Avis sur la proposition de loi d’expérimentation pour des territoires « zéro chômage de longue durée »

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L'Assemblée nationale a publié l'avis sur la proposition de loi rendu par le Conseil d'État d’expérimentation pour des territoires « zéro chômage de longue durée ».

CONSEIL D’ÉTAT    
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU JEUDI 12 NOVEMBRE 2015
Section sociale
N° 390.641
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

    
Saisi par le président de l’Assemblée nationale sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, de la proposition de loi n° 3022 d’expérimentation pour des territoires « zéro chômage de longue durée », présentée par MM. Bruno Le Roux, Laurent Grandguillaume, Dominique Potier, Jean-René Marsac, Jean Grellier, Sylvie Tolmont, Sylviane Bulteau, Arnaud Leroy, Yves Blein, Christian Paul et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés, députés, le Conseil d’État, après avoir examiné l’ensemble des articles de la proposition, estime que celle-ci appelle les observations suivantes de sa part.

I. - Sur l’économie générale de la proposition de loi

1. Cette proposition de loi part du constat que le chômage de longue durée connaît une progression ininterrompue depuis 2008 pour atteindre aujourd’hui le chiffre de 2,2 millions de personnes et une proportion de près de 45 % de l’ensemble des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi relevant des catégories A, B ou C, dont les membres sont astreints à des démarches de recherche d’emploi.

2. Dans un esprit de complémentarité avec les nombreux dispositifs existants d’aide à l’embauche dans les secteurs marchand et non-marchand, la proposition de loi vise à jeter les bases de la première phase de l’expérimentation d’un dispositif nouveau.

3. L’approche qui sous-tend la proposition de loi se situe au croisement de deux composantes de la politique de l’emploi : l’aide à l’embauche de personnes rencontrant des difficultés particulières de retour ou d’accès à l’emploi sans être les plus éloignées de l’emploi, et le développement, sur une base locale d’analyse des besoins, d’une offre de services socialement utiles.

4. Elle consiste à faire distribuer par un fonds, alimenté notamment par une dotation de l’État et des contributions de toutes les collectivités volontaires pour participer à l’expérimentation, une aide financière permettant à des entreprises relevant du secteur de l’économie sociale et solidaire, au sens des articles 1er et 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, de recruter sous contrat à durée indéterminée, à temps plein ou, le cas échéant, à temps partiel, des « personnes durablement privées d’emploi » rémunérées au salaire minimum interprofessionnel de croissance, ces personnes restant inscrites comme demandeurs d’emploi sur les listes gérées par Pôle emploi.

5. Au niveau local, des comités n’exerçant pas d’attributions de gestion auraient pour mission d’identifier les personnes susceptibles de devenir bénéficiaires du nouveau dispositif ainsi que les besoins auxquels pourraient répondre les emplois ainsi subventionnés et, le cas échéant, de susciter la création d’entreprises appelées à être conventionnées dans le cadre du dispositif.

6. Au niveau national, un fonds aurait pour mission de superviser le pilotage incombant aux comités locaux, d’approuver leurs modalités de fonctionnement et le programme d’actions que le comité local s’engagera à mettre en œuvre dans le ressort territorial de l’expérience et de passer une convention avec chacune des entreprises volontaires afin de leur accorder le financement nécessaire aux embauches.

7. Le financement du fonctionnement du fonds et des comités locaux serait assuré dans les conditions prévues par une convention signée par le fonds avec l’État, Pôle emploi et le Fonds national d’aide au logement (FNAL).

8. L’expérimentation est conçue pour se dérouler en trois phases, dont la première est régie par la proposition de loi.

Cette première phase vise à expérimenter le dispositif à une échelle réduite, fixée par la proposition de loi à un maximum de dix collectivités ou groupe de collectivités.

 9. Une deuxième phase aurait pour vocation d’étendre le dispositif à de nouvelles zones en s’appuyant sur les résultats de l’évaluation de la première phase.

 10. Une troisième phase pourrait consister, à plus long terme et si les deux premières phases s’avèrent probantes, à permettre à toute entreprise relevant de l’économie sociale et solidaire qui le souhaiterait de s’inscrire dans le dispositif.

