Discours

Les usages contemporains de la liberté d’expression, à l’ère du pluralisme et du numérique

Par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État
Passer la navigation de l'article pour arriver après Passer la navigation de l'article pour arriver avant
Passer le partage de l'article pour arriver après
Passer le partage de l'article pour arriver avant

Allocution de clôture du colloque organisé par le comité franco-britannique et irlandais sur "La liberté d'expression" le 13 juin 2015 au Conseil d'État.

<a href="/admin/content/location/39197"> Lien à reprendre : > lire l'allocution au format pdf</a>

La liberté d’expression

Colloque organisé par le <a href="/admin/content/location/39048"> Lien à reprendre : comité franco-britannique et irlandais de coopération judiciaire</a>

Conseil d’État, le samedi 13 juin 2015

Les usages contemporains de la liberté d’expression, à l’ère du pluralisme et du numérique

Allocution de clôture par Jean-Marc Sauvé[i], vice-président du Conseil d’État

Mesdames et Messieurs les juges,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Dans une conférence qu’il prononça en février 1819, Benjamin Constant compara la « liberté des Anciens » à celle des « Modernes ». Si, chez les anciens, l’individu participe collectivement, mais directement à l’exercice de la souveraineté, il est cependant « esclave dans tous ses rapports privés »[ii], soumis à une surveillance sévère dans ses relations les plus domestiques. « Comme citoyen, il décide de la paix et de la guerre ; comme particulier, il est circonscrit, observé, réprimé dans tous ses mouvements »[iii]. Par contraste, chez les modernes, si l’individu n’exerce ses droits politiques que par l’entremise de ses représentants, il bénéficie d’une totale indépendance privée et de garanties étendues contre l’arbitraire. La liberté d’expression figure naturellement parmi ses droits sacrés et inaliénables, dont elle est comme la clé de voûte. Liberté individuelle, elle n’a de sens que par son exercice collectif. Liberté fondamentale, elle n’est conforme à l’esprit des Lumières qui l’ont fait naître que par une juste limitation, nécessaire à sa conciliation avec le respect des droits d’autrui et la sauvegarde d’intérêts publics. La liberté d’expression couronne ainsi la lente maturation de notre démocratie politique et sociale, dont elle assure aujourd’hui la conservation et la vitalité.

Nous sommes à l’évidence les héritiers des modernes du XIXème siècle, mais notre modernité prolonge cet héritage non sans certaines ruptures. Les transformations sociales, techniques et politiques qu’ont connues nos sociétés au XXème siècle et en ce début de XXIème siècle, appellent un réexamen des modalités d’exercice et des frontières de la liberté d’expression. Pour contribuer à cette tâche délicate, nous pouvons nous demander ce que, de nos jours, un Britannique, un Irlandais et un Français entendent par le mot de « liberté d’expression ». Chacun s’exprimera à coup sûr selon sa perspective nationale et avec les outils de sa tradition juridique. Mais, au-delà de ces particularismes, apparaissent des points de comparaison, des zones de convergence et, surtout, un socle de garanties communes. Car nos sociétés sont confrontées à des défis similaires et transfrontaliers, et elles sont impliquées, à l’échelle de l’Europe, dans le mouvement général de rapprochement des droits fondamentaux et d’imbrication des ordres juridiques.

Dans ce contexte, les besoins de coopération et de concertation se sont intensifiés. Les deux journées du colloque organisé par le comité franco-britannique et irlandais de coopération judiciaire ont certainement contribué à répondre à ces besoins. Elles ont démontré que nous partagions des garanties communes (I) et que nous aurons, à l’avenir, à relever ensemble des défis inédits (II).

I. La liberté d’expression, la première liberté des Modernes

La liberté d’expression est le principe fondateur de la démocratie libérale : si elle n’est pas la première des libertés, si elle suppose la liberté de conscience et si elle n’est rien sans la liberté d’aller et de venir, elle est, en tout cas, la première des libertés « modernes ». A travers elle, la démocratie libérale s’est affirmée comme un mode de gouvernement, renonçant à l’arbitraire et à la censure, mais aussi comme une forme de société ouverte et tolérante, marquée par le pluralisme des opinions et des croyances. La liberté d’expression a ainsi été l’opérateur juridique d’une recomposition permanente des rapports entre les individus, la société civile et les institutions publiques. Cette recomposition, fruit d’une histoire propre à chaque nation (A), se manifeste par une convergence des garanties de l’Etat de droit (B).

A. Des approches différentes

La liberté d’expression porte l’empreinte d’un contexte historique et des particularismes nationaux et elle s’exprime par conséquent dans les formes et selon les modalités de chaque tradition juridique.

