Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d’État relatif au projet de loi constitutionnelle portant création et organisation politique et institutionnelle de l’État de la Nouvelle‑Calédonie.
1. Le Conseil d’État a été saisi, le 2 septembre 2025, d’un projet de loi constitutionnelle portant création et organisation politique et institutionnelle de l’État de la Nouvelle‑Calédonie. Ce projet de loi constitutionnelle a été modifié par une saisine rectificative reçue le 25 septembre 2025.
2. Ce projet de loi vise à traduire dans la Constitution les orientations définies par l’accord de Bougival sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, publié le 6 septembre 2025 au Journal officiel de la République française. Il s’inscrit dans le prolongement du processus constitutionnel ouvert à la suite de l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, avec l’intervention de la loi constitutionnelle n° 98‑610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle‑Calédonie, puis de la loi constitutionnelle n° 2007‑237 du 23 février 2007 modifiant l’article 77 de la Constitution, en vue d’assurer l’évolution de la Nouvelle‑Calédonie, tout en dérogeant, dans le cadre et pour l’accomplissement de ce processus, à certains principes de valeur constitutionnelle. L’accord de Bougival se place expressément dans la continuité de l’accord de Nouméa, en mentionnant notamment « le cheminement vers l’émancipation, un processus de décolonisation progressif, fondé sur l’exercice du droit à l'autodétermination du peuple calédonien » dont l’accord de Bougival constitue « une nouvelle étape ».
3. Après le cycle des trois consultations sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, achevé en décembre 2021, et les événements qui se sont déroulés sur le territoire à partir du 13 mai 2024, le Conseil d’État observe que ce nouvel accord, vingt‑cinq ans après la signature de l’accord de Nouméa et près de quarante ans après ceux de Matignon‑Oudinot, répond à la recherche du consensus, poursuivie par les gouvernements successifs dans leurs discussions avec les partenaires politiques locaux, qu’il regardait, dans son avis n° 407713 du 7 décembre 2023 relatif à la continuité des institutions en Nouvelle‑Calédonie, comme une donnée fondamentale de l’élaboration de l’organisation politique devant prendre la suite de celle issue de l’accord de Nouméa, qui a fait naître une « souveraineté partagée » et permis « la pleine reconnaissance de l’identité kanak » ainsi que « le destin commun » de la « communauté humaine » qui vit sur ce territoire.
4. Le Conseil d’État observe que l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle prend en compte ces considérations, insistant sur « la place centrale du peuple kanak, peuple d’origine » et sur « l’importance de bâtir un « destin commun » avec les populations durablement établies », tout en constatant également, dans le contexte des dernières années, la « nécessité d’un nouvel accord global, conciliant les aspirations indépendantistes et non‑indépendantistes et traçant une perspective de stabilité politique ».
5. L’accord de Bougival propose ainsi de mettre en place, de façon « pérenne », pour assurer « un retour à la stabilité et l’ouverture de nouvelles perspectives », une « organisation institutionnelle sui generis de « l’État de la Nouvelle-Calédonie » au sein de l’ensemble national, inscrit dans la Constitution de la République française », qui pourra être « reconnu par la communauté internationale », de consacrer « la capacité d’auto‑organisation de la Nouvelle-Calédonie » à travers l’adoption d’une « Loi fondamentale » par le congrès de la Nouvelle-Calédonie et de créer une « nationalité calédonienne » ouverte notamment à toute personne née ou résidant depuis une certaine durée en Nouvelle-Calédonie, sous certaines conditions précisées par la Loi fondamentale. Les conditions de mise en œuvre de cet accord doivent être définies par une « loi organique spéciale ». Cet accord prévoit également la faculté pour le congrès de la Nouvelle-Calédonie de demander le transfert de compétences de l’État de « nature régalienne », sous réserve de l’approbation des électeurs, sans prévoir de consultation directe sur l’accession à la pleine souveraineté. Il assure l’ouverture progressive du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province, en vue d’accorder le droit de vote à toute personne ayant la nationalité calédonienne.
6. En outre, le Conseil d’État observe que l’accord de Bougival n’a pas vocation à se substituer à l’accord de Nouméa, puisqu’il prévoit que « les dispositions de l’Accord de Nouméa qui ne sont pas contraires au présent accord demeurent en vigueur ».
7. Le Conseil d’État constate ainsi que le contexte dans lequel intervient le projet de loi constitutionnelle dont il est saisi est différent de celui dans lequel il avait rendu son avis n° 407713 du 7 décembre 2023 relatif à la continuité des institutions en Nouvelle‑Calédonie, puis son avis n° 407958 du 25 janvier 2024 sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle‑Calédonie.
8. Il relève que, si le document signé à Bougival le 12 juillet 2025 est intitulé « projet d’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie » et comporte la mention selon laquelle « l’ensemble des partenaires s’engage à présenter et à défendre le texte en l’état de l’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie », il a été publié au Journal officiel de la République française le 6 septembre 2025 sous la dénomination « Accord de Bougival ».
9. Si l’accord de Bougival n’a pas été approuvé, postérieurement à sa signature, par l’une des parties prenantes, le Conseil d’État estime que cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que le Gouvernement présente un projet de loi constitutionnelle visant à en inscrire les orientations dans la Constitution.
Présentation du projet de loi constitutionnelle et rappel de l’office du Conseil d’État lors de l’examen d’un projet de loi constitutionnelle
10. Le projet de loi constitutionnelle comprend trois articles. Les deux premiers comportent l’ensemble des dispositions assurant la mise en œuvre de l’accord de Bougival au niveau constitutionnel. L’article 1er organise la consultation des populations de la Nouvelle‑Calédonie sur cet accord. L’article 2 regroupe les modifications regardées comme nécessaires pour assurer la mise en œuvre de l’accord dans le texte de la Constitution, par une réécriture complète de son titre XIII, actuellement intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle‑Calédonie » et comprenant les articles 76 et 77, et par plusieurs coordinations dans d’autres articles au sein d’autres titres. Enfin, l’article 3 prévoit une entrée en vigueur différée et conditionnelle de l’article 2, après l’approbation de l’accord de Bougival dans les conditions prévues par l’article 1er.
11. S’agissant de son office lors de l’examen d’un projet de loi constitutionnelle, le Conseil d’État invite à se reporter aux points 3 à 9 de son avis n° 394658 du 3 mai 2018.
12. Dans ce cadre, dès lors que le Gouvernement a entendu présenter un projet de loi constitutionnelle reprenant les orientations définies par l’accord de Bougival, le Conseil d’État veille à la cohérence avec ces orientations du projet de loi. Celui-ci tend en effet, ainsi que le prévoit l’accord, à inscrire dans la Constitution ces orientations qui font partie, ainsi qu’il est dit aux points 14 à 17 ci‑après, des normes de référence que devront respecter la loi organique et la Loi fondamentale qui seront prises pour assurer la mise en œuvre de l’accord dans le cadre fixé par cette révision constitutionnelle. Il lui appartient en conséquence, le cas échéant, de relever les dispositions du texte qui s’écarteraient de ces orientations.
13. En outre, le Conseil d’État inscrit son analyse du projet de loi constitutionnelle dans le cadre du processus constitutionnel issu de l’accord de Nouméa, tel que décrit au point 2, prenant en compte les particularités de ce processus au regard des principes de valeur constitutionnelle et des perspectives tracées par l’accord de Nouméa. Les considérations qui suivent s’inscrivent en conséquence dans ce cadre.
