Discours

Visite de la délégation du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne

Par Bernard Pêcheur, président adjoint de la section de l'administration
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Une délégation du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne, conduite par son président Paul Mahoney, s’est rendue au Conseil d’État le 23 novembre 2009.

La Fonction Publique française : permanences et évolutions, par Bernard Pêcheur, président adjoint de la section de l'administration

 

I- Le système français de fonction publique est historiquement inséparable de la construction de l'Etat moderne.

 1°Les fondements constitutionnels de l'administration publique

La Déclaration de 1789 est, dans la matière administrative comme dans beaucoup d'autres, un acte fondateur. Alors que ni l'Ancien Droit ni les philosophes du XVIIIème siècle n'accordaient d'attention à l'administration en tant que telle, l'Assemblée Nationale lui consacra directement 5 articles sur 17.

-         la subordination de l'administration au pouvoir politique expression de la souveraineté nationale est consacrée à l'article 3 ;

-         l'article 13 récuse la vénalité des charges et affirme la nécessité d'une contribution publique « pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration » ;

-         l'égale admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics « selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » est proclamée à l'article 6 ;

-         l'article 12 consacre la déontologie de la force publique, « instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée » ;

-         l'article 15, aux termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », fonde enfin le principe de la responsabilité des fonctionnaires à l'égard du pouvoir exécutif et de la société.

2°L'émergence progressive de la conception française de fonction publique

Les hommes de 1789 avaient ainsi exprimé une vision profondément novatrice de l'administration publique dans laquelle nous nous reconnaissons encore. Mais, force est de reconnaître que l'énoncé de ces principes ne faisait pas encore de la fonction publique une entité particulière ayant ses règles propres.

Cetteconception n'a émergé que progressivement, au fur et à mesure que se mettaient en place les réformes libérales du XIXème siècle et que les fonctions étatiques se développaient, requérant toujours plus de spécialistes de la chosepublique.

Trois points saillants marquent cette histoire.

a) En premier lieu, la nécessité apparaît progressivement de protéger les fonctionnaires contre l'arbitraire du pouvoir politique en place afin de mieux protéger les citoyens contre les risques d'abus.

La loi intervient ainsi pour reconnaître certainesgarantiesstatutaires :

-aux militaires, avec l' « état des officiers des armées de terre et de mer » de 1834 ;

-aux magistrats, avec la loi de 1883 transférant le pouvoir disciplinaire du Garde des Sceaux à la Cour de Cassation ;

-aux fonctionnaires auxquels sont reconnus, en 1905, le droit à la communication du dossier et, en 1912, le bénéfice de la règle du tableau d'avancement. L'administration est en effet devenu un enjeu politique du combat pour la démocratie.

b) Dans le même temps les premiers statuts particuliers régissant la discipline, l'avancement et les rémunérations sont édictés.

Ces statuts sont la marque des progrès du libéralisme mais traduisent aussi une certaine méfiance des gouvernants de la IIIème République à l'égard des fonctionnaires, dont tous n'étaient pas acquis au nouveau régime et plus tard à l'encontre du syndicalisme, après qu'il eût commencé de se développer dans les services publics. D'où le souci du pouvoir politique d'asseoir la primauté du principe hiérarchique et de garder l'entière maîtrise des règles applicables, en affirmant le caractère statutaire et réglementaire de la situation des fonctionnaires : les serviteurs de l'Etat ne peuvent pas et ne doivent pas être assimilés aux autres travailleurs, notamment en ce qui concerne l'expression des opinions politiques et le droit de grève. Le statut s'avère à la fois une protection pour les fonctionnaires mais aussi un bouclier pour le politique.

Le balancement entre deux logiques -une logique libérale conduisant à l'octroi de garanties contre l'arbitraire et le favoritisme, une logique régalienne favorisant le principe hiérarchique- marque de son empreinte tout le travail législatif de la seconde moitié du XIXème siècle et du premier tiers du XXème siècle.

c) Ce même balancement inspire l'œuvre jurisprudentielle considérable réalisée par le Conseil d'Etat, soucieux d'assurer une conciliation particulièrement nécessaire à la consolidation de l'Etat libéral en enracinant les avancées de la démocratie dans un droit public ayant sa propre finalité et ses propres règles.

