Premiers états généraux du droit administratif

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Ouverture par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État le 30 juin 2011

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Premiers états généraux du droit administratif

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 Jeudi 30 juin 2011

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 Ouverture par Jean-Marc Sauvé[1],

vice-président du Conseil d’Etat

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Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Chers collègues,

 Je suis particulièrement heureux d’inaugurer aujourd’hui, avec vous Monsieur le Bâtonnier, les premiers états généraux du droit administratif organisés conjointement par le Conseil national des barreaux et la juridiction administrative, en partenariat avec l’Actualité juridique – Droit administratif.

D’aucuns pourraient discerner un paradoxe dans le titre de ces rencontres, qui rassembleront tous les ans les juges administratifs, les professions du droit et l’Université : les Etats généraux de 1789, dont ce titre s’inspire, ont en effet donné naissance à une assemblée constituante qui eut du rôle de la justice et de la profession d’avocat une conception pour le moins restrictive, pour ne pas dire marginale. Elle fit des juges, à l’instar du rôle que leur assignait Montesquieu, « la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer la force, ni la rigueur »[2] et elle supprima, sinon la fonction même de l’avocat[3], du moins le costume, la profession et les ordres dans lesquels cette fonction s’exerçait.

Mais ce paradoxe n’est qu’apparent. Car à en croire Fournel et son Histoire du Barreau de Paris dans le cours de la Révolution, si Tronchet, Treilhard, Target, ni aucun de leurs confrères, sauf peut-être Robespierre, ne se sont élevés contre ce dépouillement des prérogatives et des droits des avocats, c’est parce qu’ils se seraient eux-mêmes sentis déshonorés de se présenter devant des tribunaux « chétifs » et qu’il était beaucoup plus digne de leur part « d’exterminer » eux-mêmes « l’objet de [leur] affection plutôt que de le livrer aux outrages et aux affronts »[4]. En somme, si les Etats généraux de 1789 ont conduit à réduire la place de la justice et des avocats dans la société, ils ont aussi montré a contrario le lien étroit, et sans doute même indéfectible, qui existe entre le bonheur de la profession d’avocat et l’existence d’une justice qui soit en capacité d’exercer pleinement sa mission.

Les états généraux du droit administratif, qui prolongent et complètent les rencontres de même nature organisées par le Conseil national des barreaux sur d’autres thèmes, sont bien sûr sans commune mesure avec ces références fondatrices. Ils sont plus modestes par leur champ et leur ambition. Ils n’en expriment pas moins, eux aussi, un lien de même nature qui unit la justice, la justice administrative en particulier, aux professions du droit . La vocation de ces états généraux est en effet d’approfondir, avec les avocats, mais aussi avec les experts, les autres professions juridiques et les membres de l’Université, les contacts étroits et réguliers qu’entretient déjà la juridiction administrative, presque quotidiennement, avec ces professions et qui se traduisent, notamment, par le renforcement de la place du droit administratif dans les programmes des Ecoles de formation des barreaux et par l’accueil régulier des élèves avocats dans toutes les juridictions administratives. Ces états généraux peuvent, ce faisant, contribuer à la réalisation de l’ambition de ces juridictions : rendre une justice de qualité (I). Ils peuvent aussi être un forum utile qui permette de mieux prendre la mesure des évolutions du droit public et de la place de la justice administrative dans la société (II).

I. Les états généraux du droit administratif peuvent contribuer à la dynamique d’affermissement de la qualité de la justice administrative.

A.- La qualité de cette justice, c’est d’abord l’efficacité de la garantie des droits à laquelle elle contribue.

