La législation européenne et sa mise en œuvre pour garantir à chacun le droit de respirer un air sain

Par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État
Discours
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Introduction du colloque de l'Académie de droit européen (ERA) le 19 mai 2017 par Jean-Marc Sauvé

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Colloque de l’Académie de droit européen (ERA)

La législation européenne et sa mise en œuvre pour garantir à chacun le droit de respirer un air sain

Conseil d’État, Vendredi 19 mai 2017

Introduction de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous recevoir aujourd’hui pour ce colloque que l’Académie de droit européen organise au Palais-Royal sur le droit de chacun à respirer un air sain. Je remercie vivement cette académie pour son engagement sur cette grande question de société. Outre que ce sujet est d’ores et déjà une source de préoccupation majeure pour les citoyens européens et, en particulier, les habitants des grandes agglomérations, le premier semestre de l’année 2017 a été marqué par une actualité abondante en la matière. La France en sait d’ailleurs quelque chose, puisque la Commission européenne l’a mise en garde, par un avis motivé du 15 février dernier, en raison d’infractions répétées en matière de pollution atmosphérique au dioxyde d’azote, notamment dans les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille[2]. La pollution atmosphérique n’est certes pas un problème ignoré des pouvoirs publics français et européens, régulièrement alertés sur les risques que la mauvaise qualité de l’air fait peser sur la santé des personnes. Mais la lutte contre cette pollution doit être approfondie pour améliorer effectivement la qualité de l’air que nous respirons et réduire les incidences néfastes d’un air vicié sur la santé humaine.

I - Eu égard aux effets négatifs qu’elle provoque (A), la pollution atmosphérique fait l’objet d’un traitement spécifique au niveau européen (B).

A - La mauvaise qualité de l’air est en effet à l’origine d’un véritable problème de santé publique, dont l’impact économique n’est pas encore clairement évalué.

De très nombreuses maladies respiratoires ou cardio-vasculaires ainsi que 3 millions de décès prématurés par an dans le monde sont imputables, selon l’Organisation mondiale de la santé[3], à la pollution atmosphérique. Plus de 400 000 citoyens européens décèdent chaque année de ses effets[4]. Ces chiffres traduisent l’ampleur du problème de santé publique auquel nous sommes confrontés et que la Cour européenne des droits de l’homme rattache au droit au respect de la vie privée des personnes[5]. Ce problème de santé publique se double de conséquences économiques et financières significatives. Ainsi, la seule prise en charge des maladies provoquées par la pollution de l’air représente entre 1 et 2 milliards d’euros en France en 2015[6], tandis que la Commission européenne évalue les coûts externes totaux entre 330 et 940 milliards d’euros par an pour l’Union européenne[7]. Ces chiffres sont d’ailleurs probablement sous-estimés. Car le lien entre les symptômes des individus et la pollution de l’air n’est pas toujours mis en évidence et l’appréciation du nombre de pathologies imputables à la mauvaise qualité de l’air doit s’opérer sur le long terme, dans la mesure où ces pathologies résultent le plus souvent d’une exposition quotidienne et prolongée à la pollution.

B - Les États membres et le législateur européen se sont par conséquent engagés à lutter contre cette pollution.

Plusieurs États européens ont, au niveau national, instauré des dispositifs de surveillance et de lutte contre la pollution atmosphérique[8]. Mais l’Union européenne a joué un rôle moteur dans l’essor d’une politique ambitieuse dans ce domaine[9]. La directive du 21 mai 2008 a ainsi remplacé cinq actes européens préexistants dans le souci d’offrir un cadre unique et clair à la lutte contre la pollution atmosphérique dans l’Union européenne[10]. Elle détermine notamment des objectifs relatifs à la qualité de l’air, à son évaluation, mais aussi la préservation, voire l’amélioration de la qualité de l’air dans le cadre d’une coopération accrue entre États[11]. Elle fixe ainsi des valeurs-limites pour certains polluants nocifs, qui devaient être respectées au 1er janvier 2010 ou, en cas de report autorisé par la Commission et à condition d’avoir établi un plan relatif à la qualité de l’air[12], au 1er janvier 2015. C’est dans ce cadre que la Commission a ouvert une procédure d’infraction contre la France en mai 2011, cette dernière n’ayant pas respecté ces obligations qui sont, s’agissant de certains polluants tels que le dioxyde d’azote, des obligations de résultat[13]. Le 5 février dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a pour la première fois condamné un État membre, la Bulgarie, pour manquement à ces obligations en raison de dépassements systématiques et persistants des valeurs limites applicables aux concentrations de particules fines et cela, en dépit de l’instauration de plans relatifs à la qualité de l’air[14].

