Le Gouvernement a décidé de rendre public un avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales
1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 29 juillet 2025 d’un projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Ce projet de loi et son étude d’impact ont été modifiés par sept saisines rectificatives reçues les 1er, 7, 11 et 26 août ainsi que les 3, 8 et 11 septembre 2025.
2. Ce projet de loi comprend vingt-et-un articles répartis en trois titres, respectivement intitulés : « améliorer la détection de la fraude fiscale et sociale », « adapter les leviers de lutte aux nouvelles formes de fraudes et renforcer les sanctions » et « garantir un meilleur recouvrement des montants fraudés ».
3. Le projet de loi a pour objectif de lutter contre les fraudes sociales et fiscales, qui constituent, selon l’exposé des motifs, une « atteinte directe à notre pacte républicain » et de contribuer au redressement des finances publiques dans le cadre du plan présenté le 15 juillet 2025 par le Premier ministre.
4. Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi fait suite à d’autres lois récentes poursuivant les mêmes objectifs à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale (CC, décision n° 2019-789 QPC du 14 juin 2019, paragr. 7) et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales (CC, décision n° 2015-481 QPC du 25 novembre 2016, paragr. 7 et 8) telles que :
- La loi n° 2022-1587 du 19 décembre 2022 visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires ;
- La loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic ;
- La loi n° 2025-594 du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques.
Le projet de loi ne contient pas de réforme d’ampleur des outils de lutte contre les fraudes sociales et fiscales, mais rassemble diverses dispositions visant à améliorer, par des modifications ciblées de procédures et mécanismes existants, l’efficacité des contrôles, des sanctions et des procédures de recouvrement des créances.
5. L’étude d’impact répond globalement aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Le Conseil d’Etat considère néanmoins que le Gouvernement doit enrichir l’étude d’impact d’informations précises et chiffrées évaluant l’impact d’ensemble que le projet de loi est susceptible d’avoir sur les finances publiques.
6. Le Conseil d’Etat constate que le projet de loi a été soumis à toutes les instances dont la consultation était obligatoire.
Au-delà de ces remarques liminaires, et outre de nombreuses améliorations de rédaction que le Conseil d’Etat suggère, ce projet de loi appelle de sa part les observations suivantes.
Dispositions visant à améliorer la détection de la fraude fiscale et sociale
Sur les dispositions relatives à la transmission d’informations par les agents judiciaires des douanes et des services fiscaux à l’administration fiscale et à l’administration des douanes
7. Le projet de loi comporte un article prévoyant que les agents des douanes et les agents des services fiscaux effectuant des enquêtes judiciaires et habilités à cet effet sur le fondement des articles 28-1 et 28-2 du code de procédures pénale peuvent, sur autorisation du procureur de la République les ayant requis ou du juge d’instruction leur ayant délivré commission rogatoire, après avis du procureur de la République, communiquer, aux agents relevant des administrations des douanes et des finances publiques chargés d’une mission de contrôle, toutes informations et tous documents, recueillis au cours de ces enquêtes, susceptibles d’être utiles à l’exercice de cette mission de contrôle.
Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel juge que le secret de l’enquête et de l'instruction, garanti par l’article 11 du code de procédure pénale, vise à garantir le bon déroulement de l'enquête et de l'instruction, poursuivant ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, et à garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence des personnes concernées par une enquête ou une instruction (CC, décision n° 2017‑693 QPC du 2 mars 2018, paragraphe 8). Comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans son avis sur la lettre rectificative au projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, il s’en déduit que ce secret ne peut subir de restriction que si celle-ci est justifiée par un intérêt général et proportionnée à celui-ci, notamment quant à son champ et au destinataire de l’information, afin de limiter l’atteinte portée au secret de l’enquête, à la protection de la vie privée et à la présomption d’innocence (CE, avis du 6 mai 2021, n° 402791, points 28 et 29).
A cet égard, la dérogation au secret de l’enquête et de l’instruction prévue par le projet de loi, justifiée par l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude (CC, décision n° 99-424 DC, 29 décembre 1999, cons. 52), n’appelle pas d’objection de principe. Le Conseil d’Etat propose toutefois, afin d’assurer la proportionnalité de la mesure, d’en circonscrire le champ en précisant que la transmission des informations et documents ne peut se faire qu’au bénéfice des agents relevant des administrations des douanes et des finances publiques chargés d’une mission de contrôle lorsque ces informations et documents sont utiles à l’exercice de cette mission.
Sur le renforcement des échanges d’informations entre administrations à des fins de lutte contre la fraude fiscale
8. L’article L. 134 D du livre des procédures fiscales prévoit un accès direct aux informations couvertes par le secret fiscal et contenues dans des fichiers tenus par la direction générale des finances publiques au bénéfice des agents des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), des caisses d’allocation familiale (CAF), des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), des caisses générales de sécurité sociale (CGSS), de France Travail et des caisses de mutualité sociale agricole (CMSA). Cet accès est accordé « pour les besoins de l’accomplissement de leurs missions de contrôle et de recouvrement portant sur les infractions prévues à l'article L. 114‑16‑2 du code de la sécurité sociale » à des agents « individuellement désignés et dûment habilités ».