1.- Cette efficacité n’a cessé de se renforcer tout au long de l’histoire de la juridiction administrative. L’approfondissement constant du contrôle exercé par le juge sur l’action de l’administration en témoigne. Le contrôle de la qualification juridique des faits inauguré par l’arrêt Gomel en 1914[5] ou celui de la nécessité et de la proportionnalité des mesures de police ouvert par l’arrêt Benjamin en 1933[6] se prolonge ainsi aujourd’hui dans le contrôle du bilan sur l’appréciation de l’utilité publique d’une opération d’aménagement[7], mais aussi dans le contrôle de proportionnalité qu’opère le juge, par exemple sur les sanctions prises par les autorités de régulation[8], ou encore dans l’entier contrôle auquel il procède sur l’ensemble des aspects d’un processus de concentration d’entreprises[9]. Le droit de l’Union et la Convention européenne des droits de l’homme contribuent bien évidemment à l’approfondissement de la garantie des droits par le juge administratif : les trois arrêts d’assemblée du 14 décembre 2007, M . Boussouar, M. Planchenault et M. Payet [10] en témoignent avec éclat. Tout en s’inscrivant dans une évolution ancienne et continue de la jurisprudence administrative, ces arrêts ont permis d’assurer une protection des droits fondamentaux concrète et effective des personnes détenues, pleinement conforme aux exigences découlant de la Convention européenne des droits de l’homme. L’efficacité de la garantie des droits assurée par le juge administratif tient aussi aux pouvoirs nouveaux qui lui ont été confiés par la loi : les pouvoirs d’injonction et d’astreinte, mais aussi les pouvoirs étendus conférés au juge des référés, en particulier celui du référé-liberté ou celui des référés précontractuel et contractuel. Les évolutions récentes de l’office du juge administratif qui procèdent de la jurisprudence vont, elles aussi, dans la même direction : les décisions Société Tropic Travaux [11] et Société Atom [12], par exemple, ont conduit à un renforcement et à un approfondissement du contrôle de ce juge sur l’action de l’administration.

2.- Outre que beaucoup de ces évolutions sont encore récentes et qu’elles demandent que les juges et les professions du droit en prennent progressivement la mesure et se les approprient, elles s’inscrivent aussi nécessairement dans une dynamique propre qui est consubstantielle à l’office du juge administratif : celle de la conciliation entre les droits des personnes et l’intérêt public, entre le respect du principe de légalité et les exigences de la sécurité juridique. Or cette conciliation, pour être précise, claire, ferme et prévisible, exige du juge une pratique qui va au-delà de la seule application stricte des règles juridiques : une bonne décision de justice, même si elle n’est pas que cela, est aussi une décision applicable dont le juge puisse rendre compte du bien-fondé et de la pertinence. C’est aussi une décision dont le juge soit capable d’apprécier, ex ante comme ex post, les effets concrets qu’elle a ou qu’elle peut avoir sur les différents secteurs de la vie sociale et économique. A cette fin, il est essentiel que la juridiction administrative échange, non seulement avec les administrations et les acteurs économiques et sociaux, mais aussi avec ses partenaires que sont les praticiens du droit et les représentants de la doctrine. Les questions qui seront abordées aujourd’hui, notamment au cours du troisième atelier consacré aux procédures de référé précontractuel et contractuel, témoignent de l’apport fécond à cet échange que peuvent représenter les états généraux du droit administratif. Elles permettront d’éclairer certains aspects d’un contentieux des contrats publics en profond renouvellement ces dernières années pour mieux protéger, outre la légalité, la sécurité, la stabilité et la loyauté des relations contractuelles.

B.- Les thèmes qui seront évoqués lors de cette journée, en particulier mais pas seulement celui du premier atelier consacré à la procédure contentieuse administrative, illustrent un autre aspect de la qualité de la justice administrative, à l’évolution duquel les états généraux du droit administratif, les premiers comme les suivants, peuvent apporter une contribution importante. Je veux parler des relations entre le juge et les justiciables.