II - Pour faire respecter le droit à un air sain, il faut par conséquent approfondir les dispositifs existants et les ambitions des politiques engagées dans ce domaine.

A - Plusieurs dispositifs ont eu des effets positifs sur la qualité de l’air.

En France, la Cour des comptes a notamment souligné l’efficacité des dispositifs de surveillance de la pollution de l’air[15]. Ces procédés, qui permettent de disposer d’une information fiable et pertinente, doivent, par conséquent, être conservés, mais aussi être renforcés. S’agissant du secteur industriel, des efforts considérables ont été consentis avec des résultats satisfaisants, puisque les mesures prises ont permis de parvenir à une importante baisse des rejets de polluants industriels. Le secteur des transports, largement ciblé par les politiques de lutte contre la pollution atmosphérique, est également parvenu à faire baisser les émissions de rejets polluants. Les politiques de réduction de la vitesse à proximité de zones polluées, mais surtout l’évolution des techniques de construction automobile et le recours aux meilleures techniques disponibles avec un contrôle de plus en plus sévère ont favorisé une réduction des émissions indésirables de ce secteur qui demeure l’un des plus polluants. Ces progrès qui ne sont pas allés sans fraudes, ni tentatives de fraude demeurent néanmoins insuffisants. Au niveau de l’Union européenne, la combinaison de dispositions législatives contraignantes et d’objectifs chiffrés a au total permis de réduire les émissions de polluants, mais pas assez pour réduire de manière satisfaisante les incidences négatives sur la santé[16].

B -Les efforts doivent par conséquent être poursuivis.

Les politiques actuelles présentent certaines limites en raison, notamment, du nombre très élevé à la fois d’émetteurs de produits polluants - véhicules routiers, exploitations agricoles, industrie, chauffages individuels… - et d’acteurs chargés de la lutte contre la pollution. Au total, la Commission européenne a ainsi relevé que les normes de la qualité de l’air fixées par la directive de 2008 continuent à être dépassées dans 23 des 28 États membres[17]. Une nouvelle directive du 14 décembre 2016 a fixé de nouvelles normes plus strictes pour l’émission des polluants les plus dangereux[18]. Elle vise notamment à réduire de 50 % le nombre des décès prématurés imputables à la pollution atmosphérique d’ici 2030[19] en assignant des objectifs chiffrés de réduction de l’émission de ces polluants par rapport aux références de l’année 2005[20]. L’accent doit aussi être mis sur certains secteurs jusqu’à présent peu associés à la lutte contre la pollution atmosphérique : le secteur tertiaire et le secteur résidentiel, en particulier le chauffage domestique qui constitue l’une des sources principale d’émission de dioxyde d’azote[21]. Des dispositifs incitatifs et non-réglementaires de droit souple pourraient aussi être instaurés pour promouvoir un changement des comportements à tous les niveaux et, notamment, à celui des particuliers. La réduction de la circulation automobile doit, par exemple, être poursuivie et le recours à des carburants et des modes de transport moins polluants doit être encouragé[22].

