Avis relatif aux conséquences d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire sur le mandat d’un représentant au Parlement européen

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d’État relatif aux conséquences d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire sur le mandat d’un représentant au Parlement européen.

Le Conseil d’État a été saisi le 2 mai 2025 d’une demande d’avis relative aux conséquences d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire sur le mandat d’un représentant au Parlement européen.

Énoncé de la demande d’avis

Par un jugement n° 15083000886 du 31 mars 2025, notifié au Gouvernement le 28 avril 2025, le tribunal judiciaire de Paris (11e chambre correctionnelle – 1ère section) a condamné à une peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire des représentants au Parlement européen. Au regard des dispositions législatives applicables et de la jurisprudence administrative et constitutionnelle, le Gouvernement s’interroge sur les conséquences qu’il y a lieu de tirer d’une telle condamnation sur l’exercice des mandats.

Sur le cadre juridique applicable à la peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire :

En matière pénale, une condamnation ne produit en principe ses effets qu’une fois devenue définitive, c’est-à-dire lorsqu’il n’est plus possible d’exercer à son encontre une voie de recours, ainsi que le prévoit l’article 708 du code de procédure pénale. L’article 471 du code de procédure pénale (4e al.) déroge, pour certaines sanctions pénales, à cette règle en permettant à la juridiction compétente d’ordonner, en cas de condamnation, l’exécution provisoire de la peine. La peine d’inéligibilité prévue à l’article 131 26 du code pénal figure au nombre des peines susceptibles d’être déclarées exécutoires par provision.

La jurisprudence est venue préciser, pour les élus locaux et les parlementaires, les modalités d’application du régime d’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité.

S’agissant des élus locaux, l’article L. 236 du code électoral prévoit que « Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d'inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’État, conformément aux articles L. 249 et L. 250 ». Au nombre de ces cas d’inéligibilité figure la privation du droit électoral (1° de l’art. L. 230 du même code).

Par une décision n° 356865 du 20 juin 2012, publiée au Recueil Lebon, et réaffirmée à plusieurs reprises ( ), le Conseil d’État, statuant au contentieux, a jugé qu’une peine d’inéligibilité prononcée postérieurement à l’élection d’un conseiller municipal ou d’un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale et dont la juridiction judiciaire a décidé l’exécution provisoire impose au représentant de l’État de déclarer l’intéressé démissionnaire d’office, ce qui a pour effet de le priver immédiatement de l’exercice de son mandat.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions de l’article L. 236 du code électoral en ce qu’elles renvoient au 1° de l’article L. 230, telles qu’interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d’État en cas d’exécution provisoire d’une condamnation pénale, le Conseil constitutionnel a jugé qu’elles ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité, sous réserve que le juge apprécie, dans sa décision, le caractère proportionné de l’atteinte que l’exécution provisoire est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur (CC, décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025).

S’agissant des membres du Parlement, l’article LO. 136 du code électoral prévoit que « Sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l'Assemblée nationale celui (…) qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera dans l'un des cas d'inéligibilité prévus par le présent code. / La déchéance est constatée par le Conseil constitutionnel à la requête du bureau de l'Assemblée nationale ou du garde des sceaux, ministre de la Justice, ou, en outre, en cas de condamnation postérieure à l'élection, du ministère public près la juridiction qui a prononcé la condamnation. ». Au nombre des cas d’inéligibilité auxquels renvoie l’article LO. 136 figure, en vertu de la combinaison des articles LO. 296, LO. 127 et L. 2 du même code, celui dans lequel un parlementaire en exercice est condamné par une décision judiciaire à une peine de privation de son droit d’éligibilité (v. par ex. CC, décision n° 2022 27 D du 16 juin 2022).

Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel subordonne la constatation de la déchéance du mandat d’un membre du Parlement au caractère définitif de la condamnation. Il rejette ainsi les requêtes tendant à une telle constatation en l’absence de condamnation définitive, y compris lorsque la condamnation a été déclarée exécutoire par provision (CC, décision n° 2009-21 D 29 juillet 2010 ; CC, décision n° 2021-26 D du 23 novembre 2021 ; CC, décision n° 2022-27 D du16 juin 2022).