1.- Chacun ici le sait, la juridiction administrative a entrepris ces dernières années plusieurs réformes dans le sens d’une meilleure accessibilité, d’une meilleure lisibilité et d’une plus grande transparence dans le déroulement de la procédure contentieuse, réformes qui complètent ou prolongent d’autres évolutions importantes qui ont eu lieu au cours des 25 dernières années. Certaines de ces réformes sont déjà intervenues. Je citerai, bien sûr, l’ouverture de nouvelles juridictions, qui offrent aux justiciables et à leurs conseils un service plus proche et donc plus accessible et permettent aussi, grâce aux moyens supplémentaires qu’elles impliquent, de réduire les délais de jugement. Je veux aussi mentionner le développement des technologies de l’information, qui allègent les procédures et facilitent les échanges avec les justiciables et leurs conseils. La revalorisation de l’audience contribue également à donner aux parties et à leurs conseils toute la place qui leur revient dans le procès administratif, en particulier par l’expression de leur parole : spectaculairement présente dans les procédures d’urgence – les référés notamment-, l’oralité a encore été accrue par le décret du 7 janvier 2009[13] qui, sans revenir sur le caractère écrit de la procédure, a ouvert aux requérants et aux avocats la possibilité de prendre ou de reprendre la parole à l’audience après les conclusions du rapporteur public, dont ils ont désormais systématiquement communication du sens avant l’audience. D’autres évolutions sont en cours d’expérimentation : la généralisation des téléprocédures devrait intervenir dans un proche avenir, comme la mise en place de calendriers d’instruction. Des réflexions sont aussi menées actuellement, par exemple sur les améliorations qui devraient être apportées à la rédaction et à la motivation des décisions rendues par la juridiction administrative. Aucune de ces évolutions ne se fait sans concertation, au sein même de la juridiction administrative comme entre celle-ci et ses partenaires. En outre -cela est parfaitement légitime-, la mise en œuvre des réformes peut susciter des questions, voire des difficultés pratiques. Là encore, au-delà des échanges réguliers que nous entretenons, les états généraux du droit administratif doivent permettre d’établir chaque année une revue d’ensemble de ces interrogations, voire d’en susciter d’autres : l’un des thèmes qui sera abordé aujourd’hui, qui traite de la pertinence de la répartition entre l’oral et l’écrit dans le procès administratif, en témoigne. Nous ne redoutons pas les questions qui peuvent se poser : celles-ci doivent bien au contraire être exprimées, approfondies et traitées.

2.- Les évolutions importantes qui sont intervenues dans le domaine de l’instruction des affaires devant la juridiction administrative et les perspectives d’adaptation des procédures d’exécution ne sont pas non plus sans lien avec la question des relations avec les justiciables. Les audiences d’instruction ou les « enquêtes à la barre » prennent ainsi depuis 2000 une place croissante, en particulier dans les contentieux économiques. Le décret du 22 février 2010[14] a, quant à lui, ouvert la possibilité aux formations d’instruction et de jugement de recueillir les observations d’un amicus curiae. Il a aussi réformé en profondeur les procédures de constat et d’expertise, en renforçant notamment le rôle de l’expert, ses garanties d’impartialité et en faisant évoluer les liens que celui-ci entretient avec la juridiction et les parties. Plus d’un an après l’entrée en vigueur de ce texte, ces états généraux du droit administratif, en particulier le deuxième atelier consacré à l’expertise, vont permettre d’établir un premier bilan de ces réformes, de préciser les questions qui pourraient rester en suspens et d’y apporter des pistes de réponse.

II.- Les états généraux du droit administratif peuvent aussi être un forum utile permettant de mieux prendre la mesure des évolutions du droit public et de la place de la justice administrative dans la société.

A.- Comme la justice administrative, les professions juridiques avec lesquelles celle-ci entretient des relations étroites sont directement concernées, et même au cœur des évolutions contemporaines du droit, du droit public en particulier.

1.- Parmi ces évolutions, celles qui résultent de la multiplication des normes issues de systèmes juridiques différents, que le juge administratif a pour responsabilité d’appliquer, sans les opposer entre elles mais en les conciliant, occupent à n’en pas douter une place importante. A côté de sa mission traditionnelle de juge de l’application de la loi et de la légalité des actes administratifs, le juge administratif est aussi juge de droit commun du droit de l’Union européenne et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Il est en outre, avec l’autorité judiciaire et le Conseil constitutionnel, chargé de l’application de la Constitution et il participe, depuis le 1er mars 2010, à la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, dont le bilan fera l’objet de la session plénière de ce matin. Toutes les juridictions et, notamment, les juridictions administratives sont au cœur de l’articulation entre eux de systèmes et d’ordres juridiques pluriels. Parmi de nombreuses autres, la décision d’assemblée Société Arcelor Atlantique et Lorraine [15] du 8 février 2007 a tranché la question de la relation entre le droit constitutionnel et le droit de l’Union comme, plus récemment, la décision Rujovic [16] du 14 mai 2010 a répondu à la question de la combinaison entre la priorité de la QPC et la primauté du droit de l’Union. Les professions du droit et, en particulier, les avocats, au travers des requêtes qu’ils présentent et des moyens qu’ils invoquent, jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre de cette fonction et de cette responsabilité de mise en cohérence qui incombe notamment au juge administratif. La décision de section du 10 avril 2008[17], rendue sur un recours d’ailleurs formé, avec d’autres requérants, par votre Conseil national des barreaux l’a manifesté avec éclat : il s’agissait de savoir si la transposition en droit interne de la deuxième directive sur la lutte contre le blanchiment respectait, non seulement le droit de l’Union, mais encore la Convention européenne des droits de l’homme. Devait-on opposer ces ordres juridiques entre eux ? Pouvait-on les concilier ? C’est bien sûr ce que nous nous sommes efforcés de faire. Il est donc nécessaire que la juridiction administrative et ses partenaires puissent échanger sur les multiples aspects de la conciliation d’ordres juridiques distincts, dès aujourd’hui, en raison de la nécessité d’accorder entre eux nos principes constitutionnels, les droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et ceux protégés par la Convention européenne des droits de l’homme, mais plus encore demain dans la perspective de l’adhésion prochaine de  l’Union européenne à cette convention. Je ne doute pas que les états généraux du droit administratif pourront à l’avenir constituer une enceinte propice qui permettra d’évoquer tous ces sujets et, notamment, la question de l’interprétation et de l’application cohérentes de droits fondamentaux matériellement identiques, consacrés dans notre ordre juridique interne et les ordres juridiques européens.

