je dresserai, dans un premier temps, un constat : celui de la légitimité institutionnelle acquise par les autorités administratives indépendantes.

J’évoquerai, dans un second temps, l’avenir de cette catégorie juridique, qui passe par une consolidation des compétences et de l’indépendance de ces autorités.

 

I - Les autorités administratives indépendantes ont acquis une légitimité institutionnelle.

Les autorités administratives indépendantes ont aujourd’hui acquis une légitimité dans le paysage institutionnel. Cela tient au fait, tout d’abord, que le Parlement joue pleinement son rôle dans la création de ces autorités, ainsi que dans la détermination de leurs missions et des conditions de leur fonctionnement. Cela tient également au fait que les caractéristiques essentielles de cette catégorie juridique particulière ont été entérinées par le juge. Cette légitimité, tient, enfin, au fait que les autorités administratives indépendantes répondent à un besoin particulier d’efficacité dans certains domaines de l’action publique.

 

A.-Compte tenu des pouvoirs particuliers dévolus aux autorités administratives indépendantes, il est essentiel que la représentation nationale puisse contrôler leur création et leur fonctionnement. Je constate  que tel est bien le cas aujourd’hui.

1.-C’est la loi qui, dans la quasi-totalité des cas, a créé ces organismes et qui, par ailleurs, fixe les missions de ces autorités ainsi que leurs pouvoirs. Certes, au moins l’une d’entre elles, l’autorité de contrôle prudentiel, résulte d’une ordonnance prise sur autorisation du Parlement, conformément à l’article 38 de la Constitution. Mais la circonstance que le législateur n’ait, dans ce cas, qu’un contrôle restreint sur les mesures prises par le Gouvernement, relève d’un autre débat.

2.-Le Parlement joue également un rôle essentiel dans la composition des autorités administratives indépendantes. Directement, dans la mesure où plusieurs de ces autorités comptent parmi leurs membres soit des parlementaires, soit des membres désignés par des autorités parlementaires[2]. Indirectement, puisque dès l’entrée en vigueur de la loi organique relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, le Parlement, par l’intermédiaire des commissions compétentes, émettra un avis sur la nomination des responsables des principales autorités administratives indépendantes et disposera d’un droit de veto sur cette nomination[3]

3.-C’est la loi, enfin, qui détermine les caractéristiques essentielles garantissant l’indépendance de ces autorités, telles que la collégialité, les modalités de désignation des membres du collège, les conditions d’exercice du mandat - en particulier son irrévocabilité et son caractère renouvelable ou non-, mais aussi l’autonomie financière. C’est bien la loi qui a conféré la personnalité morale à plusieurs autorités administratives indépendantes, comme l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), dans le sens d’une plus grande autonomie. C’est la loi, également, qui a offert à ces autorités des garanties financières renforcées. Le programme n° 308 Protection des droits et libertés, par exemple, créé par la loi de finances pour 2009, offre aujourd’hui à 11 autorités administratives indépendantes une autonomie budgétaire renforcée et facilite le contrôle du Parlement sur leur action. Le droit de regard du Parlement sur l’action des autorités administratives indépendantes se manifeste aussi par la possibilité ouverte aux commissions des deux assemblées d’auditionner les principaux responsables des autorités administratives indépendantes.

 

B.- La légitimité qu’ont acquise les autorités administratives indépendantes dans le paysage institutionnel résulte également de ce que les caractéristiques essentielles de leur statut ont été entérinées par le juge.

1.-Les juges administratif et constitutionnel ont, tout d’abord, confirmé l’appartenance à l’exécutif de ces autorités, témoignant dans le même temps de ce que les pouvoirs de celles-ci ne peuvent être regardés comme empiétant sur ceux du Parlement. Le Conseil d’Etat,  par  sa décision d’assemblée Retail du 10 juillet 1981[4], a ainsi affirmé le caractère d’ « autorité administrative » du Médiateur de la République. Le Conseil constitutionnel est allé dans le même sens dans ses décisions du 18 septembre 1986[5] et du 28 juillet 1989[6] relatives, respectivement, à la Commission nationale de la communication et des libertés et à la Commission des opérations de bourse. Les juges administratif et constitutionnel ont, ce faisant,  répondu aux questions soulevées par les débats qui étaient alors en cours dans les pays anglo-saxons, portant sur le caractère quasi-juridictionnel ou non des « Quangos »[7]. Par la même occasion, les juges affirmaient également de manière claire, du fait du rattachement des autorités administratives indépendantes à l’exécutif, la soumission de ces dernières à un contrôle juridictionnel, en particulier dans l’exercice de leur pouvoir de sanction.  

