Pré-rentrée des élèves de la promotion 2014-2015 de l’ENA

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, lors de la pré-rentrée de l'Ecole nationale d'administration, le mercredi 4 décembre 2013.

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Pré-rentrée des élèves de la promotion 2014-2015 de l’ENA

Mercredi 4 décembre 2013 Ecole nationale d’administration

Intervention de Jean-Marc Sauvé (1),vice-président du Conseil d’Etat,président du conseil d’administration de l’ENA

    Madame la directrice,    Madame la présidente du jury,    Mesdames, Messieurs,     et, si vous me le permettez, mes chers camarades,     La place à laquelle il est aujourd’hui le plus agréable de se trouver n’est sans doute pas la mienne ; c’est plus sûrement la vôtre – même si, pour certains d’entre vous, la nuit a peut-être été courte après avoir fêté vos résultats... En ce jour si particulier pour vous, je voudrais, tout d’abord, vous présenter mes plus vives félicitations. Votre réussite au concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration récompense des capacités, mais aussi l’ascèse et les efforts et sacrifices importants que suppose un concours aussi sélectif. Je souhaite que vous savouriez pleinement cette réussite, dans l’instant, mais aussi dans la durée ; non comme un point d'arrivée, mais vraiment comme un départ ou un nouveau départ dans votre vie professionnelle au service de l’Etat et de la collectivité.     Mais si votre place est plus enviable que la mienne, c’est surtout parce que s’ouvrent à vous un univers de découvertes, une myriade d’expériences et un éventail de possibilités et d’actions aussi intenses que nouvelles. Je souhaite, au seuil de votre scolarité, dire quelques mots de ce qui vous attend et peut-être surtout de ce que l’on attend de vous.     I. Ce que l’on attend de vous d’abord. Les élèves de l’ENA sont-ils de simples « techniciens de l’administration », comme les a décrits Pierre Legendre (2) et comme André Malraux en faisait grief à l’infortunée délégation des élèves de ma promotion placée sous son illustre patronage et venue lui rendre visite à Verrières-le-Buisson ? Techniciens, assurément nous le sommes, vous l’êtes ou le deviendrez et c’est une dimension qu’il ne faut pas négliger, ni brocarder, mais qu’il faut bien plutôt maîtriser et ne pas hésiter à approfondir. Cette vision est cependant réductrice : le haut fonctionnaire est, avant tout, porteur d’un projet et d’un idéal qui le dépassent. J’ai la faiblesse de penser que, si vous êtes ici aujourd’hui, c’est parce que vous croyez en ce projet et que vous portez en vous une part de cet idéal. Parce que vous avez pleinement conscience que le service public et l’intérêt général ne sont pas de simples slogans vides de sens, mais le ciment de notre société, une part de son âme et une voie pour son avenir, même si elle n’est pas exclusive.     A. Dès lors, qu’est-ce qu’un haut fonctionnaire ? Trois traits principaux permettent de dessiner son profil : la compétence, la déontologie, le service de l’intérêt général.     La compétence, d’abord. Cela semble, a priori, une tautologie. Mais c’est bien de la compétence des agents publics et, plus particulièrement, des hauts fonctionnaires, que dépendent au premier chef le bon fonctionnement de l’Etat et l’efficacité de son action. La compétence est aussi l’une des sources de la légitimité de l’action du fonctionnaire. Si dans un Etat démocratique, la délibération et la décision incombent au Parlement et au Gouvernement, la fonction publique, dont vous faites tous désormais partie, assume une fonction essentielle de conception, d’analyse, de proposition, de mise en œuvre, de prospective et d’évaluation des politiques publiques. Sans elle, le pouvoir politique serait plus que démuni : il serait impuissant et les institutions démocratiques tourneraient à vide. En développant et en mobilisant vos compétences, vous pourrez utilement conseiller, proposer et mettre en œuvre les politiques auxquelles vous serez associés. Mais la compétence n’est pas un donné, c’est un patrimoine à acquérir et entretenir.     