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Ariane Web: Conseil d'État 467213, lecture du 4 août 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:467213.20230804

Décision n° 467213
4 août 2023
Conseil d'État

N° 467213
ECLI:FR:CECHR:2023:467213.20230804
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Hortense Naudascher, rapporteur
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP THOMAS-RAQUIN, LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER, avocats


Lecture du vendredi 4 août 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B... A... et le Conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Vendée ont saisi la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes des Pays-de-la-Loire d'une plainte à l'encontre de M. C... D..., masseur-kinésithérapeute aux Sables d'Olonne. Par une décision n° 07.06.2020 et 08.07.2020 du 9 décembre 2020, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. D... la sanction de l'avertissement.

Par une décision du 4 juillet 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a, sur appel du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, annulé cette décision et infligé à M. D... la sanction de l'interdiction temporaire d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute pendant une durée d'un mois, assortie du sursis.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux autres mémoires, enregistrés les 1er septembre et 1er décembre 2022, 1er juin et 6 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
- le décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de M. D....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... D..., masseur-kinésithérapeute également titulaire du titre d'ostéopathe, a reçu en juillet 2018 Mme A... afin de traiter ses difficultés à concevoir par des manipulations ostéopathiques visant à améliorer la mobilité de l'utérus. Après des manipulations externes et une séance d'hypnose, il a réalisé sur sa patiente un geste de toucher vaginal à l'origine d'une douleur qui l'a conduite à demander à ce qu'il y mette fin immédiatement. Se plaignant de brûlures dans le vagin, d'une incapacité prolongée à avoir des rapports sexuels et d'un traumatisme psychologique, Mme A... a saisi le conseil départemental des Pays-de-la-Loire de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes, qui a transmis sa plainte contre M. D... à la chambre disciplinaire de première instance de cet ordre, en formant une autre plainte à l'encontre du même praticien. Par une décision du 9 décembre 2020, la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes des Pays-de-la-Loire a infligé à M. D... la sanction de l'avertissement. Le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes se pourvoit en cassation contre la décision du 4 juillet 2022 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, saisie de son appel et de celui du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Vendée, a infligé à M. D... la sanction de l'interdiction temporaire d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute pendant une durée d'un mois, assortie du sursis.

Sur les fins de non-recevoir opposées par M. D... :

2. En premier lieu, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a intérêt à se pourvoir en cassation contre une sanction qu'il estime insuffisante, quels que soient les termes de l'appel qu'il avait formé. M. D... n'est par suite pas fondé à soutenir que ce conseil national est dépourvu d'intérêt à agir contre la décision attaquée.

3. En second lieu, la circonstance que M. D..., qui a commis les faits reprochés alors qu'il était inscrit au tableau de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, ait été à sa demande radié de ce tableau à compter du 1er octobre 2020, n'est pas de nature à retirer leurs compétences aux juridictions ordinales et ainsi à priver d'objet le présent pourvoi.

Sur le cadre juridique :

4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 4321-1 du code de la santé publique : " La pratique de la masso-kinésithérapie comporte la promotion de la santé, la prévention, le diagnostic kinésithérapique et le traitement : / 1° Des troubles du mouvement ou de la motricité de la personne ; / 2° Des déficiences ou des altérations des capacités fonctionnelles. (...) Dans l'exercice de son art, seul le masseur-kinésithérapeute est habilité à utiliser les savoirs disciplinaires et les savoir-faire associés d'éducation et de rééducation en masso-kinésithérapie qu'il estime les plus adaptés à la situation et à la personne, dans le respect du code de déontologie précité. / La définition des actes professionnels de masso-kinésithérapie, dont les actes médicaux prescrits par un médecin, est précisée par un décret en Conseil d'Etat, après avis de l'Académie nationale de médecine. Lorsqu'il agit dans un but thérapeutique, le masseur-kinésithérapeute pratique son art sur prescription médicale (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 4321-1 du même code : " La masso-kinésithérapie consiste en des actes réalisés de façon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation, qui ont pour but de prévenir l'altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu'elles sont altérées, de les rétablir ou d'y suppléer ". Aux termes de l'article R. 4321-3 de ce même code : " On entend par massage toute manoeuvre externe, réalisée sur les tissus, dans un but thérapeutique ou non, de façon manuelle ou par l'intermédiaire d'appareils autres que les appareils d'électrothérapie, avec ou sans l'aide de produits, qui comporte une mobilisation ou une stimulation méthodique, mécanique ou réflexe de ces tissus ". Aux termes de l'article R. 4321-4 : " On entend par gymnastique médicale la réalisation et la surveillance des actes à visée de rééducation neuromusculaire, corrective ou compensatrice, effectués dans un but thérapeutique ou préventif afin d'éviter la survenue ou l'aggravation d'une affection. Le masseur-kinésithérapeute utilise à cette fin des postures et des actes de mobilisation articulaire passive, active, active aidée ou contre résistance, à l'exception des techniques ergothérapiques ". Au nombre des traitements de rééducation concernant des séquelles auxquels le masseur kinésithérapeute est habilité à participer sur prescription médicale énumérés par l'article R. 4321-5 figure " 2° (...) c) [la] rééducation périnéo-sphinctérienne dans les domaines urologique, gynécologique et proctologique, y compris du post-partum à compter du quatre-vingt-dixième jour après l'accouchement ".