11. L’entrée en vigueur de la première phase est prévue, en l’état de la proposition de la loi, au 1er janvier 2016.

II. - Sur le partage entre la loi et le règlement

12. S’agissant de la qualification de la proposition de loi au regard de la répartition des compétences entre la loi et le règlement sur le fondement des articles 34 et 37 de la Constitution, il y a lieu de rappeler que seules appellent en principe l’intervention du législateur les dispositions qui relèvent de l’une des matières énumérées à l’article 34 ou qui dérogent à un principe général du droit.

13. La participation de collectivités territoriales est, en l’état du texte, facultative en ce qu’elle est tributaire de leur volontariat pour prendre part à l’expérimentation. La libre administration des collectivités territoriales n’est, par suite, pas directement mise en cause.

Toutefois, dès lors que des collectivités territoriales choisiront d’entrer dans l’expérimentation, un régime obligatoire s’imposera à elles. Outre leur participation aux comités locaux qui auront un rôle de promotion du dispositif et de contrôle pour en éviter un usage détourné (effet d’aubaine, concurrence avec le secteur marchand…), les collectivités volontaires auront à cosigner les conventions assurant au fonds - national - les ressources nécessaires. Elles devront également contribuer à ce financement, dans un premier temps ou durant toute la phase d’expérimentation, sur une base conventionnelle.

14. Relèvent de dispositions de nature législative celles de l’avant-dernier alinéa de l’article 7 qui prévoient qu’au cas où l’expérimentation ne serait pas poursuivie, notamment parce que le législateur ne serait pas intervenu au terme du délai de cinq ans, les entreprises conventionnées pourront mettre fin à tout ou partie des contrats de travail pour motif économique. Une telle pré-qualification du motif économique, que le Conseil d’État a déjà admise, lors de l’examen des dispositions des articles 15 et 17 de la loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi relatives au sort du salarié qui refuse l’application d’un accord de mobilité interne ou d’un accord de maintien de l’emploi en cas de difficultés de l’entreprise, ne peut résulter que de la loi.

15. Relèvent enfin du domaine législatif les dispositions qu’il est suggéré d’insérer dans la proposition de loi, et qui sont destinées à préciser le mode de gestion du fonds. Il est envisagé que celui-ci soit géré par une structure associative sui generis dont les modalités de gouvernance et de contrôle par l’État devront, dans leurs grandes lignes, être précisées dans la proposition de loi afin que les exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relatives à la détermination par la loi des conditions de l’expérimentation soient respectées.

16. Les autres dispositions de la proposition de loi, qui présentent un caractère règlementaire, sont en nombre limité et n’apparaissent pas dissociables de celles qui relèvent du domaine de la loi afin d’assurer l’intelligibilité du dispositif expérimental proposé. Par conséquent, le Conseil d’État ne recommande pas leur retrait.

III. - Sur le caractère expérimental du contenu de la proposition de loi

A. - Le fondement constitutionnel

17. La proposition de loi trouve son fondement dans l’article 37-1 de la Constitution, aux termes duquel « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limitée, des dispositions à caractère expérimental ». Cet article permet au législateur comme au pouvoir réglementaire de déroger au principe d’égalité dans le cadre et pour les besoins de l’expérimentation.

18. La proposition de loi fixe elle-même le cadre normatif de l’expérimentation. Elle n’a ni pour objet ni pour effet de transférer à des collectivités territoriales une partie du pouvoir normatif de l’État. Elle n’habilite pas ces collectivités à édicter des normes dérogeant à titre expérimental à des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Elle ne s’inscrit par conséquent pas dans le cadre des dispositions du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution.

19. Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que le législateur doit définir de façon suffisamment précise l’objet et les conditions de l’expérimentation et ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle (décision n° 2004-503 DC du 12 août 2004, considérants 8 à 14 ; décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007 du 21 novembre 2007, considérant 13 ; décision n° 2011-635 DC du 4 août 2011, considérants 17 à 20). La décision du 12 août 2004 a implicitement jugé que les dispositions du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution ne font pas obstacle à ce que la loi comporte, sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution, des dispositions à caractère expérimental concernant les collectivités territoriales.

20. Le législateur doit déterminer le terme des expérimentations qu’il autorise (décision n° 2009-584 DC du 16 juillet 2009, considérants 37 et 38) et que les auteurs de la proposition de loi fixent à cinq ans.