L’ENA sera pour vous une première étape. D’autres suivront, car il faudra vous préparer à aborder des savoirs, des techniques et des méthodes que vous et moi peinons aujourd’hui à concevoir. Le métier de fonctionnaire connaîtra en effet dans les prochaines décennies, à la mesure de l’évolution du rôle de l’Etat, de nouvelles mutations que nous pressentons, sans pouvoir les décrire.     Compétence donc, mais aussi déontologie. L’une ne va pas sans l’autre et l’ethos professionnel du haut fonctionnaire se nourrit des deux. Parce qu’en France, peut-être davantage qu’ailleurs, la fonction publique incarne une certaine idée de l’Etat et la défense, comme la permanence, de l’intérêt général, elle est tout entière irriguée par un corps de principes déontologiques. La probité et l’impartialité en sont le cœur. Ces principes méritent d’autant plus d’attention, voire de vigilance, que les transformations de l’action publique rendent celle-ci à la fois plus complexe et plus ouverte, que les différents intérêts à prendre en compte et distinguer s’entrechoquent ou s’imbriquent, que les choix des décideurs publics deviennent toujours plus délicats et que la société est légitimement plus exigeante que jadis envers ces décideurs. Il vous faudra faire preuve, à cet égard, d’une fine capacité d’analyse, d’une réelle indépendance d’esprit et d’une vigilance permanente et vous aurez à assumer un devoir particulier d’exemplarité.     Compétence d’abord, éthique ensuite, et ce en poursuivant un objectif : celui d’œuvrer pour l’intérêt général. Matrice et raison d’être de l’Etat, la recherche de l’intérêt général guide l’action des femmes et des hommes qui le servent. L’intérêt général n’est pas, vous le savez, une somme d’intérêts individuels ou même une agrégation d’intérêts collectifs. Sans les méconnaître ou les nier, il les dépasse. Il est, dans notre conception volontariste, l’expression de la volonté générale, traduite par la loi, éclairée par le juge et mise en œuvre par le pouvoir exécutif. « Finalité et limite de l’action publique » (3), l’intérêt général n’est cependant pas l’unique valeur: il doit en effet se concilier, sous le contrôle du juge, avec les droits et libertés et les intérêts particuliers. S’il existe un « esprit fonctionnaire » (4), c’est bien d’un « esprit de service public », c’est-à-dire « d’un esprit de service de l’intérêt général porté par la puissance publique », qu’il s’agit. C’est cet esprit forgé au travers de l’histoire de notre fonction publique qu’il vous appartiendra de cultiver et d’incarner et ce, dès votre scolarité.     Sans doute avez-vous encore aujourd’hui une connaissance abstraite ou partielle des valeurs et principes du service public, du moins pour ceux d’entre vous qui sont issus des premier et troisième concours. Vous en découvrirez rapidement les traductions concrètes, vous en ferez l’expérience personnelle dans les situations que vous rencontrerez dès votre scolarité. Les mettre pleinement en œuvre suppose un haut degré d’exigence personnelle et une conscience « des hauts devoirs que la fonction publique entraîne » (5). La refondation du lien de confiance entre les citoyens et leur administration constitue ainsi l’un de ces devoirs, particulièrement au cœur des difficultés que traverse notre pays.     B. Aujourd’hui plus encore qu’hier, vous ne pourrez donc vous permettre d’être simplement des techniciens, vous contenter d’entretenir la machine administrative, d’en serrer les boulons ou d’en vérifier les courroies de transmission. Pourquoi donc l’administration a-t-elle grand besoin en ce moment de ses cadres supérieurs ?     