Avis sur un projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique

1.    Le Conseil d’Etat a été saisi le 29 mai 2019 d’un projet de loi constitutionnelle « pour un renouveau de la vie démocratique » accompagné d’un projet de loi organique et d’un projet de loi ordinaire.

Présentation générale du projet de loi constitutionnelle

2.    Le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique reprend certaines dispositions du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, sur lequel le Conseil d’Etat avait donné un avis le 3 mai 2018. Il repose aussi sur une inspiration plus large, nourrie des questions qui se sont fait jour au cours de l’année écoulée. Entendant répondre aux interrogations qui se sont exprimées au travers du grand débat national, il a pour objectif de revitaliser la démocratie à partir des principes de participation et de proximité et de mieux répondre aux impératifs fortement ressentis de protection de l’environnement et de respect de la biodiversité. Les mesures qu’il prévoit s’ordonnent autour des trois grands axes : promouvoir la participation citoyenne, accroître la proximité territoriale par une nouvelle étape de la décentralisation, renforcer l’indépendance de la justice.

3.    Le projet comprend treize articles qui portent sur les sujets suivants.

Le principe selon lequel la France « agit pour la préservation de l’environnement et la diversité biologique et contre les changements climatiques » est inscrit à l’article 1er de la Constitution.

Le champ du référendum est étendu aux « réformes relatives aux questions de société » et il est précisé que les « pouvoirs publics » mentionnés à l’article 11 de la Constitution sont « nationaux et territoriaux ».

Un fondement constitutionnel est donné aux obligations relatives au service national universel.

Reprises du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, plusieurs dispositions sont relatives à la justice. Il est mis fin à la qualité de membres de droit du Conseil constitutionnel des anciens Présidents de la République et le nombre de parlementaires nécessaire pour saisir le Conseil constitutionnel -ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne - est réduit.  Les compétences du Conseil supérieur de la magistrature à l’égard des magistrats du parquet sont rapprochées de celles qui sont les siennes envers les magistrats du siège. La Cour de justice de la République est supprimée et les conditions de mise en cause de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement réformées.

Un titre nouveau de la Constitution est consacré à « la participation citoyenne ». Il reprend, en les assouplissant, les règles relatives à l’organisation du référendum d’initiative partagée et remplace le Conseil économique, social et environnemental par le Conseil de la participation citoyenne, composé de représentants de la société civile, aux compétences élargies.

Comme dans le projet de 2018, une nouvelle étape vers davantage de décentralisation se traduit par l’introduction d’un droit à la différenciation entre collectivités territoriales, la reconnaissance des particularités de la Corse et l’élargissement des marges ouvertes aux collectivités d’outre-mer.

Office du Conseil d’Etat lors de l’examen d’un projet de loi constitutionnelle

4.    Ainsi qu’il l’a indiqué dans son avis du 3 mai 2018, le Conseil d’Etat examine un projet de loi constitutionnelle selon les critères suivants.
Le pouvoir constituant est souverain. Il s’ensuit que la vérification de la conformité à la norme supérieure, qui constitue une part essentielle de l’examen d’un texte par le Conseil d’Etat, n’a pas lieu d’être en l’espèce puisque la Constitution est, dans l’ordre interne, la norme suprême.

5.    Toutefois, il est nécessaire que le Conseil d’Etat s’assure que le projet qui lui est soumis ne place pas la France en contradiction avec ses engagements internationaux, afin d’attirer, le cas échéant, l’attention du Gouvernement sur les difficultés que cela pourrait entraîner.
De même, s’il n’existe pas de hiérarchie au sein de la Constitution, il revient au Conseil d’Etat de relever, le cas échéant, qu’une disposition ne s’inscrit pas dans les grands principes qui fondent notre République, énoncés particulièrement au Préambule, lequel renvoie notamment à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et aux trois premiers articles de la Constitution. Il lui appartient aussi de signaler qu’une disposition contreviendrait à l’esprit des institutions, porterait atteinte à leur équilibre ou méconnaîtrait une tradition républicaine constante.

6.    Si aucune norme ne s’impose à la Constitution, le Conseil d’Etat ne procède pas moins à un examen particulièrement attentif des dispositions qui lui sont soumises. L’importance de cet examen est accrue par le rôle que la Constitution lui confère : aucune autre consultation que celle du Conseil d’Etat n’est requise sur un projet de révision constitutionnelle avant que le Parlement et, le cas échéant, le peuple n’en décident. En outre, un contrôle du Conseil constitutionnel est exclu en la matière.

7.    Le Conseil d’Etat vérifie aussi que les mesures envisagées sont de niveau constitutionnel. La dignité de la norme suprême exige en effet qu’elle ne soit pas surchargée de dispositions de rang inférieur.

