Avis relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie

Avis consultatif
Passer la navigation de l'article pour arriver après Passer la navigation de l'article pour arriver avant
Passer le partage de l'article pour arriver après
Passer le partage de l'article pour arriver avant

Le Gouvernement a décidé de rendre public l’avis du Conseil d’Etat relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie.

Le Conseil d’Etat a été saisi par le Premier ministre, le 16 novembre 2023, d’une demande d’avis relative à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie.

La demande d’avis est ainsi formulée :

« 1. Quel est le droit applicable en Nouvelle-Calédonie à l’issue du processus d’autodétermination prévu par l’accord de Nouméa ? Cet aboutissement peut-il être regardé comme un changement de circonstances de nature à modifier la portée de certaines dispositions normatives ? Dans quelle mesure ?

« 2. Le Gouvernement estime nécessaire de moderniser les règles électorales pour répondre aux exigences démocratiques élémentaires, notamment au regard des obligations conventionnelles de la France. Dans cet esprit, les évolutions démographiques et notamment celle du poids relatif de la population des trois provinces appellent-elles des évolutions de la composition du corps électoral ou du cadre électoral en vigueur ? 

« 3. Le législateur organique est-il compétent pour modifier les dispositions électorales en Nouvelle-Calédonie ? 

« 4. Dans quelles conditions est-il possible de reporter la date des prochaines élections provinciales, prévues en mai 2024, le temps de mettre en œuvre la réforme des règles électorales ou un accord politique plus large ? »

Vu la Constitution, notamment ses articles 76 et 77 ;

Vu l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française ;

Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision n° 99-410 DC du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999 sur la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie ;

EST D’AVIS DE REPONDRE DANS LE SENS DES OBSERVATIONS QUI SUIVENT :

1.    Deux ans après la troisième consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté et vingt cinq ans après la signature de l’accord de Nouméa, conclu dans un esprit de dialogue et de confiance, le Conseil d’Etat relève que cet accord constitue, aux termes du point 5 de son préambule, une « solution négociée, de nature consensuelle », qui a mis en place « l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation », tout en assurant « la pleine reconnaissance de l’identité kanak » et « le destin commun » de la « communauté humaine » qui y vit. Il regarde la recherche du consensus, poursuivie depuis vingt cinq ans par les gouvernements successifs dans leurs discussions avec les partenaires politiques de l’accord, comme une donnée fondamentale de l’élaboration de l’organisation politique qui prendra la suite de celle issue de l’accord de Nouméa.

Sur le cadre juridique applicable à la Nouvelle-Calédonie après la troisième consultation

2.    Aux termes du point 5 du préambule de l’accord de Nouméa : « Les signataires des accords de Matignon ont donc décidé d’arrêter ensemble une solution négociée, de nature consensuelle (…). / Cette solution définit pour vingt années l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation. / Sa mise en œuvre suppose une loi constitutionnelle que le Gouvernement s’engage à préparer en vue de son adoption au Parlement. (…) / Au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées. / Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ».

Aux termes du point 5 du document d’orientation de l’accord de Nouméa : « Au cours du quatrième mandat (…) du Congrès, une consultation électorale sera organisée. (…) / La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité. / Si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra provoquer l’organisation d’une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée selon la même procédure et dans les mêmes délais. Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. / Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».

Il résulte de ces stipulations que l’accord de Nouméa prévoit une organisation politique pour une période de l’ordre de vingt ans, suivie d’un cycle de trois consultations sur l’accession à la pleine souveraineté et susceptible en conséquence de durer jusqu’au terme de la troisième consultation, et comporte une clause conservatoire dans l’hypothèse où cette troisième consultation recueillerait une réponse négative.
La troisième consultation sur l’accession de la Nouvelle Calédonie à la pleine souveraineté ayant eu lieu, le processus initié par l’accord de Nouméa est aujourd’hui achevé et sa mise en œuvre peut être regardée comme complète.

3.    Aux termes de l’article 77 de la Constitution : « la loi organique (…) détermine, pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre : / (…) les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie (…) / les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral (…) ».

Selon la décision n° 99-410 DC du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999 : « il résulte (…) des dispositions du premier alinéa de l’article 77 de la Constitution que le contrôle du Conseil constitutionnel sur la loi organique doit s’exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l’accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle ; (…) toutefois, de telles dérogations ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en œuvre de l’accord ».

