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Ariane Web: Conseil d'État 432032, lecture du 27 décembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:432032.20211227

Décision n° 432032
27 décembre 2021
Conseil d'État

N° 432032
ECLI:FR:CECHR:2021:432032.20211227
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Joachim Bendavid, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL, avocats


Lecture du lundi 27 décembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 274 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à raison d'informations erronées fournies par l'administration. Par une ordonnance n° 1604578/3-1 du 14 novembre 2018, la présidente de la 3ème section du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19PA00712 du 26 juin 2019, la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat le pourvoi, enregistré le 12 février 2019 au greffe de cette cour, présenté par M. D.... Par ce pourvoi et un nouveau mémoire, enregistré le 7 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 14 novembre 2018 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Gatineau et Fattaccini, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de M. D....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D... a demandé à l'administration de l'indemniser du préjudice qu'il estimait avoir subi en raison de la délivrance tardive d'une information relative à la mise en fourrière de son véhicule. Le préfet de police ayant, par une décision du 19 août 2015, partiellement rejeté sa demande, M. D... a formé un recours gracieux contre ce rejet partiel de sa demande, lequel a été rejeté par une nouvelle décision du préfet de police du 30 septembre 2015. M. D... a alors saisi le tribunal administratif de Paris, le 25 mars 2016, d'une demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser de l'intégralité de son préjudice, estimé par lui à 1 274 euros. Il demande l'annulation de l'ordonnance du 14 novembre 2018 par laquelle la présidente de la 3ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme tardive.

2. Aux termes de l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent code les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées à l'administration ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 112-3 du même code : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception ". Aux termes de l'article L. 112-6 du même code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. / Le défaut de délivrance d'un accusé de réception n'emporte pas l'inopposabilité des délais de recours à l'encontre de l'auteur de la demande lorsqu'une décision expresse lui a été régulièrement notifiée avant l'expiration du délai au terme duquel est susceptible de naître une décision implicite ". Le dernier alinéa de l'article R. 112-5 du même code, pris pour l'application de ces dispositions, dispose que l'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 " indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

3. Il résulte de ces dispositions que le délai pour présenter un recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique n'est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, soit dans la notification de la décision rejetant la réclamation indemnitaire préalablement adressée à l'administration si cette décision est expresse, soit dans l'accusé de réception de la réclamation l'ayant fait naître, si elle est implicite.

4. En particulier, lorsque, à la suite d'une décision ayant rejeté une demande indemnitaire en mentionnant les voies et délais dans lesquels pouvait être introduite une action indemnitaire et ayant, ainsi, fait courir le délai de recours contentieux, le demandeur forme, avant l'expiration de ce délai, un recours gracieux contre cette décision, le délai de recours pour former une action indemnitaire, interrompu par le recours gracieux, ne recommence à courir qu'à compter, soit de la notification d'une nouvelle décision expresse de refus mentionnant les voies et délais d'un recours indemnitaire, soit, en cas de silence de l'administration, à compter de la naissance A... la décision implicite qui en résulte, à la condition que l'accusé de réception du recours gracieux ait mentionné la date à laquelle cette décision implicite était susceptible de naître, ainsi que les voies et délais de recours qui lui seraient applicables.

5. Il résulte des termes mêmes de l'ordonnance attaquée que, pour juger tardive la demande d'indemnisation de M. D..., elle se fonde sur la circonstance que, si la décision du 30 septembre 2015 par laquelle le préfet de police a rejeté son recours gracieux ne comportait pas la mention des voies et délais dans lesquels M. D... pouvait introduire une action indemnitaire, ces mentions figuraient en revanche dans la décision du 19 août 2015 ayant partiellement rejeté sa réclamation et contre laquelle l'intéressé avait formé ce recours gracieux. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'ordonnance est, sur ce point, entachée d'erreur de droit. M. D... est, par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, fondé à en demander l'annulation.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros à verser à la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de M. D..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance de la présidente de la 3ème section du tribunal administratif de Paris du 14 novembre 2018 est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris.

Article 3 : L'Etat versera à la SCP Gatineau et Fattaccini la somme de 3000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. C... I..., M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; M. M... E..., Mme H... L..., M. G... K..., M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat ; Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes et M. Joachim Bendavid, auditeur-rapporteur.

Rendu le 27 décembre 2021.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Joachim Bendavid
Le secrétaire :
Signé : M. F... J...


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