Ainsi bien avant 1946, les fonctionnaires français se voient conférer par la jurisprudence un véritable statut tout à la fois protecteur et contraignantet, àce double titre, dérogatoire par rapport au droit commun.

Là est la source de ce qu'il est convenu d'appeler « le particularisme » de la fonction publique. Mais ce statut n'est encore constitué que de lois éparses et des principes énoncés par la jurisprudence. Manquait encore une loi générale commune à tous les fonctionnaires.

3°L'unification législative de la fonction publique civile

a)L'unification législative s'est faite en deux temps.

Tout d'abord la reconstruction de l'Etat entreprise à la Libération s'accompagna de l'édiction d'un Statut général législatif (la loi du 19 octobre 1946), organisant la fonction publique de l'Etat sur des principes communs :

- des fonctionnaires placés dans une situation légale et réglementaire, entièrement dérogatoire par rapport au droit commun du travail ;

- un cadre spécifique de garanties et d'obligations applicables à un « fonctionnaire-citoyen » ; une organisation en corps dotés chacun d'un statut particulier ;

- la sélection par concours ;

- le système de la carrière et, son corollaire, la distinction entre le grade et l'emploi),

- le tout étant complété en 1948 par une grille indiciaire unique des traitements afférents aux différents corps et grades.

Une seconde étape parachevant cette évolution séculaire fut franchie 35 ans plus tard, à l'occasion de l'importante réforme de la décentralisation opérée en 1982 : en même temps que le législateur est conduit à transférer des compétences importantes de l'Etat aux communes ,départements et régions , il s'attache à soumettre les agents territoriaux et les agents hospitaliers au même statut général que les fonctionnaires de l'Etat et à poser des principes de parité et de mobilité entre les trois fonctions publiques(les lois des 13 juillet 1983, 11 janvier 1984, 26 janvier 1984 et 9 janvier 1986).

b) Ainsi constitué le système français de fonction publique se rattache incontestablement au modèle weberien. Mais s'il n'existe donc pas, à cet égard, d'exception française, il existe néanmoins, c'est indéniable, un modèle français ayant des spécificités notables.

Celles-ci tiennent dans l'application qui a été faite de trois principes d'organisation.

En premier lieu, l'unicité : tous les emplois de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs sont, sauf dérogation expresse, tenus par des fonctionnaires, ayant les mêmes droits et obligations et rémunérés sur la base d'un classement dans une grille unique des corps, grades et emplois. La conception est donc très différente de celle en vigueur dans d'autres pays où l'administration d'Etat et l'administration locale relèvent de systèmes différents et séparés.

L'universalité, en second lieu : les règles spécifiques régissant les fonctionnaires valent, en France, quelles que soient la nature -régalienne ou non- de leur mission ou de leur position dans la hiérarchie, et cela contrairement au système dualiste qui prévaut par exemple en Allemagne.

La troisième caractéristique du système français, découlant des deux premières, est la centralisation du pilotage général des trois fonctions publiques. Si la gestion des personnels est assurée par les différents employeurs publics (ministères, régions, départements, communes, hôpitaux) l'évolution des traitements est pilotée par l'Etat (ministres chargés du budget et de la Fonction Publique) et la détermination des déroulements de carrière et des régimes indemnitaires est réglementairement encadrée. Par ailleurs la fonction publique territoriale est régie par le principe selon lequel les avantages accordés aux fonctionnaires territoriaux ne peuvent excéder les avantages consentis aux fonctionnaires homologues de l'Etat.

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Telle est la physionomie particulière du système français qui a pu apparaître comme un des exemples aboutis du « modèle weberien ». Pour autant le système autorise la prise en compte, au sein de l'administration publique, de situations juridiquement diversifiées.

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II -Le système français de fonction publique n'a pas la portée générale ni le caractère absolu qu'on lui a parfois prêtés.

 1°Le statut général des fonctionnaires n'est « général » qu'en tant qu'il s'applique aux fonctionnaires civils.

Ce statut commun couvre les fonctionnaires civils des services publics administratifs des collectivités publiques (Etat, collectivités territoriales et leurs établissements publics) et seulement ces agents.