Son histoire est liée en Angleterre à l’affirmation des prérogatives parlementaires : le Bill of Rights garantit dès 1689 la liberté de parole dans l’enceinte du Parlement et c’est à l’initiative de ce dernier que, par le non-renouvellement du Licensing Act, la liberté de la presse a été instaurée en 1695, lors de la Glorieuse Révolution. Cette consécration précoce, qui a fait l’admiration de l’Europe des Lumières, n’a cependant pas donné naissance à un droit autonome. La liberté d’expression a longtemps été traitée, en common law, comme une « liberté résiduelle » : « elle n’existait que dans les interstices des règles pénales et civiles qui gouvernaient (…) l’obscénité, la diffamation ou l’outrage à la Cour (contempt of court) »[iv]. C’est en ce sens que Dicey a pu affirmer qu’ « il n’y a jamais eu en Angleterre de proclamation d’un droit à la liberté de la presse ou à la liberté de parole »[v]. Par contraste, en France, la liberté d’opinion et la liberté d’expression ont été respectivement proclamées par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Ces mêmes articles consacrent la compétence du législateur pour encadrer leur exercice et prévenir tout abus ou trouble à l’ordre public. Pour les révolutionnaires français, la liberté d’expression était d’abord « celle de l’orateur et de l’écrivain »[vi], elle symbolisait l’abandon de la censure d’Ancien régime et elle assurait la transcription juridique des droits naturels de l’Homme et, en particulier, de l’« un de [ses] droits les plus précieux ». Comme l’a écrit Sieyès, « ce n’est pas en vertu d’une loi que les citoyens pensent, parlent, écrivent et publient leurs pensées : c’est en vertu de leurs droits naturels ; droits que les hommes ont apportés dans l’association et pour le maintien desquels ils ont établi la loi elle-même »[vii]. Proclamée en août 1789, la liberté d’expression s’est véritablement affermie, dans ses composantes personnelle et collective, avec les lois fondatrices de la fin du XIXème sur les libertés de la presse et de réunion, et avec la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat[viii] qui proclame la liberté de conscience et de culte, sous les strictes réserves édictées dans l’intérêt de l’ordre public. La liberté d’expression s’est dès lors identifiée à notre tradition républicaine et elle a été définie en cohérence avec les principes d’égalité, de fraternité et de laïcité. Enfin, en Irlande, la constitution de 1937 consacre, en son paragraphe 40.6.1°.i, la « liberté de parole », en précisant que son usage ne peut conduire à ébranler l’ordre public, les bonnes mœurs ou l’autorité de l’Etat. Cet article ajoute que toute publication ou expression blasphématoire, séditieuse ou indécente constitue un délit puni par la loi[ix]. Entre la France, le Royaume-Uni et l’Irlande, il existe donc bien différentes « approches » de la liberté d’expression[x] et celles-ci se distinguent par ailleurs de la conception américaine qui apparaît, à bien des égards, plus large et plus permissive. En attestent la formulation du premier amendement de la Constitution américaine[xi] et la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis sur la notion d’espace public (« public forum ») et sur la catégorie des propos diffamatoires (« libelous ») ou incitant à la violence (« fighting words »)[xii].

B. Des garanties communes

Cette diversité d’approche ne saurait toutefois masquer la convergence des garanties protégeant, en Europe, l’exercice de la liberté d’expression. Cette liberté à « double face » préserve, d’une part, les droits des émetteurs à communiquer et diffuser librement leur opinion et, d’autre part, les droits des récepteurs à recevoir une information pluraliste.

 S’agissant, en premier lieu, des droits des émetteurs, la liberté d’expression protège les manifestations extérieures de la liberté d’opinion et de conscience, quels que soient les supports de cette manifestation et quels que soient ses lieux d’expression, privés ou publics. Elle assure ainsi la jonction entre les trois sphères de la vie démocratique : la sphère domestique de l’espace intime, la sphère sociale de l’espace civil - des voies et lieux publics ou des lieux de commerce et de travail -, et la sphère publique stricto sensu, celle des institutions politiques et administratives et du forum où se déroule le débat public. Comme l’a souligné le président Schwartz, si les agents publics sont tenus à un devoir de neutralité et de réserve, et ne peuvent absolument pas manifester leurs convictions religieuses dans le cadre du service, les usagers sont, quant à eux, libres d’exprimer leurs croyances et ils peuvent bénéficier à ce titre de règles particulières, dans les limites inhérentes au bon fonctionnement du service dont ils sont les bénéficiaires. Mais si la liberté d’expression permet à chacun de s’épanouir comme individu et de cultiver sans entrave ses convictions personnelles, elle permet aussi de participer collectivement au progrès des connaissances et à l’exercice d’un contrôle démocratique des pouvoirs publics. La liberté d’expression n’est pas seulement l’instrument d’une « jouissance paisible de l’indépendance privée »[xiii], elle est aussi un rouage de la société civile et un contre-pouvoir démocratique. C’est ainsi qu’une place singulière est faite à la liberté de la presse et des média. En France, comme l’a montré le conseiller Jean-Yves Monfort, la loi du 29 juillet 1881sur la liberté de la presse a établi un régime spécial de responsabilité, dérogatoire au droit commun de l’article 1382 du code civil. Outre ses spécificités procédurales, ce régime se distingue par un mécanisme d’engagement de la responsabilité dit en « cascade », qui prévoit que l’auteur principal d’un délit de presse est le directeur de la publication et, à défaut, l’auteur du propos ou l’imprimeur, le vendeur, le distributeur ou l’afficheur. Si la presse joue un rôle de « chien de garde » de la société démocratique[xiv], c’est qu’elle est un frein puissant à l’abus de pouvoir par les autorités publiques et, le cas échéant, un moyen d’exposer et de révéler leurs dysfonctionnements. Comme l’a souligné Lord Brodie, la liberté de la presse et des média contribue en particulier à faire vivre les principes d’une justice ouverte et transparente (« open justice principle ») et à répondre à cette question fondatrice : quis custodiet ipsos custodies ? Au Royaume-Uni, à la suite d’une affaire A v. BBC[xv], des règles procédurales encadrent désormais les restrictions apportées par le juge au droit des média de commenter et « couvrir » une procédure judiciaire. Lorsqu’une telle restriction (« reporting restriction ») apparaît nécessaire à la protection des justiciables ou à la bonne administration de la justice, le juge doit en informer le plus tôt possible les média intéressés, qui reçoivent communication de sa décision et peuvent être entendus. Chargé de mettre en balance les intérêts du public et des justiciables, les principes de transparence et d’efficacité de la justice, le juge britannique dispose à cet égard d’une large palette d’outils, allant de l’anonymisation de ses décisions, jusqu’à l’imposition de la plus stricte confidentialité.