Le projet de loi comporte un article qui prévoit, d’une part, de donner à l’ensemble des organismes qui y sont mentionnés accès aux trois fichiers dits « Patuela » (ex. fichier « Patrim », informations relatives aux transactions de biens immobiliers), « Ficovie » (informations relatives aux contrats de capitalisation et d’assurance vie souscrits auprès d’organismes établis en France) et « BNDP » (informations patrimoniales contenues dans les documents déposés dans divers services de l’administration fiscale) et, d’autre part, d’inclure dans son champ d’application les agents de la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), sous les mêmes conditions et limites.
Le Conseil d’Etat relève que le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2025‑885 DC du 12 juin 2025 (paragraphes 61 à 69), déclaré contraires à la Constitution les dispositions qui avaient pour objet de permettre à certains agents des services spécialisés de renseignement d’accéder directement à des informations financières, fiscales et patrimoniales contenues dans des bases de données et des fichiers de l’administration fiscale au double motif que ces dispositions permettaient à ces agents d’accéder à toutes les informations que ces fichiers contiennent pour les besoins de l’ensemble de leurs missions et qu’elles ne définissaient ni les modalités de traçabilité des accès, ni celles relatives à la destruction des données consultées lorsqu’elles ne sont plus nécessaires à l’accomplissement des missions des agents concernés.
A cet égard, le Conseil d’Etat observe qu’en élargissant l’accès direct aux fichiers précités de l’administration fiscale, le projet de loi apporte au régime du secret fiscal une nouvelle dérogation. Il relève que ce projet ne remet pas en cause les garanties prévues par l’article L. 134 D du livre des procédures fiscales dans sa rédaction en vigueur tenant, d’une part, à la finalité de la consultation qui ne peut être opérée qu’à des fins de contrôle et de recouvrement portant sur les infractions limitativement énumérées à l'article L. 114-16-2 du code de la sécurité sociale et, d’autre part, à ce que les agents qui bénéficient effectivement de ce droit sont individuellement désignés et dûment habilités selon des modalités fixées par décret. Il propose toutefois, au regard de la décision précitée du Conseil constitutionnel, de prévoir dans le projet de loi que les organismes concernés doivent, d’une part, assurer la traçabilité des consultations effectuées par les agents relevant de leurs services et, d’autre part, mettre en place une procédure de destruction des informations collectées, et de renvoyer à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer les modalités d’application de ces dispositions. Sous cette réserve, le Conseil d’Etat considère que le projet opère une conciliation équilibrée entre les nécessités de la lutte contre la fraude et l’impératif de préservation du secret fiscal et que les atteintes portées à ce secret peuvent être regardées comme nécessaires, adaptées et proportionnées.
Sur la facturation des transports sanitaires
9. Le projet de loi prévoit que les entreprises de transport sanitaire et les entreprises de taxis ayant conclu une convention avec un organisme local d’assurance maladie doivent équiper l’ensemble de leurs véhicules d’un dispositif de géolocalisation certifié par l’assurance maladie et d’un système électronique de facturation intégré.
Ces dispositions, qui concernent des dépenses de l’assurance maladie qui se sont fortement accrues ces dernières années et revêtent à ce titre une importance particulière, ne se heurtent pour le Conseil d’Etat à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Il propose toutefois, en raison de la nature des données personnelles en cause, de prévoir un décret en Conseil d’Etat pour préciser les conditions d’utilisation du dispositif de géolocalisation.
Sur les moyens d’enquête et de contrôle
10. Le projet de loi modifie les dispositions du 5° de l’article L. 114-19 du code de la sécurité sociale pour autoriser des agents placés sous l’autorité des directeurs ou des directeurs comptables des organismes locaux de sécurité sociale à exercer le droit de communication prévu à cet article.
Le Conseil d’Etat constate que ces dispositions qui élargissent le champ des agents autorisés à réaliser des contrôles et à lutter contre la fraude sociale ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Il appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la nécessité de veiller à ce que ces agents, eu égard à la nature du pouvoir qui leur est ainsi reconnu, soient spécialement désignés à cet effet par les directeurs concernés.
Sur la lutte contre les fraudes fiscales et sociales dans le secteur des transports publics particuliers de personnes
11. Le projet de loi comporte des dispositions visant à lutter plus efficacement contre la fraude fiscale et sociale dans le secteur des transports publics particuliers, notamment la méconnaissance des obligations fiscales et sociales qui peut résulter de l’interposition de « gestionnaires de flotte » entre les exploitants de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les plateformes de mise en relation avec les clients. A cette fin, il modifie le code des transports de façon à interdire expressément la mise à disposition d’un tiers, à titre onéreux ou non, d’une inscription au registre des VTC, en accompagnant cette interdiction d’une sanction administrative consistant en une radiation de ce registre et une interdiction de s’y inscrire à nouveau pendant une durée maximale de trois ans. Reprenant sur ce point des dispositions existantes relatives au transport routier de marchandises et au transport routier collectif de voyageurs, il complète en outre les obligations de vigilance qui pèsent sur les plateformes de mise en relation, en y ajoutant le caractère personnel de l’inscription au registre de l’exploitant de VTC et l’absence de situation de travail dissimulé, et prévoit que la méconnaissance de ces obligations peut être sanctionnée par une amende administrative de 150 euros par mise en relation.
