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Ariane Web: Conseil d'État 450129, lecture du 22 juillet 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:450129.20210722

Décision n° 450129
22 juillet 2021
Conseil d'État

N° 450129
ECLI:FR:CECHR:2021:450129.20210722
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Agnès Pic, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
CABINET COLIN - STOCLET ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du jeudi 22 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. T... A..., Mme R... H..., M. Q... E..., Mme L... B... et M. F... K... ont demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Corbeil-Essonnes en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires. Par un jugement n° 2004118 du 16 février 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette protestation.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 février et 1er juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A..., Mme R... H..., M. Q... E..., Mme L... B... et M. F... K... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces opérations électorales ;

3°) de rejeter le compte de campagne de M. I... et de prononcer son inéligibilité.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 juillet 2021, présentée par M. A... et autres ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Colin-Stoclet, avocat de M. A..., de M. H..., de M. E..., de Mme B... et de M. K... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. C... I... ;



Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Corbeil-Essonnes, les quarante-cinq sièges de conseiller municipal et les treize sièges de conseiller communautaire ont été pourvus. Trente-quatre sièges de conseiller municipal et dix sièges de conseiller communautaire ont été attribués à la liste " Corbeil-Essonnes, notre ville - Vivement le printemps 2020 ! ", conduite par M. I..., qui a obtenu 3 661 voix, soit 48,53 % des suffrages exprimés. Dix sièges de conseiller municipal et trois sièges de conseiller communautaire ont été attribués à la liste " J'aime Corbeil-Essonnes avec énergie et proximité ", conduite par M. J..., qui a obtenu 3 257 voix, soit 43,17 % des suffrages exprimés. Enfin, un siège de conseiller municipal a été attribué à la liste " Dessinons ensemble Corbeil-Essonnes ", conduite par M. N..., qui a obtenu 625 voix, soit 8,28 % des suffrages exprimés. M. A... et quatre autres protestataires relèvent appel du jugement du 16 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté la protestation qu'ils avaient formée contre ces opérations électorales.

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. I... et certains candidats de la liste qu'il conduisait ont, avec des membres d'associations, participé à de nombreuses reprises, pendant la période d'avril à juin 2020, à des distributions de colis alimentaires dans différents quartiers de la commune alors qu'ils n'étaient pas habituellement engagés dans ces associations caritatives ou investis dans ce type d'actions. Si ces distributions visaient à apporter aux personnes les plus démunies une aide pour faire face aux difficultés suscitées par l'épidémie de covid-19 et le confinement qui a été ordonné au printemps 2020 pour lutter contre elle, les requérants, dont le grief n'est pas nouveau en appel, sont fondés à soutenir que ces distributions, répétées et mises en valeur sur le compte " Facebook " de M. I... ainsi que dans la presse, doivent être regardées comme étant intervenues en vue des élections et comme ayant pu affecter la libre détermination de certains électeurs. Cependant, eu égard à l'écart de voix séparant la liste conduite par ce candidat des autres listes, il ne résulte pas de l'instruction que ces dons ont été, en l'espèce, de nature à altérer la sincérité du scrutin et à en vicier les résultats.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L.49 du code électoral : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de : (...) / 3° Procéder, par un système automatisé ou non, à l'appel téléphonique en série des électeurs afin de les inciter à voter pour un candidat (...) ". La reproduction d'une unique conversation téléphonique entre un militant de la liste conduite par M. I... et un électeur de la commune ne suffit toutefois pas à établir que cette liste aurait poursuivi sa campagne électorale la veille et le jour du scrutin en méconnaissance des dispositions de l'article L. 49.

4. En troisième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 228 du code électoral : " Sont éligibles au conseil municipal tous les électeurs de la commune et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l'année de l'élection ". Il résulte de ces dispositions que, dès lors qu'un candidat est électeur d'une commune, la circonstance qu'il ne soit pas inscrit au rôle des impôts directs locaux dans cette dernière est sans incidence sur son éligibilité. Il n'appartient pas au juge de l'élection, en l'absence de manoeuvre, d'apprécier la régularité des inscriptions ou radiations opérées sur la liste électorale.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que M. M... et Mme O... n'ont pas été élus. Par suite, la circonstance, à la supposer établie, qu'ils n'auraient pas rempli les conditions énoncées au deuxième alinéa précité de l'article L. 228 du code électoral, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que leur présence sur la liste des candidats aurait procédé d'une manoeuvre, a en tout état de cause été sans incidence sur les résultats du scrutin.

6. D'autre part, si M. A... et autres soutiennent que Mme G..., candidate élue, est domiciliée en dehors de la commune de Corbeil-Essonnes et qu'elle ne justifie pas y être inscrite au rôle des contributions directes, il n'est pas contesté que cette candidate est électrice de la commune. Il s'ensuit que le grief tiré de son inéligibilité ne peut qu'être écarté.

7. En quatrième lieu, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.

8. Ni par ces dispositions, ni par celles des articles L. 262 et L. 273-8 du code électoral relatifs au mode de scrutin des élections municipales et communautaires, le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.

9. En l'espèce, M. A... et autres font seulement valoir que le taux d'abstention, qui était de 68,92 % au premier tour et de 65,90 % au second tour, était particulièrement élevé, sans invoquer aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 52-8 du code électoral : " (...) Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués (...) ".

11. D'une part, il ne résulte de l'instruction ni que M. I..., Mme D... et Mme G..., tous trois agents publics, auraient consacré tout ou partie de leur temps de travail à la campagne de la liste sur laquelle ils étaient candidats, ni que les évènements organisés dans la commune par M. I... pour la fête de la musique auraient bénéficié de financements de personnes morales en méconnaissances de ces dispositions.

12. D'autre part, s'il est établi, sans que ce soit d'ailleurs contesté, que les distributions de colis mentionnées au point 2 ont été organisées grâce à des dons de denrées alimentaires provenant de différentes personnes morales, cette irrégularité, compte tenu de l'écart de voix entre les différentes listes, n'a pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur protestation.

14. Enfin, M. I... est fondé à soutenir que les conclusions des requérants tendant à ce que son compte de campagne soit rejeté et à ce qu'il soit déclaré inéligible sont nouvelles en appel. Faute d'avoir été présentées dans le délai de recours devant le tribunal administratif, elles sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. I... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. I... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M T... A..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, ainsi qu'à M. C... I..., à M. S... J... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à M. P... N... et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.


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