21. En outre, une expérimentation doit donner lieu à une évaluation, préalablement à l’extension, la modification, la généralisation ou l’abandon du dispositif expérimental. Il appartient par conséquent au législateur, quand il met en place un tel dispositif, de définir de façon suffisamment précise les modalités de son évaluation (Assemblée générale, section de l’intérieur, 1er octobre 2009, proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, n° 383170, rapport public 2010 p. 106 ; Section sociale, 8 octobre 2013, projet de décret relatif aux expérimentations locales en matière de réduction des risques en direction des usagers de drogue, n° 387918, rapport public 2011 p. 301 ; Assemblée générale, section sociale, 3 avril 2014, projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, n° 388486, rapport public 2015 p. 334).

B. - L’objet de l’expérimentation

22. La finalité de la proposition de loi est décrite dans l’exposé des motifs de la proposition de loi. Elle est, en revanche, peu présente dans le texte lui-même. Il paraît donc souhaitable d’insérer dans son article 1er un alinéa qui pourrait être ainsi rédigé : « L’expérimentation a pour objet de tester, sur un nombre limité de territoires habilités à cet effet par un fonds, la possibilité de proposer une activité à tous les chômeurs de longue durée. Ces personnes se verront proposer des emplois à durée indéterminée créés dans des entreprises relevant du secteur de l’économie sociale et solidaire, avec, par l’intermédiaire d’un fonds national, le concours financier de l’État et d’autres collectivités susceptibles d’être financièrement intéressées par ces reprises d’emploi. L’expérimentation permettra l’exercice par les bénéficiaires d’activités non couvertes par une offre existante. Ces personnes pourront évoluer vers des emplois de l’économie marchande sans perdre de droits, durant la première phrase de l’expérimentation ou ultérieurement. L’expérimentation a également pour objectif de garantir que le coût total du dispositif ne soit pas supérieur aux économies résultant de l’emploi des bénéficiaires, notamment en matière d’indemnisation du chômage et de protection sociale ».

C. - Le champ de l’expérimentation

23. L’article 2 fait référence à une notion de « personnes durablement privées d’emplois » qui n’est pas inscrite dans les dispositions législatives et réglementaires en vigueur et qui manque donc de précision. Le Conseil d’État recommande de préciser cette notion en définissant les bénéficiaires comme des personnes inscrites en qualité de demandeurs d’emploi à Pôle emploi au moment de leur embauche dans le cadre du dispositif expérimental et involontairement privées d’emploi depuis une durée d’au moins un an malgré l’accomplissement d’actes positifs de recherche d’emploi.

24. Le champ de l’expérimentation peut être regardé comme suffisamment défini par le premier alinéa de l’article 4 relatif aux territoires et entreprises concernés, sous réserve de préciser la référence aux articles 1er et 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 qui définissent les critères d’appartenance à l’économie sociale et solidaire.

D. - Les conditions de fonctionnement de l’expérimentation

25. Les termes de la proposition de loi, notamment de ses articles 3 à 5, peuvent être considérés comme définissant de façon suffisamment précise les missions du fonds appelé notamment à habiliter les collectivités ou groupes de collectivités participant à l’expérimentation et à allouer des concours financiers à des entreprises au titre du recrutement des bénéficiaires. En revanche, la nature juridique du fonds et ses conditions de gestion appellent des précisions pour que la proposition de loi soit conforme à l’exigence constitutionnelle d’une définition suffisamment précise des conditions de l’expérimentation compte tenu de la pluralité de ses missions et de l’existence, parmi celles-ci, de tâches de gestion.

26. A cet égard, l’intention des auteurs de la proposition de loi conduit à retenir, plutôt que l’adossement à une structure existante à laquelle serait confié un mandat de gestion du fonds, la création ex nihilo d’une association.

27. Cette solution peut s’autoriser de plusieurs précédents, notamment, dans le domaine du travail, de l’emploi et de la formation : d’une part, du Fonds paritaire de financement mutualisé des missions d’intérêt général exercées par les organisations professionnelles d’employeurs et les organisations syndicales de salariés, dont la gestion par une association a été expressément qualifiée de service public par l’article L. 2135-9 du code du travail et, d’autre part, du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels institué par l’article L. 6332-19 du même code et dont la personnalité morale, sous forme d’association, ressort des termes de l’article R. 6332-104 du même code.

28. La proposition de loi devrait toutefois apporter davantage de précisions en fixant les grandes lignes de la gouvernance du fonds.
 
