Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 473403, lecture du 19 avril 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:473403.20240419

Décision n° 473403
19 avril 2024
Conseil d'État

N° 473403
ECLI:FR:CECHS:2024:473403.20240419
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
Mme Gaëlle Dumortier, président
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 19 avril 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme E... B..., agissant en qualité de tutrice de Mme A... C..., a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle, sur son recours préalable, la maire de Paris a confirmé sa décision du 22 janvier 2021 accordant à Mme C... le bénéfice de l'allocation personnalisée d'autonomie en établissement, en tant qu'elle fixe le montant de cette allocation à 9,01 euros par jour, sous réserve d'une participation journalière de 11,21 euros, à compter du 1er janvier 2021 et jusqu'au 31 août 2022, et, d'autre part, de revoir le montant de cette allocation à la hausse et d'en octroyer le bénéfice à Mme C... à compter du 1er janvier 2021.

Par un jugement n° 2107718 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision dans la mesure demandée, renvoyé Mme C... devant la Ville de Paris afin que, dans un délai d'un mois à compter de la mise à disposition de ce jugement, ses droits à allocation personnalisée d'autonomie soient recalculés en prenant en compte des ressources mensuelles d'un montant de 2 603 euros pour la période du 1er janvier 2021 au 31 août 2022 et rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme B....

Par une décision n° 460787 du 7 novembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Paris.

Par un jugement n° 2107718 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de Mme B....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 avril et 18 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B..., agissant en qualité de tutrice de Mme C..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Brouchot, avocat de Mme C... et de Mme B..., et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les droits à allocation personnalisée d'autonomie de Mme C..., hébergée en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, ont été fixés en dernier lieu par une décision de la maire de Paris du 22 janvier 2021, implicitement confirmée sur le recours préalable de Mme B.... Par cette décision, le montant d'allocation due à Mme C... à compter du 1er janvier 2021 et jusqu'au 31 août 2022 a été fixé à 9,01 euros par jour, une participation journalière de 11,21 euros restant à la charge de l'intéressée, calculée en fonction d'un montant de ressources mensuelles de 3 140,08 euros. Contestant le montant des ressources mensuelles retenu, Mme B..., agissant en sa qualité de tutrice de Mme C..., a demandé au tribunal administratif de Paris de revoir le montant de cette allocation à la hausse et d'en octroyer le bénéfice à Mme C... à compter du 1er janvier 2021. Par une décision du 7 novembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé le jugement du 23 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a fait droit à cette demande. Mme B..., agissant en sa qualité de tutrice de Mme C..., se pourvoit en cassation contre le jugement du 16 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a rejeté sa demande.

2. En premier lieu, en vertu de l'article L. 232-8 du code de l'action sociale et des familles, le montant de l'allocation personnalisée d'autonomie allouée à une personne âgée hébergée en établissement est diminué du montant de sa participation, laquelle est calculée en fonction de ses ressources, déterminées dans les conditions fixées aux articles L. 132-1 et L. 132-2 du même code. Le premier alinéa de l'article L. 132-1 prévoit que, pour l'appréciation des ressources des postulants à l'aide sociale, il est notamment tenu compte " des revenus professionnels et autres et de la valeur en capital des biens non productifs de revenu, qui est évaluée dans les conditions fixées par voie réglementaire ". Aux termes du I de l'article R. 232-5 du même code : " Pour l'appréciation en vue du calcul de la participation mentionnée aux articles (...) L. 232-8 des ressources du demandeur de l'allocation personnalisée d'autonomie, il est tenu compte : / 1o Du revenu déclaré de l'année de référence tel que mentionné sur le dernier avis d'imposition ou de non-imposition, des revenus soumis au prélèvement libératoire en application des articles 125-0 A et 125 D du code général des impôts et, le cas échéant, de ceux du conjoint, du concubin ou de la personne avec qui il a été conclu un pacte civil de solidarité pour l'année civile de référence (...) ".

3. Il ressort des énonciations du jugement attaqué qu'en application de ces dispositions, le tribunal administratif a jugé, d'une part, que la maire de Paris aurait dû retenir, pour l'appréciation des ressources de Mme C..., une somme totale de 7 856 euros au titre des revenus de capitaux mobiliers déclarés, correspondant à 4 237 euros d'intérêts perçus d'un plan épargne logement, 52 euros de produits de placement à revenu fixe, 314 euros de revenus distribués et 3 301 euros de produits issus du rachat partiel d'une assurance-vie, déduction faite de frais de capitaux mobiliers d'un montant de 48 euros et, d'autre part, qu'elle ne pouvait retenir deux fois la somme de 3 301 euros, reportée pour des raisons fiscales dans deux rubriques différentes de sa déclaration d'impôt sur le revenu. Toutefois, pour estimer à 3 087 euros le montant des ressources mensuelles à prendre en compte pour le calcul de la participation journalière laissée à la charge de Mme C..., le tribunal administratif a pris en compte, au titre des revenus de capitaux mobiliers, non seulement la somme de 7 856 euros issue de ce calcul, mais également le montant de 3 301 euros, déjà inclus dans ce total et dont il avait précédemment jugé qu'il avait été comptabilisé deux fois à tort par la maire de Paris. En statuant ainsi, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une contradiction de motifs.