2.- Le thème du quatrième atelier consacré au droit de l’urbanisme et de l’environnement illustre lui aussi une autre évolution importante du droit public sur laquelle les états généraux ont vocation à permettre d’échanger : à savoir l’influence sur ce droit des dynamiques et des problématiques qui sont au cœur de la globalisation du droit. Celle-ci se traduit, bien sûr, par des évolutions constitutionnelles et législatives, mais elle est aussi relayée par le droit de l’Union et par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Comment, par exemple, mettre en œuvre dans la jurisprudence le développement durable, en conciliant la protection de la nature et le développement économique ? Qu’est-ce que la démocratie environnementale et quelles sont ses exigences? Autant de questions qui sont au cœur de ce nouveau droit public qu’est celui de l’environnement et que posent les modifications législatives induites par la loi dite Grenelle II[18]. Ces questions ne peuvent être pleinement débattues et discutées sans la conscience que ces évolutions s’inscrivent dans un contexte, non seulement national et européen, mais aussi global. Relèvent aussi des sujets d’intérêt commun à la juridiction administrative et aux professionnels du droit comme à l’Université ceux qui procèdent de la pleine appropriation, par le juge administratif, de la dimension économique du droit public. A l’évidence, cette dimension contemporaine du droit administratif peut susciter des questions et appeler des approfondissements et des explications : les règles de la concurrence relèvent-elles pleinement de l’intérêt général que le juge administratif a pour mission de prendre en compte et faire respecter ? Comment ce juge concilie-t-il leur application avec les autres intérêts dont l’administration a la charge ? Comment les professions du droit et la doctrine apprécient-elles la pertinence des décisions et la technicité de la juridiction administrative dans le domaine économique ? Ces questions majeures ne doivent pas non plus nous détourner d’une réflexion sur les enjeux, en particulier économiques, liés à la nécessaire simplification de ces branches du droit. Bien d’autres sujets pourraient aussi être abordés : ils ne manqueront pas de l’être lors de nos futures rencontres.

B.- Plus largement, à côté des évolutions du droit public, le forum que représentent les états généraux du droit administratif peut aussi être une chance pour mieux prendre la mesure de la place de la juridiction administrative dans la société.

1.- La justice administrative n’est pas, ou n’est plus, la « justice de salon »[19]  que stigmatisait en son temps avec affection Marcel Waline : au travers de plusieurs évolutions que j’ai évoquées – les référés notamment- mais aussi du fait des contentieux de masse qui sont aujourd’hui portés devant elle et auxquels elle a su s’adapter et faire face, la justice administrative est au cœur de nombreux débats et enjeux de société. Parmi ceux-ci, l’on peut penser, globalement, à la généralisation de l’usage du droit et du recours au juge comme mode de résolution des conflits, mais aussi, plus particulièrement, à des questions sociétales importantes : la question des retraites, celle du chômage, de l’immigration ou encore celle du droit au logement par exemple. La justice administrative en tire indéniablement une visibilité accrue et un rôle approfondi dans la garantie des droits et des libertés. Mais de cette évolution découle aussi une responsabilité qui suscite des questions nouvelles : comment concilier le droit fondamental de chaque justiciable de voir sa cause entendue individuellement et complètement par un juge, avec le caractère répétitif, voire sériel, des requêtes qui est le propre des contentieux de masse ? Comment assumer pleinement la responsabilité du jugement des contentieux de masse avec l’impérieux devoir de continuer à traiter, sans effet d’éviction trop flagrant, les autres contentieux dans des délais raisonnables et en conservant un haut niveau de qualité ?