La référence aux accords de Nouméa et de Bougival dans le projet de loi constitutionnelle
Sur la portée de la référence à l’accord de Bougival
14. Aux termes de l’actuel article 77 de la Constitution : « la loi organique (…) détermine, pour assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre : / (…) les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie (…) / les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral (…) ».
15. Selon la décision n° 99-410 DC du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999 (cons. 3) : « il résulte (…) des dispositions du premier alinéa de l’article 77 de la Constitution que le contrôle du Conseil constitutionnel sur la loi organique doit s’exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l’accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Selon la décision n° 2004‑500 DC du 29 juillet 2004 (cons. 7), le titre XIII de la Constitution « confère valeur constitutionnelle » aux orientations définies par l’accord de Nouméa (voir également la décision n° 2020‑869 QPC du 4 décembre 2020).
16. Ainsi qu’il a été dit au point 9 de l’avis du 7 décembre 2023 relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie, le Conseil d’Etat estime, en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir notamment les décisions n° 2009‑587 DC du 30 juillet 2009, n° 2011‑633 DC du 12 juillet 2011, n° 2015‑716 DC du 30 juillet 2015, n° 2016‑6 LP du 16 juin 2016 ou n° 2020‑869 QPC du 4 décembre 2020), que les dispositions de valeur constitutionnelle, telles qu’elles résulteront de la présente révision constitutionnelle, qui devront en conséquence être respectées par la loi organique et la Loi fondamentale prises pour la mise en œuvre de l’accord de Bougival, seront constituées, d’une part, des nouvelles dispositions directement issues de la révision, et, d’autre part, sous réserve des considérations qui suivent sur l’articulation entre ces deux accords, du contenu des accords de Nouméa et de Bougival, auquel la révision confère une valeur constitutionnelle.
17. Le Conseil d’Etat relève qu’il en résulte nécessairement que tous les textes de niveau inférieur à la Constitution dans la hiérarchie des normes, et pas seulement la loi organique et la Loi fondamentale, devront respecter les orientations définies par l’accord de Bougival (voir les décisions du Conseil constitutionnel n° 2014‑4 LP du 21 novembre 2014 et n° 2020‑869 QPC du 4 décembre 2020).
Sur l’articulation de la référence à l’accord de Bougival avec le maintien de la référence à l’accord de Nouméa
18. Comme il a été relevé au point 6, l’accord de Bougival prévoit que : « Les dispositions de l’Accord de Nouméa qui ne sont pas contraires au présent accord demeurent en vigueur ». Le projet de loi constitutionnelle propose d’indiquer, de façon expresse, à son article 1er, qu’après l’approbation de l’accord de Bougival, les dispositions de l’accord de Nouméa qui ne lui sont pas contraires demeurent en vigueur. En outre, il se réfère aussi, à son article 2, dans ses dispositions concernant la loi organique et la Loi fondamentale, aux orientations définies par l’accord de Nouméa, telles qu’elles ont été « complétées et renouvelées » par celles de l’accord de Bougival.
19. En premier lieu, observant que le constituant, en 1998, en prévoyant que l’accord de Nouméa définit des « orientations », n’a pas retenu un tel choix de rédaction, le Conseil d’Etat estime inapproprié de faire référence dans la Constitution aux accords de Nouméa et de Bougival, de nature politique, en prévoyant, en des termes juridiques, que les dispositions de l’accord de Nouméa qui ne sont pas contraires à l’accord de Bougival « demeurent en vigueur ». Par ailleurs, il juge ambigus, compte tenu de leur portée incertaine, les termes « complétées et renouvelées » retenus pour assurer l’articulation entre les orientations définies par l’accord de Nouméa et celles définies par l’accord de Bougival. Enfin, il estime inutile de prévoir dans le projet de loi constitutionnelle deux formulations différentes, pouvant être comprises comme contradictoires, visant à assurer l’articulation entre les deux accords.
20. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat considère que l’accord de Bougival doit être regardé, ainsi que cela résulte de ses termes mêmes, comme se plaçant dans le prolongement de l’accord de Nouméa et que, par conséquent, ces deux accords définissent ensemble les orientations qui devront être respectées par le législateur organique et par l’assemblée délibérante de l’ « Etat de la Nouvelle-Calédonie » prévu par le projet de loi constitutionnelle lorsqu’elle adoptera la Loi fondamentale. En particulier, le législateur organique devra non seulement mettre en œuvre les nouvelles orientations définies par l’accord de Bougival, mais également une partie des orientations définies par l’accord de Nouméa.
21. Au vu de ces considérations, le Conseil d’Etat propose de faire référence de manière globale aux orientations définies par les accords de Nouméa et de Bougival, sans autre précision, la référence aux orientations définies par l’accord de Bougival ayant nécessairement pour effet de renvoyer à sa clause expresse selon laquelle demeurent en vigueur les dispositions de l’accord de Nouméa qui ne sont pas contraires à l’accord de Bougival.
L’approbation de l’accord de Bougival
22. Poursuivant les objectifs de l’accord de Bougival, le projet de loi constitutionnelle prévoit à l’article 1er que « les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 26 avril 2026 » sur les dispositions de celui-ci, et précise que sont admises à participer au scrutin « les personnes remplissant les conditions fixées à l’article 218 de la loi organique n° 99‑209 du 19 mars 1999 et inscrites sur la liste électorale spéciale à la consultation selon les modalités définies aux articles 218‑2, 218‑3 et au I de l’article 219 de la même loi organique ».
23. Le Conseil d’Etat observe que le Gouvernement fait ainsi le choix inédit de ne pas inscrire ces dispositions dans le texte même de la Constitution. Ce choix, qui diffère de celui qui a été fait par la loi constitutionnelle n° 98‑610 du 20 juillet 1998 pour la consultation à intervenir sur l’accord de Nouméa, puisque la date et les personnes admises à participer au scrutin avaient été fixées à l’article 76 de la Constitution, n’appelle cependant pas d’observations compte tenu de la nature des dispositions en cause, lesquelles auront épuisé leur effet dès la réalisation de cette consultation.
24. S’agissant de la détermination du corps électoral appelé à se prononcer avant le 26 avril 2026 sur les dispositions de l’accord de Bougival en vertu de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, le Conseil d’Etat rappelle que trois listes électorales coexistent en Nouvelle-Calédonie : une liste électorale générale (LEG), établie conformément aux dispositions du code électoral pour la participation aux élections nationales, européennes et municipales, une liste électorale spéciale à l’élection du Congrès et des assemblées de province (LESP), dressée sur le fondement des articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999, et une liste électorale spéciale à la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté (LESC), sur laquelle, aux termes de l’accord de Nouméa, sont seules inscrites les « populations intéressées » à l’avenir du territoire définies à l’article 218 de la même loi organique.
25. Ainsi, en renvoyant aux conditions fixées aux articles 218 et suivants de la loi organique du 19 mars 1999, l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, dérogeant aux principes d’égalité et d’universalité du suffrage, limite le corps électoral appelé à approuver cet accord à la LESC, c’est-à-dire un corps électoral restreint aux seules personnes qui pouvaient être inscrites en vue de la consultation du 4 novembre 2018 sur l’accession à la pleine souveraineté et aux nouveaux électeurs figurant sur la liste électorale générale remplissant les mêmes conditions que celles imposées en 2018.