Le Conseil d’Etat estime que, si elles imposent tant aux exploitants de VTC qu’aux plateformes de mise en relation des obligations nouvelles assorties de sanctions, ces dispositions, compte tenu de l’objectif de lutte contre la fraude qu’elle poursuivent, ne sont pas disproportionnées et ne soulèvent dès lors pas de difficulté d’ordre constitutionnel ou conventionnel. En accord avec le Gouvernement, il recommande toutefois de préciser et compléter les règles applicables à la sanction des obligations de vigilance des plateformes, de façon notamment à y introduire un plafonnement annuel de la somme mise à la charge d’une plateforme au cours d’une année par addition des amendes prononcées à son encontre.
Sur la transmission à l’Autorité des marchés financiers d’informations couvertes par le secret de l’instruction
12. Le projet de loi comprend un article modifiant l’article L. 621-20-4 du code monétaire et financier afin de permettre la transmission à l’Autorité des marchés financiers par tout procureur de la République des procès-verbaux, rapports d'enquête ou toute autre pièce de la procédure pénale ayant un lien direct avec des faits susceptibles d'être soumis à l'appréciation de la commission des sanctions de cette autorité. En l’état actuel de ces dispositions, cette faculté de transmission est réservée au seul procureur de la République financier (PNF).
Le Conseil d’Etat constate que cette mesure vise à faciliter la transmission d’informations entre le ministère public et l’Autorité des marchés financiers et qu’elle contribue ainsi à l’objectif de recherche des auteurs d'infractions et de prévention des atteintes à l'ordre public. Il relève qu’aux termes de l’article L. 621-20-4 du code monétaire et financier, seules les informations ayant un lien direct avec des faits susceptibles d'être soumis à l'appréciation de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers peuvent être communiquées. En outre, il résulte de la combinaison des articles L. 621-4 et L. 642-1 du même code avec les articles 226-13 et 226-14 du code pénal que les agents de l’Autorité des marchés financiers sont soumis au respect du secret professionnel. Enfin, le projet de loi prévoit que cette communication est subordonnée à l’avis favorable du juge d’instruction lorsqu’une information judiciaire a été ouverte.
Le Conseil d’Etat estime que, dans ces conditions, les dispositions opèrent une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée, et qu’elles ne méconnaissent aucune norme constitutionnelle ou conventionnelle.
Dispositions visant à adapter les leviers de lutte aux nouvelles formes de fraudes et renforcer les sanctions
Sur le régime de la contribution sociale généralisée (CSG) appliquée aux revenus présumés issus d’activités illicites
13. Le projet de loi comprend un article ayant pour objet, d’une part, d’assujettir les revenus présumés issus d’activités illicites à la CSG à un taux de 25 % et, d’autre part, de supprimer la déductibilité partielle de la CSG ainsi versée de l’assiette soumise à l’impôt sur le revenu constituée des mêmes revenus.
Le Conseil d’Etat relève qu’aux termes du 1 de l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53, 75 et 79 du code de procédure pénale qu'une personne a eu la libre disposition d'un bien objet de certaines infractions, cette dernière est présumée, sauf preuve contraire, avoir perçu un revenu imposable équivalant à la valeur vénale de ce bien au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. Le même régime est applicable aux biens meubles qui ont servi à commettre ces infractions ou étaient destinés à les commettre, ainsi qu’aux sommes d’argent qui constituent le produit direct des mêmes infractions. Selon les 2 et 3 de l’article 1649 quater‑0 B bis, les infractions visées par ce régime sont les crimes et délits de trafic de stupéfiants, les crimes en matière de fausse monnaie, les crimes et délits en matière de législation sur les armes, de tabacs et d’alcools, de contrefaçon ainsi qu’en matière d'habitat indigne.
D’une part, selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Il résulte d’une jurisprudence constitutionnelle constante que le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit (CC, décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997, cons. 27). D’autre part, selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l’exigence découlant de cet article ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives (CC, décision n° 2005-530 DC, 29 décembre 2005, cons. 65). En outre, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives et en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose, cette appréciation ne devant cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (CC, décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009, cons. 25).