Le Conseil constitutionnel, dans la décision n° 2025-1129 QPC précitée, a admis que sa jurisprudence et celle du Conseil d’État conduisent à une différence de traitement entre les membres du Parlement et les conseillers municipaux quant aux effets, sur l’exercice d’un mandat en cours, d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision. Relevant toutefois que les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale en vertu de l’article 3 de la Constitution et votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement aux termes du premier alinéa de son article 24, il a estimé qu’ils se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux et jugé en conséquence que la différence de traitement n’emporte pas de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

Sur le cadre juridique applicable à l’inéligibilité des représentants au Parlement européen :

L’article 13, paragraphe 3, de l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct dispose que « Lorsque la législation d’un État membre établit expressément la déchéance du mandat d’un membre du Parlement européen, son mandat expire en application des dispositions de cette législation. Les autorités nationales compétentes en informent le Parlement européen ». Le règlement intérieur du Parlement européen (2024-2029) dispose par ailleurs, au dernier paragraphe, que « Lorsque les autorités compétentes des États membres entament une procédure susceptible d’aboutir à la déchéance du mandat d’un député, le Président leur demande à être régulièrement informé de l’état de la procédure, et en saisit la commission compétente, sur proposition de laquelle le Parlement peut se prononcer ». Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) que l’expiration du mandat de député européen, sur le fondement du droit national, du fait d’une condamnation pénale, constitue bien un cas de déchéance de mandat, au sens de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral (arrêt du 22 décembre 2022 dans l’affaire C 115/21 P, point 57) et que le Parlement européen ne dispose d’aucune marge d’appréciation pour déclarer la vacance de siège résultant du droit national, son rôle consistant seulement à prendre acte de la vacance déjà constatée par les autorités nationales (point 62).

En droit interne, conformément à l’article 5 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, les articles LO. 127 à LO. 130 du code électoral sont applicables à l’élection des représentants au Parlement européen. Aux termes de ce même article 5 : « L'inéligibilité met fin au mandat du représentant lorsqu'elle survient en cours de mandat (…). La constatation en est effectuée par décret ».

Ayant reçu la notification du jugement correctionnel du 31 mars 2025 du tribunal judiciaire de Paris, qui prononce, à l’encontre de représentants français en exercice au Parlement européen, une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire, le Gouvernement s’interroge sur les conséquences qu’il lui revient de tirer de cette condamnation non définitive à ce jour. A cette fin, il soumet au Conseil d’État la question suivante :

– Lorsqu’un représentant au Parlement européen est, en cours de mandat, condamné à une peine d’inéligibilité dont la juridiction judiciaire a décidé l’exécution provisoire, le Premier ministre est-il tenu de procéder à la constatation que cette inéligibilité met fin au mandat en cours, y compris lorsque le jugement qui la prononce n’est pas définitif ?


Avis du Conseil d’État en réponse à la demande

Le Conseil d’État, saisi de cette demande,

Vu la Constitution ;

Vu le Traité sur l’Union européenne ;

Vu l’acte du 20 septembre 1976 l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct ;

Vu le règlement intérieur du Parlement européen de la 10ème législature ;

Vu le code électoral ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 77 729 du 7 juillet 1977 ;

Vu la décision n° 2025 1129 QPC du 28 mars 2025 du Conseil constitutionnel ;

EST D’AVIS DE RÉPONDRE DANS LE SENS DES OBSERVATIONS QUI SUIVENT :

En ce qui concerne le prononcé d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire :

1. En matière pénale, la peine est en principe exécutée lorsque la décision est devenue définitive (article 708 du code de procédure pénale). Toutefois, certaines sanctions pénales peuvent être déclarées exécutoires par provision (article 471 du même code). C’est le cas de la peine d’interdiction des droits civiques, civils et de famille, qui inclut notamment la peine d’inéligibilité (article 131-26 du code pénal). En cas de prononcé d’une peine assortie de l’exécution provisoire, celle-ci conduit à déroger à l’effet suspensif de l’appel (article 506 du code de procédure pénale) ou du pourvoi en cassation (articles 512 et 569 du même code).