Lorsque je suis entré à l’ENA et me trouvais à votre place - dans les années 1970 –, l’administration ne se remettait pas vraiment en question. Au crépuscule, sans le savoir, des « Trente glorieuses », elle était certes éprise de modernité et de liberté – esprit de Mai 68 oblige – mais elle vivait sur ses acquis et, en quelque sorte, « ronronnait » dans une société qui ignorait le chômage de masse et une économie qui croissait à un taux supérieur à 4 % par an. La puissance publique de 2013 vit dans un tout autre contexte. Elle traverse une époque de transformation et de reconstruction qui impose, à la manière d’autres époques de notre histoire, de fédérer toutes les énergies, sans pour autant revendiquer pour elle aucun monopole. Au-delà de la permanence de l’Etat, il existe en effet des moments de refondation, de changement de paradigme. Nous sommes confrontés à un tel moment : la grave crise économique et sociale actuelle, le besoin d’ajustements structurels majeurs et les mutations nécessaires de la puissance publique exigent de penser et construire le changement, dans l’Etat comme dans la société. Pour ce faire, et sans bien sûr dénigrer l’initiative et l’entreprise privées sur qui notre redressement doit aussi prendre appui, l’Etat a besoin de hauts fonctionnaires qui soient animés par l’« esprit de service public », un esprit qui « exige un engagement, une clarté de vues, une force à déplacer les montagnes » (6).     Moins que jamais, le conservatisme ne saurait prévaloir : nous sommes à l’heure de l’ouverture, de la réinvention, de la refondation même, ai-je dit. Pour être force de proposition, le fonctionnaire, s’il entend être  utile à la Nation, doit se placer en permanence « en état de réforme intellectuelle et morale » (7). Marc Bloch, parlant à une autre époque et dans un autre contexte, n’exprimait pas autre chose dans L’Etrange défaite. Au-delà  de la maîtrise des techniques administratives, vous êtes donc appelés, dans un contexte d’urgences économiques et sociales impérieuses, à exercer de hautes responsabilités de conception et de mise en œuvre de politiques publiques qui exigeront beaucoup de vous aux plans intellectuel, personnel et moral.     II. Ce qui vous attend maintenant. L’ENA, dont vous êtes désormais les élèves, vous préparera à ces défis, au travers de la formation que vous allez recevoir.     A. Je ne voudrais pas, à ce stade de mon propos, faire l’impasse sur l’un des enjeux de votre scolarité qui a pour but non seulement de vous qualifier, mais aussi de vous classer. Je ne méconnais pas qu’il puisse y avoir, sinon contradiction, du moins manque de cohérence ou, peut-être, tension entre ces deux finalités. Le classement a pour seule fonction de régir la procédure d’affectation à l’issue de la scolarité sur les critères les plus objectifs possible. Il n’est pas envisagé- vous le savez – de le remettre en cause. Il vous appartiendra donc, comme à vos prédécesseurs, de gérer cette contrainte. Mais, avec le recul que donne l’expérience acquise, je m’autorise à vous délivrer ce double conseil.     Le premier : ne sacrifiez pas l’impératif de formation et de qualification aux soi-disantes exigences du classement, à supposer que les secondes puissent entrer en conflit avec le premier. Je ne pense pas qu’existe une telle contradiction et je ne recommande par conséquent pas les stratégies d’« optimisation » au détriment de la formation.     Second conseil : n’absolutisez pas le classement et ne faites surtout pas dépendre de votre rang l’estime que vous avez de vous-même. Certes, le classement oriente fortement les carrières ; mais il ne les détermine très heureusement en aucun cas. Rien n’est plus faux que de soutenir que les « jeux seraient faits », pour parler le langage des casinos, à l’issue de votre scolarité. Un examen objectif et impartial de l’annuaire des anciens élèves montrerait que la proportion de ceux qui accèdent ou ont accédé à de hautes responsabilités n’est pas significativement plus élevée dans ce qu’il est convenu d’appeler « la botte » que dans le reste d’une promotion. Cette réalité demeure obstinément méconnue, car elle ne correspond pas aux mythes auxquels tant de personnes et d’institutions – les médias, la société et, par ricochet, une part importante des hauts fonctionnaires – veulent croire ou finissent par croire.     