14. En premier lieu, si en l’état actuel du droit, les revenus présumés issus de certaines activités illicites sont assimilés à des revenus du patrimoine aux fins de leur imposition à la CSG, le Conseil d’Etat relève que ces revenus sont toutefois d’une nature différente de celle des revenus du patrimoine, et qu’il est donc loisible au législateur de leur appliquer des règles spécifiques en matière de CSG, sous réserve de respecter les exigences constitutionnelles rappelées au point 13. A cet égard, le Conseil d’Etat constate que le Conseil constitutionnel juge que ne méconnaissent pas le principe d’égalité des différences de régime fiscal justifiées par une différence de situation entre catégories de revenus (CC, décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017, paragraphe 30) ou entre revenus relevant d’une même catégorie, compte tenu de leurs caractéristiques ou de leur objet (CC, décision n° 2013‑682 DC du 19 décembre 2013, cons. 12 ; CC, décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 45). En outre, le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel a admis que le législateur puisse soumettre à une imposition plus forte certains revenus de capitaux mobiliers distribués dans des conditions irrégulières ou occultes, afin de dissuader de telles opérations, considérant qu’en opérant une distinction selon que les revenus sont distribués à la suite d'une décision régulière des organes compétents de la société ou résultent de décisions occultes ou irrégulières, et en soumettant seulement ces derniers à une majoration d'assiette, le législateur avait retenu des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi et qu’il n'en résultait aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (CC, décision n° 2019‑793 QPC du 28 juin 2019, paragraphe 9).
En l’espèce, le Conseil d’Etat constate qu’en soumettant à un taux spécifique de 25 % de CSG les revenus présumés issus de certaines activités illicites et non déclarés ainsi qu’en supprimant la déductibilité de la CSG de l’assiette soumise à l’impôt sur le revenu constituée des mêmes revenus, les dispositions du projet de loi soumettent à une imposition plus forte les revenus issus d’activités illicites afin de dissuader l’exercice de telles activités, poursuivant ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ainsi que de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions. Il estime que les dispositions proposées, qui opèrent une distinction selon que les revenus sont issus d’une activité licite ou illicite et soumettent ces derniers à un niveau d’imposition accru, d’une part, introduisent une différence de traitement justifiée par une différence de situation et présentant un rapport direct avec l’objet poursuivi et, d’autre part, établissent une distinction qui repose sur des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi. En conséquence, il considère qu’elles ne méconnaissent pas le principe d’égalité.
15. En second lieu, le Conseil d’Etat rappelle que pour apprécier l'existence d'une charge excessive au regard des facultés contributives ou d’une imposition à caractère confiscatoire, il convient de prendre en compte l'ensemble des impositions portant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable. Il résulte de la jurisprudence constitutionnelle qu’un taux marginal maximal d'imposition des deux tiers, quelle que soit la source des revenus, doit être regardé comme le seuil au-delà duquel une mesure fiscale risque d’être censurée comme étant confiscatoire ou comme faisant peser une charge excessive sur une catégorie de contribuables (CC, décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, cons. 67 à 74). Le Conseil constitutionnel a cependant déjà admis, compte tenu du montant et de la nature occulte des revenus concernés, que des dispositions ayant pour effet de porter à 73,6 % le taux marginal maximal d'imposition frappant certains revenus de capitaux mobiliers dissimulés n’entraînait pas une charge excessive au regard des facultés contributives des contribuables (CC, décision n° 2019-793 QPC du 28 juin 2019, cons. 10 à 11).
Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat relève que, s’agissant des revenus visés par les dispositions du projet de loi, ces derniers sont soumis, en l’état actuel du droit, à un taux marginal maximal d'imposition de 51,64 % (CSG : 9,2 % dont 6,8 points déductibles du revenu imposable ; CRDS : 0,5 % ; IR : 45 %), porté à 55,64 % dans l’hypothèse où, compte tenu de leur niveau, ces revenus seraient soumis au taux maximal de 4 % de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Il résulte de la suppression de la déductibilité partielle de CSG et de l’augmentation du taux de CSG prévues par le projet de loi que le taux d’imposition global frappant ces mêmes revenus s’établirait dorénavant à 74,5 % (CSG : 25 % ; CRDS : 0,5 % ; IR : 45 % ; CEHR : 4 %). Le Conseil d’Etat estime que, compte tenu de la nature particulière des revenus concernés, tirés d’activités illicites et non déclarés, le niveau d’imposition qui en résulte ne présente pas un caractère confiscatoire.
Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime que les dispositions du projet de loi ne méconnaissent pas les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et ne se heurtent à aucun autre obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel.
Sur l’interdiction du cumul entre revenus issus de l’exercice d’activités illicites et revenus de remplacement
16. Le projet de loi vise à interdire qu’une personne puisse percevoir, au cours d’une même période, des produits tirés de l’exercice d’activités illicites constituant des revenus imposables ainsi que des allocations versées par l’assurance-chômage en application de l’article L. 5421-1 du code du travail.
Cette disposition fixe, à cet effet, une nouvelle règle d’ordre général encadrant les conditions de versement des allocations d’assurance-chômage et participe ainsi à la mise en œuvre de l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale.