4. En deuxième lieu, en vertu des dispositions du I de l'article R. 232-19 du code de l'action sociale et des familles, reprises en substance par celles de l'article 486 du règlement départemental d'action sociale de la Ville de Paris, lorsque le bénéficiaire de l'allocation personnalisée d'autonomie est hébergé dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, sa participation est déterminée selon un barème national comportant trois tranches de revenus. Pour la deuxième tranche de revenus, si le revenu mensuel du demandeur est compris entre 2,21 et 3,40 fois le montant mensuel de la majoration pour tierce personne mentionnée à l'article L. 355 du code de la sécurité sociale, il doit s'acquitter d'une participation proportionnelle à ses revenus et au tarif dépendance du groupe iso-ressources dans lequel il est classé.

5. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour rejeter la demande de Mme B..., le tribunal administratif a jugé que l'erreur commise par la maire de Paris dans l'appréciation des ressources à prendre en compte pour calculer la participation journalière de Mme C... n'avait eu aucune incidence sur la fixation du montant de cette participation, dès lors que le montant des ressources devant être pris en compte conformément aux motifs de son jugement, soit 3 087 euros, se situait dans la même tranche de revenus que le montant pris en compte par la maire de Paris, soit 3 140,08 euros. Il résulte toutefois des dispositions mentionnées au point précédent que, lorsque le revenu mensuel du demandeur est compris entre 2,21 et 3,40 fois le montant mensuel de la majoration pour tierce personne, c'est-à-dire, pour la période en litige, entre 2 487 et 3 826 euros, une erreur dans le calcul du revenu mensuel du demandeur a nécessairement une incidence sur le montant de sa participation journalière, celle-ci étant proportionnelle à ses revenus. En jugeant le contraire, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.

7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

8. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement.

9. Il résulte de l'instruction que pour retenir, en vue du calcul de la participation journalière de Mme C..., un montant de ressources mensuelles de 3 140,08 euros, la maire de Paris a pris en compte, au titre de l'année 2019, un montant de 23 807 euros de pensions de retraite, de 3 301 euros de produits d'assurance vie et de capitalisation, de 589 euros de crédits d'impôts, de 314 euros de dividendes, de 3 301 euros d'autres revenus déjà soumis aux prélèvement sociaux avec contribution sociale généralisée déductible, de 4 289 euros de produits de placement à revenus fixes et de 2 080 euros de revenus fonciers.

10. En premier lieu, pour l'application des dispositions citées au point 2, le revenu déclaré de l'année de référence mentionné sur le dernier avis d'imposition ou de non-imposition, pris en compte pour l'appréciation des ressources en vue du calcul de la participation d'un bénéficiaire de l'allocation personnalisée d'autonomie hébergé dans un établissement, doit s'entendre comme correspondant à la somme arithmétique des revenus catégoriels tels qu'ils doivent être déclarés à l'administration fiscale pour le calcul de l'impôt sur le revenu, avant toute déduction ou tout abattement.

11. Il résulte en outre de ces dispositions que, sous réserve de l'exonération prévue par le deuxième alinéa du I de l'article L. 232-8 du code en faveur de certaines rentes viagères, lorsque le bénéficiaire de l'allocation personnalisée d'autonomie dispose de capitaux qui ont fait l'objet d'un placement, seuls doivent être pris en considération les revenus de ce placement qui sont assujettis à l'impôt sur le revenu au cours de l'année de référence, que ce soit après déclaration par l'intéressé ou par retenue à la source.