6. Si ces dispositions ne soumettent l'exercice de son art par le masseur kinésithérapeute à une prescription médicale que lorsqu'il agit dans un but thérapeutique, elles renvoient à un décret en Conseil d'Etat la définition de l'ensemble des actes professionnels de masso-kinésithérapie, et non seulement des actes médicaux prescrits par un médecin. Or, il ne résulte d'aucune des dispositions du code de la santé publique énumérant les actes professionnels de masso-kinésithérapie citées ci-dessus qu'un masseur kinésithérapeute soit habilité à pratiquer sur ses patientes, hors prescription médicale, et quelle que soit la finalité qu'il lui assigne, un geste de toucher pelvien, qui ne constitue notamment ni une manoeuvre externe constitutive d'un acte de massage ni un acte de gymnastique médicale.

7. En second lieu, aux termes de l'article 75 de loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé : " L'usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur est réservé aux personnes titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation spécifique à l'ostéopathie ou à la chiropraxie délivrée par un établissement de formation agréé par le ministre chargé de la santé dans des conditions fixées par décret. (...) Un décret établit la liste des actes que les praticiens justifiant du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur sont autorisés à effectuer, ainsi que les conditions dans lesquelles il sont appelés à les accomplir ". Aux termes de l'article 1er du décret du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de l'ostéopathie : " Les praticiens justifiant d'un titre d'ostéopathe sont autorisés à pratiquer des manipulations ayant pour seul but de prévenir ou de remédier à des troubles fonctionnels du corps humain, à l'exclusion des pathologies organiques qui nécessitent une intervention thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par agents physiques ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " I. - Le praticien justifiant d'un titre d'ostéopathe ne peut effectuer les actes suivants : 1° Manipulations gynéco-obstétricales ; / 2° Touchers pelviens. (...) III. - Les dispositions prévues aux I et au II du présent article ne sont pas applicables aux médecins ni aux autres professionnels de santé lorsqu'ils sont habilités à réaliser ces actes dans le cadre de l'exercice de leur profession de santé et dans le respect des dispositions relatives à leur exercice professionnel ". Il résulte de ces dispositions, qui interdisent aux praticiens justifiant d'un titre d'ostéopathe d'effectuer des touchers pelviens, qu'un masseur-kinésithérapeute qui justifie du titre d'ostéopathe n'est autorisé à pratiquer un geste de toucher pelvien que lorsqu'il est habilité à réaliser cet acte dans l'exercice de sa profession de masseur-kinésithérapeute et dans le respect des dispositions relatives à son exercice professionnel à ce titre. Il relève à cet égard du contrôle de la juridiction disciplinaire des masseurs-kinésithérapeutes, la seule circonstance que ce geste soit réalisé par des praticiens se prévalant également du titre d'ostéopathe ne pouvant suffire à justifier sa réalisation hors du cadre légal applicable à la masso-kinésithérapie.

Sur le bien-fondé de la décision de la chambre disciplinaire nationale :

8. Il résulte, en premier lieu, des énonciations de la décision attaquée que, pour juger que M. D... avait pu, sans commettre de manquement, réaliser un acte de toucher pelvien en l'absence de prescription médicale, elle retient que l'acte en cause avait été réalisé en l'espèce dans le cadre d'un bilan ostéopathique, les actes d'ostéopathie pouvant être pratiqués par les personnes titulaires du titre d'ostéopathe sans prescription médicale. Il résulte cependant de ce qui a été dit au point 7 ci-dessus que la juridiction disciplinaire, à qui il appartenait de se prononcer sur les actes réalisés par le praticien dans le cadre de l'exercice de sa profession de masseur-kinésithérapeute en s'assurant du respect des dispositions relatives à son exercice à ce titre, sans pouvoir se fonder sur la circonstance que le geste pratiqué serait réalisé au titre de la pratique de l'ostéopathie, alors que les dispositions citées ci-dessus du décret du 25 mars 2007 n'en autorisent la réalisation à un masseur-kinésithérapeute également ostéopathe que dans le cadre de l'exercice de la masso-kinésithérapie, a ce faisant commis une erreur de droit.

9. Si, en second lieu, la chambre disciplinaire nationale s'est également fondée, pour écarter le même manquement, sur la circonstance que l'acte en cause était autorisé, dans l'exercice de la masso-kinésithérapie, au motif que, selon elle, il avait été réalisé en vue d'une mobilisation à caractère préventif et non thérapeutique, il résulte de ce qui a été dit au point 6 ci-dessus qu'une telle circonstance n'est pas de nature à autoriser un masseur-kinésithérapeute à pratiquer, en l'absence de prescription médicale, un acte de toucher pelvien.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes doit être annulée.

Sur les frais de l'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... la somme de 3 000 euros à verser au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes du 4 juillet 2022 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.
Article 3 : M. D... versera au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et à M. C... D....
Copie en sera adressée au ministre de la santé et de la prévention et à Mme B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 5 août 2023.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras



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