Réforme de la carte judiciaire

Décision de justice
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Le Conseil d’État annule la décision de supprimer le tribunal de grande instance, le tribunal pour enfants et le tribunal de l’application des peines de Moulins. Il annule également, mais pour des raisons de forme, la suppression des tribunaux pour enfants de Guingamp et de Bourgoin-Jallieu. Il rejette la centaine d’autres requêtes critiquant la réforme de la carte judiciaire.

> Lire la décision n°s 322407 et autres

> Lire la décision n°s 315813 et autres

> Lire la décision n°s 315763 et autres

> Lire la décision n°s 315700 et autres

Le Conseil d'État était saisi d'un très grand nombre de requêtes contre, d'une part, deux décrets du 6 mars 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux de l'application des peines et des tribunaux pour enfants et, d'autre part et surtout, le décret du 30 octobre 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux d'instance et de grande instance. Il rejette la majorité des requêtes tout en procédant à trois séries d'annulations. La première sanctionne le choix de la juridiction supprimée : elle concerne la suppression du tribunal de grande instance -  ainsi que du tribunal pour enfants et du tribunal d'application des peines - de Moulins (Allier). Les deux autres annulations, qui portent sur la suppression des tribunaux pour enfants de Guingamp (Côte d'Armor) et de Bourgoin-Jallieu (Isère), sont fondées sur une irrégularité de procédure.

Plus d'une centaine de requêtes avaient été introduites contre le décret n° 2008-1110 du 30 octobre 2008 modifiant la carte judiciaire, c'est-à-dire le siège et le ressort des tribunaux d'instance, des greffes détachés, des juridictions de proximité et des tribunaux de grande instance. Quelques requêtes concernaient les décrets n°2008-235 et n° 2008-236 du 6 mars 2008 modifiant à la fois le siège et le ressort des tribunaux de l'application des peines et ceux des tribunaux pour enfants. Le Conseil d'État avait étudié toutes ces requêtes lors de la même audience, le 3 février 2010.

1.      S'agissant du décret du 30 octobre 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux d'instance et de grande instance.

De nombreuses critiques portaient, tout d'abord, sur la régularité de la procédure. Le Conseil d'État les a rejetées. Il a jugé, notamment, que le pouvoir réglementaire était bien compétent pour procéder à cette réforme et que les diverses consultations requises avaient été légalement conduites.

Les requêtes remettaient ensuite en cause les choix opérés par la réforme de la carte judiciaire, qui se sont traduits par la suppression de 23 tribunaux de grande instance sur 181, de 178 tribunaux d'instance sur 473, des juridictions de proximité situées dans le ressort des tribunaux d'instance supprimés ainsi que de greffes détachés et permanents, et par la création concomitante de 7 tribunaux d'instance et d'autant de juridictions de proximité.

La réforme globale de la carte judiciaire visait une meilleure affectation des moyens de la justice, une professionnalisation et une spécialisation accrues des magistrats, une limitation de l'isolement des juges, ainsi qu'un renforcement de la continuité du service public de la justice. Le Conseil d'État a estimé que, pour mettre en œuvre ces principes, conformes à l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, le critère du niveau d'activité des juridictions pouvait être légalement pris en compte, en le combinant avec d'autres critères : accessibilité des juridictions maintenues ; proximité d'autres services publics dont le concours est nécessaire au bon fonctionnement du service public de la justice (administration pénitentiaire, police, gendarmerie...) ; situation démographique des ressorts ; exigences tenant aux impératifs d'aménagement du territoire et à la nécessité d'assurer la cohérence de la nouvelle carte des juridictions.

Tant au regard de ces critères que des inconvénients allégués de la réforme, notamment son coût et l'éloignement entre les tribunaux et les justiciables, le Conseil d'État a jugé que celle-ci était, dans son principe, légale.

Le Conseil d'État a ensuite procédé à l'examen concret, au cas par cas, de la légalité de la suppression de certaines juridictions.

Au terme de cet examen, le Conseil d'État n'a sanctionné que le choix de supprimer le tribunal de grande instance de Moulins. Il a rejeté l'ensemble des autres demandes d'annulation.

Dans ce cas de Moulins, le Conseil d'État a fondé sa décision d'annulation sur la combinaison de plusieurs considérations, prises ensemble : la distance importante séparant Moulins du siège du tribunal de grande instance de Cusset auquel celui de Moulins était rattaché par le décret du 30 octobre 2008 ; la présence, à proximité immédiate de cette commune, d'un établissement pénitentiaire de près de trois cents places comprenant une maison d'arrêt importante et une maison centrale de haute sécurité accueillant de nombreux détenus particulièrement signalés ; la localisation à Moulins, liée à la qualité de chef-lieu de département de cette commune, des autres services de l'État et du conseil général dont le concours est nécessaire au bon fonctionnement du service public de la justice.

2.      S'agissant des deux décrets du 6 mars 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux de l'application des peines et des tribunaux pour enfants.

Le Conseil d'État a annulé la suppression du tribunal pour enfant et du tribunal de l'application des peines de Moulins pour des raisons similaires à celles ayant conduit à l'annulation de la suppression du tribunal de grande instance.

Il a également annulé la suppression des tribunaux pour enfants de Guingamp et de Bourgoin-Jallieu, mais en raison d'un vice de procédure. En effet, le comité technique paritaire des services judiciaires, qui devait être obligatoirement consulté, n'était pas régulièrement composé lorsqu'il a examiné les projets de suppression de ces juridictions. Le gouvernement avait en effet procédé au remplacement de plusieurs représentants de l'administration, sans respecter les règles prévoyant les conditions dans lesquelles la composition d'un comité technique paritaire peut être modifiée en cours de mandat. Un tel motif avait déjà fondé la décision du Conseil d'État du 19 décembre 2008 annulant partiellement le décret relatif aux pôles de l'instruction.

Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 19 février 2010, n° 322407 et autres