B. Venons-en à ce qui importe le plus à mes yeux. L’Ecole où vous entrez est un lieu de préparation de votre avenir. Votre avenir individuel, votre avenir collectif en tant que promotion et génération de fonctionnaires, mais surtout, l’avenir de notre pays, notre destin collectif, sans que bien sûr ce destin repose uniquement sur l’Etat et ses serviteurs. Elèves d’une école d’application, vous développerez vos connaissances et vos compétences et vous les mettrez progressivement en musique après avoir, en vue du concours d’entrée – mais c’est déjà du passé –, appris le solfège et fait des gammes. Plus tard, sur ces bases et après avoir accumulé de l’expérience, vous pourrez vous lancer dans des partitions plus difficiles, voire des improvisations.     Les enseignements que vous allez suivre ne sont pas des en soi, des « cours » théoriques détachés de la réalité : ils doivent vous permettre de répondre avec pertinence, c'est-à-dire efficacité et humanité, aux besoins d’une société qui se transforme. Cela tiendra à vos enseignants, sans doute. Mais cela tiendra aussi, et avant tout, à vous-mêmes. En suivant ces enseignements, sans cesse, posez-vous toujours la question : pourquoi ? Pour quoi faire demain ? Sans cesse, observez attentivement, en particulier dans vos stages,  le monde qui vous entoure et soyez aussi, dans ce cadre, force de proposition, car vous avez vocation à vous inscrire dans des projets et une action administrative. L’Ecole ne saurait être un cocon dans lequel vous replier et vous protéger et elle ne doit surtout pas vous faire oublier la réalité qui se déploie hors de ses murs. Elle vous prépare au contraire à vous projeter dans le monde extérieur où vous serez appelés à travailler avec des équipes beaucoup plus hétérogènes que vous ne le pensez et avec des interlocuteurs et partenaires français et étrangers encore plus divers. Préparez-vous donc au brassage des cultures. Cette ouverture, liée à l’évolution de l’administration et à la transformation de l’action publique, est un impératif qui ne saurait venir en conflit avec la « culture du haut fonctionnaire », car elle en est une composante.     Ne perdez pas de vue non plus que votre scolarité à l’ENA est d’une nature radicalement différente d’une scolarité dans une école d’ingénieurs, une école de commerce ou un institut d’études politiques. Vous êtes des hauts fonctionnaires, en formation certes. Mais vous l’êtes dès maintenant pleinement et vous devez vous comporter comme tels. C’est ainsi que vous serez, notamment dans vos stages, regardés, jaugés, testés. Que vous le vouliez ou pas, vous incarnerez pour vos interlocuteurs l’Etat. Il en résulte des responsabilités, des devoirs, parfois des difficultés et, en tout cas, une exigence d’exemplarité, auxquels vous devez être attentifs. Il est attendu de vous que vous vous comportiez en ayant intégré le plus grand nombre possible des qualités des fonctionnaires.     En rejoignant l’ENA, vous expérimenterez aussi, sans doute, une dimension plus négative. L’Ecole qui a émergé des années d’abaissement et de servitude de l’Occupation, mais aussi d’honneur de la Résistance, ne cesse de susciter autant de ressentiment que de fascination. Cette situation résulte d’une tradition de sacralisation ou d’idolâtrie du pouvoir dans notre pays et, en même temps, d’insatisfactions à l’égard de l’Etat et, pour partie aussi, d’un jeu de défausse sur la fonction publique d’une forme d’impéritie du politique. Elle se révèle cependant en décalage profond avec la réalité de l’Ecole –de son encadrement et de ses élèves-, de la formation qui y est dispensée et des réformes conduites ces dernières années, qui sont appelées à s’approfondir. Car tout est perfectible. L’ENA et sa scolarité aussi. Soyez persuadés que l’Ecole fait tout pour vous préparer à servir le bien public et, en particulier, vous mettre en mesure de répondre aux besoins pressants de notre pays. Elle demeure, au-delà de toutes les attaques, une porte éminente pour le service de l’Etat, sans renoncer à être par sa diversité le « miroir d’une Nation » (8).     