2.-Le juge a également consolidé l’indépendance de ces autorités. L’on peut évoquer, par exemple, la décision d’assemblée du Conseil d’Etat du 7 juillet 1989, Ordonneau, par laquelle nous avons considéré que le Gouvernement ne peut légalement mettre fin avant le terme de son mandat aux fonctions du président d’une autorité administrative indépendante en raison de la survenance de sa limite d’âge dans son corps d’origine. Le Conseil d’Etat a ainsi donné toute sa portée au principe d’irrévocabilité du mandat voulu par le législateur.  

3.-Les juges ont aussi précisé les conditions d’exercice des pouvoirs confiés aux  autorités administratives indépendantes. Le juge constitutionnel a ainsi validé la possibilité pour le législateur de leur conférer un pouvoir réglementaire –limité dans son champ et sa portée- d’exécution des lois[8]. Il a également confirmé le principe même de l’octroi à ces autorités d’un pouvoir de sanction[9]. Il n’aurait d’ailleurs pu que difficilement en aller autrement dans la mesure où, de longue date, un tel pouvoir de sanction avait été reconnu à l’administration. L’on peut penser par exemple aux sanctions en matière fiscale, qui sont susceptibles de toucher l’ensemble de la population et dont certaines sont particulièrement lourdes financièrement. Le juge administratif a, quant à lui, contribué à asseoir la légitimité de ce pouvoir de sanction en veillant au respect, par les autorités administratives indépendantes, des règles du droit au procès équitable, telles qu’elles résultent, notamment, de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[10].

 

C.- La légitimité des autorités administratives indépendantes résulte, enfin, de ce qu’elles répondent à un besoin d’efficacité dans des domaines particuliers de l’action publique.

1.-L’indépendance de ces autorités, tout d’abord, offre à l’action publique un surplus d’impartialité important dans le domaine de la protection des libertés, mais aussi dans le cadre de l’ouverture à la concurrence de secteurs de l’économie jusque là caractérisés par le monopole d’une seule entreprise publique. Dans cette dernière hypothèse, il paraîtrait en effet délicat, compte tenu des liens entre l’opérateur historique et l’Etat, que les administrations dépendant directement du Gouvernement assurent elles-mêmes directement la régulation du secteur concerné.

2.-Le statut des autorités administratives indépendantes, ensuite, en fait des structures légères, soustraites aux procédures d’arbitrage propres aux administrations qui relèvent directement du Gouvernement. Cela leur confère une capacité d’action et d’adaptation rapides, dans un environnement économique et technologique en constante évolution. De fait, les autorités administratives indépendantes sont des institutions particulièrement adaptées à la régulation économique.

3.-Le principe de participation, qui se traduit dans l’organisation de la plupart de ces autorités, est également, enfin, une composante de leur efficacité. L’association à la régulation d’un secteur déterminé de professionnels de ce secteur aux compétences reconnues, est aussi un facteur de légitimité accrue de l’action publique et de meilleure acceptation de celle-ci.

 

II - L’avenir des autorités administratives indépendantes passe par une consolidation de leurs compétences et de leur indépendance.

Le modèle des autorités administratives indépendantes n’a pas vocation a être répliqué de manière inconsidérée. Les formations consultatives du Conseil d’Etat le soulignent d’ailleurs régulièrement lorsqu’elles sont saisies de projets de création de nouvelles autorités, ce qui arrive trois à quatre fois par an. L’heure n’est plus, aujourd’hui, à une expansion des autorités administratives indépendantes, mais bien à une stabilisation de ce modèle, qui doit se traduire par une consolidation de leurs compétences et de leur indépendance.

 

A.- La consolidation les compétences des autorités administratives indépendantes implique de poursuivre le mouvement de concentration déjà entrepris, mais aussi d’améliorer la répartition des compétences entre ces autorités et le Gouvernement et, enfin, de délimiter clairement la frontière entre leurs pouvoirs et ceux du juge.

1. Deux étapes importantes ont, jusqu’à présent, marqué le début d’un processus de concentration des autorités administratives indépendantes. Il s’agit, d’une part, de la créationde l’Autorité des marchés financiers[11], qui est issue de la fusion de la Commission des opérations de bourse (COB), du Conseil des marchés financiers (CMF) et du Conseil de discipline de la gestion financière (CDGF) et, d’autre part, de la création de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP)[12], qui résulte, quant à elle, de la fusion de la Commission bancaire, de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), du comité des entreprises d'assurance et du comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement.