2.- A ces questions, la juridiction administrative s’efforce continuellement d’apporter des réponses appropriées qui soient en adéquation avec une vision concrète du service qu’elle rend et des attentes des justiciables. La diversification progressive des formations de jugement, qui permet d’adapter les moyens mis en œuvre à la difficulté, à l’importance et à l’urgence de chaque affaire en est un exemple. La faculté ouverte au président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience ses conclusions sur une requête, eu égard à la nature des questions à juger, procède d’une démarche concrète analogue qui est de permettre au rapporteur public de se concentrer sur les dossiers dont le traitement appelle une analyse approfondie des éléments de fait et de droit, et de restaurer ainsi la plénitude de son office. La mise en œuvre de ces réformes, comme des réformes futures qui seront, le cas échéant, rendues nécessaires par l’évolution de la société, requiert un dialogue régulier et constant avec les justiciables et leurs représentants que sont les avocats, bref les praticiens de la juridiction administrative. Elle requiert aussi une évaluation périodique, qui prenne en considération l’avis de ces praticiens, afin de mieux mesurer la portée de ces réformes et leurs effets concrets et de répondre aux interrogations ou aux difficultés qu’elles peuvent susciter. Plusieurs questions en lien avec ces évolutions seront abordées aujourd’hui. Elles tiennent, par exemple, au renforcement des échanges entre la formation de jugement et les justiciables au cours des audiences publiques collégiales ou encore à la nécessité de veiller au respect des principes d’impartialité et d’égalité des armes, lorsque des questions sont, le cas échéant, posées aux parties en cours d’audience. D’autres sujets devront aussi être abordés à l’avenir : les évolutions de la procédure contentieuse qui résultent, par exemple, de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité[20] ouvrent, à n’en pas douter, d’importantes perspectives à cet égard.  

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Les états généraux du droit administratif ne se substituent pas aux échanges réguliers et féconds qu’entretient déjà la juridiction administrative avec l’ensemble de ses partenaires. Ils les complètent en offrant la perspective d’une rencontre annuelle avec les avocats, qui permette d’établir avec eux un bilan global des évolutions du droit et du contentieux administratifs, de faire le point sur les interrogations que peuvent susciter ces évolutions, d’y apporter des réponses ou de dégager de nouvelles pistes de réflexion. En somme, nous prêtons aujourd’hui, en cette Maison de la chimie, le serment de rassembler chaque année les juges administratifs, les avocats, les experts et l’Université pour contribuer à établir et à affermir sur des fondements solides la constitution de la justice administrative : nous confirmons ainsi ensemble que ces états généraux sont bien un écho, certes modeste mais essentiel, à leurs lointains ancêtres de 1789 et au serment qui fut prêté dans une autre salle, celle du Jeu de Paume…

Je remercie chaleureusement le Conseil national des barreaux en la personne de son président, le bâtonnier Thierry Wickers, ainsi que Maître Leca qui préside la commission de la formation de ce Conseil, pour l’organisation conjointe de cet événement auquel j’attache, vous l’avez compris, de l’importance. J’exprime également ma gratitude aux éditions Dalloz, en particulier à Mme Christine de Montecler, rédactrice en chef de l’Actualité juridique – Droit administratif, pour avoir accepté d’être les partenaires de ces états généraux. Je remercie également le secrétariat général du Conseil d’Etat et Mme Marie-Florence Bochard, directrice du Centre de formation de la juridiction administrative, pour l’importante contribution qu’ils ont apportée à leur organisation. Je remercie enfin chacun des intervenants qui ont accepté d’apporter leur concours et leurs lumières aux réflexions qui seront menées aujourd’hui. Je forme le vœu que les échanges de ce jour soient féconds et je souhaite aux états généraux du droit administratif une existence longue, riche et productive.

 

[1] Texte écrit en collaboration avec M. Timothée Paris, premier conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du Vice-président du Conseil d’Etat.

[2] Montesquieu, De l’esprit des lois,  Livre XI, Chapitre VI, « De la Constitution d’Angleterre », GF Flammarion, Paris, 1979 , p. 301.