S’agissant, en second lieu, des droits des récepteurs, la liberté d’expression protège le droit d’être informé et de recevoir une information diverse et pluraliste. En France, la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression politiques ou socioculturels est une exigence constitutionnelle. Comme l’a jugé en matière de presse écrite le Conseil constitutionnel, « la libre communication des pensées et des opinions (…) ne serait pas effective si le public auquel s'adressent ces quotidiens n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents (…) ». « En définitive, l'objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix, sans que ni les intérêts privés, ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché »[xvi]. Le principe de pluralisme s’applique par ailleurs aux média audiovisuels, avec cependant des exigences propres : les auditeurs et téléspectateurs doivent pouvoir choisir entre différents moyens d’information, appartenant à des propriétaires différents, mais, en outre, les entreprises de communication, publiques et privées, doivent faire place, dans leurs programmes, à « l’expression de tendances de caractère différents, dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information »[xvii]. La mise en œuvre de ce volet « interne »[xviii] du pluralisme doit tenir compte des contraintes techniques et économiques inhérentes à la communication audiovisuelle et, en particulier, de la rareté des ressources en ce domaine. C’est la raison pour laquelle le législateur a instauré un régime d’autorisation préalable, qui eût été interdit en matière de presse[xix], et confié la régulation du secteur audiovisuel à des autorités administratives indépendantes spécialisées, en premier lieu le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Leurs décisions d’autorisation[xx] ou d’agrément[xxi], ou encore les décisions par lesquelles ces autorités règlent des différends entre des entreprises du secteur audiovisuel[xxii] sont soumises au contrôle du juge administratif, de même que les décisions prises par l’Autorité de la concurrence en matière de concentration[xxiii].

Les droits des émetteurs, comme des récepteurs, ne sont naturellement pas illimités. Leur exercice doit être concilié avec la sauvegarde d’intérêts publics, comme la sécurité et la santé publiques, et la protection d’intérêts privés, comme la réputation et l’intimité de la vie privée. Comme pour toutes libertés publiques, « la liberté est la règle et la restriction (…) l’exception »[xxiv] : toute limitation de la liberté d’expression est ainsi soumise à un strict contrôle de proportionnalité. Pour autant, dans la recherche de cet équilibre traditionnel, les démocraties libérales sont aujourd’hui confrontées à de nouveaux défis.

II. La liberté d’expression, une liberté « post-moderne » ?

A. De nouveaux défis

 Principe inaltérable, la liberté d’expression est cependant sujette aux fluctuations du temps. Sensible à l’évolution des mœurs, elle nous invite à réexaminer ce qui distingue la simple opinion de la diffamation ou de l’injure, à discerner ce qui peut être raisonnablement toléré dans une société démocratique et ce qui ne peut pas l’être, à évaluer l’impact du progrès technique sur l’exercice des libertés publiques. En un mot, la liberté d’expression pose d’une manière aigüe la question des limites de l’ouverture démocratique, elle est un principe qu’il faut actualiser face aux nouveaux défis qui se présentent.