Nombre d'agents publics ne relèvent donc pas du statut général :

a) les magistrats judiciaires et les militaires de carrière ont chacun leur propre statut « général », inspiré également par le système de la carrière ;

b) les cadres dirigeants de l'administration de l'Etat (directeurs, préfets, ambassadeurs) sont « à la décision du gouvernement » et ne sont pas titulaires de leur emploi (ils ne sont pas nécessairement recrutés parmi les fonctionnaires, sont dans une position juridique particulière et sont révocables « ad nutum ») ;

c) les agents du renseignement extérieur, bien qu'étant fonctionnaires de l'Etat, sont régis par un statut « ad hoc » ;

d) les agents contractuels de droit public de l'Etat,des collectivités locales et des hôpitaux , parce qu'ils occupent des emplois spécifiques et ne sont pas titulaires d'un grade, sont régis par des règles distinctes ,inspirées pour partie du droit des contrats, pour l'autre de certaines règles applicables aux fonctionnaires titulaires ;

e) les agents des services publics à caractère industriel et commercial, enfin, relèvent du droit du travail ;

2°Le statut général autorise une prise en compte différenciée des situations au sein même de la fonction publique civile.

 a) La construction statutaire de 1983-1986 a d'emblée tenté , mais ,de l'avis général, insuffisamment ,de prendre en compte la spécificité de la fonction publique territoriale, spécificité qui tient notamment à la multiplicité d'employeurs (plus de 50 000 employeurs) et au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Cette tendance à la différenciation entre la fonction publique territoriale et la fonction publique de l'Etat, assez limitée à l'origine, s'est ensuite affirmée : implication accrue des élus locaux dans la gestion des personnels ; reconnaissance des spécificités des métiers territoriaux, les agents étant répartis en 55 cadres d'emplois relevant de 10 filières professionnelles(contre plus de 1000 corps,à la même époque pour la fonction publique de l'Etat et encore 500 corps aujourd'hui) ; gestion plus fluide des carrières des agents territoriaux permise par le regroupement dans ces vastes ensembles.

b) Le statut général s'applique, selon une intensité variable et dans des conditions différenciées, à certains corps relevant de la fonction publique de l'Etat :

-à l'égard des membres du Conseil d'Etat, des membres de la Cour des Comptes et des magistrats administratifs, le statut général ne joue qu'un rôle subsidiaire ou supplétif, les garanties inhérentes aux fonctions juridictionnelles, notamment les garanties d'indépendance, résultant de lois spéciales et de la jurisprudence ;

-les fonctionnaires de police et les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire sont régis par des statuts spéciaux législatifs partiellement mais substantiellement dérogatoires par rapport au statut général ;

-pour certains corps les statuts particuliers fixés par la voie réglementaire (décrets en Conseil d'Etat) peuvent déroger, (statuts dérogatoires dits de » l'article 10 » ) pour les besoins du service et sur certains points que la loi a définis, aux règles mêmes du statut général ;

- pour tous les corps les décrets portant statut particulier peuvent et même doivent fixer, sous le contrôle du juge, les règles particulières adaptées aux besoins du service (mission du corps, niveau et modalités du recrutement, structure du corps en grades et échelons, modalités du déroulement de carrière...)

c) Au sein de la fonction publique de l'Etat, le système de la carrière a été jugé compatible avec des dispositifs relevant d'une logique d'emploi.

 Ont donc pu être mis en place, selon les besoins du service :

- des bonifications indiciaires ou des primes fonctionnelles permettent de prendre en compte de façon différenciée, au sein de certains corps, les particularités (en termes de technicité ou de responsabilité) de certains emplois ;

-des statuts d'emploi permettent d'organiser pour des emplois définis (au niveau de l'encadrement essentiellement) des recrutements ciblés et temporaires de fonctionnaires recrutés sur profil, les intéressés étant seulement détachés pour la durée de l'exercice des fonctions et réintégrés ensuite dans leur corps d'origine.

d) Enfin l'approche fonctionnelle de la notion d'administration publique, qui devait présider à l'ouverture des fonctions publiques européennes et que certains jugeaient difficilement compatible avec le système de corps et de carrière, a pu être mise en œuvre dans le droit positif.