26. Le Conseil d’Etat rappelle sur ce point que le Conseil constitutionnel a retenu, dès sa décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992 (Traité sur l’Union européenne, cons. 19), que « sous réserve, d’une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d’autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l’article 89 en vertu desquelles la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision », « le pouvoir constituant est souverain ». Il a confirmé cette analyse dans sa décision n° 99‑410 DC du 15 mars 1999 (loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, cons. 3), en précisant que rien ne s’oppose à ce que le pouvoir constituant « introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans les cas qu’elles visent, dérogent à des règles ou principes de valeur constitutionnelle, ces dérogations pouvant n’être qu’implicites », mais qu’elles ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en œuvre de l'accord de Nouméa. Il en a déduit la conformité à la Constitution de l’article 218 de la loi organique définissant « le corps électoral appelé à participer à la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté conformément au point 2.2.1 de l’accord de Nouméa » dès lors « qu’il se borne ainsi à mettre en œuvre l’article 77 de la Constitution ». Au terme d’une analyse similaire, il a, dans la même décision, déclaré conformes à la Constitution les articles 188 et 189 de la loi organique relatifs à la LESP qui délimite un corps électoral restreint et gelé dans le temps. La conformité à la Constitution de ces dispositions a été récemment réaffirmée, pour les mêmes motifs, dans la décision n° 2025‑1163/1167 QPC du 19 septembre 2025.
27. En outre, tirant les conséquences de la primauté de la Constitution sur les engagements internationaux dans l’ordre juridique interne, le Conseil d’Etat statuant au contentieux, dans son arrêt d’Assemblée du 30 octobre 1998 (CE, Assemblée, 30 octobre 1998, n° 200286- 200287, publié au recueil Lebon), a écarté le moyen l’invitant à faire prévaloir, sur la détermination du corps électoral appelé à se prononcer sur l’accord de Nouméa telle que prévue à l’article 76 de la Constitution, les stipulations du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de son protocole additionnel n° 1.
28. Enfin, le Conseil d’Etat rappelle que les restrictions au corps électoral en Nouvelle‑Calédonie ont été considérées comme compatibles avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New‑York du 16 décembre 1966 par le Comité des droits de l’homme des Nations unies chargé de veiller à l’application de celui-ci, dans sa communication en date du 26 juillet 2002 (Communication 932 / 2000, France, du 26 juillet 2002), et avec l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Py c/ France du 11 janvier 2005 (CEDH, n° 66289/01, 11 janvier 2005, Py c./ France).
29. Il estime, en conséquence, que le choix de limiter la composition du corps électoral appelé à participer à la consultation sur l’approbation de l’accord de Bougival n’entre en contradiction avec aucun des engagements internationaux de la France.
30. De la même manière, l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, en ce qu’il renvoie les mesures nécessaires à l’organisation du scrutin à un décret en Conseil d’Etat délibéré en conseil des ministres, comme le fait actuellement le troisième alinéa de l’article 76 de la Constitution, n’appelle pas d’observations de sa part. Le Conseil d’Etat souligne néanmoins que, parmi les mesures nécessaires à l’organisation du scrutin, il conviendra notamment de prévoir son régime contentieux afin de permettre, ainsi qu’il est dit au point 100 une entrée en vigueur rapide des nouvelles dispositions constitutionnelles.
31. Le Conseil d’Etat considère enfin que le dernier alinéa de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, en ce qu’il a uniquement trait aux « dispositions » de l’accord de Nouméa restant en vigueur après l’approbation de l’accord de Bougival, n’a pas sa place au sein de cet article, qui ne sera pas inscrit dans le texte de la Constitution.
L’Etat de la Nouvelle-Calédonie
32. Ainsi qu’il est dit au point 5, l’accord de Bougival souligne qu’il « acte une solution politique fondée sur une organisation institutionnelle pérenne, offrant à la Nouvelle‑ Calédonie un retour à la stabilité et l’ouverture de nouvelles perspectives ». Il précise qu’à cet effet « il est convenu d’une organisation institutionnelle sui generis de l’Etat de la Nouvelle-Calédonie au sein de l’ensemble national, inscrit dans la Constitution de la République française », qui « pourra être reconnu par la communauté internationale ».
33. Cette nouvelle dénomination « d’Etat » s’accompagne d’un transfert de compétences au profit de la Nouvelle-Calédonie en ce qui concerne les relations internationales qu’elle peut entretenir dans le cadre des compétences propres de ses institutions, d’une association accrue à l’exercice des compétences non transférées et de l’octroi de la faculté de demander que lui soient transférées, sous réserve de l’approbation des électeurs, des compétences notamment dans les domaines de la défense, de la monnaie, de la sécurité, de l’ordre public, de la justice et du contrôle de légalité.
34. S’ajoutent à cet élargissement du partage de la souveraineté au bénéfice de la Nouvelle‑Calédonie, la possibilité pour elle de se doter d’une Loi fondamentale consacrant sa capacité d’auto-organisation et le droit d’octroyer une nationalité calédonienne, laquelle viendra s’ajouter à la nationalité française.
35. Pour mettre en œuvre cet accord, le projet de loi constitutionnelle propose de modifier le titre XIII de la Constitution et de l’intituler : « De l’État de la Nouvelle‑Calédonie », « État » auquel il est fait référence à plusieurs reprises au sein des articles 76 à 79 de la Constitution, dans leur rédaction issue de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle, pour évoquer l’organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.
36. Le choix de ces termes dans le projet de loi constitutionnelle n’appelle pas d’observations, dès lors que dans le même temps le projet de loi entend donner valeur constitutionnelle aux orientations définies par l’accord de Bougival à l’article 76 de la Constitution, lesquelles, ainsi qu’il est dit au point 32, précisent qu’il s’agit d’une organisation institutionnelle sui generis au sein de l’ensemble national.
37. En revanche, Le Conseil d’Etat estime inutiles les coordinations proposées aux articles 13 (troisième alinéa), 72‑3 et 74‑1 de la Constitution pour faire apparaître l’appellation « Etat de la Nouvelle-Calédonie », en relevant que la dénomination actuellement retenue au sein de ces articles se réfère exclusivement au territoire géographique et non à son organisation institutionnelle.
38. En outre, pour assurer une plus grande lisibilité du texte, par cohérence avec l’insertion de ces nouvelles dispositions, le Conseil d’Etat estime préférable de consacrer un article du projet de loi constitutionnelle au seul titre XIII, relatif à l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie, sous la forme d’une réécriture complète de ce titre et non article par article, alors qu’au surplus l’objet des articles 76 et 77 de la Constitution au sein de ce titre ne sera plus le même.
La loi organique précisant les conditions de mise en œuvre de l’accord de Bougival
39. Aux termes de l’accord de Bougival : « Une loi organique spéciale définira les conditions de mise en œuvre de l’accord » et « organisera en particulier la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de Nouvelle-Calédonie, celle-ci pouvant évoluer y compris dans le domaine régalien ». L’accord ajoute que cette « loi organique spéciale à la Nouvelle-Calédonie sera adoptée et modifiée dans les conditions prévues à l’article 46 de la Constitution, après avis du Congrès de la Nouvelle-Calédonie ». Le projet de loi constitutionnelle prévoit l’intervention d’une « loi organique spéciale, adoptée dans les conditions prévues à l’article 46 et après avis de l’assemblée délibérante de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie ».
40. Le Conseil d’Etat estime que la notion de « loi organique spéciale » retenue par l’accord de Bougival, dès lors qu’il est renvoyé au régime de droit commun des lois organiques prévu par l’article 46 de la Constitution, sous la seule réserve de la consultation préalable de l’assemblée délibérante de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie, se limite à prévoir un nouveau renvoi à la loi organique dans la Constitution, en vue de prévoir un texte particulier à la Nouvelle-Calédonie, mais ne crée pas une nouvelle catégorie de loi organique. Par suite, il considère qu’il n’y a pas lieu de qualifier de « spéciale » cette loi organique dans la Constitution. En outre, il relève que cette loi organique, qui mettra en œuvre les orientations définies par l’accord de Bougival, devra également mettre en œuvre les orientations définies par l’accord de Nouméa qui ne sont pas contraires à celles de l’accord de Bougival.