Le premier de ces défis réside dans la préservation et la régulation du pluralisme des idées et des croyances, notamment dans le contexte de l’émergence de nouvelles religions extérieures à la tradition judéo-chrétienne. Comme l’a souligné le juge Charleton, les sociétés occidentales, devenues multiconfessionnelles, sont tout à la fois marquées par un phénomène de sécularisation et par une recrudescence inquiétante des intégrismes, en particulier religieux. La législation sur la liberté d’expression reflète ce double processus : certaines infractions ont disparu, tandis que d’autres ont été créées. Le blasphème n’est ainsi plus une infraction pénale au Royaume-Uni depuis 2008[xxv] ; il ne l’est plus en France depuis 1791[xxvi], même si l’on peut s’interroger sur sa persistance en droit local d’Alsace-Moselle[xxvii] ; il reste punissable en Irlande[xxviii] sur le fondement d’une loi adoptée en 2009, mais aucune poursuite n’a été à ce jour engagée. Par ailleurs, en Irlande, comme dans le reste de l’Europe, l’objectif prioritaire consiste à juguler les discours incitant à la discrimination, la haine ou à la violence, que ces discours visent ou émanent des groupes religieux. En France, depuis 1972[xxix], la répression de ces discours fait l’objet de peines spécifiques[xxx], de même que, depuis 1990[xxxi], les discours contestant l'existence de crimes contre l'humanité, commis par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale[xxxii]. Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’Homme, la négation de tels crimes ne conteste pas seulement la réalité de « faits historiques clairement établis », mais porte atteinte et vise à la destruction des « valeurs fondamentales de la Convention »[xxxiii]. La répression de ces discours ne saurait pour autant conduire le législateur à s’ingérer dans les travaux de la recherche scientifique, ni à édicter une « vérité officielle » : le législateur ne peut ainsi, sans méconnaître la liberté d’expression, réprimer la contestation de crimes de génocide, qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tel[xxxiv]. D’une manière plus générale, la sauvegarde du « vivre ensemble » et des « exigences minimales de la vie en société » sont des motifs justifiant des restrictions nécessaires à la liberté d’expression, dans une société démocratique, comme l’a confirmé la Cour de Strasbourg dans son arrêt de Grande chambre S.A.S. contre France[xxxv]sur la prohibition générale du voile intégral.

Le second des défis que soulève l’exercice contemporain de la liberté d’expression a trait à la régulation des réseaux et des espaces numériques. Les technologies numériques ont bouleversé, avec une rapidité étonnante, nos modes de production, de consommation et de communication, jusque dans le détail de nos manières de vivre. Elles ne régissent plus seulement le périmètre restreint du secteur des télécommunications ou des services informatiques, mais elles innervent désormais l’ensemble de notre économie et de nos pratiques sociales. Comme l’a souligné le président Tuot, à l’ère des réseaux sociaux, du Big data, des « data brokers » et du profilage tous azimuts des comportements, un saut qualitatif a été franchi dans la collecte et le traitement des données numériques. Chaque individu se trouve doté d’une « identité numérique », qui s’exprime en permanence, en tout lieu et à son insu. Les technologies numériques entretiennent dès lors des rapports ambivalents avec la liberté d’expression : elles facilitent son exercice et amplifient sa portée, tout en la menaçant d’une hypertrophie anarchique et déstabilisante. Face à cette ambivalence, un cadre procédural pleinement opérationnel doit garantir la prévention et le traitement des abus de cette liberté. Comme l’a souligné Lord Girvan, cette responsabilité ne saurait peser sur un seul maillon de la chaîne, chacun devant faire preuve de diligence et de réactivité. Ainsi, lorsqu’il existe un risque de diffamation, un dialogue doit se nouer entre ceux qui signalent ce risque, ceux qui disposent des moyens techniques de le traiter et, le cas échéant, ceux qui en sont à l’origine. Dans ce dialogue, la responsabilité des intermédiaires numériques ne doit être ni minorée, ni exagérée, en étant assimilée à celle des éditeurs de contenus. Comme le fait remarquer Lord Dyson, un régime autonome de responsabilité doit leur être appliqué. C’est en ce sens que, par son arrêt Tamiz v. Google Inc., la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles (England and Wales Court of Appeal- EWCA) a pu qualifier la société Google d’« éditeur de second rang » (« secondary publisher »), en tant qu’elle a facilité la diffusion de messages diffamatoires – dont elle n’était pas l’auteur - sur un blog qu’elle a contribué à créer, mais qu’elle ne gérait pas. Cette qualification fait peser sur cette société l’obligation de procéder, dans un délai raisonnable (« reasonable time »), au retrait d’un message illicite qui lui a été signalé, sauf à être considérée comme se les ayant appropriés.

Dans son étude consacrée au Numériques et [aux] droits fondamentaux, le Conseil d’Etat s’est penché sur ces sujets délicats et il a émis des propositions en vue d’une rénovation du cadre législatif national et européen. Il a notamment recommandé d’établir un régime de responsabilité ad hoc pour les « plateformes », distinct de celui des éditeurs et des hébergeurs, et de mieux garantir le droit à « l’autodétermination informationnelle » des individus, c’est-à-dire à leur droit de décider de la communication et de l’utilisation de leurs données à caractère personnel.   

B. Vers de nouveaux standards communs ?

Pour relever ces défis, les Etats et les organisations internationales doivent travailler à la convergence et à la complémentarité des nouveaux outils juridiques qui sont aujourd’hui inventés. Leur enrichissement réciproque permettra ainsi l’émergence de nouveaux standards, sans laisser de vide, ni créer de désordre normatifs.

Le premier levier de cette convergence réside dans l’écoute mutuelle des jurisprudences et des législations nationales. Les enceintes de rencontre et de dialogue entre juges nationaux sont des lieux propices à cette ouverture. A cet égard, notre comité de coopération judiciaire apporte une contribution remarquable, tant par les stages d’études qu’il soutient, que par les colloques qu’il organise. Comme lors des précédentes rencontres, le colloque de cette année montre la similitude des défis que doivent relever nos Etats respectifs et la nécessité d’une coopération accrue. Des questions telles que l’étendue et les limites de la protection de l’anonymat de l’internaute, évoquées par plusieurs intervenants, sont d’une grande importance et méritent d’être approfondies.