La poursuite de ce mouvement de concentration est souhaitable pour trois raisons. La multiplication des autorités administratives indépendantes dans des secteurs proches peut être, tout d’abord, une source de complexité et d’insécurité juridique. L’on peut relever à cet égard que, selon l’exposé des motifs du projet de loi organique relatif au défenseur des droits, l’un des motifs qui a présidé à la création de ce dernier est le fait que l’instauration, à côté du Médiateur de la République, d’autres autorités indépendantes intervenant dans des domaines proches, a créé une « dilution des responsabilités qui est par elle-même préjudiciable aux droits des personnes ». En matière de régulation sectorielle, ensuite, l’évolution technologique conduit dans certains cas à des chevauchements de compétence entre des autorités aux missions initialement bien définies. L’interdépendance croissante entre les contenus audiovisuels et les communications électroniques, qui pose la question de la répartition des compétences entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et l’Autorité de régulation des postes et des communications électroniques (ARCEP) en est un exemple. La dernière raison, enfin, qui conduit à envisager la poursuite du processus de concentration déjà entamé, tient au fait que l’effacement de certaines autorités de régulation sectorielles face à l’autorité transversale en matière de concurrence est en quelques sortes inhérente à leur devenir. Beaucoup d’autorités de régulation sectorielles sont créées pour accompagner l’ouverture à la concurrence de certains secteurs. L’achèvement de leur mission, qui est la réalisation de la pleine concurrence sur ces marchés, devrait donc en principe conduire, à long terme – sans doute pas avant une quinzaine, voire une vingtaine d’années-, à leur intégration dans l’Autorité de la concurrence.

Il s’agit bien d’un processus de consolidation institutionnel que j’évoque –cela doit être souligné- et certainement pas d’une suppression des missions assignées aux autorités indépendantes, ni des caractéristiques qui leur sont propres et qui facilitent l’exercice de ces missions. Bien qu’elles n’entretiennent entre elles aucun lien fonctionnel, il n’est pas inenvisageable non plus, par exemple, que l’autorité administrative indépendante que je préside en ma qualité de vice-président du Conseil d’Etat, à savoir la Commission pour la transparence financière de la vie politique, soit réunie dans un organisme unique avec la Commission des comptes de campagne. Il peut également être envisagé d’attribuer les compétences exercées par la Commission nationale de contrôle de l’élection présidentielle que je préside à d’autres organismes exerçant un contrôle sur les élections, comme le Conseil constitutionnel, mais aussi, pourquoi pas, le Conseil d’Etat. Mais quelle que soit l’hypothèse considérée, l’essentiel serait alors de garantir que les compétences jusque-là dévolues à ces autorités puissent continuer d’être exercées par une autorité bénéficiant des mêmes garanties d’impartialité et de la même liberté d’action et de ton.

2.- La consolidation du statut des autorités administratives indépendantes nécessite également d’améliorer la répartition des compétences entre ces autorités et le Gouvernement. Ainsi que le soulignait déjà le rapport du Conseil d’Etat de 2001, le contentieux administratif est riche de décisions par lesquelles le juge administratif est amené à régler un conflit de compétences entre autorités administratives indépendantes et administrations centrales. Dans certains cas, les litiges n’ont rien de préoccupant et ne sont que la traduction des incertitudes des textes ou des hésitations du législateur sur le bon équilibre à assurer entre le pouvoir conféré à l’autorité administrative indépendante et le pouvoir maintenu au ministre[13]. Dans d’autre cas, en revanche, les conflits de compétence entre les autorités administratives indépendantes et les autorités centrales peuvent être sources de tensions dans l’exercice de ces compétences et de complexité pour le justiciable. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l’exercice par les autorités administratives indépendantes du pouvoir réglementaire qui leur est dévolu. A cet égard, certaines mesures paraissent à même de favoriser une meilleure coordination entre les administrations centrales et ces autorités, comme le fait de prévoir, dès l’élaboration des textes constitutifs, des règles claires de répartition des compétences. La présence d’un commissaire du gouvernement au sein des autorités administratives dotées d’un pouvoir réglementaire, qui permet de tenir informé le ministre des décisions prises par l’autorité et de faire valoir, si nécessaire, la position du Gouvernement, est également une solution qui a été plusieurs fois retenue par le législateur.

3.- Il convient, enfin, de clarifier les compétences et les pouvoirs des autorités administratives indépendantes  par rapport au juge, en particulier le juge pénal. Cela passe  par une délimitation stricte du pouvoir de sanction dévolu à ces autorités. Le conseil constitutionnel l’a rappelé dans sa décision du 10 juin 2009, relative à la loi dite « HADOPI », en affirmant que « quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions », le législateur ne peut confier à une autorité administrative un pouvoir de sanction applicable à l’ensemble de la  population, qui puisse restreindre l’exercice d’une liberté aussi essentielle que la liberté de communication[14].