41. S’agissant de la consultation préalable de l’assemblée délibérante de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie, le Conseil d’Etat, pour adapter le texte à toutes les hypothèses envisageables dans le cadre du calendrier prévu, propose de retenir l’expression « l’assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie ».
Sur la finalité et le domaine de la loi organique
42. En premier lieu, le projet de loi constitutionnelle prévoit que la loi organique doit intervenir « en vue d’assurer l’organisation de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie », alors que le champ de cette loi organique n’est pas limité à la seule organisation de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie. Si le Conseil d’Etat estime que cette mention, au début de l’article 76 de la Constitution, peut être comprise comme la finalité première, mais non exclusive, de la loi organique, il suggère cependant, pour assurer la cohérence des dispositions de cet article et prévenir toute interprétation restrictive du champ de la loi organique, de la supprimer.
43. En second lieu, suivant une énumération plus longue que celle fixée par le constituant en 1998, le projet de loi constitutionnelle précise le champ du renvoi à la loi organique, dans le respect des orientations définies par les accords de Nouméa et de Bougival.
44. En dépit de la longueur de cette énumération, le Conseil d’Etat considère, au vu des décisions du Conseil constitutionnel concernant les dispositions organiques prises sur le fondement de l’article 77 de la Constitution depuis la révision du 20 juillet 1998 (voir notamment ses décisions n° 99‑410 DC du 15 mars 1999, considérant 57, et n° 2009‑587 DC du 30 juillet 2009, considérants 13 et 16), que celle-ci ne fait pas obstacle à ce que d’autres dispositions soient prises par le législateur organique, dès lors que celles-ci tendent bien à mettre en œuvre les orientations définies par les accords de Nouméa et de Bougival, ces orientations fixant le champ de l’intervention de ce texte. La référence dans le texte constitutionnel aux orientations définies par les accords de Nouméa et de Bougival doit ainsi être regardée comme habilitant implicitement le législateur organique à prendre l’ensemble des mesures nécessaires à leur mise en œuvre, sous réserve toutefois du domaine propre réservé à la Loi fondamentale.
45. Le Conseil d’Etat observe que certaines des matières ainsi énumérées figurent déjà, le cas échéant dans une rédaction un peu différente, à l’actuel article 77 de la Constitution. Tel est le cas des règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle‑Calédonie, dont la composition du congrès, des règles relatives à leur régime électoral et des conditions dans lesquelles certaines catégories d’actes des institutions de la Nouvelle‑Calédonie pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel, ainsi que des règles relatives à l’emploi et au statut civil coutumier. A cet égard, l’accord de Bougival étant muet sur ces deux dernières matières, le Conseil d’Etat considère que la loi organique devra continuer à mettre en œuvre, s’agissant par exemple de l’accès à l’emploi local, les orientations définies par l’accord de Nouméa, ainsi que le prévoit actuellement l’article 24 de la loi organique du 19 mars 1999.
46. S’agissant des règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle‑Calédonie, le Conseil d’Etat juge préférable de conserver la rédaction actuelle, sous réserve, par cohérence avec l’accord de Bougival, de la mention des actes de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie et non des actes des institutions de la Nouvelle‑Calédonie, qui pourront être soumis avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel, dès lors que des actes des provinces n’ont pas vocation à être soumis à cette procédure, qui ne concerne à ce jour que les lois du pays, adoptées par le congrès. Il observe en outre que cette rédaction ne fait pas obstacle à ce que la loi organique prévoie que de tels actes puissent aussi faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), une rédaction identique ayant permis que le régime de la QPC soit rendu applicable aux lois du pays (Conseil constitutionnel, décision n° 2009‑595 DC du 3 décembre 2009).
47. Le Conseil d’Etat observe également que certaines des matières devant relever, selon le projet de loi constitutionnelle, de la loi organique, sont traitées par la loi organique du 19 mars 1999, sans pour autant figurer explicitement à l’actuel article 77 de la Constitution, même si elles en découlent nécessairement. Tel est le cas de la définition même des institutions de la Nouvelle‑Calédonie et de la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de la Nouvelle‑Calédonie.
48. Dès lors que le projet de loi constitutionnelle prévoit que la loi organique devra déterminer les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle‑Calédonie, le Conseil d’Etat estime qu’il n’y a pas lieu de préciser qu’elle devra déterminer quelles sont les institutions de la Nouvelle‑Calédonie, mention qui, au demeurant, ne figure pas dans le texte actuel de l’article 77 de la Constitution, sans que cela ait fait obstacle à ce que la loi organique du 19 mars 1999 détermine les institutions de la Nouvelle‑Calédonie.
49. Enfin, les autres matières mentionnées visent spécialement à mettre en œuvre l’accord de Bougival.
50. Le texte mentionne ainsi les modalités selon lesquelles les compétences, « y compris régaliennes », exercées par l’Etat pourront être transférées à l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie et notamment la répartition des charges résultant de ces transferts, les conditions d’exercice par les institutions de la Nouvelle‑Calédonie de leurs compétences en matière de relations internationales, dans le respect des engagements internationaux de la France et des intérêts fondamentaux de la Nation, les conditions dans lesquelles l’Etat associe les institutions de la Nouvelle‑Calédonie à l’exercice de ses « compétences régaliennes » et accompagne la Nouvelle‑Calédonie dans le renforcement progressif de ses capacités d’expertise, d’action et de formation dans ces domaines, le mécanisme de transfert de compétences de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie vers les provinces, à leur initiative, les conditions dans lesquelles les provinces disposent librement de ressources, peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures et les limites dans lesquelles elles peuvent en fixer l’assiette et le taux, ainsi que la garantie du maintien d’un mécanisme de solidarité financière entre les institutions de la Nouvelle‑Calédonie.
51. Ces dispositions sont cohérentes avec le contenu de l’accord de Bougival et, sous réserve de modifications de nature rédactionnelle qu’il suggère, n’appellent de la part du Conseil d’Etat pas d’observations autres que celles qui suivent.
Sur la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de la Nouvelle‑Calédonie
52. Le projet de loi constitutionnelle prévoit que la loi organique devra déterminer, notamment, la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de la Nouvelle‑Calédonie ainsi que les modalités selon lesquelles les compétences, « y compris régaliennes », exercées par l’Etat pourront être transférées à l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie.
53. D’une part, le Conseil d’Etat observe que l’accord de Bougival traite du transfert de « compétences de nature régalienne » et précise que la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de la Nouvelle‑Calédonie « demeure telle qu’établie à la date de signature du présent accord ». Cet accord prévoit également la faculté pour l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie de demander le transfert des compétences mentionnées à l’article 27 de loi organique du 19 mars 1999 (administration et contrôle de légalité des provinces, des communes et de leurs établissements publics, enseignement supérieur et communication audiovisuelle) ainsi que de celles de l’agence de développement rural et d’aménagement foncier (ADRAF). Le Conseil d’Etat observe que ces matières n’épuisent pas l’ensemble des compétences actuellement attribuées à l’Etat par l’article 21 de la loi organique du 19 mars 1999. Il considère que ces stipulations, si elles imposent, sous réserve de ce qui précède, le maintien initial de la répartition des compétences entre l’Etat, d’une part, et l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie, d’autre part, telle qu’elle résulte à ce jour de la loi organique du 19 mars 1999, ne font pas obstacle à ce que le constituant donne compétence au législateur organique pour prévoir les modalités selon lesquelles les « compétences non régaliennes » exercées par l’Etat, autres que celles précitées, pourront être ultérieurement transférées à l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie. Il appartiendra au législateur organique de déterminer les modalités de ce transfert.