Le second levier de convergence doit être recherché dans la consolidation des garanties européennes, celles du Conseil de l’Europe,  comme celles de l’Union européenne.

Consacrée à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la liberté d’expression couvre d’une manière extensive un large spectre d’informations, dès lors qu’elles contribuent directement ou indirectement[xxxvi] à un « débat d’intérêt général ». Comme l’a relevé la conseillère Crédeville, les contours de cette notion jurisprudentielle ont été précisés par deux arrêts de grande chambre du 7 février 2012 Von Hannover c. Allemagne[xxxvii] et Axel Springer c. Allemagne[xxxviii]. Toutefois, cette notion n’a cessé de s’élargir[xxxix] et elle se développe aujourd’hui d’une manière peu prévisible. La consolidation de ces garanties est d’autant plus nécessaire que l’influence de la Convention européennes des droits de l’Homme sur les protections nationales est profonde. En droit britannique, qui est de tradition dualiste[xl], le Human Rights Act, adopté en 1998, permet aux garanties de la Convention de produire leurs effets en droit interne. Ces garanties peuvent ainsi être invoquées à l’encontre des autorités publiques[xli], ce qui inclut les tribunaux[xlii], et ces derniers doivent prendre en considération les arrêts rendus par la Cour de Strasbourg[xliii]. Dans les litiges opposant deux parties privées – litiges dits horizontaux -, les valeurs protégées par la convention européenne trouvent aussi à s’appliquer[xliv] et, en particulier, dans les cas où la liberté d’expression doit être conciliée avec le droit au respect de la vie privée. En cette matière, le droit interne britannique s’est combiné avec le droit de la Convention, pour élever le niveau de protection de la sphère privée : même lorsque les informations divulguées ne revêtent pas un caractère confidentiel, un usage détourné d’information à caractère privé (« misuse of private information »)[xlv] peut être contesté[xlvi]. Comme l’a relevé Lord Dyson, la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles (England and Wales Court of Appeal) a explicitement reconnu, par un arrêt du 27 mars 2015, Google Inc. v Vidal-Hall[xlvii], l’existence d’un recours spécifique fondé sur un tel usage détourné d’informations à caractère privé. A cet égard, nous sommes peut-être à la veille de nouveaux développements sur la conciliation entre protection de la vie privée et liberté d’expression et sur la responsabilité des plateformes, puisque, dans l’affaire Delfi AS contre Estonie, après la décision de la chambre du 10 octobre 2013[xlviii] et l’audience publique du 9 juillet 2014, un arrêt de Grande chambre sera rendu le 16 juin 2015[xlix].

S’agissant du droit de l’Union européenne, la même conciliation doit être opérée dans le domaine de l’internet entre des droits et libertés qui ne sauraient être hiérarchisés a priori et dont le poids respectif doit être apprécié selon les circonstances de chaque espèce. Dans le champ d’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, doivent être ainsi conciliées la liberté d’expression et d’information[l] des internautes, la « liberté d’entreprise »[li] des prestataires de services numériques, la protection du droit de propriété intellectuelle[lii] des auteurs, la protection de la vie privée et familiale des personnes[liii] et de leurs données à caractère personnel[liv]. A cet égard, comme l’a montré l’affaire Scarlett Extended[lv], souvent évoquée lors de nos échanges, un système de filtrage des communications électroniques, fût-il créé aux fins de protéger la propriété intellectuelle, ne saurait, sans méconnaître le droit de l’Union, imposer aux fournisseurs d’accès à internet une analyse de toutes les communications électroniques transitant par leurs services, qui s’appliquerait, à titre préventif, à leurs frais exclusifs et sans limitation de temps, à toute leur clientèle. Dans la sphère numérique, la conciliation des droits fondamentaux n’est pas univoque et elle peut conduire a contrario à renforcer les obligations mises à la charge des prestataires de services numériques. C’est ainsi que, par son déjà célèbre arrêt du 13 mai 2014, « Google Spain »[lvi], la Cour de justice a consacré l’obligation pour l’exploitant d’un moteur de recherche sur internet de déréférencer des données à caractère personnel, soit en raison de leur  non-conformité aux exigences de qualité fixées par la directive 95/46[lvii], et notamment au regard de leur caractère inexact, incomplet ou non actualisé[lviii], soit pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à la situation particulière de la personne concernée[lix]. La Cour a nettement affirmé que les droits des personnes à la protection de leur vie privée et de leurs données à caractère personnel « prévalent, en principe, non seulement sur l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche, mais également sur l’intérêt [du] public [internaute] »[lx]. Cet arrêt rétablit ainsi, dans une certaine mesure, un équilibre entre liberté d’expression et droit à la vie privée. Pour autant, comme l’a relevé le Conseil d’Etat dans son étude consacrée au Numériques et [aux] droits fondamentaux, il ne résout pas toutes les difficultés que soulève la recherche de cet équilibre : pour la mise en œuvre de ce nouveau droit au déréférencement, une procédure d’échange et de dialogue devra être consolidée entre les plateformes, les éditeurs de contenus et les individus concernés, en coopération avec les autorités publiques de régulation. Par ailleurs, par souci de simplification, une décision unique de déréférencement pourrait être envisagée, soit grâce à des accords de reconnaissance mutuelle entre exploitants de moteur de recherche, soit par un dispositif légal d’extension à tous ces exploitants d’une décision homologuée par un juge[lxi].     