29. En outre, compte tenu du fait que cette expérimentation s’inscrit dans le champ de la politique de l’emploi et que l’État sera au moins dans une première phase l’un de ses principaux financeurs avec les collectivités territoriales concernées, il est envisageable que l’État puisse exercer un contrôle effectif sur l’activité du fonds. Ce contrôle pourrait prendre la forme de la nomination d’un commissaire du Gouvernement dont les pouvoirs, s’ils sont contraignants, devraient être précisés.

E. - Les conditions de financement de l’expérimentation

30. L’objet de la proposition de loi est de faire reposer, durant la première phase, le financement de la gestion du fonds et des comités locaux sur l’État et les organismes de sa mouvance - comme par exemple Pôle emploi et le FNAL - et, s’agissant du financement des embauches, sur les collectivités territoriales volontaires. Les dispositions de l’article 5 devraient être, en conséquence, amendées pour répondre à cet objectif, en distinguant, d’une part, les conventions de financement des frais de gestion du fonds et des comités locaux et, d’autre part, les conventions opérationnelles de financement des embauches.

31. A terme, tant l’équilibre financier du dispositif que son économie générale paraissent impliquer la participation de l’Unedic qui est directement intéressée par l’emploi de chômeurs de longue durée.

F. - Durée et évaluation de l’expérimentation

32. La durée de l’expérimentation est dûment fixée par la proposition de loi en son article 1er. La proposition de loi satisfait également à l’exigence relative à l’évaluation en prévoyant la remise par le fonds au ministre chargé de l’emploi d’un rapport faisant le bilan de l’expérimentation et la publicité de ce rapport, quand bien même la temporalité de cette remise peut susciter une interrogation. Le Conseil d’État suggère que celui-ci soit remis dix-huit mois avant la fin de l’expérimentation afin d’en tirer les conclusions au terme d’une durée d’application plus longue, sans pour autant réduire excessivement le délai imparti au Gouvernement et au Parlement pour déterminer la suite de l’expérimentation. Enfin, le rapport d’évaluation pourrait être remis non seulement au ministre chargé de l’emploi, mais aussi au Parlement.

G. - Autres exigences de nature constitutionnelle

33. Les dispositions de la proposition de loi ne méconnaissent aucune autre exigence de nature constitutionnelle, sous les réserves qui suivent.

a) La liberté d’entreprendre et le principe de proportionnalité

34. Les dispositions du dernier alinéa de l’article 4 imposent à l’entreprise sociale et solidaire conventionnée au titre de l’expérimentation, lorsqu’elle réalise un résultat net positif au terme de chaque exercice financier, de reverser ce résultat au fonds, au plus tard au 30 juin de l’exercice suivant.

De telles dispositions soulèvent une difficulté constitutionnelle, car, d’une part, les entreprises sociales et solidaires sont habilitées à faire des bénéfices dans les conditions prévues par le 3° du I de l’article 1er de la loi du 31 juillet 2014 qui les astreint à les consacrer majoritairement à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise et, d’autre part, le résultat net positif global de chacune de ces entreprises ne reflète pas les seules activités confiées aux bénéficiaires de l’expérimentation, mais l’ensemble des activités qu’elles exercent avec tous leurs salariés. Par conséquent, l’obligation de reverser le résultat net positif de l’entreprise, même si elle est limitée au montant des aides perçues, porterait atteinte à la liberté d’entreprendre et à l’égalité devant les charges publiques en l’absence de rapport entre cette mesure et l’objectif poursuivi et de proportionnalité de la contrainte ainsi imposée.

b) Le principe d’égalité

35. La proposition de loi est, en l’état, susceptible de soulever une difficulté au regard du principe d’égalité comme du principe de non-discrimination consacré par le droit de l’Union, en ce qu’elle impose, pour pouvoir bénéficier du dispositif d’embauche aidée, une condition de domicile pendant un an dans une collectivité habilitée. Il est suggéré de réduire de moitié cette condition de domicile, afin qu’elle soit proportionnelle à la durée nécessaire pour que les acteurs locaux et le demandeur d’emploi ayant changé de domicile se connaissent mutuellement et que des actions préparatoires à l’embauche dans le cadre de l’expérimentation puissent, le cas échéant, être décidées et mises en œuvre.
 