2. La peine d’inéligibilité, qui est prononcée sans indication du ou des mandats qu’elle pourrait concerner, emporte deux effets distincts : d’une part, elle fait obstacle à l’enregistrement de toute candidature de l’intéressé à une élection (article L. 44 du code électoral), d’autre part, elle conduit à la déchéance du mandat électif en cours de l’intéressé, prononcée par un acte pris, selon les cas, par le préfet s’agissant des élus locaux (articles L. 205, L. 236 et L. 341 du code électoral pour les conseillers départementaux, municipaux et régionaux), par le Conseil constitutionnel s’agissant des parlementaires nationaux (article L.O. 136 du code électoral), par décret s’agissant des élus au Parlement européen (article 5 de la loi du 7 juillet 1977).

3. Dans les cas visés à l’article 131-26-2 du code pénal, correspondant aux crimes et à certains délits d’une particulière gravité ou révélant des manquements à l’exigence de probité ou portant atteinte à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral, le prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité est en principe obligatoire. Si par exception, le juge choisit de ne pas prononcer cette peine, il doit motiver spécialement cette décision.

En ce qui concerne les conséquences à tirer d’une peine d’inéligibilité non définitive assortie de l’exécution provisoire sur le mandat de parlementaire national et sur le mandat d’élu local :

4. En premier lieu, s’agissant des députés et des sénateurs, le Conseil constitutionnel juge qu’il résulte des articles L.O. 136 et L.O. 296 du code électoral qu’est déchu de plein droit de la qualité de membre du Parlement celui qui, pendant la durée de son mandat, se trouve dans l’un des cas d’inéligibilité prévus par le même code, et qu’il lui appartient de constater la déchéance d’un membre du Parlement en cas de condamnation pénale définitive à une peine d’inéligibilité. Il retient que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité est sans effet sur un mandat parlementaire en cours, subordonnant la constatation de la déchéance du mandat d’un membre du Parlement au caractère définitif de la condamnation. Cette jurisprudence s’applique notamment au cas d’une condamnation non définitive à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire prononcée en première instance (CC, décisions n° 2009 21 SD du 22 octobre 2009 ; n° 2009 21 D du 29 juillet 2010 ; n° 2021 26 D du 23 novembre 2021) comme en appel (CC, décision n° 2022 27 D du 16 juin 2022). Le Conseil d’Etat constate que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante sur l’exigence d’une condamnation définitive, depuis sa décision n° 60 1 D du 12 mai 1960.

5. En second lieu, l’article L. 236 du code électoral dispose que « Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d'inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’État, conformément aux articles L. 249 et L. 250. Lorsqu'un conseiller municipal est déclaré démissionnaire d'office à la suite d'une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l'acte de notification du préfet n'est pas suspensif » et l’article L. 230 que ne peuvent être conseillers municipaux « les individus privés du droit électoral », lequel recouvre le droit de vote et l’éligibilité.

6. Le Conseil d’État statuant au contentieux juge qu’il résulte de cet article L. 236 que, dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire par application du quatrième alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d’office (CE, 3/8 SSR, 20 juin 2012, n° 356865, A - Rec. p. 249, confirmée par CE, 1/4 CHR, 29 mai 2024, n° 492285, B). Le Conseil d’Etat applique également cette jurisprudence aux conseillers départementaux (CE, 3 SSJS, 9 mai 2007, n° 291932, C), sur le fondement de l’article L. 205 du code électoral et aux conseillers régionaux (CE, 9 CH, 3 octobre 2018, n° 419049, C), sur le fondement de l’article L. 341 du même code. Par une décision n° 2025 1129 QPC du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l’article L. 236 du code électoral tel qu’interprété par la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, selon laquelle le préfet constate la démission d’office lorsque la condamnation est définitive mais aussi lorsque la condamnation, non définitive, a été assortie de l’exécution provisoire.

En ce qui concerne la déchéance du mandat de parlementaire européen en cas de peine d’inéligibilité non-définitive assortie de l’exécution provisoire :