Pour le Conseil d’Etat, la disposition proposée dans sa première version n’établissait pas avec suffisamment de précision l’origine des revenus concernés par l’interdiction de cumul ni la manière dont France Travail était informé de leur existence. Elle a été modifiée, à la suite des échanges avec le Gouvernement, par une saisine rectificative et elle prévoit désormais, d’une part, que les revenus dont le cumul est interdit avec les allocations versées par l’assurance-chômage sont les sommes soumises à l’impôt sur le revenu en application de l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts résultant de crimes et délits d’une particulière gravité (trafic de stupéfiants, fausse monnaie…) et, d’autre part, qu’il incombe à l’administration fiscale d’en informer France Travail.
Le Conseil d’Etat considère dès lors que les conditions et modalités d’interdiction du cumul de ces sommes et d’allocations versées par l’assurance-chômage qui pourront être précisés par la convention d’assurance-chômage ou par décret en Conseil d’Etat, sont définies avec suffisamment de précision par le projet de loi et ne sont plus exposées à un risque d’incompétence négative.
Sur la création d’un nouveau régime de sanctions administratives à l’encontre des organismes de formation professionnelle
17. Le projet de loi crée un nouveau régime de sanctions administratives applicable aux organismes de formation professionnelle afin de renforcer la lutte contre la fraude. Ce nouveau régime s’ajoute au régime de sanctions pénales prévu par les articles L. 6355-1 à L. 6355-24 du code du travail.
Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel juge que : « Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts » (CC, décision n° 2016-550 QPC du 1er juillet 2016, paragraphes 6 et 7).
Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi instaure, « sans préjudice des poursuites pénales », un régime de sanctions administratives dont le champ d’application défini par renvoi aux infractions pénales, l’ampleur des sanctions (amende maximale de 4 000 euros) et la finalité poursuivie sont identiques à ceux des sanctions pénales précitées. Le Conseil d’Etat estime par conséquent que ces dispositions rendent possible un cumul des poursuites contraire au principe de nécessité des délits et des peines résultant de l’article 8 de la Déclaration de 1789.
Le Conseil d’Etat, qui considère que la disposition ne se heurte à aucun autre obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel, propose de la modifier afin d’interdire que des poursuites pénales et administratives puissent être déclenchées pour les mêmes faits et de permettre l’information réciproque des autorités concernées.
Dispositions visant à garantir un meilleur recouvrement des montants soustraits par fraude
Sur la création d’une procédure de flagrance sociale en cas de constat d’infractions à la législation sur le travail dissimulé
18. En vertu de l’article L. 133-1 du code de la sécurité sociale, lorsqu’un agent de contrôle dresse un procès-verbal de travail dissimulé, il remet à l’employeur un document constatant la situation et comportant l’évaluation des montants de la créance. Si l’employeur ne présente pas de garanties suffisantes pour couvrir ces montants, le directeur de l’organisme de recouvrement peut procéder, sans solliciter l’autorisation du juge, à une ou plusieurs mesures conservatoires prévues par le code des procédures civiles d’exécution dans la limite des montants indiqués dans le document. Le projet de loi vise à simplifier cette procédure afin de mieux garantir le recouvrement des créances sociales.
Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel juge qu’« il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (…) des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » (CC, décision n° 2014-691 DC du 20 mars 2014, cons. 7) et que ce dernier juge également que lutter contre le travail dissimulé et assurer un meilleur recouvrement des créances publiques constituent des objectifs d’intérêt général (CC, décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, cons. 18).
Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi habilite l’agent de contrôle à dresser un procès-verbal de flagrance sociale dès qu’il constate une infraction à la législation sur le travail dissimulé et qu’il autorise le directeur de l’organisme de recouvrement, sur le fondement de celui-ci, à mettre en œuvre sans délai des mesures conservatoires permettant, par exemple, de geler des avoirs financiers. Il rappelle, d’une part, qu’à ce stade de la procédure, le bien-fondé et le montant de la créance sont encore susceptibles d’être contestés et, d’autre part, que les mesures conservatoires ont pour seule finalité de pallier l’existence d’un risque pour le recouvrement d’une créance. Le Conseil d’Etat estime, par conséquent, qu’en n’encadrant pas les conditions dans lesquelles un agent de contrôle est autorisé à dresser un procès-verbal de flagrance sociale alors que ce dernier est susceptible de justifier l’exécution sans délai de mesures conservatoires, le projet de loi porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété au regard des objectifs poursuivis.
Le Conseil d’Etat, qui considère que la disposition ne se heurte à aucun autre obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel, suggère de la modifier, afin de prévoir que les agents de contrôle ne peuvent signer un procès-verbal de flagrance sociale que lorsqu’ils constatent l’existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance sociale. Le Conseil d’Etat constate d’ailleurs que cette condition est exigée par l’article L. 16-0 BA du livre des procédures fiscales pour la procédure de flagrance fiscale.
