Lettre de la justice administrative n° 51

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À la Une de la Lettre de la justice administrative n° 51 : la troisième édition du Guide de légistique.

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CONTENTIEUX

Étrangers

Le Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles une décision d’extradition d’une personne à l’État qui la réclame peut être prise après qu’un arrêt de la Cour EDH a constaté que l’exécution d’une première décision d’extradition de cette personne emporterait violation de l’une des stipulations de la convention.
CE, Section, 22 décembre 2017, M. A., n° 408811, A.

Les autorités marocaines ont demandé l’extradition de M. A., ressortissant marocain, pour l’exécution d’un mandat d’arrêt décerné le 21 décembre 2009 par le procureur général du roi près la cour d’appel de Rabat, pour des faits de constitution de bande criminelle pour préparer et commettre des actes terroristes dans le cadre d’une entreprise collective visant à porter gravement atteinte à l’ordre public, incitation d’autrui à perpétrer des actes terroristes et prestation d’assistance à auteur d’actes terroristes. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz, dont l’avis est exigé par les dispositions des articles 696-15 et 696-17 du code de procédure pénale, a émis un avis favorable et le Premier ministre a accordé l’extradition demandée par décret. M. A. a formé un recours pour excès de pouvoir contre ce décret qui a été rejeté par une décision du Conseil d’État, statuant au contentieux en date du 22 mai 2012. Par un arrêt du 30 mai 2013, la Cour EDH a toutefois jugé que la mise à exécution de la décision de renvoyer l’intéressé vers le Maroc emporterait violation de l’article 3 de la convention EDH. Ultérieurement, par note verbale du 26 décembre 2016 transmise par voie diplomatique, le gouvernement du Royaume du Maroc a assuré les autorités françaises des droits et garanties dont bénéficierait M. A. quant à son jugement au Maroc et aux conditions de son éventuelle détention. Dans ces conditions, le Premier ministre a accordé à nouveau l’extradition de M. A. aux autorités marocaines, sous réserve du respect des garanties données, décret à nouveau contesté devant le Conseil d’État.

Par sa décision de section du 22 décembre 2017, le Conseil d’État rappelle qu’au regard de l’article 46 de la Convention EDH, la complète exécution d’un arrêt de la Cour EDH condamnant un État partie à la convention implique, en principe, que cet État prenne toutes les mesures qu’appellent, d’une part, la réparation des conséquences que la violation de la convention a entraînées pour le requérant et, d’autre part, la disparition de la source de cette violation. Le juge administratif précise qu’eu égard à la nature essentiellement déclaratoire des arrêts de la Cour, il appartient à l’État condamné de déterminer les moyens de s’acquitter de l’obligation qui lui incombe. L’autorité qui s’attache aux arrêts de la Cour implique en conséquence non seulement que l’État verse à l’intéressé les sommes que lui a, le cas échéant, allouées la Cour au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41 de la convention mais aussi qu’il adopte les mesures individuelles et, le cas échéant, générales nécessaires pour mettre un terme à la violation constatée.

Le Conseil d’État en déduit que lorsque la Cour EDH a constaté par un arrêt que la mise à exécution d’un décret accordant l’extradition d’une personne à l’État qui la réclame emporterait violation de l’une des stipulations de la convention, l’exécution de cet arrêt implique qu’il ne puisse être procédé à l’extradition de la personne sur le fondement de ce décret. Il juge que si un tel arrêt de la Cour ne fait pas obstacle à ce que soit ultérieurement reprise une décision d’extradition à l’égard de la même personne, au vu d’éléments nouveaux de nature à satisfaire aux exigences de la convention et, en particulier, de garanties apportées par l’État requérant, une telle décision doit alors prendre la forme d’un nouveau décret et suppose que la chambre de l’instruction, préalablement saisie de ces éléments nouveaux, ait été consultée à nouveau et n’ait pas repoussé la demande d’extradition.

Constatant qu’en l’espèce, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz n’avait pas été saisie de tels éléments nouveaux et n’avait pas été invitée à rendre un nouvel avis sur la demande d’extradition, le Conseil d’État juge que le nouveau décret d’extradition est entaché d’excès de pouvoir dans la mesure où il a été pris au terme d’une procédure irrégulière privant le destinataire de la décision d’une garantie.

> Lien vers la décision n° 408811

 

Urbanisme

Le Conseil d’État précise les conditions d’entrée en vigueur et d'application de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme, notamment en appel. Il juge en outre que des éléments postérieurs à l’acte en litige peuvent être pris en compte pour apprécier la jurisprudence Danthony s'agissant de vices de forme ou de procédure.
CE, Section, 22 décembre 2017, Commune de Sempy, n° 395963, A.

Par la décision Commune de Sempy, le Conseil d'État précise, d'une part, la portée et les conditions de maniement de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, qui permet au juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un document local d'urbanisme, de surseoir à statuer dans l'attente d'une régularisation des illégalités entachant l'élaboration ou la révision de ce document, d'autre part, l'articulation de ce mécanisme de régularisation avec la jurisprudence « Danthony », selon laquelle seuls les vices de forme ou de procédure ayant privés les intéressés d'une garantie ou de nature à exercer une influence sur le sens de la décision en litige sont susceptible de conduire à son annulation.

L'article L. 600-9 du code de l'urbanisme a pour objet de permettre, sous le contrôle du juge, la régularisation d'un vice ayant entaché l'élaboration ou la révision d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme ou d'une carte communale, sous certaines réserves, dès lors qu'aucun autre moyen n'est susceptible d'entraîner l'annulation de l'acte attaqué. Lorsque le juge estime qu'une telle régularisation est possible, il peut, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, après avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le principe de l'application de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, constater, par une décision avant-dire droit, que les autres moyens ne sont pas fondés et surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour permettre, selon les modalités qu'il détermine, la régularisation du vice qu'il a relevé.

Le Conseil d'État juge tout d'abord que l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme est d’application immédiate aux instances en cours. Des actes antérieurs à l'entrée en vigueur de cet article sont donc susceptibles d'en bénéficier. En outre, le juge peut mettre en œuvre les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme pour la première fois en appel, alors même que le document d'urbanisme en cause a été annulé par les premiers juges et qu'aucune des parties n'avait demandé le bénéfice de ces dispositions. Le Conseil d'État admet ensuite que des éléments spontanément transmis par l'administration soient pris en compte par le juge. Dans un tel cas, le juge n'est pas tenu de surseoir à statuer mais doit inviter les parties à présenter leurs observations sur la possibilité que ces éléments permettent une régularisation. Le Conseil d’État précise enfin qu'égard à l'objet et à la portée de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, il appartient à l'autorité compétente de régulariser le vice de forme ou de procédure affectant la décision attaquée en faisant application des dispositions en vigueur à la date à laquelle cette décision a été prise.

En ce qui concerne la combinaison de ce mécanisme de régularisation avec la jurisprudence « Danthony », le Conseil d'État précise que peuvent faire l'objet d'une régularisation devant le juge, sur le fondement de cet article, les vices de forme ou de procédure affectant un document d'urbanisme de nature à entacher d'illégalité ce document, c'est-à-dire ceux qui ont été susceptibles d'exercer une influence sur son sens ou qui ont privé les intéressés d'une garantie et qui pourraient donc conduire, en l'absence de régularisation, à une annulation. Il admet en outre que, pour apprécier si les vices de formes ou de procédures ont été ou non susceptibles d'exercer une influence sur le sens de la décision, le juge prenne en compte les éléments postérieurs à l'acte attaqué qui lui sont présentés dans le cadre du mécanisme de régularisation prévu par l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme. 

> Lien vers la décision n° 395963