7. L’article 14 du Traité sur l’Union européenne prévoit l’élection du Parlement européen au suffrage universel, direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans. Aux termes de l’article 13 de l’acte du 20 septembre 1976 portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct : « 1. Un siège devient vacant quand le mandat d'un membre du Parlement européen expire en cas de sa démission ou de son décès ou de déchéance de son mandat. / 2. Sous réserve des autres dispositions du présent acte, chaque État membre établit les procédures appropriées pour que, au cas où un siège devient vacant, ce siège soit pourvu pour le reste de la période quinquennale visée à l'article 5. / 3. Lorsque la législation d'un État membre établit expressément la déchéance du mandat d'un membre du Parlement européen, son mandat expire en application des dispositions de cette législation. Les autorités nationales compétentes en informent le Parlement européen. / (…) ». Le règlement intérieur du Parlement européen de la 10ème législature (2024-2029) précise que « Lorsque les autorités compétentes des États membres notifient au Président la fin du mandat d’un député du Parlement européen en raison (…) de la déchéance du mandat dudit député en application de l'article 13, paragraphe 3, [de l’acte du 20 septembre 1976] le Président informe le Parlement du fait que le mandat de ce député a pris fin à la date communiquée par les autorités compétentes de l’État membre. Lorsqu'aucune date n’est communiquée, la date de la fin du mandat est celle de la notification par l’État membre » (article 4, paragraphe 4, deuxième alinéa).

8. La Cour de justice de l’Union européenne juge que l’expiration du mandat de parlementaire européen, sur le fondement du droit national, du fait d’une condamnation pénale, constitue un cas de déchéance de mandat, au sens de l’article 13, paragraphe 3, de l’acte électoral, et qu’il ressort des termes mêmes du paragraphe 3 de cet article 13, et du deuxième alinéa du paragraphe 4 de l’article 4 du règlement intérieur que, lorsque la vacance du siège d’un membre du Parlement résulte de la déchéance de son mandat expressément prévue par le droit national, le mandat expire sur le seul fondement de ce droit, le Parlement étant simplement informé par les autorités nationales de la perte par l’intéressé de sa qualité de député européen. Elle en déduit que le Parlement européen ne dispose d’aucune marge d’appréciation pour déclarer la vacance de siège résultant du droit national et que c’est aux juridictions nationales compétentes, le cas échéant après renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), ou à cette dernière, saisie d’un recours en manquement sur le fondement de l’article 258 du TFUE, qu’il appartient de contrôler la conformité au droit de l’Union de la procédure prévue par le droit national conduisant à la déchéance du mandat de membre du Parlement (pour une décision récente, voir CJUE, 22 décembre 2022, C-115/21 P).

9. La loi n° 77 729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen fixe les règles relatives à cette élection en France. Les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité des parlementaires européens sont définies, pour l’essentiel, par renvoi à celles applicables aux parlementaires nationaux, députés et sénateurs, fixées aux articles L.O. 127 à L.O. 130 et à l’article L.O. 296 du code électoral (premier alinéa de l’article 5 de la loi du 7 juillet 1977). Aux termes du deuxième alinéa de l’article 5 de la même loi : « L'inéligibilité met fin au mandat du représentant lorsqu'elle survient en cours de mandat (…). La constatation en est effectuée par décret ». Aux termes du premier alinéa de l’article 24 de cette loi : « Le représentant dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit est remplacé par le candidat figurant sur la même liste immédiatement après le dernier candidat devenu représentant conformément à l'ordre de cette liste ».

10. En l’absence de jurisprudence du Conseil d’État statuant au contentieux, qui est le juge devant lequel serait contesté un décret constatant l’inéligibilité d’un député européen, le Conseil d’État observe en premier lieu que par la décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel, saisi d’un moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité, a jugé que la différence de traitement entre les membres du Parlement et les conseillers municipaux quant aux effets, sur l’exercice d’un mandat en cours, d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision (points 4 à 6), était fondée sur une différence de situation, en rapport direct avec l’objet de la loi, tenant en l’espèce, pour les parlementaires nationaux, à la situation particulière et aux prérogatives que les membres du Parlement tiennent de l’article 3 de la Constitution, aux termes duquel ils participent à l’exercice de la souveraineté nationale, et du premier alinéa de son article 24, aux termes duquel ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement.

11. Il constate en second lieu que les fondements, retenus par le juge constitutionnel, de la différence de situation entre les parlementaires nationaux et les élus locaux ne sont pas transposables aux parlementaires européens. En effet, le Conseil constitutionnel juge de manière constante que ni le Parlement européen ni ses membres ne participent à l’exercice de la souveraineté nationale (CC, décision n° 76 71 DC du 30 décembre 1976 ; CC, décision n° 2007 560 DC du 20 décembre 2007). Le Conseil constitutionnel juge en outre que le Parlement européen « n’appartient pas à l’ordre institutionnel de la République française » (CC, décision n° 92 308 DC du 9 avril 1992) et que les membres du Parlement européen élus en France « le sont en tant que représentants des citoyens de l’Union européenne résidant en France ». Il en déduit que le Parlement européen « n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale » (CC, décision n° 2004 505 DC du 19 novembre 2004, cons. 29).