Sur la criminalisation de l’infraction d’escroquerie en bande organisée au préjudice des finances publiques
19. Afin de dissuader la commission de l’infraction d’escroquerie en bande organisée, de prévenir la récidive et de permettre aux services d’enquête de disposer des outils procéduraux nécessaires à la recherche et à la poursuite de cette infraction, le projet de loi prévoit de porter la peine privative de liberté encourue pour escroquerie en bande organisée au préjudice des finances publiques de dix ans d’emprisonnement à quinze ans de réclusion criminelle, d’assortir les condamnations à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, d’une durée égale ou supérieure à dix ans prononcées pour cette infraction de la période de sûreté automatique et obligatoire prévue par le premier alinéa de l’article 132-23 du code pénal et de rendre applicable à l'enquête, à la poursuite, à l'instruction et au jugement de cette infraction le régime procédural prévu par le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale applicable notamment à la criminalité et à la délinquance organisées, à l’exception des dispositions dérogatoires prévues par l’article 706-88 de ce code en matière de garde à vue.
En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel juge de manière constante que la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur et qu’il lui incombe seulement de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue (CC, décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010, cons. 14 ; CC, décision n° 2025-885 DC du 12 juin 2025, paragraphe 50). Il relève, par ailleurs, que l’article 313-2 du code pénal punit d’ores et déjà l’infraction d’escroquerie en bande organisée de dix ans d’emprisonnement. En outre, il constate que des infractions qui, eu égard à leur nature et à leur gravité, peuvent être regardées comme comparables à l’escroquerie en bande organisée sont punies par des peines privatives de liberté identiques voire plus lourdes. Le vol en bande organisée est ainsi puni de quinze ans de réclusion criminelle et la contrefaçon ou la falsification des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France ou émis par les institutions étrangères ou internationales habilitées à cette fin est punie de trente ans de réclusion criminelle. Par suite, le Conseil d’Etat estime qu’en punissant de quinze ans de réclusion criminelle l’infraction d’escroquerie en bande organisée au préjudice des finances publiques, le projet de loi ne méconnaît pas les principes de nécessité et de proportionnalité des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il s’interroge toutefois sur l’effectivité d’une telle mesure alors que les cours criminelles départementales, créées par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 afin de juger les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion criminelle et décharger les cours d’assises, ont d’ores-et-déjà de très grandes difficultés pour juger les nombreuses affaires dont elles sont saisies.
20. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat relève que le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du premier alinéa de l’article 132-23 du code pénal étaient conformes à la Constitution et notamment aux principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines (CC, décision n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018). Il estime, par conséquent, que le législateur peut, sans méconnaître ces principes, prévoir que les condamnations à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à dix ans, prononcées pour une infraction passible d’une telle peine, soient assorties de la période de sûreté automatique et obligatoire prévue par le premier alinéa de l’article 132-23 du code pénal.
21. En troisième lieu, le Conseil d’Etat estime qu’eu égard tant à la gravité qu’à la complexité des faits qu’il entend réprimer, le législateur peut, sans porter atteinte aux droits et libertés garanties par la Constitution, rendre applicable à l'enquête, à la poursuite, à l'instruction et au jugement de l’infraction d’escroquerie en bande organisée au préjudice des finances publiques le régime procédural prévu par le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale applicable notamment à la criminalité et à la délinquance organisées, à l’exception des dispositions dérogatoires prévues par l’article 706-88 de ce code. Il relève, au surplus, que l’infraction d’escroquerie en bande organisée figure d’ores et déjà au nombre des délits pour lesquels ce régime procédural est applicable.
Sur les peines et la procédure d’enquête applicables à certaines infractions en matière fiscale
22. Le projet de loi comprend un article portant de trois à cinq ans d'emprisonnement et de 250 000 à 500 000 euros d’amende les peines sanctionnant le délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale, prévu par l’article 1744 du code général des impôts, et de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 500 000 à 3 000 000 d’euros les peines sanctionnant le même délit lorsqu’il est aggravé par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne. Ce même article crée une nouvelle circonstance aggravante lorsqu’un tel délit est commis en bande organisée.
Le Conseil d’Etat relève que ce renforcement des peines applicables au délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale vise à aligner ces dernières sur celles applicables au délit de fraude fiscale et aux délits comptables, respectivement prévus par les articles 1741 et 1743 du même code, en vue de mettre en cohérence le régime de plusieurs infractions concourant à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale. Il relève par ailleurs que les peines prévues par l’article 1741, auxquelles renvoie l’article 1743, ont été déclarées conformes au principe de proportionnalité des peines par le Conseil constitutionnel (CC, décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018, cons. 12). Le Conseil d’Etat estime qu’au regard de la gravité des faits sanctionnés par ce délit et de l’existence d’une délinquance organisée en matière de fraude fiscale, les peines et aggravations prévues par le projet de loi ne méconnaissent ni le principe de nécessité des délits et des peines, ni le principe de proportionnalité de ces dernières.
23. Le même article prévoit également d’inclure le délit de fraude fiscal, les délits comptables ainsi que le délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale, lorsqu’ils sont commis en bande organisée ou, s’agissant des deux premières catégories de délits, lorsqu’il existe des présomptions caractérisées que ces infractions résultent de l’un des comportements mentionnés aux 1° à 5° du II de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, à la liste des infractions mentionnées à l’article 706-73-1 du code de procédure pénale, afin de permettre le recours à certaines techniques spéciales applicables à l’enquête, à la poursuite, à l'instruction et au jugement des affaires en matière de criminalité et de délinquance organisées.