A la différence de l’accord de Nouméa, qui fixe une durée pour son application, ni l’article 77 de la Constitution ni la loi organique du 19 mars 1999 ne comportent de terme. 

4.    Au regard des dispositions de l’article 77 de la Constitution, éclairées par la décision du Conseil constitutionnel citée au point précédent, et conformément aux stipulations du point 5 du document d’orientation de l’accord de Nouméa, selon lesquelles l’organisation politique mise en place à la suite de l’accord reste en vigueur dans une telle hypothèse, le Conseil d’Etat considère que le cadre juridique applicable à la Nouvelle-Calédonie en vertu de la loi organique du 19 mars 1999 demeure applicable après la troisième consultation, qui est intervenue le 12 décembre 2021 et a donné lieu à une réponse négative, aussi longtemps qu’une révision de la Constitution ne sera pas intervenue.

Sur les possibilités d’évolution du régime électoral des assemblées de province et du congrès

5.    Aux termes du point 2 du document d’orientation de l’accord de Nouméa : « L’un des principes de l’accord politique est la reconnaissance d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. (…) / Pour cette période, la notion de citoyenneté fonde les restrictions apportées au corps électoral pour les élections aux institutions du pays (…) ». Ces institutions doivent être regardées comme étant les assemblées de province et le congrès.

Selon le point 2.2.1 du document d’orientation : « Comme il avait été prévu dans le texte signé des accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au Congrès sera restreint : il sera réservé aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection, ainsi qu’aux électeurs atteignant l’âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe justifieront d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection ».

En application du dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution, tel qu’il résulte de la loi constitutionnelle du 23 février 2007 : « Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l’accord mentionné à l’article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99 209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l’occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer ». Il s’ensuit que les électeurs inscrits au tableau sont ceux qui étaient inscrits sur les listes électorales générales de la Nouvelle-Calédonie en 1998, sans encore remplir à cette date la condition de domicile de dix ans exigée pour participer au scrutin prévu en 1998.

Dans ce cadre, le I de l’article 188 de la loi organique définit ainsi les conditions pour faire partie du corps électoral des assemblées de province et du congrès : « Le congrès et les assemblées de province sont élus par un corps électoral composé des électeurs satisfaisant à l’une des conditions suivantes : / a) Remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 ; / b) Etre inscrits sur le tableau annexe et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle Calédonie à la date de l’élection au congrès et aux assemblées de province ; / c) Avoir atteint l’âge de la majorité après le 31 octobre 1998 et soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle Calédonie en 1998, soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998, soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection ».

6.    Aux termes du point 2.1.1 du document d’orientation de l’accord de Nouméa : « Les assemblées de province seront composées, respectivement pour les îles Loyauté, le Nord et le Sud, de sept, quinze et trente-deux membres, également membres du Congrès, ainsi que de sept, sept et huit membres supplémentaires, non membres du Congrès lors de la mise en place des institutions ». Les articles 62 et 185 de la loi organique fixent dans les mêmes termes la composition des assemblées de province et du congrès.

7.    En vertu de l’article 1er de la Constitution, la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». En vertu de son article 3 : « Le suffrage (…) est toujours universel, égal et secret. / Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».

Toutefois, sur le fondement de l’article 77 de la Constitution et des orientations définies par l’accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle comme l’a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision citée au point 3, les dispositions organiques mentionnées aux points 5 et 6 dérogent respectivement aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage pour l’élection des assemblées de province et du congrès.

8.    Or il résulte des informations données par le Gouvernement, 

- d’une part, que la proportion des électeurs privés de droit de vote pour l’élection des assemblées de province et du congrès est passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023 et, 

- d’autre part, que les écarts de représentation entre les provinces au congrès par rapport au critère démographique se sont également accrus. La province Nord, la province Sud et la province des Iles Loyauté représentaient ainsi respectivement 21,04 %, 68,35 % et 10,61 % de la population de la Nouvelle Calédonie en 1996 et 18,39 %, 74,85 % et 6,76 % en 2019, alors qu’elles sont représentées au congrès respectivement par 27,78 %, 59,26 % et 12,96 % des sièges depuis 1999.