Cette stricte délimitation implique aussi de veiller à ce que l’exercice du pouvoir de sanction ne conduise pas à une superposition entre les sanctions pénales et les sanctions administratives, telle que le principe non bis in idem en serait alors méconnu. Le Conseil constitutionnel, par exemple, considère qu'en cas de sanctions administratives ayant un objet pécuniaire comparable à celui d'une amende pénale, le montant global des sanctions prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues[15]. C’est selon une logique similaire que la commission des lois du Sénat a proposé la suppression du pouvoir de sanction qui était initialement  attribué à la HALDE par le projet de loi pour l’égalité des chances, et que le dispositif finalement adopté consiste en une possibilité pour la HALDE de proposer une transaction pénale,  homologuée par l’autorité judiciaire[16]. Le projet initial prévoyait en effet que la HALDE disposerait du pouvoir de sanctionner financièrement les discriminations, mais la commission des lois du Sénat a considéré que le «  dispositif proposé pourrait porter atteinte à la séparation des pouvoirs » et qu’il amènerait à assimiler la HALDE « à une quasi-juridiction qui constituerait, dès lors, un démembrement de l'autorité judiciaire » [17]

La clarification des compétences et des pouvoirs des autorités administratives indépendantes par rapport au pouvoir juridictionnel exige, en troisième lieu, la réaffirmation très ferme du principe selon lequel c’est bien au juge, et à lui seul, que revient le soin de dire le droit, c’est-à-dire d’interpréter la loi et les règlements. Dans sa décision d’assemblée du 30 octobre 2009, Mme Perreux[18] , le Conseil d’Etat, après avoir défini par voie prétorienne un régime d’administration de la preuve applicable lorsqu’est alléguée une discrimination, pour tenir compte des difficultés particulières en ce domaine, a considéré que, dans les circonstances de l’espèce, la discrimination syndicale alléguée n’était pas établie, alors même que la HALDE avait, dans son avis, estimé le contraire. Je reste conscient que, dans certains cas, il peut être difficile pour le juge de trouver une assise juridique concrète pour l’exercice d’un contrôle sur l’activité de certaines autorités administratives indépendantes. Tel est le cas, par exemple, lorsque les pouvoirs dévolus à l’autorité sont essentiellement des pouvoirs de proposition ou d’avis, mais que le seul fait  qu’une procédure soit engagée par cette autorité est susceptible de porter atteinte à la réputation d’une personne de manière toute aussi forte que ne le ferait une sanction. C’est bien le juge, néanmoins, qui reste en dernier lieu le garant de l’interprétation et de l’application du droit.

 

B.- L’avenir des autorités administratives indépendantes passe également par la consolidation de leur indépendance.

1.- Les garanties statutaires accordées aux membres de ces autorités gagneraient ainsi à être renforcées. Un mandat long – de 5 ou 6 ans au moins-, mais non renouvelable, paraît être une solution à même de permettre à la fois aux membres de ces organismes de disposer du temps nécessaire à la réalisation de leurs projets, et de garantir qu’ils ne seront pas exposés à des influences extérieures.

2.- L’indépendance de ces autorités nécessite également de leur assurer les moyens matériels et humains suffisants pour mener à bien leurs missions, sans qu’elles ne soient financièrement tributaires des administrations dont dispose directement le Gouvernement. La solution, déjà adoptée d’une mission budgétaire spécifique regroupant plusieurs programmes et rattachée au premier ministre paraît à cet égard opportune. C’est en effet le complément budgétaire normal, légitime, du statut d’autorité indépendante. Conférer la personnalité morale à certaines de ces autorités peut également être envisageable. La personnalité morale, même si elle n’est pas indispensable pour garantir leur autonomie, permet en effet de soustraire les autorités qui en sont dotées à l’application du principe d’universalité budgétaire opposable à l’Etat et d’affecter directement certaines ressources –des « redevances », en fait le plus souvent un impôt perçu sur les professionnels du secteur régulé par exemple- au financement de leurs missions. La question reste en revanche de savoir si une fonction de puissance publique telle que celle assurée par les autorités administratives indépendantes peut, ou non, être financée par les entreprises contrôlées. A mes yeux, la personnalité morale est un élément circonstanciel, qui doit être évalué au cas par cas, mais il ne s’agit pas d’une garantie fondamentale. Enfin, si l’existence d’une autonomie administrative et financière n’est pas une condition sine qua non de l’indépendance et de l’impartialité, il paraît nécessaire, à tout le moins, que les autorités administratives indépendantes puissent gérer elles-mêmes leurs ressources humaines.