[3] Décret du 2 septembre 1790, article 10 : « Les hommes de loi, ci-devant appelés avocats, ne devant former ni ordre ni corporation n’auront aucun costume particulier dans leurs fonctions ».

[4] Fournel, Histoire du barreau de Paris dans le cours de la Révolution, cité In J.-.P Royer et alii. Histoire de la justice en France, PUF, 4ème édition, 2010, p. 298. Voir également, dans le même sens, J. Delom de Mézerac, deuxième secrétaire de la Conférence, « Le barreau de Paris pendant la Révolution », discours prononcé le 15 novembre 1886, In La Conférence des avocats de Paris. Une école d’éloquence, Ordre des avocats au barreau de Paris, 2010, pp. 122-123.

[5] CE 4 avril 1914, Gomel, Lebon p. 488.

[6] CE 19 mai 1933, Benjamin et Syndicat d'initiative de Nevers, Lebon p. 541.

[7] CE ass. 28 mai 1971, ministre de l’équipement c/ Fédération de défense des personnes concernées par le projet dénommé « ville nouvelle est », Lebon p. 409.

[8] CE 27 juin 2007, Société Provalor, Lebon T. p. 696 : Le juge de plein contentieux, saisi d'une requête tendant à l'annulation d'une décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers prononçant à l'encontre d'une société une sanction pécuniaire sur le fondement des dispositions de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, contrôle la proportionnalité de la sanction aux manquements reprochés. Voir également CE sect. 6 juin 2008, Société Tradition Securities and Futures</INT>, Lebon p. 189 avec les conclusions de M. Guyomar.

[9] Par exemple, pour apprécier l’existence d’une concentration (CE sect., 31 mai 2000, Société Cora et Société Casino – Guichard Perrachon Lebon. p. 194 avec les conclusions de F. Lamy), déterminer les marché pertinents (CE sect. 6 octobre 2000, Société Pernod-Ricard, Lebon p. 397 ; sect. 6 février 2004, Société Royal Philips Electronics Lebon p. 28 avec les conclusions de E. Glaser ; 13 février 2006 Société de Longhi SPA et Société de Longhi France Lebon. p. 70), mesurer les effets anticoncurrentiels d’une concentration (CE sect. 9 avril 1999, Société The Coca-Cola Company Lebon p. 119 ; sect. 6 février 2004, Société Royal Philips Electronics précité ; 13 février 2006 Société de Longhi SPA et Société de Longhi France précité.) ou sa contribution au progrès économique et social (CE sect. 6 octobre 2010, Société Pernod-Ricard précité) ou pour apprécier le caractère suffisant des engagements pris pour prévenir les atteintes à la concurrence (CE sect. 9 avril 1999, Société The Coca-Cola Company précité).

[10] CE ass. 14 décembre 2007, Garde des Sceaux, ministre de la justice c/ Boussouar</INT>, Lebon p. 476, Avec les conclusions de M. Guyomar ; CE ass. 14 décembre 2007, Planchenault, Lebon p. 474 avec les conclusions de M. Guyomar ; CE ass. 14 décembre 2007, Payet, Lebon p. 498.

[11] CE ass. 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation</INT>, Lebon p. 360 avec les conclusions de D. Casas.

[12] CE ass. 16 février 2009, Société Atom, Lebon p. 25 avec les conclusions de C. Legras.

[13] Décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions.

[14] Décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives.

[15] CE ass. 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique Lorraine et autres, Lebon p. 55.

[16] Cette décision a été rendue deux jours après celle du Conseil constitutionnel du 12 mai sur le même sujet (décision n°2010-605 DC, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne) et 40 jours avant que la Cour de justice de l’Union n’apporte sa réponse le 22 juin dans l’affaire Melki et Abeli (CJUE gr. ch. 22 juin 2010, Aziz Melki et Selim Abdeli, affaires C‑188/10 et C‑189/10) à la suite d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation. Elle est cohérente avec ces deux jurisprudences.

[17] CE sect. 10 avril 2008, Conseil national des barreaux et autres et Conseil des barreaux européens</INT>, Lebon p. 129 avec les conclusions de M. Guyomar.

[18] Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

[19] M. Waline, Situation actuelle du droit administratif en France, JCP 1957 II. 4-10

[20] Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.