 

La mauvaise qualité de l’air est un problème de santé publique majeur, qui pèse et pèsera sur le développement économique et social et sur l’équilibre et la soutenabilité de l’environnement de nos pays. Ce sujet ne saurait, par conséquent, être livré aux intuitions discontinues ou erratiques de quelques décideurs publics ou privés. Chacun d’entre eux a une responsabilité individuelle, mais aussi collective dans ce domaine : le législateur, les gouvernements des États membres, l’Union européenne, les systèmes judiciaires, mais aussi les citoyens et les entreprises. Les débats d’aujourd’hui permettront de revenir sur ces questions et je vous remercie d’être venus nombreux participer à ce colloque. Je cède immédiatement la parole au représentant de l’Académie de droit européen, organisatrice de cet événement que le Conseil d’État de France est très heureux d’accueillir.

 

[1]Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2] Communiqué de presse de la Commission européenne du 15 février 2017, accessible à < http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-238_fr.htm?locale=FR> (02.05.2017).

[3] Organisation mondiale de la santé, Ambient Air Pollution : a Global Assessment of Exposure and Burden of Disease, 2016, p. 15 et 41, accessible à <http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/250141/1/9789241511353-eng.pdf?ua=1> (02.05.2017).

[4] Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Programme « Air Pur pour l’Europe », COM(2013) 918, p. 6, accessible à http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0918:FIN:FR:PDF (02.05.2017).

[5] CEDH, 9 décembre 1994, López Ostra, aff. n° 16798/90, pt. 51 ; CEDH, 9 juin 2005, Fadeïeva c. Russie, aff. n° 55723/00, pt. 69.

[6] Rapport de la Cour des comptes, Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, Décembre 2015, p. 28. Les auteurs reconnaissent que ce chiffre est probablement minoré.

[7] Rapport de l’Agence européenne pour l’environnement, Air Quality in Europe – 2016 Report, p. 12, accessible à <https://www.eea.europa.eu/publications/air-quality-in-europe-2016>, (02.05.2017). Chiffre donné pour l’année 2010.

[8] Par exemple, la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie est la loi fondatrice de la politique de lutte contre la pollution atmosphérique en France. Son article 1er affirme notamment le droit de « chacun à respirer un air sain qui ne nuise pas à sa santé ». Les lois dites Grenelle I et Grenelle II de 2009 et 2010 ont aussi introduit des dispositifs relatifs à la qualité de l’air : plans nationaux santé-environnement, schémas régionaux climat-air-énergie et l’écotaxe poids-lourds, même si tous n’ont pas été suivis d’effet.

[9] Rapport de la Cour des comptes, Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, décembre 2015.

[10] Directive 2008/50/CE du Parlement européenne et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe.

[11] Article 1er de la directive 2008/50/CE du Parlement européenne et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe.

[12] Article 21 de la directive 2008/50/CE du Parlement européenne et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe.

[13] CJUE, 19 novembre 2014, Client Earth, aff. C-404/13, pts. 30 et 31.

[14] CJUE, 5 avril 2017, Commission européenne c. République de Bulgarie, aff. C-488/15.

[15] Rapport de la Cour des comptes, Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, décembre 2015, p. 36.

[16] Rapport de l’Agence européenne pour l’environnement, Air Quality in Europe – 2016 Report, accessible à <https://www.eea.europa.eu/publications/air-quality-in-europe-2016>, (02.05.2017).

[17] Rapport de l’Agence européenne pour l’environnement, Air Quality in Europe – 2016 Report, accessible à <https://www.eea.europa.eu/publications/air-quality-in-europe-2016>, (02.05.2017).

[18] Directive (UE) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques, modifiant la directive 2003/35/CE et abrogeant la directive 2001/81/CE. Les polluants visés sont le dioxyde de soufre, les oxydes d’azote, les composés organiques volatils non méthaniques, l’ammoniac et les particules fines.

[19] Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Programme « Air Pur pour l’Europe », COM(2013) 918, p. 7, accessible à http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0918:FIN:FR:PDF (02.05.2017).

[20] Annexe II de la directive (UE) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques, modifiant la directive 2003/35/CE et abrogeant la directive 2001/81/CE.

[21] Rapport de la Cour des comptes, Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, décembre 2015, p. 93 et suivantes.

[22]Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Programme « Air Pur pour l’Europe », COM(2013) 918, p. 4, accessible à http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0918:FIN:FR:PDF (02.05.2017).