54. D’autre part, le Conseil d’Etat considère qu’il résulte de ces dispositions que pourraient être transférées à l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie l’ensemble des « compétences de nature régaliennes » exercées par l’Etat mentionnées par l’accord, alors même que celui-ci pourrait conserver tout ou partie des « compétences non régaliennes » qui lui auront été attribuées par la loi organique et n’auront pas été transférées. A titre de comparaison, l’article 21 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle‑Calédonie, qui détermine les compétences attribuées à l’Etat, ne comprend pas uniquement des compétences pouvant être qualifiées de « régaliennes », telles que l’envisage l’accord de Bougival. Il en est ainsi, par exemple, de la garantie des libertés publiques, des droits civiques, de l’entrée et du séjour des étrangers ou encore du droit pénal. Il appartiendra en conséquence au législateur organique de veiller à la cohérence de la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de la Nouvelle‑Calédonie, en tenant compte de la possibilité de transférer à l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie tout ou partie des compétences, « régaliennes » ou non, dévolues à l’Etat.
Sur le transfert des « compétences régaliennes » à l’Etat de la Nouvelle-Calédonie
55. Le Conseil d’Etat constate que l’accord de Bougival prévoit, d’une part, le transfert à la Nouvelle-Calédonie de la compétence en matière de relations internationales pour ce qui relève du champ des compétences propres des institutions calédoniennes, et ce dans le respect des engagements internationaux et des intérêts fondamentaux de la France et, d’autre part, une association renforcée à l’exercice par l’Etat de ses compétences en matière de défense, de sécurité et d’ordre public, de justice, et dans le domaine monétaire.
56. Il relève que l’accord prévoit par ailleurs que le congrès de la Nouvelle-Calédonie pourra adopter une résolution à la majorité qualifiée de trente-six membres demandant que soient transférées à la Nouvelle-Calédonie des compétences dites de « nature régalienne » dans l’un des champs suivants : défense, monnaie, sécurité et ordre public, justice et contrôle de légalité, et que dans un tel cas un comité de travail étudiera les modalités et les implications financières, juridiques et techniques de ce transfert, dont le projet établi conjointement par l’Etat et le congrès de la Nouvelle‑Calédonie devra être soumis à l’approbation de l’ensemble des électeurs de nationalité calédonienne, approbation sans laquelle le transfert ne pourra s’opérer.
57. Il observe que le projet de loi constitutionnelle confie, conformément à l’accord, à la loi organique la détermination, d’une part, des conditions d’exercice par la Nouvelle‑Calédonie de ses compétences en matière de relations internationales, et, d’autre part, des conditions dans lesquelles l’Etat associe les institutions de la Nouvelle‑Calédonie à l’exercice de ses compétences non transférées et l’accompagne dans le renforcement de son expertise dans ces domaines. Il souligne sur le premier de ces points que le législateur organique devra notamment préciser les conditions dans lesquelles les accords internationaux susceptibles d’être conclus par les autorités compétentes de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie seront ratifiés ou approuvés, ainsi que les conditions de leur contrôle de constitutionnalité au regard tant des orientations définies par les accords de Nouméa et de Bougival que des autres règles et principes à valeur constitutionnelle.
58. En revanche, il estime que les dispositions du projet de loi constitutionnelle n’expriment pas clairement la volonté des signataires de l’accord de conditionner un éventuel transfert de certaines compétences à l’approbation des électeurs de nationalité calédonienne.
59. Le Conseil d’Etat suggère en conséquence de modifier la rédaction proposée en y intégrant cette précision, mais en supprimant le mot « régaliennes » qui ne connaît pas de définition juridique précise.
Sur le transfert de compétences de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie vers les provinces
60. Reprenant à l’identique sur ce point les stipulations de l’accord de Bougival, le projet de loi constitutionnelle prévoit que la loi organique détermine le mécanisme de transfert de compétences de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie vers les provinces, à leur initiative.
61. Le Conseil d’Etat constate que ces dispositions permettent plusieurs lectures, en particulier celle selon laquelle une province souhaitant le transfert d’une compétence attribuée à l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie pourrait l’obtenir de plein droit et discrétionnairement, sur simple demande. Il estime cependant qu’un tel mécanisme, qui ne constitue pas une simple délégation de compétences, ne saurait conduire à ce qu’une demande de transfert présentée par une province soit accordée de plein droit, sans quoi chaque province pourrait déterminer elle-même, dans la répartition des compétences entre l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie et les provinces, qui sont des institutions de la Nouvelle‑Calédonie, le champ de ses propres compétences, alors que la révision constitutionnelle donne compétence à la loi organique pour déterminer la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de la Nouvelle‑Calédonie et, sous réserve des dispositions de celle-ci, à la Loi fondamentale pour déterminer la répartition des compétences entre les institutions de la Nouvelle‑Calédonie. Le Conseil d’Etat considère dès lors que ces dispositions doivent être comprises comme habilitant le législateur organique à organiser la procédure selon laquelle la demande de transfert devra être soumise à l’appréciation des autorités compétentes de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie.
La Loi fondamentale et la capacité d’auto-organisation de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie
62. Selon l’accord de Bougival, la Loi fondamentale, adoptée par l’assemblée délibérante à la majorité des trois cinquièmes, « consacrera la capacité d’auto-organisation de la Nouvelle-Calédonie » et lui offrira « une capacité accrue à réformer ses institutions ». En particulier, l’accord prévoit qu’elle pourra « modifier les signes identitaires du pays (nom, drapeau, hymne, devise...) », « accueillir une charte des valeurs calédoniennes », « inclure un code de la citoyenneté » et « établir de nouveaux principes de gouvernance interne et de répartition des compétences entre les institutions de la Nouvelle-Calédonie ». Le projet de loi constitutionnelle reprend, en substance, la même énumération, faisant de la Loi fondamentale un acte d’une nature inédite en droit français. Dès lors qu’une portée effective est ainsi donnée au principe d’auto-organisation, le Conseil d’Etat estime qu’il est pertinent d’inscrire celui‑ci dans le texte constitutionnel lui-même, comme le prévoit le projet de loi constitutionnelle.
Sur la place dans la hiérarchie des normes et le régime contentieux
63. Le projet de loi constitutionnelle prévoit que la Loi fondamentale aura une autorité supérieure à celle des autres actes des institutions de la Nouvelle-Calédonie. Cette autorité s’étend donc, en particulier, aux lois du pays. Le Conseil d’Etat est d’avis que cette disposition est cohérente avec la vocation que les auteurs de l’accord ont entendu donner à la Loi fondamentale.
64. Le Conseil d’Etat estime que la Loi fondamentale devra respecter les règles et principes constitutionnels, y compris les orientations définies par les accords de Nouméa et de Bougival, les engagements internationaux de la France lorsqu’ils sont applicables en Nouvelle‑Calédonie ainsi que, dans la mesure décrite ci-après, la loi organique.
65. Le projet de loi constitutionnelle prévoit également que la Loi fondamentale sera soumise, avant publication, au contrôle du Conseil constitutionnel, dans les conditions prévues par la loi organique. Cette disposition est cohérente eu égard au rang éminent que la Loi fondamentale est appelée à occuper dans l’ordre juridique.