12. Contrairement à ce que soutient Mme B..., il résulte de ce qui a été dit aux points 10 et 11 que, pour l'appréciation des ressources de Mme C... en vue du calcul de sa participation à l'allocation personnalisée d'autonomie, il y a lieu de prendre en compte, au titre de ses revenus mobiliers, non seulement les produits de placement à revenu fixe d'un montant de 52 euros et les revenus distribués d'un montant de 314 euros qu'elle a perçus, mais également les intérêts, d'un montant de 3 301 euros, qu'elle a perçus après le rachat partiel de son assurance vie en 2019, ainsi que les intérêts capitalisés, d'un montant de 4 237 euros, de son plan d'épargne logement, tels qu'elle les a déclarés à l'administration fiscale pour le calcul de l'impôt sur le revenu, avant toute déduction ou abattement. Il résulte toutefois de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 3, que la maire de Paris a comptabilisé à tort deux fois le montant de 3 301 euros. Par suite, le montant des revenus mobiliers déclarés à prendre en compte pour le calcul de la participation journalière de Mme C... s'élève à 7 904 euros, sans qu'il y ait lieu d'en déduire les frais de capitaux mobiliers d'un montant de 48 euros.

13. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 10 que la maire de Paris ne pouvait prendre en compte un crédit d'impôt de 589 euros correspondant au remboursement d'un prélèvement forfaitaire déjà versé sur les revenus de capitaux mobiliers de Mme C..., un tel revenu ne pouvant être regardé comme un revenu déclaré au sens des dispositions de l'article R. 232-5 du code de l'action sociale et des familles.

14. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles : " Pour l'appréciation des ressources des postulants prévue à l'article L. 132-1, les biens non productifs de revenu (...) sont considérés comme procurant un revenu annuel égal à 50 % de leur valeur locative s'il s'agit d'immeubles bâtis. (...) ". Aux termes de l'article 1388 du code général des impôts : " La taxe foncière sur les propriétés bâties est établie d'après la valeur locative cadastrale de ces propriétés (...) et sous déduction de 50 % de son montant en considération des frais de gestion, d'assurances, d'amortissement, d'entretien et de réparation ". Il résulte de ces dispositions qu'un immeuble bâti non productif de revenu doit être pris en compte, pour l'appréciation des ressources en vue du calcul de la participation d'un bénéficiaire de l'allocation personnalisée d'autonomie hébergé dans un établissement, à hauteur de 50 % de sa valeur locative, laquelle correspond, en application de l'article 1388 du code général des impôts, au double de la base d'imposition figurant sur son avis de taxe foncière. En cas d'indivision, la valeur locative de l'immeuble bâti doit être prise en compte au prorata de la part de ce bénéficiaire dans l'indivision.

15. La maire de Paris a pris en compte, au titre des revenus fonciers annuels de Mme C..., un montant de 2 080 euros correspondant à 50 % de la valeur locative des trois propriétés bâties dont elle est propriétaire indivise, situées à Paris, La Courneuve et Saint-Nicolas-du-Tertre, au prorata de sa part indivise. A supposer que Mme B... entende contester ce montant, elle n'apporte aucun élément à l'appui de cette contestation.

16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le montant des ressources mensuelles de Mme C... à prendre en compte pour le calcul de sa participation journalière à compter du 1er janvier 2021 s'élève, non pas à 3 140,08 euros comme l'a estimé à tort la maire de Paris, mais à 2 815,92 euros. Cette erreur ayant eu, ainsi qu'il a été dit au point 5, une incidence sur la détermination du montant de la participation journalière restant à la charge de Mme C..., Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle la maire de Paris a confirmé sa décision du 22 janvier 2021 accordant à Mme C... le bénéfice de l'allocation personnalisée d'autonomie en établissement, en tant qu'elle fixe le montant de cette allocation à 9,01 euros par jour, sous réserve d'une participation journalière de 11,21 euros, à compter du 1er janvier 2021 et jusqu'au 31 août 2022.

17. Il y a lieu de renvoyer Mme C... devant la Ville de Paris afin que, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, ses droits à l'allocation personnalisée d'autonomie soient recalculés sur la période du 1er janvier 2021 au 31 août 2022 sur la base du montant de ressources mensuelles arrêté au point 16.

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme de 3 000 euros à verser à Mme B..., en sa qualité de tutrice de Mme D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 16 février 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La décision de la maire de Paris confirmant sa décision du 22 janvier 2021 accordant à Mme C... le bénéfice de l'allocation personnalisée d'autonomie en établissement est annulée en tant qu'elle fixe le montant de cette allocation à 9,01 euros par jour sous réserve d'une participation journalière de 11,21 euros à compter du 1er janvier 2021 et jusqu'au 31 août 2022.
Article 3 : Mme C... est renvoyée devant la Ville de Paris afin que ses droits à l'allocation personnalisée d'autonomie soient déterminés sur la période en litige sur la base des motifs du présent jugement, dans un délai d'un mois à compter de sa notification.
Article 4 : La Ville de Paris versera Mme B..., en sa qualité de tutrice de Mme D..., une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme E... B..., en sa qualité de tutrice de Mme A... C..., et à la Ville de Paris.