Le Conseil d’Etat relève que cette procédure spéciale permet notamment de recourir à des techniques de surveillance et à des perquisitions selon des modalités dérogeant aux conditions de droit commun, dont la mise en œuvre est placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Le régime de l’article 706-73-1 du code de procédure pénale exclut en revanche le recours à des règles particulières de garde à vue, réservées aux infractions mentionnées à l’article 706-73 du même code. Le Conseil d’Etat estime que, compte tenu, d’une part, de la complexité et de la gravité des infractions en cause, susceptibles de nécessiter le recours à des techniques spéciales en vue de les constater, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, et, d’autre part, des garanties encadrant la mise en œuvre des techniques permises par l’article 706-73-1, le législateur peut, sans porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, étendre le régime prévu par l’article 706-73-1 aux infractions prévues par les articles 1741, 1743 et 1744 du code général des impôts.
Sur la suppression du caractère suspensif de l’opposition à contrainte dans le cas d’une procédure de recouvrement d’une créance sociale résultant d’une infraction à la législation sur le travail dissimulé
24. Lorsque la notification de l’invitation à payer une créance sociale et une mise en demeure sont restées sans réponse, l’article L. 244-9 du code de la sécurité sociale autorise le directeur d’un organisme de recouvrement à délivrer une contrainte qui permet d’obtenir le recouvrement forcé des sommes dues par le débiteur. Si ce dernier ne s’oppose pas à la contrainte devant le pôle social du tribunal judiciaire dans un délai de 15 jours, la contrainte devient exécutoire et emporte tous les effets d’un jugement.
Le projet de loi rend la contrainte immédiatement exécutoire et supprime l’effet suspensif de l’opposition à contrainte quand la créance a pour origine une infraction à la législation sur le travail dissimulé. Il prévoit que le débiteur qui a formé opposition à la contrainte immédiatement exécutoire auprès du pôle social du tribunal judiciaire peut également demander au président de celui-ci de suspendre l’exécution provisoire de cette contrainte lorsqu’il existe un moyen sérieux d’invalidation et que l’exécution risque d’entrainer des conséquences manifestement excessives.
Le Conseil d’Etat considère que ce recours auprès du président du pôle social du tribunal judiciaire est de nature à garantir au débiteur son droit à un recours effectif et que la suppression de l’effet suspensif de l’opposition à contrainte ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Il propose toutefois de modifier le texte du projet de loi afin de prévoir qu’un décret en Conseil d’Etat précise la procédure applicable à cette nouvelle voie de droit.
Sur les dispositions visant à autoriser France Travail à opérer des saisies administratives à tiers détenteur
25. L’article L. 262 du Livre des procédures fiscales autorise le comptable public à saisir les fonds détenus par un débiteur auprès d’un tiers par la notification d’un avis à tiers détenteur. Le projet de loi a pour objet de permettre à France Travail de mettre en œuvre cette procédure de saisie administrative à tiers détenteur afin d’améliorer le recouvrement des indus en matière d’assurance-chômage.
Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel juge que « le législateur peut conférer un effet exécutoire à certains titres délivrés par des personnes morales de droit public et, le cas échéant, par des personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public, et permettre ainsi la mise en œuvre de mesures d'exécution forcée » (CC, décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 39).
Le Conseil d’Etat relève qu’en vertu de l’article R. 5312-1 du code du travail, France Travail est un établissement public à caractère administratif et qu’à ce titre, il est loisible au législateur de lui conférer des prérogatives de puissance publique, telle que la possibilité de mettre en œuvre des saisies administratives à tiers détenteur dans les conditions prévues par le Livre des procédures fiscales et sous réserve des voies de recours que ce Livre prévoit. Le Conseil d’Etat propose toutefois de modifier le texte du projet de loi afin de préciser par décret en Conseil d’Etat, eu égard aux pouvoirs ainsi conférés, les conditions dans lesquelles sont désignés les agents placés sous l’autorité du directeur général de France Travail habilités à mettre en œuvre ces dispositions.
Sur les dispositions permettant à France Travail de retenir la totalité des versements à venir d’allocations-chômage en cas d’indus engendrés par un manquement délibéré ou des manœuvres frauduleuses
26. En application du IV de l’article L. 5412-1 du code du travail, France Travail prononce la radiation de la liste des demandeurs d’emploi et supprime le versement des allocations-chômage lorsqu’il constate qu’une personne a agi frauduleusement ou effectué de fausses déclarations pour être ou demeurer inscrite sur cette liste ou pour bénéficier indûment d’allocations-chômage. Les sommes indûment perçues donnent lieu à remboursement.