9.    Le Conseil d’Etat constate que l’organisation politique dont l’irréversibilité est assurée, conformément aux stipulations du point 5 du document d’orientation de l’accord de Nouméa, pour la période postérieure à la dernière consultation et jusqu’à l’intervention d’une révision de la Constitution, comme il a été dit au point 4, résulte des dispositions des articles 76 et 77 de la Constitution. 

En ce qui concerne le régime électoral des assemblées de province et du congrès, d’une part, en effet, les dispositions de l’article 77 de la Constitution contribuent à définir le corps électoral conformément aux intentions des signataires de l’accord de Nouméa, en faisant référence au tableau annexe établi à l’occasion de la consultation de 1998.

D’autre part, le Conseil d’Etat estime que les « orientations définies par l’accord de Nouméa », dont le Conseil constitutionnel, comme il a été dit au point 3, a reconnu la valeur constitutionnelle, doivent être regardées, à la lumière des travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, notamment devant l’Assemblée nationale, et des décisions ultérieures du Conseil constitutionnel (voir notamment les décisions n° 2009 587 DC du 30 juillet 2009, n° 2011 633 DC du 12 juillet 2011, n° 2015 716 DC du 30 juillet 2015, n° 2016 6 LP du 16 juin 2016 ou n° 2020 869 QPC du 4 décembre 2020), comme concernant l’ensemble des stipulations de cet accord, sans distinction, y compris celle, mentionnée au point 2, selon laquelle l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie doit demeurer inchangée en cas de réponse négative à la troisième consultation. Le Conseil d’Etat considère que la notion d’organisation politique inclut nécessairement le régime électoral des assemblées de province et du congrès, dont la définition du corps électoral restreint et la répartition entre les provinces des sièges au sein du congrès.

10.    Dès lors, le Conseil d’Etat estime que l’organisation politique issue de la mise en œuvre de l’accord de Nouméa ne peut, sous réserve des dispositions organiques intervenant dans le cadre des orientations définies par l’accord et à l’exception des cas dans lesquels les dispositions mêmes de la Constitution le permettent, être modifiée sans une révision de la Constitution, nécessaire pour s’écarter de ces orientations, et notamment pour modifier les dérogations aux règles et principes de valeur constitutionnelle que l’accord comporte. 

Pourraient ainsi être corrigées, par exemple, les dispositions mentionnées au point 5, qui prévoient de ne pas inclure dans le corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces les personnes qui se sont installées en Nouvelle-Calédonie après le scrutin organisé en 1998, ni celles qui, bien que résidant alors en Nouvelle-Calédonie, n’ont pas accompli les démarches permettant de s’inscrire sur les listes électorales, non plus que les descendants de ces personnes, même nés en Nouvelle-Calédonie.

Le Conseil d’Etat constate que les règles en vigueur concernant le régime électoral des assemblées de province et du congrès dérogent de manière particulièrement significative aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, notamment en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies. A défaut de modification des règles applicables, l’ampleur de ces dérogations ne pourrait en outre que s’accroître avec l’écoulement du temps. 

11.    Il rappelle que si la Cour européenne des droits de l’homme a admis en 2005 (CEDH, 11 janvier 2005, n° 66289/01, Py c./ France) le principe d’un corps électoral restreint, elle s’est alors prononcée sur un ensemble de règles qui, antérieures à la révision constitutionnelle mentionnée au point 5, permettaient aux personnes résidant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans d’être inscrites sur la liste électorale spéciale appelée à élire les membres des assemblés des provinces et du congrès et a considéré qu’il n’était pas porté atteinte à l’essence même du droit de vote tel que garanti par l’article 3 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales après avoir caractérisé l’existence de nécessités locales résultant de l’histoire et du statut de la Nouvelle-Calédonie et l’inscription du statut de ce territoire dans une phase transitoire avant l’accession à la pleine souveraineté et dans un processus d’autodétermination. Si les circonstances propres à la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie sont toujours de nature à justifier l’existence d’un corps électoral spécifique, la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est incertaine alors que le processus défini par l’accord de Nouméa est achevé. 