66. Ainsi qu’il est rappelé au point 46, le Conseil constitutionnel a jugé que l’expression « avant publication », déjà utilisée pour les lois du pays, ne soustrait pas celles‑ci au champ de la question prioritaire de constitutionnalité. Pour se prononcer ainsi, il a relevé que la loi organique du 19 mars 1999 leur donne « force de loi ». Le Conseil d’Etat estime qu’il en sera de même, à plus forte raison, pour la Loi fondamentale. Toutefois, comme elle aura été contrôlée a priori, si le législateur organique la soumet au régime de droit commun de la question prioritaire de constitutionnalité, elle ne pourra être contestée dans ce cadre qu’en cas de changement de circonstances, par analogie avec ce qui a déjà été jugé pour les lois organiques (10/9 SSR, 29 juin 2011, n° 347214, Président de l’Assemblée de la Polynésie française).
Sur les matières attribuées à la Loi fondamentale sans faire référence à la loi organique
67. Le projet de loi constitutionnelle prévoit d’attribuer trois matières à la Loi fondamentale : les « signes identitaires », la « charte des valeurs » et le « code de la citoyenneté ».
68. Actuellement, la Nouvelle‑Calédonie détermine ses signes identitaires en vertu de l’accord de Nouméa et de l’article 5 de la loi organique du 19 mars 1999, qui précise que le congrès en décide à la majorité des trois cinquièmes. Le transfert de cette compétence dans le domaine de la Loi fondamentale n’appelle pas d’observation.
69. Le Conseil d’Etat relève que les auteurs de la Loi fondamentale seront en droit de donner à tout ou partie de la charte des valeurs et du code de la citoyenneté une force juridiquement contraignante. Il souligne qu’ils devront donc adopter des formules suffisamment claires pour ne pas laisser de doute quant à la portée normative qu’ils entendront donner à leurs différentes dispositions. Il rappelle que la mention de ces documents dans la Constitution n’aura pas pour effet de transférer à la Nouvelle‑Calédonie des compétences de l’Etat et que la « charte des valeurs » et le « code de la citoyenneté » devront, comme la Loi fondamentale dans son ensemble, respecter les normes supérieures mentionnées au point 64.
Sur les matières dans lesquelles la Loi fondamentale s’articulera avec la loi organique
70. Pour les matières dans lesquelles la Loi fondamentale s’articulera avec la loi organique, principalement la répartition des compétences entre les institutions et leurs règles d’organisation et de fonctionnement, le projet de loi constitutionnelle prévoit que le champ d’intervention effectivement ouvert à la Loi fondamentale sera fonction des dispositions que prendra le législateur organique. Dans le principe, le Conseil d’Etat estime que le choix ainsi fait par le Gouvernement n’est pas contradictoire avec l’accord de Bougival. En effet, d’une part, le champ ouvert à la Loi fondamentale pourra être très étendu. D’autre part, le législateur organique ne pourra pas restreindre à l’excès le même champ sans méconnaître le principe d’auto-organisation et donc encourir une censure pour inconstitutionnalité.
71. Plus précisément, il est prévu que la Loi fondamentale pourra intervenir dans le respect de la loi organique, qui pourra ainsi, en particulier, s’abstenir de fixer certaines règles, afin de laisser à la Loi fondamentale le soin de le faire. Le législateur organique pourra également habiliter la Loi fondamentale à préciser ou compléter ses dispositions. La loi organique pourra aussi fixer des règles tout en prévoyant qu’elles ne s’appliqueront que tant que la Loi fondamentale n’en aura pas disposé autrement. Sous réserve de quelques modifications rédactionnelles, ces différents modes d’articulation n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.
Il lui semble en revanche inutile d’ajouter que la loi organique pourra prévoir que certaines dispositions de la loi organique du 19 mars 1999 demeurent en vigueur tant que la Loi fondamentale n’a pas été adoptée, ce qui comporterait, en outre, un risque d’interprétation a contrario. Par ailleurs, le Conseil d’Etat considère que ces dispositions ne feront pas obstacle à ce que la loi organique renvoie, comme aujourd’hui, à d’autres actes, par exemple au règlement intérieur des institutions, la détermination de certaines règles de leur organisation et de leur fonctionnement. La loi organique pourra aussi, dorénavant, confier à la Loi fondamentale le soin de procéder à de tels renvois. Dans tous les cas, la loi organique, hors du domaine propre attribué par la Constitution et l’accord de Bougival à la Loi fondamentale, pourra toujours intervenir après celle-ci pour énoncer une norme s’imposant à elle.
Sur l'articulation avec la loi ordinaire
72. Le projet de loi constitutionnelle prévoit que les mesures nécessaires à la mise en œuvre des accords de Nouméa et de Bougival, autres que celles attribuées à la loi organique ou relevant du domaine « exclusif » de la Loi fondamentale, sont définies par la loi. La réserve d’un domaine « exclusif » seulement, trop restrictive, ne correspond pas à l’intention du Gouvernement. Le Conseil d’Etat propose donc d’écrire que seront définies par la loi les mesures qui ne relèvent ni de la loi organique, ni de la Loi fondamentale.
73. Par ailleurs, ces dispositions figurent au dernier alinéa de l’article relatif à la loi organique. Comme elles concernent aussi la Loi fondamentale, le Conseil d’Etat propose d’en faire un article distinct, à la suite des articles relatifs à la loi organique et à la Loi fondamentale.
Le transfert des compétences mentionnées à l’article 27 de la loi organique du 19 mars 1999
74. Le point 7 du III de l’accord de Bougival prévoit que : « Sous réserve des dispositions du II.1., la Nouvelle-Calédonie pourra, à tout moment, demander le transfert des compétences mentionnées à l’article 27 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 et selon les modalités prévues par cette même loi. / Les communes sont des collectivités territoriales de la République. Dès lors qu’il aura été procédé au transfert mentionné au deuxième alinéa de l’article 27 de la loi organique, elles seront également des institutions de la Nouvelle‑Calédonie ». Les dispositions du II.1. ainsi réservées mettent, par leur c, le contrôle de légalité au nombre des compétences dites « régaliennes », dont le transfert est subordonné aux conditions particulières rappelées au point 56. Le Conseil d’Etat rappelle que selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les assemblées de province sont déjà des « institutions de la Nouvelle-Calédonie » (décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, cons. 8) et que leurs règles d’organisation et de fonctionnement relèvent donc du domaine organique.
75. L’article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 auquel l’accord renvoie prévoit que le congrès pourra demander que soient transférées, par une loi organique, notamment les compétences mentionnées à son deuxième alinéa : « règles relatives à l’administration des provinces, des communes et de leurs établissements publics, contrôle de légalité des provinces, des communes et de leurs établissements public, régime comptable et financier des collectivités publiques et de leurs établissements publics ». Ces compétences n’ont pas été transférées à ce jour.
76. Comme indiqué au point 70, le projet de loi constitutionnelle prévoit que les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie, qui continueront à relever de la loi organique, pourront, dans le cadre fixé par celle-ci, être déterminées par la Loi fondamentale, de même que la répartition des compétences entre ces mêmes institutions.
77. Enfin, le projet de loi constitutionnelle emploie l’expression « institutions de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie » pour désigner celles de cette personne morale et « institutions de la Nouvelle-Calédonie » pour désigner, en outre, celles des provinces et, en cas de transfert de la compétence mentionnée à l’article 27, celles des communes. Le Conseil d’Etat note que ce parti de rédaction est cohérent, s’agissant des provinces, avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelée plus haut et, s’agissant des communes, avec les termes, également rappelés plus haut, de l’accord.
