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Ariane Web: Conseil d'État 440703, lecture du 28 septembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:440703.20200928

Décision n° 440703
28 septembre 2020
Conseil d'État

N° 440703
ECLI:FR:CECHR:2020:440703.20200928
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Aurélien Caron, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP MELKA - PRIGENT ; SCP BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, SEBAGH, avocats


Lecture du lundi 28 septembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A..., à l'appui de sa demande tendant à l'annulation ou à défaut à la résiliation de l'avenant n° 8 du 6 décembre 2019 au contrat de concession de la distribution publique d'énergie électrique conclu entre la Métropole européenne de Lille (MEL), d'une part, et les sociétés Enedis et Electricité de France (EDF), de l'autre, a produit deux mémoires, enregistrés les 10 février et 11 mai 2020 au greffe du tribunal administratif de Lille, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par lesquels il soulève une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 111-52, L. 111-54 du code de l'énergie, du premier alinéa du II de l'article L. 121-4 et des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 121-5 du même code, ainsi que du I de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales.

Par une ordonnance n° 2000977 QPC du 19 mai 2020, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Lille a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 111-52, L. 111-54, du premier alinéa du II de l'article L. 121-4 et des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 121-5 du code de l'énergie, ainsi que du I de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité ainsi transmise et dans deux nouveaux mémoires, enregistrés les 7 juillet et 7 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... soutient que les dispositions combinées de ces articles méconnaissent les principes de libre administration des collectivités territoriales ainsi que les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par l'article 72 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dès lors qu'aucun motif d'intérêt général suffisant ne justifie de priver les collectivités qui ont la qualité d'autorités organisatrices de la distribution d'électricité de la liberté d'exercer la gestion de ce service public en régie dans les zones où les sociétés Enedis et EDF assurent, en qualité de concessionnaires, les missions de distribution et de fourniture d'énergie électrique en application de la loi.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'énergie ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de M. A..., à la SCP Melka - Prigent, avocat du Métropole européenne de Lille et à la SCP Piwnica, Molinié ;


Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 111-52 du code de l'énergie : " Les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité sont, dans leurs zones de desserte exclusives respectives : / 1° La société gestionnaire des réseaux publics de distribution issue de la séparation entre les activités de gestion de réseau public de distribution et les activités de production ou de fourniture exercées par Electricité de France en application de l'article L. 111-57 ; / 2° Les entreprises locales de distribution définies à l'article L. 111-54 ou les entreprises locales de distribution issues de la séparation entre leurs activités de gestion de réseau public de distribution et leurs activités de production ou de fourniture, en application de l'article L. 111-57 ou de l'article L. 111-58 ; / (...) ". L'article L. 111-54 de ce code précise que : " Sont des "entreprises locales de distribution" les sociétés d'économie mixte dans lesquelles l'Etat ou les collectivités locales détiennent la majorité du capital, les coopératives d'usagers et les sociétés d'intérêt collectif agricole concessionnaires de gaz ou d'électricité, ainsi que les régies constituées par les collectivités locales, existant au 9 avril 1946 et dont l'autonomie a été maintenue après cette date. Ces organismes doivent, pour demeurer de droit des gestionnaires de réseaux de distribution dans leur zone de desserte, conserver leur appartenance au secteur public ou coopératif, quelle que soit leur forme juridique ou leur nature coopérative. ". Aux termes du premier alinéa du II de l'article L. 121-4 du même code : " Sont chargées de [la mission de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité], conformément à leurs compétences respectives, Electricité de France pour les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, la société gestionnaire de réseaux publics de distribution issue de la séparation des activités d'Electricité de France en application de l'article L. 111-57, la société gestionnaire du réseau public de transport, les entreprises locales de distribution définies à l'article L. 111-54 et les autorités organisatrices de la distribution publique d'électricité. Elles accomplissent cette mission conformément aux dispositions du présent code relatives au transport et à la distribution d'électricité ainsi qu'au raccordement aux réseaux et, s'agissant des réseaux publics de distribution, à celles des cahiers des charges des concessions ou des règlements de service des régies mentionnés au II de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales. (...) ". Les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 121-5 du même code prévoient par ailleurs que " [la mission de fourniture d'électricité] incombe à Electricité de France ainsi que, dans leur zone de desserte, aux entreprises locales de distribution chargées de la fourniture. Elles l'accomplissent, pour les clients raccordés aux réseaux de distribution, conformément aux dispositions des cahiers des charges de concession ou des règlements de service des régies mentionnés au II de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales. / Les autorités organisatrices de la distribution publique d'électricité mentionnées à l'article L. 121-4 sont les autorités organisatrices du service public de la fourniture d'électricité aux clients raccordés à un réseau de distribution qui bénéficient des tarifs réglementés de vente mentionnés à l'article L. 337-1. ". Enfin, aux termes du I de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales : " Sans préjudice des dispositions de l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération, en tant qu'autorités concédantes de la distribution publique d'électricité et de gaz en application de l'article 6 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de l'article 36 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, négocient et concluent les contrats de concession, et exercent le contrôle du bon accomplissement des missions de service public fixées, pour ce qui concerne les autorités concédantes, par les cahiers des charges de ces concessions. / (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions combinées que, dans les zones de desserte exclusive qui sont attribuées par la loi, pour la mission de distribution d'énergie électrique, à la société Enedis, et pour la mission de fourniture d'électricité aux tarifs réglementés de vente, à EDF, les collectivités territoriales ou leurs groupements concluent avec ces sociétés, en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'électricité, des contrats de concession pour la fourniture de ces services. Par suite, les collectivités et groupements concernés ne disposent pas, dans ces zones, de la faculté de gérer directement ces services au moyen d'une régie locale prenant la forme d'une entreprise locale de distribution (ELD).

4. En premier lieu, l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. En vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, " dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus ". Si le législateur peut, sur le fondement de ces dispositions, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, ou les soumettre à des interdictions, c'est à la condition, notamment, que les unes et les autres répondent à des fins d'intérêt général.

5. M. A... soutient que l'interdiction opposée aux autorités organisatrices de la distribution d'électricité d'opérer une gestion en régie des services de distribution et de fourniture d'électricité aux tarifs réglementés, dès lors qu'elles se situent sur le territoire de la zone de desserte exclusive des sociétés Enedis et EDF, ne répond pas à un objectif d'intérêt général. Toutefois, cette limitation de la libre administration des collectivités territoriales trouve sa justification dans la nécessité d'assurer la cohérence du réseau des concessions actuellement géré par les sociétés Enedis et EDF et de maintenir la péréquation des tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution.

6. En second lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

7. M. A... soutient que les dispositions attaquées instituent une différence de traitement entre les autorités organisatrices de la distribution d'électricité selon qu'elles se situent dans la zone de desserte exclusive des sociétés Enedis et EDF, ou dans celle d'une ELD. Toutefois, cette différence de traitement résulte de la différence de situation dans laquelle les collectivités concernées se trouvaient à la date de la nationalisation des concessionnaires historiques de ces services. En préservant les zones de desserte exclusives de ces opérateurs, notamment par l'interdiction d'y créer de nouvelles ELD, le législateur a entendu poursuivre les fins d'intérêt général exposées au point 5 ci-dessus. Par suite, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte injustifiée au principe d'égalité issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre de l'intérieur, à la ministre de la transition écologique, à la Métropole européenne de Lille et aux sociétés Enedis et EDF.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.