12.    Ainsi qu’il a été dit au point 10, seule une révision de la Constitution permettrait en principe de modifier le régime électoral des assemblées de province et du congrès afin d’établir un cadre pleinement adapté aux évolutions démographiques mentionnées au point 8 et à leurs perspectives. Toutefois, eu égard à ces évolutions, plusieurs considérations peuvent conduire à estimer que les dispositions de l’article 77 de la Constitution, notamment de son dernier alinéa, cité au point 5, ne font pas obstacle à ce que le législateur organique puisse, le moment venu et si une révision constitutionnelle n’est pas venue régler plus tôt la difficulté, intervenir pour atténuer l’ampleur des dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, lesquelles auront, avec l’écoulement du temps, des effets excédant ce qui était nécessaire à la mise en œuvre de l’accord de Nouméa.

13.    En premier lieu, comme il est dit au point 8, sous l’effet de l’écoulement du temps depuis 1998, les écarts de représentation par rapport au critère démographique se sont significativement accrus, tant du point de vue des restrictions du droit de suffrage des électeurs qui ne peuvent participer à l’élection des assemblées de province et du congrès que du point de vue de la représentation des trois provinces au sein du congrès.

Si les conditions exigées par les stipulations de l’accord et les dispositions de l’article 188 de la loi organique citées au point 5 demeuraient inchangées, notamment en ce que seuls les enfants, et non les autres descendants, des électeurs inscrits sur les listes électorales en 1998 peuvent rejoindre le corps électoral pour l’élection des assemblées de province et du congrès, ce corps électoral connaîtrait à terme une attrition telle qu’il finirait par s’éteindre de façon certaine, privant ces institutions de tout corps électoral. Il ressort en effet tant des intentions des partenaires de l’accord de Nouméa que des travaux préparatoires de la loi organique, s’agissant de la composition du corps électoral, que, par l’emploi du terme de parent, il convient d’entendre les seuls ascendants directs d’une personne, et non tout parent de celle-ci. 

Le Conseil d’Etat estime qu’il en résulte nécessairement que les partenaires n’ont pas entendu donner à cette définition du corps électoral une application indéfinie, pas plus que le constituant ne saurait être regardé comme ayant admis par avance, en 1998 puis en 2007, une telle aggravation des dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, devant aboutir à terme à la disparition du corps électoral. Il en déduit qu’il ne saurait avoir consenti, y compris en consacrant au dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution, dans les termes mentionnés au point 5, la composition du corps électoral telle que l’ont entendue les signataires de l’accord de Nouméa, en faisant référence au tableau annexe établi à l’occasion de la consultation de 1998, au maintien, sans limitation dans le temps, d’un régime électoral qui ne permettrait plus à l’avenir le fonctionnement démocratique normal de l’organisation politique mise en place à la suite l’accord de Nouméa. Par suite, à défaut de révision constitutionnelle, une correction, à mesure que le temps réduira le corps électoral, s’avèrera inéluctablement nécessaire pour préserver ce fonctionnement démocratique.

14.    En second lieu, selon la décision du Conseil constitutionnel citée au point 3, les dérogations prévues par l’accord de Nouméa à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle « ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en œuvre de l’accord ». Il en résulte que toute dérogation à un principe ou à une règle de valeur constitutionnelle ne peut qu’être d’interprétation stricte, de sorte que, dans le cas où l’accord de Nouméa peut admettre deux interprétations, la lecture la moins dérogatoire doit être retenue.

Alors que, comme il est dit au point 8, la situation démographique a significativement évolué depuis la conclusion de l’accord de Nouméa et que la mise en œuvre de cet accord est achevée avec la troisième consultation, ce changement des circonstances de droit et de fait (voir la décision n° 2008 573 DC du 8 janvier 2009) peut donner lieu à deux interprétations de la stipulation, mentionnée au point 2, selon laquelle l’organisation politique de la Nouvelle Calédonie doit demeurer inchangée en cas de réponse négative à la troisième consultation, s’agissant du maintien des dérogations précitées. Selon la lecture la moins dérogatoire, seule susceptible d’être retenue, il y a lieu de considérer que certaines de ces dérogations ne sont dès à présent plus strictement nécessaires à la mise en œuvre de l’accord et que, à tout le moins, leur ampleur a vocation à se réduire.