C. Les directions que j’évoque sur votre présence à l’Ecole ne sont que des conseils, des balises sur le chemin que vous allez suivre. La scolarité n’est pas et ne doit pas être la préparation d’un « second concours d’entrée ». Elle doit être une source d’enrichissement afin d’acquérir et d’aiguiser vos compétences opérationnelles et de vous construire ou vous perfectionner en tant que hauts fonctionnaires. A ce titre, je voudrais vous livrer trois recommandations.     D’abord, puiser vos ressources dans l’Ecole qui dispose encore, en dépit de la dureté des temps budgétaires, des moyens d’accomplir sa mission. Puiser ces ressources dans la richesse des enseignements que vous recevrez et des conférences qui vous seront données, bien sûr, mais aussi dans les échanges avec vos maîtres de stage et les intervenants que vous serez conduits à rencontrer. N’hésitez pas à confronter votre réflexion à celle des grands acteurs ou témoins des chantiers majeurs de l’Etat qui viendront vous entretenir de leurs projets et de leurs résultats. Echangez aussi avec vos camarades, car cette richesse que je vous invite à capter existe bien sûr parmi vous, qui venez d’horizons très différents, et elle mérite d’être partagée.     Deuxième recommandation : puiser aussi vos ressources en cultivant votre curiosité. Ouvrez-vous à l’inconnu, confrontez-vous au terrain, interrogez-vous afin d’être en mesure de servir, de la manière la plus utile qui soit, la collectivité. Je ne m’attarderai pas sur la nécessaire dimension comparatiste des politiques et de l’action publiques, mais il ne fait aucun doute que la richesse et la variété des expériences au service du public définissent le fonctionnaire de demain. Evitez aussi de verser, sans renier les nécessaires apprentissages, dans un « intégrisme gestionnaire » (9); pour parer à ce risque, cultivez vos différences, votre imagination et votre inventivité : ce ne sont pas des faiblesses, mais d’indéniables forces.     Troisième recommandation : puiser, enfin, en vous. La scolarité à l’ENA, notamment à travers les stages, est l’occasion de vous mettre à l’épreuve et de vous auto-évaluer, de connaître vos points forts et vos limites, de tirer parti de vos erreurs. A cet égard, s’il est légitime que vous cultiviez la confiance en vous, sachez reconnaître simplement vos erreurs et vos limites, veillez en toutes circonstances à prohiber l’arrogance et demeurez modestes. L’Ecole est en tout cas en capacité de vous fournir un viatique pour les premières années de votre carrière. Mettez ainsi à profit votre scolarité pour faire le bilan de vos compétences, approfondir vos connaissances, combler vos lacunes dans certains domaines de l’administration ou des grandes politiques publiques, dans les techniques quantitatives ou les langues…     Dans un monde où la rapidité des changements met à néant le poncif d’une administration suspendue dans le temps, les hauts fonctionnaires devront nécessairement se mettre à niveau, se ré-adapter, voire constamment se re-former. L’ENA n’est donc pas une fin en soi, mais un moyen de vous préparer aux premières étapes de la mission à la fois exigeante et exaltante qui vous attend.     Tels sont les grands enjeux de la scolarité qui, pour vous, commence aujourd’hui : acquérir les principes déontologiques et développer toutes les qualifications, éminemment globales et plurielles, que l’Etat et la société attendent de personnes appelées à les servir.     