L'accès des ressortissants communautairesaux corps et cadres d'emplois de la fonction publique est ainsi possible depuis la loi du 26 juillet 1991 prévoyant l'ouverture, au cas par cas, par décret, des corps, cadres d'emplois et emplois dont les attributions sont soit séparables de l'exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation à l'exercice de prérogatives de puissance publique. Par ailleurs depuis la loi du 16 décembre 1996, l'accès à la fonction publique est également ouvert par la voie de l'accueil en détachement de fonctionnaires d'un autre Etat membre de l'Union, de même qu'est autorisé le détachement de fonctionnaires français vers les administrations d'autres Etats membres.

Au système d'ouverture au cas par cas en vigueur depuis 1991, la loi n° 2005 - 843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique a substitué une ouverture de principe de tous les corps, cadres d'emplois et emplois de la fonction publique, les ressortissants communautaires n'ayant ,par exception, pas accès aux emplois liés à l'exercice de prérogatives de puissance publique. L'ouverture est ainsi devenue la règle tandis que la fermeture de certains emplois n'est plus que l'exception.

 Lors de leur accueil dans la fonction publique, les lauréats d'un concours ou les agents détachés bénéficient de la prise en compte de la durée des services qu'ils ont effectués dans leur pays d'origine dès lors que ces services sont comparables à des services publics au sens du droit français .Une commission d'équivalence pour le classement des ressortissants communautaires, créée en 2002 a ainsi pour mission d'aider les administrations à prendre en compte les services.

Les dernières évolutions en date concernent la prise en compte de l'expérience des titres et diplômes acquis dans l'union européenne. Le décret n°2007 - 196 du 13 février 2007 relatif aux équivalences des diplômes requises pour se présenter au concours d'accès au corps et cadre d'emplois de la fonction publique, simplifie les mécanismes de prise en compte de l'expérience professionnelle et d'équivalence des diplômes. En ce qui concerne les concours dont les conditions d'accès sont définies par référence à un niveau de diplôme, le décret permet aux services de recrutements de statuer directement sur la majorité des demandes d'équivalence des diplômes, à travers des règles objectives, tant pour ce qui concerne l'appréciation des diplômes ou titres de formation des candidats qu'en ce qui concerne leur expérience professionnelle. Lorsqu'un diplôme précis et demandé, les demandes d'équivalence sont examinées par une commission spécifique. Dans ce cas le décret a prévu une disposition fondée sur la transposition de la directive 2005/36/CE .

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Le système de fonction publique n'est donc pas et n'a, d'ailleurs, jamais été un bloc monolithique. Pour autant de fortes critiques lui ont été adressées qui sans cependant remettre en cause les fondements du système, ont conduit à mettre en œuvre ou à envisager des réformes substantielles, notamment au niveau du cadre de gestion et de l'architecture des corps.

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III Les axes de réforme

 1° Les raisons d'un changement de perspective sont à rechercher dans le renouvellement des termes du débat public touchant à la fonction publique depuis le début des années 2000.

La modernisation des administrations est engagée depuis une vingtaine d'années sous l'influence de multiples facteurs (les conséquences de la décentralisation, l'influence du « nouveau management public », la pression des usagers, le droit de la concurrence, la refonte de la loi organique sur les lois de finances ...). Depuis quelques années, cependant, a émergé l'idée qu'une réforme profonde de la fonction publique était nécessaire.

Tout d'abord la réforme de la loi organique sur les lois de finances du 1er août 2001 (LOLF) a conduit à modifier profondément la logique de la gestion financière des administrations de l'Etat, notamment en ce qui concerne la dépense de personnel (budgétisation en masse salariale, recyclage des économies d'emploi sur le fonctionnement courant) .

Parallèlement l'accent mis sur le développement des responsabilités est apparu comme peu compatible avec les rigidités de gestion des corps de l'Etat et comme appelant une révision radicale des règles et des pratiques.

Le rapport du Conseil d'État de 2003 a servi de catalyseur .Dans son rapport annuel de 2003, le Conseil d'Etat s'est ,en effet, livré à une analyse sans concession de la gestion de la fonction publique et a formulé de nombreuses propositions tendant à améliorer la gestion des fonctionnaires, à favoriser la déconcentration de la gestion et à simplifier l'architecture des corps de la fonction publique de l'État. La Cour des Comptes, de son côté, a dressé un diagnostic convergent.

Il est certain que ces prises de position, venant d'institutions indépendantes, travaillant au contact des administrations ont accéléré la prise de conscience de cette nécessité.

Un certain nombre de chantiers ont été ouverts par le Gouvernement de l'époque.