Quelles sont, en conclusion, les conditions d’une création réussie d’une autorité administrative indépendante ? J’en distingue quatre qui me paraissent essentielles. Il convient, dans un premier temps, de s’assurer que la création de cette autorité répond à une exigence réelle, en relation avec le statut d’indépendance qui caractérise cette formule. La mission assignée à cette autorité doit également, dans un deuxième temps, être précisément définie. Il faut, ensuite, tracer clairement les frontières entre les missions et les compétences de cette autorité et le Gouvernement et s’assurer que celles-ci n’empièteront pas sur la fonction juridictionnelle. Il faut, enfin, garantir l’indépendance statutaire et l’autonomie administrative et financière de cette autorité et s’assurer qu’elle disposera des moyens suffisants pour mener à bien ses missions.

 

[1] Conseil d’Etat, Les autorités administratives indépendantes, Rapport public 2001, EDCE n°52, la Documentation française, Paris, 2001.

[2] Le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat désignent ainsi respectivement : le député et le sénateur siégeant à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), 3 membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), une personnalité qualifiée au sein du collège de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), 2 membres de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), chacun un membre de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), mais aussi deux membres de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), un membre de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), un membre de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), ou encore deux membres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

[3] « lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions », selon l’article 13 de la Constitution.

[4] CE ass. 10 juillet 1981, Retail, Rec. p. 302.

[5] CC, décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, loi relative à la liberté de communication :« Considérant au surplus, que, dans l'exercice de ses compétences, la Commission nationale de la communication et des libertés sera, à l'instar de toute autorité administrative, soumise à un contrôle de légalité qui pourra être mis en œuvre tant par le Gouvernement, qui est responsable devant le Parlement de l'activité des administrations de l'État, que par toute personne qui y aurait intérêt ».

[6] CC, décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, loi relative à la transparence et à la sécurité du marché financier : « la Commission des opérations de bourse est, à l'instar de tout organe administratif, soumise à une obligation d'impartialité pour l'examen des affaires qui relèvent de sa compétence et aux règles déontologiques qui en découlent ».

[7] Quangos : « quasi-autonomous non-governmental organisation » – ces organismes sont l’équivalent des autorités administratives indépendantes en France.

[8] CC décision n°86-217 DC  du 18 septembre 1986, précitée : les dispositions des articles 21 et 13 de la Constitution « confèrent au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République, l'exercice du pouvoir réglementaire à l'échelon national […] elles ne font cependant pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'État autre que le Premier ministre, le soin de fixer, dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements, des normes permettant de mettre en œuvre une loi ».

[9] CC, décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, loi relative à la transparence et à la sécurité du marché financier : « Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d'une part, que la sanction susceptible d'être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d'autre part, que l'exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis ».

[10] Voir par exemple CE ass. 3 décembre 1999, Didier, Rec. p. 399: « le moyen tiré de ce que le Conseil des marchés financiers siégeant en formation disciplinaire aurait statué dans des conditions qui ne respecteraient pas le principe d'impartialité rappelé par l'article 6-1 peut, eu égard à la nature, à la composition et aux attributions de cet organisme, être utilement invoqué à l'appui d'un recours formé devant le Conseil d'Etat à l'encontre de sa décision ». Voir également CE sect. 27 octobre 2006, Parent et autres, Rec. p. 454, sur l’application des garanties du §3 de l’article 6 de la Convention à la procédure de sanction devant  l’Autorité des marchés financiers

[11] Créée par la loi n° 2003-706 de sécurité financière du 1er août 2003.

[12] Créée par l’ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010, portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance.  

[13] Ainsi du partage entre l’autorité de régulation audiovisuelle chargée de déterminer « les règles générales de programmation »  et le Gouvernement chargé de fixer par décret en Conseil d’État « le régime de diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles », partage qui a, en son temps été réglé fort classiquement par le Conseil d’État (CE, 16 novembre 1990, SA la Cinq ).

[14] CC, décision n° 2009-580 du 10 juin 209, loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

[15] CC, décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, précitée, §§ 16 à 22.

[16] Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances.

[17] Sénat, avis présenté au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi pour l’égalité des chances, Par M. Jean-René Lecerf, Sénateur, pp. 45-46.

[18] Décision n° 298348, à publier au Recueil Lebon.