Ce parcours de deux ans qui vous attend, vous l’accomplirez ensemble. L’Ecole est en effet un lieu d’effort à coup sûr, de tension et de stress parfois, mais aussi, plus souvent, de solidarité. Il s’y noue ou il s’y renforce, au-delà de l’émulation, beaucoup d’amitiés forgées ou affermies par les expériences communes que vous partagerez et qui transcendent la diversité des formations initiales, des parcours antérieurs, des concours d’entrée et, au-delà de la scolarité, des choix de corps à la sortie. La scolarité à l’ENA revêt ainsi une dimension humaine fondatrice que je tiens à souligner et qui n’a rien à voir avec l’esprit de caste ou le corporatisme que naturellement je réprouve. Cette dimension humaine vous accompagnera durablement dans votre vie.     Par ailleurs, s’agissant du déroulement de la scolarité, si je ne méconnais pas les contraintes fortes liées aux déplacements et déménagements fréquents entre les lieux de stage et le siège de l’Ecole à Strasbourg, sachez que celle-ci est attentive à la conciliation de la vie professionnelle et la vie personnelle des élèves. L’Ecole devient même un lieu d’expérimentation des bonnes pratiques imposées par cette conciliation.                                                               ***

    Vous avez choisi la voie du service de l’Etat dans la haute fonction publique. Cette mission est l’une des plus belles et des plus exigeantes de celles que puissent choisir des jeunes hommes et femmes déjà très qualifiés, qu’ils soient dotés ou non d’une expérience professionnelle antérieure. Servir la collectivité, servir son pays, promouvoir concrètement l’intérêt général, c’est une mission éminente, motivante et captivante. Toute carrière comporte son lot d’insatisfactions et de déceptions. Mais rien, ni personne ne pourra vous ôter la dignité et l’intérêt des fonctions que vous allez exercer.     L’Etat attend de vous, non point une mythique perfection, non point seulement des talents, des compétences et de l’intelligence ; il attend de vous de l’imagination, du réalisme et de la volonté ; il attend aussi de vous du courage. Qu’est-ce que le courage pour un fonctionnaire ? La capacité de penser par soi-même, le cas échéant à contre-courant, à défendre et assumer son point de vue ; l’aptitude à assumer la tension éthique entre l’obéissance et la loyauté, d’un côté, l’indépendance et la liberté de parole, de l’autre ; l’aptitude à assumer pleinement les devoirs et les ambitions de l’Etat, mais aussi à rappeler les principes, les limites et les lignes rouges à ne pas franchir. En un mot, le sens des responsabilités, la capacité d’assumer jour après jour une éthique de la responsabilité qui n’oblitère pas toute forme d’éthique de la conviction.     Chaque voie est singulière et chacun d’entre vous construira la sienne. Mais j’espère que vous retirerez de votre scolarité et de la réflexion qui l’accompagne la conviction que servir l’Etat est à la fois une chance, une responsabilité et un honneur, parfois redoutables mais qui donnent sens à une vie. Je souhaite surtout que, dans quelques décennies, en vous retournant sur votre parcours, vous puissiez mesurer ce qu’a été, pour vous concrètement, l’honneur de vivre au service de la chose publique et que vous puissiez penser, comme je le pense, et peut-être même dire : « Cela en valait la peine ».

  (1) Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.  (2) P. Legendre, Miroir d’une Nation. L’Ecole nationale d’administration, 1999, p. 12.  (3) Rapport public du Conseil d’Etat 1999 « L’intérêt général », p. 271.  (4) Ch. Vigouroux, « L’esprit fonctionnaire, faiblesses et forces », in Déontologie des fonctions publiques, p. 2.  (5) Rapport au président du Gouvernement provisoire de la République française sur l’ordonnance du 9 octobre 1945.   (6) Ch. Vigouroux, op. cit, p.5.   (7) Ch. Vigouroux, op. cit, p.4.   (8) P. Legendre, Miroir d’une Nation. L’Ecole nationale d’administration, 1999, p. 26.  (9) P. Legendre, Miroir d’une Nation. L’Ecole nationale d’administration, 1999, p. 26.