15.    Le Conseil d’Etat considère qu’il résulte de l’ensemble des considérations mentionnées aux points 13 et 14 que l’intervention du législateur organique sera, en l’absence de modification de la Constitution, nécessaire à terme, pour modifier les dispositions du régime électoral des assemblées de province et du congrès qui dérogent aux principes constitutionnels d’universalité et d’égalité du suffrage afin d’en corriger le caractère excessif résultant de l’écoulement du temps. 

16.    En ce qui concerne la composition du congrès, qui déroge au principe d’égalité devant le suffrage, la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir notamment les décisions n° 85 196 DC du 8 août 1985 et n° 2011 637 DC du 28 juillet 2011) énonce que ce principe impose que l’organe délibérant d’une collectivité territoriale soit élu sur des bases essentiellement démographiques, selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l’égalité devant le suffrage. Elle n’exige pas que la répartition des sièges soit nécessairement proportionnelle à la population de chaque circonscription et n’exclut pas qu’il puisse être tenu compte d’autres impératifs d’intérêt général, ces considérations ne pouvant toutefois intervenir que dans une mesure limitée. Or, eu égard aux évolutions démographiques mentionnées au point 8, la composition du congrès de la Nouvelle-Calédonie, s’agissant de la répartition des sièges entre les trois provinces, qui résulte de l’accord de Nouméa, faute de modification de la Constitution permettant un plein respect des exigences constitutionnelles, pourrait à terme s’écarter de ces exigences dans une mesure telle qu’elle rendrait nécessaire, ainsi qu’il est dit au point 14, une intervention du législateur organique. Toutefois, la situation n’apparaît pas aujourd’hui de nature à justifier une intervention du législateur organique pour modifier la composition du congrès et la répartition des sièges entre les provinces.

En ce qui concerne le corps électoral des assemblées de province et du congrès, qui déroge au principe d’universalité du suffrage dans les conditions précisées par le dernier alinéa de l’article 77 de la Constitution, l’organisation politique issue de l’accord de Nouméa reste, comme il a été dit au point 4, en vigueur, incluant la participation d’un corps électoral restreint. Dès lors, ainsi également qu’il est dit au point 14, le Conseil d’Etat estime qu’à défaut de l’intervention rapide d’une modification de la Constitution permettant d’établir un cadre pleinement adapté aux évolutions démographiques mentionnées au point 8 et à leurs perspectives, l’intervention du législateur organique est possible, dans le respect des principes consacrés par l’article 77 de la Constitution et en particulier du principe d’un corps électoral « restreint aux personnes établies depuis une certaine durée », tel que l’exige le point 5 du préambule de l’accord de Nouméa, pour prendre en compte ces évolutions démographiques et aux fins de procéder aux seules adaptations qui apparaîtraient strictement indispensables comme celle, évoquée devant le Conseil d’Etat, visant à inclure dans ce corps électoral les descendants, et non les seuls enfants, des électeurs mentionnés au 1 de l'article 188 de la loi organique, cité au point 5.

Sur le report des élections provinciales prévues en mai 2024

17.    Comme le permet la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en particulier dans sa décision n° 2013 667 DC du 16 mai 2013, et nonobstant la stipulation du point 2.1.2 du document d’orientation de l’accord de Nouméa selon laquelle « Le mandat des membres du Congrès et des assemblées de province sera de cinq ans », il est possible au législateur organique de prolonger les mandats en cours des membres de l’organe délibérant d’une collectivité dans un but d’intérêt général, sous réserve de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle, qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable. Il lui est également possible de déroger à la règle, fixée par l’article L. 567-1 A du code électoral, selon laquelle il ne peut être procédé à une modification du régime électoral dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin, à condition d’y procéder en laissant un délai suffisant avant la date du scrutin, de façon à ne pas porter atteinte à sa sincérité.

18.    Le Conseil d’Etat estime que le dépôt d’un projet de loi constitutionnelle ou, si les conditions en sont réunies, d’un projet de loi organique comportant une modification du régime électoral des assemblées de province et du congrès ou, à défaut, la caractérisation d’un processus suffisamment engagé de négociation en ce sens par la signature d’un nouvel accord se substituant à l’accord de Nouméa constituerait un but d’intérêt général suffisant permettant au législateur organique de prolonger les mandats en cours des membres des assemblées de province et du congrès et de reporter leur élection. Il en déduit qu’un tel report pour une durée de l’ordre de douze à dix-huit mois ne se heurterait à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
 
Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 7 décembre 2023.