12. Il appartient cependant au Conseil d’État de rechercher si les parlementaires européens, sans être placés dans la même situation que les parlementaires nationaux, relèvent, en raison des caractéristiques objectives régissant leur mandat, d’une catégorie distincte de celle des autres mandats nationaux, et appelant une interprétation de la loi exigeant, comme pour les parlementaires nationaux, une condamnation définitive avant toute déchéance.

13. Le Conseil d’État observe, d’une part, que les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité des parlementaires européens sont pour l’essentiel les mêmes que celles des parlementaires nationaux (voir point 9), les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 7 juillet 1977 révélant à cet égard que l'intention du législateur était de faire suivre à ces derniers le même régime d'inéligibilités que celui applicable aux députés et aux sénateurs, d’autre part, que, si les textes régissant les conséquences à tirer d’une inéligibilité ne sont pas les mêmes (article L.O. 136 du code électoral pour les parlementaires nationaux et 2e alinéa de l’article 5 de la loi du 7 juillet 1977 pour les parlementaires européens), ils sont rédigés en termes analogues pouvant appeler une lecture identique pour leur application.

14. Dans cette optique, le Conseil d’État souligne que plusieurs éléments lui paraissent justifier que les parlementaires européens soient placés dans une catégorie différente de celle des élus locaux. Les parlementaires européens, représentants des citoyens de l’Union européenne résidant en France (CC, décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003), lesquels relèvent de l’ordre juridique de l’Union européenne, intégré à l’ordre juridique interne en vertu de l’article 88-1 de la Constitution (CC, décision n° 2007 560 DC du 20 décembre 2007), participent au processus législatif lequel est au demeurant articulé par l’article 88-6 de la Constitution avec l’activité du Parlement national, par l’adoption des actes législatifs de l’Union européenne, le plus souvent selon une procédure de codécision avec le Conseil de l’Union européenne, devenue la procédure législative ordinaire depuis le traité de Lisbonne. Ils disposent en outre d’importants pouvoirs de contrôle de la Commission européenne, notamment lors de son investiture ou pour l’adoption d’une motion de censure. Le statut des parlementaires européens tend ainsi à les rapprocher de celui des parlementaires nationaux. Les parlementaires européens jouissent de privilèges et immunités spécifiques en vertu du protocole du 8 avril 1965 sur les privilèges et immunités des Communautés européennes. En particulier, ils bénéficient sur leur territoire national, pendant la durée des sessions du Parlement européen, des immunités reconnues aux parlementaires nationaux (article 9 protocole du 8 avril 1965) et ils ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinion ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions (article 8 du même protocole, dont les dispositions sont similaires à celles de l’article 26 de la Constitution concernant les parlementaires nationaux). Le Conseil d’État observe aussi que, alors même que les parlementaires européens ne participent pas à l’exercice de la souveraineté nationale, le Conseil constitutionnel a jugé que ne pouvait être ratifié sans une révision constitutionnelle préalable un traité comportant des clauses transférant à l'Union européenne des compétences affectant les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans des domaines ou selon des modalité autres que ceux prévus par les traités mentionnés à l'article 88-2 de la Constitution et modifiant les règles de décision en conférant une fonction décisionnelle au Parlement européen. (CC, décision n° 2004 505 DC du 19 novembre 2004).

15. Au regard de ces éléments, le Conseil d’État estime, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge électoral ou du juge constitutionnel, que le juge électoral saisirait d’une question prioritaire de constitutionnalité, que la déchéance du mandat d’un représentant au Parlement européen ne peut être prononcée que si la condamnation à une peine d’inéligibilité a acquis un caractère définitif, comme c’est le cas pour les parlementaires nationaux.

16. Il considère en conséquence que le Gouvernement ne peut légalement prendre un décret prononçant la déchéance du mandat d’un parlementaire européen ayant fait l’objet d’une condamnation à une peine d’inéligibilité déclarée exécutoire par provision tant que cette condamnation n’est pas devenue définitive.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 19 juin 2025.