Le Gouvernement issu des élections de 2007 a repris à son compte nombre de propositions formulées en 2003 par le Conseil d'État. Il y a vu, en effet, un des leviers permettant d'accroître l'efficacité et l'efficience desservices administratifs endynamisant la gestion des personnels et en motivant les agents. Il y a vu également un des moyens d'accompagnement de la restructuration des administrations d'État, engagée dans le cadre du programme quinquennal 2007- 2012 de révision générale des politiques publiques (RGPP). Cette réforme de l'État qui s'est appuyée sur un audit systématique des missions de l'État a débouché sur 374 décisions de modernisation qui doivent être mises en oeuvre d'ici 2011 et fondent les économies structurelles de la loi de programmation des finances publiques de 2009 -2011, notamment en assurant le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Au sein de la RGPP, la réforme de ressources humaines de l'État devrait permettre à elle seule 7 milliards d'euros d'économies à l'horizon 2011.

 2° Le changement n'affecte pas principalement les fondements du statut général des fonctionnaires, même si certains d'entre eux ont subi des aménagements.

 a)Le régime des droits et obligationsdes fonctionnaires

Les objectifs assignés au premier statut général de 1946 visaient à recréer une fonction publique intègre, professionnelle, impartiale et loyale à l'égard de l'autorité politique. D'où l'ensemble des droits et obligations définis par le législateur de l'époque et qui furent réaffirmés dans les deux statuts successifs de 1959 et de 1983.

De l'avis général ces objectifs ont été atteintset paraissent toujours actuels etpertinents. Aussi n'existe-t-il aucun projet remettant en causele régime général desdroits et obligations, défini par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ainsi quel'équilibre qui en résulte. Un sujet revient cependant périodiquement dans le débat public, qui concerne l'exercice du droit de grève dans les services publics et ses conséquences sur la continuité du service : la loi n°2008-790 du 20 août 2008 est venue ainsi instituer un droit d'accueil des écoles maternelles et élémentaires en cas de grève.

b) Le caractère statutaire et réglementaire de la situation des fonctionnaires

Un projet de loi a été déposé mais non encore voté afin de revivifier les instances de concertation de la fonction publique et de généraliser le recours à l'élection pour la composition de toutes ces instances. En outre et surtout le projet de loi prévoit un mécanisme de négociation d'accords collectifs majoritaires avec les organisations syndicales portant sur l'ensemble des questions touchant à la situation des fonctionnaires : rémunérations, carrière, formation ,protection sociale, conditions de travail...Toutefois le caractère statutaire et réglementaire de la situation des fonctionnaires n'est pas remis en cause : les accords collectifs ne seront susceptibles de trouver application que si et dans la mesure où le gouvernement décide de les reprendre dans des textes législatifs ou réglementaires « ad hoc ».

c) L'unicité de la fonction publique

On a vu que les trois fonctions publiques civiles (Etat, collectivités territoriales et hôpitaux) sont à la fois diverses mais régies par des principes communs. Ce que l'on peut appeler l'unicité de la fonction publique, loin d'être remise en cause, vient d'être renforcée par deux réformes récentes.

En premier lieu, la loi du 3 août 2009, dite loi mobilité, a ouvert l'ensemble des corps, cadres d'emplois et emplois des trois fonctions publiques à la mobilité interne.

 Dès lors, sauf exceptions très limitées, l'ensemble des corps, cadres d'emplois et emplois seront désormais accessibles, par voie de détachement suivi d'intégration ou par voie d'intégration directe, à l'ensemble des fonctionnaires des trois fonctions publiques. Cette possibilité est même étendue à la fonction publique militaire et réciproquement. Outre qu'il offre une gamme plus étendue de postes offerts aux fonctionnaires et favorise ainsi la mobilité fonctionnelle, ce décloisonnement revient à créer un véritable « marché de l'emploi public », en vue de favoriser le bon déroulement des importantes et nombreuses restructurations conduites dans les administrations civiles et militaires et de permettre le reclassement des agents affectés par des suppressions de postes.