78. Le Conseil d’Etat constate que le régime juridique qui résulte du projet de loi constitutionnelle présente une certaine complexité. Cette complexité avait déjà été soulignée dans l’avis qu’il avait rendu, dans le cadre constitutionnel actuel, lorsque la mise en œuvre de l’article 27 avait été envisagée (Section de l’intérieur, 5 juillet 2016, n° 391434). Cette situation étant inhérente à l’accord de Bougival, le Conseil d’Etat ne propose pas de modifications. Il souligne que l’articulation entre la loi organique et la Loi fondamentale devra garantir la cohérence de l’ensemble.
Il note, par exemple, qu’en cas de transfert de la compétence pour fixer les règles relatives à « l’administration » des communes, celles concernant leur « organisation » et leur « fonctionnement » relèveront, puisqu’il s’agira alors d’institutions de la Nouvelle‑Calédonie, de la loi organique. Pour donner une portée réelle au transfert, il faudrait donc que la même loi organique, ainsi qu’elle en aura la faculté, confie simultanément à la Loi fondamentale le soin de fixer, en tout ou partie, leurs règles d’organisation et de fonctionnement.
La nationalité calédonienne
79. Le Conseil d’Etat rappelle que le préambule de l’accord de Nouméa affirmait la nécessité de poser les bases d’une citoyenneté de la Nouvelle‑Calédonie et envisageait la reconnaissance progressive d’une citoyenneté de la Nouvelle‑Calédonie, « celle-ci devant traduire la communauté de destin choisie et pouvant se transformer, après la fin de la période, en nationalité, s’il en était décidé ainsi ».
80. L’article 4 de la loi organique du 19 mars 1999 a mis en œuvre cette préconisation en instituant une citoyenneté de la Nouvelle‑Calédonie pour les personnes de nationalité française remplissant les conditions pour être électeur au congrès et aux assemblées de province (article 188 de la loi organique), liant ainsi la citoyenneté à l’appartenance au corps électoral restreint.
81. L’accord de Bougival entend atteindre l’objectif fixé en 1998 en prévoyant la création, pour les nationaux français, d’une nationalité calédonienne leur permettant de bénéficier d’une double nationalité, française et calédonienne. Le Conseil d’Etat constate d’abord que la nationalité calédonienne ne pourra être attribuée qu’aux nationaux français, ce qui exclut la possibilité pour la Nouvelle‑Calédonie d’attribuer celle-ci à d’autres personnes. Il considère ensuite que, si, en vertu des nouvelles dispositions constitutionnelles, la Nouvelle‑Calédonie pourra se doter, comme indiqué au point 67, d’un « code de la citoyenneté », ces dispositions ne peuvent s’interpréter comme lui permettant de prévoir que seuls certains de ses nationaux auraient une qualité de citoyens.
82. Dans cette perspective, l’accord énumère les différentes conditions permettant chacune d’obtenir la nationalité calédonienne : avoir été admis à participer à l’élection des assemblées de province et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie en 2026 ; être enfant d’un parent remplissant les conditions d’acquisition de la nationalité calédonienne ; être né en Nouvelle‑Calédonie de parents ne remplissant pas les conditions d’acquisition de la nationalité calédonienne et y résider à la date de la demande d’acquisition de la nationalité depuis une durée fixée par la Loi fondamentale ; résider en Nouvelle‑Calédonie depuis au moins dix années à la date de la demande d’acquisition de la nationalité et remplir les conditions d’intégration définies par la Loi fondamentale ; être uni depuis au moins cinq années par le mariage ou un pacte civil de solidarité à une personne ayant la nationalité calédonienne et résider en Nouvelle-Calédonie depuis au moins cinq ans à la date de la demande d’acquisition de la nationalité.
83. Le Conseil d’Etat constate que le projet de loi constitutionnelle propose de reprendre strictement ces conditions à l’article 79 de la Constitution qu’il rétablit, et de les faire ainsi entrer dans le texte même de la Constitution. Il observe, d’une part, que ce choix n’est pas celui qui avait été fait en 1998, l’article 77 de la Constitution renvoyant à la loi organique la détermination des « règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l’emploi et au statut civil coutumier », et, d’autre part, que les conditions d’acquisition de la nationalité française sont insérées dans le code civil. Cependant, ce choix destiné à mettre en exergue la création d’une nationalité calédonienne n’appelle pas d’observations de sa part, dès lors qu’il s’explique également par le lien étroit créé entre l’attribution de la nationalité calédonienne et la détermination du corps électoral toujours partiellement restreint pour les futures élections des membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que par le processus de constitutionnalisation retenu depuis plus de vingt-cinq ans pour fixer sur ce territoire les modalités de détermination des corps électoraux restreints en conséquence de ce qui est dit au point 26.
84. Le Conseil d’Etat relève par ailleurs que l’énumération de ces conditions, dont certaines devront être précisées par la Loi fondamentale, qui voit ainsi son domaine propre, évoqué au point 67, élargi à la définition de ces conditions, montre que l’attribution de la nationalité calédonienne ne sera pas automatique, mais soumise à une demande préalable de la personne comme l’a confirmé le Gouvernement. En conséquence, le Conseil d’Etat souligne la nécessité de déterminer dans la loi organique, au titre de la répartition des compétences entre l’Etat et les institutions de l’Etat de la Nouvelle-Calédonie, l’autorité compétente pour décider si le demandeur remplit l’une des conditions fixées et lui octroyer la nationalité calédonienne.
85. Enfin, le Conseil d’Etat observe que si le dernier alinéa de l’article 78 de la Constitution dans sa rédaction prévue par le projet de loi constitutionnelle, qui énonce que, quelle que soit l’évolution institutionnelle du territoire, terme que par souci de cohérence de la rédaction le Conseil d’Etat propose de remplacer par celui de Nouvelle‑Calédonie, les nationaux français domiciliés en Nouvelle-Calédonie conservent de plein droit la nationalité française, qu’ils aient ou non acquis la nationalité calédonienne, peut apparaitre comme une simple confirmation du droit existant (la possession ou non de la nationalité calédonienne restera en effet sans conséquence sur l’octroi de la nationalité française régi par les règles du code civil), il hisse au niveau constitutionnel cet état du droit et constitue ainsi une garantie supplémentaire conforme aux orientations de l’accord.
Le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
86. L’accord de Bougival précise que les électeurs appelés à participer, après son approbation, à l’élection de la première assemblée délibérante de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie et des assemblées de province seront ceux qui étaient inscrits sur la liste pour la consultation sur la validation de cet accord (LESC) ou sur la LESP, dans leur dernier état en vigueur, et les personnes nées en Nouvelle‑Calédonie ou qui y résident depuis au moins 15 ans de manière continue et inscrites sur la liste électorale générale à la date de l’élection. Le Conseil d’Etat note qu’il prévoit ainsi de mettre en œuvre un dégel partiel du corps électoral pour ces dernières personnes.
87. Cette composition du corps électoral pour l’élection de la première assemblée délibérante de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie et des assemblées de province postérieurement à l’approbation de l’accord de Bougival, fidèlement reprise à l’article 2 du projet de loi constitutionnelle, n’appelle pas d’observations différentes de celles qui ont été faites aux points 22 à 31 du présent avis à l’occasion de l’examen de l’article 1er de ce projet. Il est simplement rappelé qu’en l’état des dispositions applicables, pour les personnes inscrites sur la LESP, le tableau annexe mentionné aux articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999 demeure le tableau dressé à l’occasion de la consultation du 8 novembre 1998 et comprenant les personnes non admises à y participer.
88. Pour les scrutins suivants, l’inscription sur la liste électorale sera, selon l’accord, conditionnée par la possession de la nationalité calédonienne.