En comparant la liberté des anciens à celle des modernes, Benjamin Constant ne cherchait pas à les opposer radicalement, mais à les corriger l’une par l’autre. Il avait en effet bien conscience des « dangers de la liberté moderne » : il redoutait que les individus, « absorbés dans la jouissance de [leur] indépendance privée et dans la poursuite de [leurs] intérêts privés, [renoncent] trop facilement à [leur] droit de partage dans le pouvoir politique »[lxii], c’est-à-dire à une participation active au règlement des affaires d’intérêt général. Il recommandait ainsi de ne renoncer à aucune des deux espèces de libertés et d’« apprendre à combiner l’une avec l’autre »[lxiii]. A cet égard, si la liberté d’expression au XXIème siècle s’écarte par certaines de ses pratiques des canons du libéralisme classique, sa préservation ne sera ni un renoncement à l’héritage des Lumières, ni sa pure et simple continuation. Elle devra, pour ne pas régresser en liberté des Anciens, veiller à ne sacrifier ni la vie privée, ni son essence même de liberté. Si elle appelle des aménagements et de nouveaux outils de régulation des rapports sociaux, elle devra combiner les acquis de toutes les modernités. C’est, en tout cas, le vœu que nous pouvons former, dans le sillage de Benjamin Constant.

[i]Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[ii]B. Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », discours prononcé à l’Athénée royal de Paris, février 1819, in Ecrits politiques, éd. Folio essais, 1997, p. 595.

[iii]B. Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », discours prononcé à l’Athénée royal de Paris, février 1819, in Ecrits politiques, éd. Folio essais, 1997, p. 595.

[iv]E. Barendt, « La liberté d’expression au Royaume-Uni et le Human Rights Act de 1998 », in La liberté d’expression aux Etats-Unis et en Europe, Paris, Dalloz, 2008, p. 33.

[v]A. V. Dicey, An Introduction to the Study of the Law of the Constitution, London, Macmillan, 1959, p. 239.

[vi] J. Morange, « La liberté d’expression en France : un droit adapté ? », RDP, 1er mars 2005, n°2, p. 347.

[vii] Sieyès, « Rapport sur un projet de loi contre les délits qui peuvent se commettre par la voie de l’impression et par la publication des écrits et des gravures », 20 janvier 1790, Archives parlementaires, 1ière série, Paris, 1880, tome 11, p. 259

[viii] Voir sur ce point : B. Bernadé, « Quelle(s) liberté(s) d’expression avant 1881 ? », RDP, 1er mai 2012, n°3, p. 742.

[ix]40.6.1°.i: “The State guarantees liberty for the exercise of the following rights, subject to public order and morality: – i The right of the citizens to express freely their convictions and opinions. The education of public opinion being, however, a matter of such grave import to the common good, the State shall endeavour to ensure that organs of public opinion, such as the radio, the press, the cinema, while preserving their rightful liberty of expression, including criticism of Government policy, shall not be used to undermine public order or morality or the authority of the State. The publication or utterance of blasphemous, seditious, or indecent matter is an offence which shall be punishable in accordance with law.”

[x]Voir sur ce point : J. Morange, La liberté d’expression, Paris, Bruylant, 2009, p. 25.

[xi]« Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances. »

[xii]Voir sur ce point : E. Zoller, « La Cour suprême des Etats-Unis et la liberté d’expression », in La liberté d’expression aux Etats-Unis et en Europe, Paris, Dalloz, 2008, p. 253.

[xiii] B. Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », discours prononcé à l’Athénée royal de Paris, février 1819, in Ecrits politiques, éd. Folio essais, 1997, p. 602.

[xiv] Comme l’a relevé à maintes reprises la Cour européenne des droits de l’Homme : voir par ex. CEDH 25 juin 1992, Thorgeirson c. Islande, A, 239, § 63.

[xv]2014 SC (UKSC) 151, [2014] 2 WLR 1245, [2014] UKSC 25.

[xvi]CC n°84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, cons. 38.

[xvii]CC n°86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, cons. 11.

[xviii]Voir sur ce point : P. de Montalivet, « La Constitution et l’audiovisuel », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n°36, juin 2012.

[xix]CC n°84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, cons. 81.

[xx]Voir, récemment, s’agissant des conditions de modification du contenu des programmes, fixé par une convention d’autorisation conclue entre le CSA et une société de diffusion d’un service audiovisuel par voie terrestre hertzienne : CE 28 novembre 2014, Société NRJ Réseau,  n°363146.

[xxi]Voir, récemment,. s’agissant d’une décision d’agrément prise par le CSA, en cas de modification des données au vu desquelles une autorisation a été délivrée : CE, Ass., 23 décembre 2012, Société Métropole Télévision (M6), n°363978.

[xxii]Voir s’agissant d’un différent entre des sociétés éditrices de services de télévision et un distributeur concernant la numérotation des chaînes éditées par ces sociétés : CE 9 juillet 2010, Société Canal plus Distribution, n°335336.