Par ailleurs le projet de loi de modernisation du dialogue social, qui vient d'être déposé au Parlement, créée un conseil supérieur de la fonction publique, compétent pour traiter les questions communes ou transversales aux trois fonctions publiques. Cette instance consultative nouvelle vise à favoriser les convergences entre les trois fonctions publiques, notamment au niveau des GRH et des approches en termes de « métiers ».

d) Le principe du concours

La modernisation des concours est engagée afin d'en diversifier les modalités et d'en professionnaliser le contenu. En même temps est encouragée la diversification des viviers de recrutement : des classes préparatoires intégrées ont été créées dans de nombreuses écoles administratives (ENA, ENM, Ecole nationale supérieure de la police, IRA...) afin d'attirer vers les carrières publiques plus de jeunes issus des milieux socialement défavorisés et de l'immigration et de leur offrir des formations adaptées les préparant aux épreuves. Mais le principe du concours, qui trouve son fondement dans l'article 6 de la Déclaration de 1789, n'est nullement remis en cause. Ainsi ,si le gouvernement a décidé de supprimer le classement de sortie de l'ENA ,qu'il remplace par un mécanisme d'évaluation, en fin de scolarité, des aptitudes des élèves au regard des besoins exprimés par les différents employeurs, le concours initial d'accès à l'ENA est maintenu.

3° Les changements les plus importants portent sur la structure et la gestion de la fonction publique de l'Etat.

a)La modernisation du cadre de gestion de la fonction publique de l'État

Sans être en rupture avec les actions engagées depuis plusieurs années, la refonte du cadre de gestion est activement poursuivie.

L'accent est mis sur les métiers et sur la valorisation de l'expérience professionnelleet pas seulement sur les notions de corps et de grade. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est regardée comme une priorité. Les démarches d'évaluation sont privilégiées. La personnalisation des parcours de carrière, la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle et le droit à la mobilité sont utilisés comme leviers des politiques de ressources humaines à conduire dans les différents ministères. Les politiques indemnitaires sont réorientées vers une meilleure prise en compte des fonctions et de la performance (une prime de fonction et de responsabilité instituée par le décret n° 2008 - 1533 du 22 décembre 2008 a vocation à servir de base à la Refondation des régimes indemnitaires des différentes filières professionnelles. Un mécanisme d'intéressement collectif à la performance a commencé d'être mis en place dans certains services, ainsi dans les ministères économiques et financiers ou dans la police nationale.

b) La refonte de l'architecture des corps de l'État

La politique de fusion des corps et de simplification de l'architecture des statuts particuliers, engagée au début des années 1990 et dont le rapport du Conseil d'État de 2003 avait souligné la nécessité, a été activement conduite et même renforcée au cours des deux dernières années.

 Aujourd'hui subsistent encore 500 corps et 200 statuts d'emploi et le Gouvernement semble vouloir engager une nouvelle étape en constituant de vastes corps interministériels regroupant chacun plusieurs dizaines de milliers d'agents notamment dans les métiers administratifs ou techniques. Ces corps interministériel, dont l'Assemblée générale du Conseil d'État a eu récemment à définir les conditions de création et de gestion (avis des 28 et 29 mai 2009) devrait permettre renforcer les pouvoirs de gestion des autorités déconcentrées tout en favorisant la déconcentration du dialogue social.

Cependant en 2003, le Conseil d'État avait esquissé, à titre d'alternative, les grandes lignes d'une réforme plus radicale de l'architecture des corps, lesquels pourraient être remplacés par moins de 50 cadres d'emplois correspondants à quelques grandes filières professionnelles, à l'instar de la conception qui a prévalu pour la construction de la fonction publique territoriale.

Dans la ligne de ces propositions, le gouvernement a engagé, d'octobre 2007 à février 2008, une consultation nationale, dite Livre blanc sur l'avenir de la fonction publique, visant à dessiner les contours d'une fonction publique de métier. Parmi de nombreuses recommandations, figure la proposition de créer 7 filières professionnelles (filière d'administration générale, filière financière et fiscale, filière sociale, filière de l'éducation et de la recherche, filière culturelle, filière technique, filière de la sécurité,), chaque filière étant subdivisée en quatre niveaux de qualification et surmontée par un niveau fonctionnel, constitué des emplois de direction est accessible aux agents publics comme à des personnes venant du secteur privé.

Par ailleurs le Livre blanc propose d'autoriser un large recours aux contrats de droit public et de droit privé. Le Gouvernement n'a pas encore pris parti sur les suites à réserver à ces propositions.