IV. - Sur la qualification du dispositif prévu au regard des dispositions du droit de l’Union européenne relatives aux aides d’État

36. Il appartient au Conseil d’État, saisi pour avis d’une proposition de loi sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, de vérifier si cette proposition contient des dispositions constitutives d’une aide soumise à l’obligation de notification préalable à la Commission européenne au titre de l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

37. Il ressort de ces dispositions qu’est constitutive d’une aide d’État « toute aide accordée par un État-membre ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui fausse ou qui menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, dans la mesure où elle affecte les échanges entre États membres ».

38. Le Conseil d’État estime que si le premier des quatre critères est bien rempli - ces aides sont octroyées au moyen de ressources d’État - au moins l’un des trois autres critères ne l’est pas, dans la mesure où les échanges entre États membres ne sont pas susceptibles d’être affectés au stade de l’expérimentation. D’une part, ce dispositif expérimental aura un champ géographique très limité pendant la première phase définie par la proposition de loi. D’autre part, les entreprises bénéficiaires du dispositif n’ont pas vocation à entrer en concurrence sur leur marché avec des entreprises de même nature d’autres États membres, qui n’auraient pas bénéficié du même dispositif d’aide.

39. Au surplus, à supposer que les critères énoncés au paragraphe 1 de l’article 107 du TFUE puissent être regardés comme remplis, le dispositif pourrait être considéré comme relevant du champ du règlement général d’exemption par catégories d’aides (RGEC) - règlement (UE) n° 651/2014 du 17 juin 2014. Eu égard à la nature de l’aide et à son objectif - l’emploi de chômeurs de longue durée sous contrat à durée indéterminée - le dispositif en cause relève des catégories d’aides mentionnées par le premier paragraphe de l’article 32 du RGEC, qui concerne les aides à l’embauche de travailleurs défavorisés sous forme de subventions salariales.

Dès lors, les aides prévues par la proposition de loi n’imposent pas que le dispositif résultant de la proposition de loi soit notifié à la Commission européenne.
 

V. - Sur l’examen par articles

 Article 1er

40. Il paraît possible d’insérer à cet article le paragraphe résumant l’objet de l’expérimentation, énoncé au point 22.
 
Article 2

41. Conformément aux orientations définies aux points 23 et 24, il est recommandé de reformuler le champ des personnes bénéficiaires de l’expérimentation.

Article 3

42. Une publication par le ministre chargé de l’emploi de la liste des collectivités ou groupes de collectivités habilités pourrait être prévue.

43. Le fonds pourrait élaborer un cahier des charges qui, après son approbation par arrêté du ministre chargé de l’emploi, servirait de base à un appel à candidatures, et aux décisions de choix du fonds parmi les projets qui lui seraient soumis.

Une telle procédure irait dans le sens de la transparence de la démarche et contribuerait à une harmonisation des projets locaux propre à faciliter l’évaluation de l’expérimentation.

 Article 4

44. Il y a lieu de préciser la référence législative figurant à la quatrième ligne en faisant mention des articles 1er et 2 de la loi du 31 juillet 2014.

45. Le Conseil d’État observe que la présence à la dernière phrase du premier alinéa d’une exigence de recherche d’emploi continuant à peser sur le bénéficiaire embauché dans le cadre du dispositif soulève une double difficulté : d’une part, elle n’est pas compatible avec l’hypothèse - que n’entendent pas exclure les auteurs de la proposition de loi - dans laquelle le bénéficiaire resterait durablement salarié de l’entreprise sociale et solidaire ; d’autre part, elle est de nature à faire obstacle à ce que les bénéficiaires des contrats prévus dans le cadre de cette expérimentation soient classés au sein de la liste des demandeurs d’emploi dans la catégorie dont relève la généralité des contrats aidés et qui n’est assortie d’aucune obligation de recherche d’emploi.

46. La proposition de loi pourrait, en revanche, utilement énoncer que les bénéficiaires du dispositif doivent pouvoir répondre favorablement à une offre d’emploi stable raisonnable dans le secteur marchand. Elle pourrait préciser qu’une démission intervenant pour ce motif serait légitime, afin de sauvegarder les droits au titre des allocations de chômage des bénéficiaires de l’expérimentation tout en restant dans l’esprit des stipulations des accords d’application du régime d’assurance-chômage qui traitent des conséquences en matière de droits aux allocations des personnes ayant démissionné d’un emploi sous les divers types de contrat aidé. Le passage à un emploi stable disponible dans le secteur marchand pourrait aussi être facilité par une disposition énonçant que la dispense de préavis est de droit quand l’offre en secteur marchand est immédiatement disponible, sous la seule réserve de ne pas compromettre le fonctionnement de l’entreprise - en pratique, il suffira que le comité local propose un autre candidat apte à occuper l’emploi -.