[xxiii]Voir à cet égard : CE, Ass, 21 décembre 2012, Groupe Canal Plus et autres,  n°362347 et CE, Ass., 23 décembre 2013, Société Métropole télévision (M6) et société Télévision française (TF1), n°363702.

[xxiv]Ccls Corneille sur CE 10 août 1917, Baldy.

[xxv]Section 79 of the Criminal Justice and Immigration Act 2008.

[xxvi]B. Basdevant-Gaudemet, “Histoire juridique du blasphème : péché, délit, liberté d’expression?”, RDP, 1er mars 2015, n°2, p. 309.

[xxvii] L’art. 166 du code pénal local alsacien-mosellan dispose que « celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnue comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes, ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d'un emprisonnement de trois ans ou plus. » (traduction non officielle, réalisée par l’Institut du droit local alsacien-mosellan). Ces dispositions, issues du code pénal allemand et maintenues en vigueur à titre « transitoire » par la loi du 17 octobre 1919 puis implicitement mais nécessairement par les lois du 1er juin 1924, peuvent demeurer en vigueur « tant qu’elles n’ont pas été remplacées par des dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles. » (principe fondamental reconnu par les lois de la République consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision CC n°2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA, cons. 4). Le 22 mai 2015, a été déposée au Sénat une proposition de loi visant « à abroger le délit de blasphème, encore en vigueur en Alsace-Moselle ». L’exposé des motifs de cette proposition précise cependant qu’il existe un débat sur la portée et la possible application de ces dispositions, qualifiées « d’anomalie dans l’histoire de notre République ». On peut notamment relever que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a été interprétée (voir les notices des décrets n°2013-776 et n°2013-395 du 27 août 2013) comme imposant la publication d’une traduction officielle en langue française des dispositions de droit alsacien-mosellan pour leur maintien en vigueur (la décision n°2012-285 QPC du 30 novembre 2012 ne tranche cependant pas explicitement ce point, voir cons. 12). Or il n’a pas été procédé à une telle traduction en ce qui concerne les dispositions de l’art. 166 du code pénal local alsacien-mosellan (à la différence d’autres dispositions du code pénal du 15 mai 1871 - not. l’art. 167 relatif aux actes entravant l’exercice d’un culte -, voir les annexes du décret n°2013-776 du 27 août 2013 portant publication de la traduction de lois et règlements locaux maintenus en vigueur par les lois du 1er juin 1924 dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).

[xxviii] Section 36 of the Defamation Act 2009.

[xxix] Loi n°72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, dite « loi Pleven ».

[xxx]Art. 24 de la loi du 29 juillet 1881, révisé sur ce point notamment par la loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 (répression des provocations à la à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap).

[xxxi]Loi n°90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite « loi Gayssot ».

[xxxii]Art. 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 : « Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. »

[xxxiii]CEDH 24 juin 2003, Garaudy c. France, n°65831/01.

[xxxiv]CC n°2012-647 DC du 28 février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, cons. 6.

[xxxv]CEDH, Grande chambre, 1er juillet 2014, S.A.S. c. France, n°43835/11.

[xxxvi]  Cette notion couvre les débats politiques et syndicaux, l’expression artistique, mais aussi des discours commerciaux (CEDH 25 mars 1985, Barthold c. Allemagne, n°8734/79, §42) ou professionnels (CEDH 17 janvier 2003, Stambuck c. Allemagne, n°37298/97, § 46) qui touchent, sans les viser directement, à des débats d’intérêt général.

[xxxvii]CEDH, Grande chambre, 7 février 2012, Von Hannover c. Allemagne, n°40660/08, § 108-113.

[xxxviii]CEDH, Grande chambre, 7 février 2012, Axel Springer c. Allemagne, n°39954/08, § 89-95.

[xxxix]Voir not. les arrêts CEDH 19 septembre 2013, Von Hannover c. Allemagne, n°8772/10 (a été reconnue comme une information contribuant à un débat d’intérêt général « la tendance des personnes célèbres de mettre leurs résidences de vacances en location ») et CEDH 14 janvier 2014, Ruusune c. Finlande, n°73579/10 (a été reconnu comme contribuant à un débat d’intérêt général un ouvrage narrant les conditions dans lesquelles le Premier ministre finlandais à rencontre son amie).

[xl]Un traité international ratifié par le gouvernement britannique ne modifie pas le droit interne du Royaume-Uni tant qu’il n’a pas été incorporé par une loi du Parlement (House of Commons, European Scrutiny Committee, The EU Bill and Parliamentary Sovereignety, Tenth Report of Session 2010-2011, Volume 1: Report together with formal minutes, par. 10) ; cette exigence vaut aussi lorsqu’un traité revêt un effet direct : voir, sur ce point : A. W. Bradley & K. D. Ewing, Constitutional and Administrative Law (15th ed. 2011), p. 134: “Under our constitutional law, adherence to a treaty does not of itself have the effect of changing our internal law even where provisions of the treaty are intended to have direct internal effects as law within participating states.”

[xli]Paragraphe 6(1) HRA.

[xlii] Paragraphe 6(3) HRA.

[xliii]Paragraphe 2(1) HRA.