Si cette personne a conservé des droits ou si cette personne s’en est ouvert de nouveaux à la suite de la reprise d’une activité, France Travail peut recouvrer l’indu en retenant une partie des allocations, aides et prestations à verser dans les mêmes conditions que celles prévues pour les salaires en vertu de l’article L. 5428-1 du même code. Dans ce cas, France Travail saisit les sommes dans des proportions et selon des seuils de rémunération garantissant notamment qu’un montant correspondant à celui du revenu de solidarité d’activité fixé pour un foyer composé d’une seule personne soit laissé à la disposition du salarié (articles L. 3252-2 et R. 3252-2 du même code).
Le projet de loi propose d’autoriser France Travail à retenir la totalité des versements à venir pour rembourser un indu lorsque ce dernier résulte de manquements délibérés ou de manœuvres frauduleuses. Le Conseil d’Etat constate tout d’abord qu’aucun élément de l’étude d’impact ne permet d’apprécier l’importance des situations, vraisemblablement marginales, mentionnées au deuxième paragraphe du présent point et que le Gouvernement n'a pas été en mesure de lui apporter plus d’informations au cours de l’examen du projet de loi. Il souligne ensuite les difficultés d'articulation de la mesure avec la mise en œuvre des dispositifs visant à garantir un niveau de ressources minimal. Dans ces conditions et au regard des objectifs poursuivis par le projet de loi, le Conseil d’Etat suggère de ne pas retenir la mesure envisagée..
Autres dispositions du projet de loi
27. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ont pour objet :
- de lever le secret fiscal afin de permettre la transmission, à l’opérateur chargé du guichet unique du registre national des entreprises, des informations et des pièces nécessaires à certaines immatriculations et radiations d’office ;
- de simplifier et de mieux coordonner l’engagement de poursuites pénales par les caisses locales des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ;
- de renforcer les échanges de données autorisés entre la CNAM, la MSA et les organismes de complémentaire santé ;
- d’autoriser les maisons départementales des personnes handicapées et les agents des conseils départementaux en charge de la gestion de l’allocation personnelle d’autonomie à participer à de échanges d’information avec des organismes de sécurité sociale et l’Etat dans le cadre de la lutte contre la fraude ;
- de rendre obligatoire l’installation de GPS et de dispositifs de facturation intégrés dans les véhicules des entreprises de transport sanitaire et les entreprises de taxi conventionnés ;
- de permettre à des agents de contrôle de la formation professionnelle d’opérer sous une identité d’emprunt ou de manière anonyme lorsqu’ils contrôlent des organismes proposants des formations entièrement dématérialisées ;
- d’étendre le champ des fraudes pouvant être constatées au sein de la branche Accidents du travail – maladies professionnelles ;
- de substituer à une pénalité pour défaut de transmission du taux de cotisations de l’entreprise au titre des accidents du travail – maladies professionnelles ;
- de créer un régime de sanctions administratives en cas de fraude au compte professionnel de prévention ;
- de prévoir que les allocations de l’assurance chômage soumises à une obligation de résidence en France doivent être versées sur un compte bancaire ouvert en France ou dans l’espace unique de paiement en euros ;
- de prévoir qu’une formation ne peut être prise en charge par le compte personnel de formation que si le bénéficiaire s’est inscrit et a participé aux épreuves ou examens d’évaluation ;
- de prévoir l’assujettissement des professionnels faisant commerce de biens d’une valeur supérieure à 10 000 euros aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ;
- de prévoir que les centres de formation des apprentis doivent transmettre leur comptabilité analytique ;
- de simplifier les modalités de mise sous objectif des prescriptions d’un professionnel de santé par une caisse primaire d’assurance maladie et d’étendre le champ de la mise sous accord préalable des centres de santé et des plateformes de téléconsultations ;
- de permettre au directeur d’une caisse primaire d’assurance maladie, en cas de fraudes ou de divers manquements, de prononcer à l’encontre d’un professionnel de santé à la fois une sanction financière sur le fondement de l’article L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale et une sanction prise sur le fondement de la convention conclut entre leur profession et l’assurance maladie ;
- de prévoir une obligation déclarative à la charge des administrateurs de trusts à l’occasion du paiement de droits de mutation par décès et de préciser les majorations encourues en cas de rectification due à une omission déclarative ;
- d’étendre le devoir de vigilance des donneurs d’ordre à l’égard de leurs sous-traitants et de renforcer leur solidarité financière en cas de constat de travail dissimulé ;
- de proroger d’un an le délai de reprise dérogatoire prévu par les dispositions des articles L. 188 A à L. 188 C du livre des procédures fiscales ;
- de préciser le délai de reprise applicable en matière de financement des actions de formation professionnelle ;
- de prévoir qu’afin de recouvrer des sommes correspondant aux droit à formation indûment mobilisé, le président de la Caisse des dépôts peut délivrer une contrainte ;
- de permettre à certains organismes chargés du recouvrement de créances sociales de former une opposition portant sur un contrat d’assurance rachetable.
Ces dispositions n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’Etat sous réserve d’amélioration de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de retenir.
Cet avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 11 septembre 2025.