Officiers publics et ministériels

Décision de justice
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Le Conseil d’État valide la limite d’âge de 70 ans pour les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires et encadre les possibilités de recours au tirage au sort pour l’administration

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L’Essentiel :

•    Le Conseil supérieur du notariat, la chambre départementale des notaires de Paris, l’association pour la promotion et la défense du notariat, l’association Défense du droit à l’exercice de la profession d’huissier de justice et d’autres requérants individuels ont demandé au Conseil d’État d’annuler le décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels, pris en application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

•    Par une décision du 18 mai 2018, l’Assemblée du contentieux, formation de jugement la plus solennelle du Conseil d’État, rejette les requêtes. Elle juge notamment que sont légales les dispositions du décret relatives à l’accès aux fonctions de notaires et que sont conformes à la Constitution, au droit de l’Union européenne et au droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales celles fixant à 70 ans la limite d’âge pour l’exercice des fonctions de notaire, d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire.

Les faits et la procédure :

Par des requêtes distinctes, le Conseil supérieur du notariat, la chambre départementale des notaires de Paris, l’association pour la promotion et la défense du notariat, l’association Défense du droit à l’exercice de la profession d’huissier de justice et d’autres requérants individuels ont attaqué devant le Conseil d’État le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels, pris en application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

L’article 52 de cette loi a modifié les conditions dans lesquelles les notaires peuvent s’installer. Dans des zones où l’implantation de nouveaux offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l’offre de services, le principe est l’installation libre et tout demandeur qui remplit les conditions générales d’exercice de la profession dispose en vertu de la loi d’un droit égal à être nommé titulaire d’un office. Une carte, élaborée sur proposition de l’Autorité de la concurrence, délimite ces zones. Elle s’accompagne de recommandations de cette Autorité sur le nombre et le rythme des installations dans chacune d’entre elles. A l’inverse, dans les autres zones, le principe d’une installation subordonnée à l’appréciation du ministre de la justice demeure. Les articles 53 à 55 de la loi instaurent quant à eux à partir du 1er août 2016 une limite d’âge pour l’exercice des professions de notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires, fixée à 70 ans, avec une possibilité de prolongation limitée à une année maximum.

Le décret du 20 mai 2016 dont les requérants demandaient l’annulation devant le Conseil d’État a précisé les conditions d’application de ces différents articles. Ils contestaient en particulier le dispositif selon lequel, dans les zones d’installation dites libre, le ministre de la justice nomme les demandeurs soit suivant l’ordre d’enregistrement de leur demande, soit, lorsque le nombre de demandes enregistrées dans une même zone dans les 24 heures suivant la date d’ouverture de dépôt des demandes dépasse le nombre d’installations recommandées dans cette zone, suivant un ordre d’examen déterminé par un tirage au sort. Était notamment également contestée l’insuffisance des dispositions transitoires prévues par le décret pour l’application des nouvelles règles en matière de limite d’âge.

La décision de ce jour : 

Par la décision de ce jour, le Conseil d’État, réuni en formation solennelle d’Assemblée du contentieux, rejette les différentes requêtes formées à l’encontre du décret du 20 mai 2016.

S’agissant en particulier du mode de départage des demandes de nomination aux nouveaux offices notariaux créés dans les zones d’installation libre, le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’une autorité administrative est tenue d’exercer sa compétence conformément aux lois et règlements applicables et dans le respect de l’intérêt général. Il pose ensuite le principe suivant lequel si aucun texte ni aucun principe ne fait obstacle à ce que le pouvoir réglementaire puisse prévoir, dans certains cas, de faire reposer sur le tirage au sort le départage entre des demandes adressées à l’administration lorsque le législateur n’en a pas décidé lui-même, c’est à la condition que ce mode de départage, par lequel l’autorité compétente ne peut exercer le pouvoir d’appréciation qui est en principe le sien, soit en adéquation avec l’objet de ces demandes ou les circonstances de l’espèce et conforme aux intérêts dont elle a la charge. En l’espèce, après avoir constaté qu’il résulte des articles 52 et 53 de la loi du 6 août 2015 que, dans les zones d’installation dites libre, le ministre de la justice ne peut que vérifier que les demandeurs remplissent les conditions d’aptitude à la profession de notaires mais ne peut se livrer à une appréciation de leurs mérites comparés, le Conseil d’État en déduit que le décret attaqué, qui s’est borné à prévoir par le recours au tirage au sort, un mécanisme de départage entre des demandeurs disposant d’un égal droit à être nommé en vertu de la loi, n’est pas entaché d’illégalité.

Concernant la limite d’âge à 70 ans fixée pour les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires, le Conseil d’État rappelle d’abord que le Conseil constitutionnel a déclaré cette limite conforme à la Constitution par sa décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015. Jugeant de la conformité de cette règle avec le droit de l’Union européenne et le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, le Conseil d’État estime ensuite que le législateur a poursuivi un objectif légitime tenant au renouvellement de ces professions et à une meilleure ouverture de leur accès à de jeunes professionnels. Il constate que cette limite, assortie d’une possibilité de prolonger l’activité pendant une période maximale de douze mois, est supérieure à celle de la plupart des législations comparables et à l’âge effectif auquel la plupart de ces professionnels cessent en pratique leur activité. Il constate en outre que les professionnels concernés étaient informés de ces nouvelles règles dès la promulgation de la loi, soit près d’un an avant son entrée en vigueur effective, et étaient donc en mesure de préparer au cours de cette période la cession de leur office ou de leurs parts dans la société titulaire de l’office. Le Conseil d’État rappelle notamment que les professionnels conservent la possibilité, en cas de préjudice grave et spécial résultant de l’application de la limite d’âge instaurée par la loi, d’en demander réparation à l’État sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques. Il en conclut que la mesure attaquée ne méconnaît ni le droit de l’Union européenne ni la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le Conseil d’État, jugeant les autres moyens des requérants infondés, rejette par suite leurs requêtes à l’encontre du décret du 20 mai 2016.