[xliv]Campbell v MGN, [2004] UKHL 22: “Further it should now be recognized that for this purpose these values are of general application, the values embodied in articles 8 and 10 are as much applicable to disputes between individuals or between an individual and a non-Government body such as a newspaper as they are in disputes between individuals and public authorities.” .

[xlv]Campbell v MGN, [2004] UKHL 22: “The continuing use of the phrase duty of confidence and the description of the information as confidential is not altogether comfortable. Information about an individual’s private life would not in ordinary usage be called confidential. The more natural description today is that such information is private, the essence of the tort is better encapsulated now as a misuse of private information. In the case of individuals this tort however labelled affords respect for one aspect of individual’s privacy. That is the value underlying this cause of action.  An individual’s privacy can be invaded in ways not involving public information.”.

[xlvi]Le juge examine alors s’il existe s’il existe une attente raisonnable de vie privée (reasonable expectation of privacy) et, le cas échéant, il procède à un balancing exercise, afin de concilier la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée selon les circonstances de l’affaire, voir par ex. : Re S (A Child), [2005] 1 AC 593: “First, neither article has as such precedence over the other. Secondly, where the values under the two articles are in conflict, an intense focus on the comparative importance of the specific rights being claimed in the individual case is necessary. Thirdly, the justifications for interfering with or restricting each right must be taken into account. Finally, the proportionality test must be applied to each.”

[xlvii]Google Inc. v Vidal-Hall, [2015], EWCA.

[xlviii]CEDH 10 octobre 2013, Delfi AS c. Estonie, n°64569/09 ; dans cet arrêt de chambre, renvoyé en Grande chambre, la Cour a jugé que, sans méconnaître l’art. 10 de la Convention, les juridictions estoniennes ont pu condamner une société propriétaire d’un « portail d’actualité » en ligne  pour les commentaires diffamatoires qu’avaient laissés les internautes sur ce portail.  La Cour a souligné la responsabilité particulière d’une telle société : « la Cour n’est pas convaincue qu’un système ne permettant à la partie lésée de se retourner que contre les auteurs des commentaires diffamatoires – comme la société requérante semble le suggérer – aurait, en l’espèce, garanti une protection effective du droit au respect de la vie privée. C’est la société requérante qui a choisi de permettre aux internautes de laisser des commentaires sans s’inscrire au préalable : dès lors, il faut considérer qu’elle a accepté d’assumer une certaine responsabilité pour ces commentaires. » (§ 91).

[xlix]Par son arrêt de grande chambre du 16 juin 2015 (n°64569/09), la Cour a confirmé l’arrêt de chambre du 10 octobre 2013 (absence de violation de l’art. 10 de la Convention) et précisé sa grille d’analyse de la proportionnalité d’une ingérence légitime dans la liberté d’expression d’une société exploitant un portail d’actualités permettant aux internautes de publier des commentaires dans une zone dédiée. La Cour a conclu que « sur la base de l’appréciation in concreto des éléments précités, et compte tenu du raisonnement de la Cour d’État en l’espèce, en particulier du caractère extrême des commentaires en cause, du fait qu’ils ont été déposés en réaction à un article publié par la société requérante sur un portail d’actualités qu’elle exploite à titre professionnel dans le cadre d’une activité commerciale, de l’insuffisance des mesures que ladite société a prises pour retirer sans délai après leur publication des commentaires constitutifs d’un discours de haine et d’une incitation à la violence et pour assurer une possibilité réaliste de tenir les auteurs des commentaires pour responsables de leurs propos, ainsi que du caractère modéré de la sanction qui lui a été imposée, la Cour juge que la décision des juridictions internes de tenir la société requérante pour responsable reposait sur des motifs pertinents et suffisants, eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficie l’État défendeur. Dès lors, la mesure litigieuse ne constituait pas une restriction disproportionnée du droit de la société requérante à la liberté d’expression » (§ 162).

[l]Art. 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[li]Art. 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[lii]Art. 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[liii]Art. 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[liv]Art. 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[lv]CJUE 24 novembre 2011, Scarlet Extended SA, C-70/10.

[lvi]CJUE, Grande chambre, 13 mai 2014, Google Spain SL, Google Inc. c/ Agencia Española de Protección de Datos (AEPD), Mario Costeja González, C-131/12.

[lvii]Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

[lviii] Droit consacré sur le terrain de l’art. 12 de la directive 95/46 mentionnée ci-dessus.

[lix]Droit consacré sur le terrain de l’art. 14 de la directive 95/46 mentionnée ci-dessus.

[lx] CJUE, Grande chambre, 13 mai 2014, Google Spain SL, Google Inc. c/ Agencia Española de Protección de Datos (AEPD), Mario Costeja González, C-131/12, § 97.

[lxi] Voir sur ce point : Le numérique et les droits fondamentaux, étude annuelle 2014 du Conseil d’Etat, La documentation française, 2014, proposition n°5, p. 277.

[lxii]B. Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », discours prononcé à l’Athénée royal de Paris, février 1819, in Ecrits politiques, éd. Folio essais, 1997, p. 616.

[lxiii]B. Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », discours prononcé à l’Athénée royal de Paris, février 1819, in Ecrits politiques, éd. Folio essais, 1997, p. 618.