47. En outre, le premier alinéa pourrait être complété par une disposition imposant aux entreprises conventionnées d’assurer un accompagnement du demandeur d’emploi embauché, prenant la forme notamment d’actions de tutorat et de formation, mais aussi par une disposition prévoyant un accompagnement social quand la situation du bénéficiaire le rend nécessaire.

48. Au deuxième alinéa, il est suggéré de supprimer la notion de contrepartie d’un service rendu par l’entreprise, qui rend mal compte de la nature de l’embauche assortie d’un subventionnement complet, et la référence à la rémunération qui entretient une confusion avec la rémunération à laquelle a droit le bénéficiaire. En outre, la précision, implicite en l’état de la proposition de loi, suivant laquelle l’aide est accordée par le fonds pour la durée de l’expérimentation pourrait être apportée.

49. Pour les raisons indiquées au point 34, le dernier alinéa, portant atteinte à la liberté d’entreprendre et au principe de proportionnalité, devrait être supprimé.

 Article 5

50. Les diverses conventions pourraient être reclassées en deux catégories :

 - les conventions conclues avec l’État, le FNAL et Pôle emploi pour les coûts de fonctionnement du fonds et des comités de pilotage ;

 - les conventions « opérationnelles », d’intervention, signées par le fonds avec les collectivités ou groupes de collectivités habilités à participer à l’opération. Ces conventions seraient signées non seulement avec les communes ou intercommunalités de résidence des demandeurs d’emploi embauchés dans le cadre du dispositif, mais également avec les principales autres collectivités territoriales que constituent les départements et les régions.

51. Le décret sur la répartition des contributions prévu au dernier alinéa de l’article 5, qui n’est pas constitutionnellement requis, ne devrait pas être un préalable à l’engagement de l’expérimentation compte tenu, d’une part, de la complexité de l’élaboration d’un tel décret et, d’autre part, de l’absence de participation de l’Unedic au démarrage du dispositif.

52. La proposition de loi pourrait préciser que, dans un premier temps et dans l’attente de la publication de ce décret, la répartition du financement entre les collectivités contributrices pour chaque territoire soit prévue par la convention mentionnée au deuxième alinéa de l’article 5.

53. Elle pourrait aussi ne pas prévoir un décret d’application et renvoyer directement à une convention le soin de procéder à la répartition du financement entre les collectivités contributrices.
 

 Article 5 bis (à créer)

54. Il est recommandé d’étendre le renvoi au décret à la fixation :

- des modalités d’organisation et de gestion du fonds et des comités locaux ;

- des modalités de passation des conventions entre le fonds et les entreprises subventionnées ou les collectivités contributrices ;

- ainsi que de la méthodologie de l’évaluation qui incombera au fonds à l’issue de l’expérimentation et, notamment, des indicateurs d’impact ou de résultat qui devront être pris en compte.

55. Ce renvoi à un décret de portée générale pour la définition des modalités d’application de la loi pourrait laisser subsister le renvoi au décret de portée purement financière prévu au dernier alinéa de l’article 5, dont la publication sera vraisemblablement plus tardive.

 Article 6

56. La date d’entrée en vigueur de la loi devrait être ajustée en fonction de sa date de promulgation.

Article 7

57. La première et la deuxième phrases de cet article ont pour objet d’éviter toute solution de continuité dans l’hypothèse où le Parlement déciderait de poursuivre l’expérimentation. Le Conseil d’État recommande d’écarter ces dispositions par lesquelles la loi entendrait régir le calendrier d’adoption et le contenu d’une éventuelle seconde loi. Le législateur ne peut en effet lier l’exercice futur de sa compétence.

58. Les deuxième et troisième alinéas peuvent être maintenus au nom de la sécurité juridique des entreprises et des personnes engagées dans l’expérimentation.

59. Peut également être admise la pré-qualification du motif économique pour les raisons développées au point 14.

60. Il peut être enfin admis de mettre à la charge des collectivités les indemnités de rupture en cas d’arrêt de l’expérimentation. La rupture n’étant pas imputable à l’employeur, il serait logique de répartir cette charge au prorata des engagements de chacune des personnes publiques impliquées dans l’expérimentation.
 

Cet avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 12 novembre 2015.