Le projet de loi constitutionnelle reprend également cette disposition et précise que, si les dispositions relatives à la nationalité calédonienne ne sont pas entrées en vigueur, le corps électoral demeurera régi par les dispositions précédentes, c’est-à-dire constitué des personnes remplissant l’une des conditions prévues pour être électeur à l’élection de la première assemblée délibérante de l’Etat de la Nouvelle‑Calédonie et des assemblées de province. Cette précision bienvenue n’appelle pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.
89. Sur le fondement de l’ensemble des observations qui précèdent, notamment celles mentionnées aux points 25 et 26, le Conseil d’Etat estime que le projet de loi constitutionnelle, n’appelle pas d’autres remarques sur le plan de la cohérence des dispositions constitutionnelles ou au regard de l’office du Conseil d’Etat décrit aux points 11 à 13 et n’entre pas en contradiction avec les engagements internationaux de la France.
La subordination de l’entrée en vigueur du texte à l’approbation de l’accord de Bougival par les populations intéressées
90. L’article 3 du projet de loi constitutionnelle prévoit que les dispositions de l’article 2, excluant celles de l’article 1er, organisant la consultation des populations de la Nouvelle‑Calédonie sur l’accord de Bougival, « entrent en vigueur après l’approbation de l’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie signé à Bougival (…) par les populations de la Nouvelle Calédonie ».
91. Le Conseil d’Etat rappelle qu’il n’appartient qu’au pouvoir constituant de décider de la date et des conditions d’entrée en vigueur d’une loi constitutionnelle. Il estime que si le constituant subordonne l’entrée en vigueur d’une disposition constitutionnelle à la survenance d’un événement extérieur, cet événement doit avoir un caractère matériellement certain permettant d’en constater l’occurrence sans ambiguïté ni marge d’appréciation.
92. Toutefois, le Conseil d’Etat observe que la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 ne comportait aucune disposition concernant son entrée en vigueur, alors même que la loi organique devant intervenir pour mettre en œuvre l’accord de Nouméa, en vertu de l’article 77 de la Constitution, dans sa rédaction résultant de cette révision, ne pouvait être prise, après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle‑Calédonie, qu’après approbation de l’accord lui-même par les populations de la Nouvelle‑Calédonie. Ce texte prévoyait ainsi : « Après approbation de l’accord lors de la consultation prévue à l’article 76, la loi organique, prise après avis de l’assemblée délibérante de la Nouvelle‑Calédonie, détermine, pour assurer l’évolution de la Nouvelle‑Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre : (…) ».
93. Il résulte de la rédaction retenue par le constituant en 1998 que la loi organique ne pouvait intervenir, sans délai particulier, qu’une fois l’accord de Nouméa approuvé par les populations de la Nouvelle-Calédonie, de sorte que l’absence d’approbation de cet accord aurait fait obstacle à l’intervention du législateur organique. La loi organique du 19 mars 1999 a été prise sur ce fondement et a pu être modifiée ultérieurement à plusieurs reprises. Le Conseil d’Etat constate que le constituant n’a pas jugé nécessaire, en 1998, de prévoir une entrée en vigueur différée et subordonnée à l’approbation de l’accord de Nouméa.
94. En outre, le Conseil d’Etat estime insuffisamment précise la rédaction du projet de loi constitutionnelle, en ce qu’il prévoit une entrée en vigueur « après l’approbation » de l’accord de Bougival par les populations de la Nouvelle-Calédonie, ne permettant pas de déterminer la date exacte à laquelle les dispositions concernées doivent entrer en vigueur.
95. Il considère que rien ne s’oppose à ce que le projet de loi constitutionnelle prévoie une entrée en vigueur différée de certaines de ses dispositions, soumise à une condition particulière devant survenir postérieurement à sa publication, sous réserve de le prévoir de façon suffisamment précise (voir par exemple les lois constitutionnelles n° 2005‑204 du 1er mars 2005, n° 2008‑103 du 4 février 2008 et n° 2008‑724 du 23 juillet 2008).
96. Dès lors que l’accord de Bougival se place, ainsi que cela résulte de ses termes mêmes, dans le prolongement de l’accord de Nouméa, il pourrait sembler cohérent de conserver dans le projet de loi constitutionnelle un mode de rédaction similaire à celui retenu par le constituant en 1998 et, par suite, de supprimer son article 3. Le Conseil d’Etat souligne toutefois, qu’à la différence de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, la présente révision constitutionnelle a vocation à modifier des dispositions existantes, sous la condition de l’approbation de l’accord de Bougival par les populations de la Nouvelle-Calédonie. Dans l’hypothèse du rejet de l’accord de Bougival, ces modifications ne devraient donc pas entrer en vigueur et les dispositions actuelles devraient demeurer en vigueur. Reprendre la rédaction retenue en 1998 aurait pour effet, en cas de rejet de l’accord de Bougival, de faire disparaître le cadre constitutionnel actuel relatif à la Nouvelle‑Calédonie, issu de l’accord de Nouméa, sans rien lui substituer.
97. Le Conseil d’Etat observe que le projet de loi constitutionnelle, en cas de rejet de l’accord de Bougival, permettrait de conserver l’article 77 dans sa rédaction actuelle, assurant le maintien de l’organisation politique et institutionnelle issue de l’accord de Nouméa, mise en œuvre par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 et la loi organique du 19 mars 1999, dans les conditions précisées par l’avis n° 407713 du 7 décembre 2023 relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie.
98. Il résulte de ces considérations qu’il estime nécessaire de prévoir un dispositif d’entrée en vigueur différée et conditionnelle, subordonnée à l’approbation de l’accord de Bougival, pour les dispositions du projet de loi constitutionnelle n’ayant pas pour seul objet d’organiser cette consultation. Le Conseil d’Etat suggère cependant de revoir la rédaction du projet de loi constitutionnelle, afin de fixer une date certaine pour l’entrée en vigueur, en des termes dépourvus d’ambiguïté et ne laissant aucune marge d’appréciation.
99. A cet égard, l’article 2 du texte pourrait, sous réserve de l’approbation de l’accord, entrer en vigueur à compter de la publication des résultats du scrutin prévu à son article 1er au Journal officiel de la République française. Le Gouvernement envisage une telle publication dans le décret en Conseil d’Etat et en conseil des ministres auquel renvoie l’article 1er pour prendre les mesures nécessaires à l’organisation du scrutin, ainsi que l’avait déjà prévu l’article 219 de la loi organique du 19 mars 1999 s’agissant des résultats des consultations sur l’accession à la pleine souveraineté prévues par l’actuel article 77 de la Constitution.
100. Le Conseil d’Etat estime toutefois nécessaire, dans ce dispositif d’entrée en vigueur, de prendre en compte les délais de recours contentieux contre les résultats du scrutin, dans le cadre du régime contentieux qui devra, comme il est dit au point 30, être prévu par le décret mentionné au point précédent, et devrait fixer des délais brefs, afin de faire en sorte que l’article 2 du texte n’entre en vigueur qu’une fois définitivement confirmée l’approbation de l’accord, l’ensemble des contentieux ayant été purgés. A cette fin, il recommande une entrée en vigueur de l’article 2 à compter de la publication au Journal officiel de la République française des résultats définitifs du scrutin prévu à l’article 1er, une telle publication, distincte de la proclamation des résultats, devant dès lors être prévue par ce décret. Cette publication ne pourra intervenir qu’après l’expiration du délai de recours contentieux ou, si un recours a été introduit contre le scrutin, à compter d’une décision juridictionnelle définitive ne prononçant pas l’annulation du scrutin.
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du mercredi 1er octobre 2025.