8.    La Constitution a vocation à s’inscrire dans la longue durée. Il convient par conséquent de s’assurer que les modifications qui lui sont apportées ne sont pas liées à des circonstances particulières ou à des considérations contingentes qui l’exposeraient au risque d’être rapidement remise en cause.

9.    Le Conseil d’Etat examine également, comme il le fait à l’égard des autres textes, si les mesures envisagées sont à même d’atteindre l’objectif poursuivi par le Gouvernement, si d’autres mesures n’y parviendraient pas mieux ou si les dispositions existantes ne le permettent pas déjà. De même, il vérifie la cohérence interne des mesures envisagées, ainsi que leur articulation avec les dispositions existantes et leurs incidences sur le fonctionnement des institutions et des services publics.

10.    Enfin, s’agissant de la Constitution plus encore que des autres textes, il convient d’accorder la plus grande importance à la rédaction du projet. La plume du constituant, outre qu'elle se doit d'être la plus élégante possible, doit être limpide, concise et précise. Il est essentiel que la Constitution ne soit pas source de difficultés d’interprétation, qui pourraient notamment donner lieu à des contentieux dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité.

11.    Les observations formulées dans le présent avis reposent sur les critères qui viennent d’être rappelés. Lorsque les dispositions du présent projet de loi constitutionnelle reprennent celles qui figuraient dans le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, le Conseil d’Etat reprend à leur égard les termes de son avis du 3 mai 2018.

Action en faveur de l’environnement

12.    L’article premier du projet de loi constitutionnelle prévoit d’inscrire au premier alinéa de l’article premier de la Constitution que « [La France] agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques ».

La Charte de l’environnement résultant de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 a introduit dans le bloc de constitutionnalité des droits et devoirs relatifs à l’environnement et proclamé que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». La disposition proposée prolonge ainsi l’engagement de la France en ce domaine.

Le Conseil d’Etat relève que l’article 1er de la Constitution n’a pas, en principe, vocation à accueillir l’énoncé de politiques publiques. Il considère toutefois que le caractère prioritaire de la cause environnementale, s’agissant d’un des enjeux les plus fondamentaux auxquels l’humanité est confrontée, justifie qu’elle prenne place à cet article aux côtés des principes fondateurs de la République.

Il suggère toutefois de substituer le verbe « favoriser » au verbe « agir ». En effet, l’affirmation d’un principe d’action imposerait une obligation d’agir à l’Etat, au niveau national ou international, comme aux pouvoirs publics territoriaux. Il serait susceptible d’avoir des conséquences très lourdes et en partie imprévisibles sur leur responsabilité, notamment en cas d’inaction. En prescrivant que la France « favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques », l’article premier consacrerait l’engagement en faveur de la cause environnementale et inviterait les pouvoirs publics à en tenir particulièrement compte dans leurs politiques publiques.

13.    Le Conseil d’État observe cependant que la préservation de l’environnement est déjà mentionnée à l’article 34 de la Constitution, dont le quinzième alinéa confie à la loi le soin d’en déterminer les principes fondamentaux. Le maintien sans changement de cette disposition introduirait un doute sur la compétence du législateur en matière de préservation de la diversité biologique et d’action contre les changements climatiques.
C’est pourquoi il suggère de modifier cet alinéa pour prévoir que la loi détermine les principes fondamentaux « du droit de l’environnement », notion qui recouvre les trois objectifs désormais inscrits à l’article premier.

Extension du champ du référendum

14.    L’article 2 du projet de loi constitutionnelle élargit le champ du référendum législatif prévu à l’article 11 de la Constitution et supprime les alinéas 3 à 6 de cet article, relatifs au référendum d’initiative partagée, qui sont repris, avec des modifications, à l’article 9 du projet pour être désormais inscrits, dans le nouveau titre XI relatif à la participation citoyenne, à l’article 69 de la Constitution.

15.    En indiquant que les projets de loi relatifs à l’organisation des pouvoirs publics prévus par l’article 11 peuvent concerner les pouvoirs publics territoriaux aussi bien que les pouvoirs publics nationaux, le projet apporte une précision qui n’appelle pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

16.    Plus délicat est l’élargissement du champ du référendum aux « réformes relatives aux questions de société ».

Evolutive par nature, tributaire des débats d’une époque, la notion de « questions de société » ne répond en effet pas à une définition précise. Elle couvre des sujets touchant aux droits et à la vie de la personne et même à son intimité, comme l’interruption volontaire de grossesse, l’aide à la procréation, le mariage, la fin de vie. Elle s’applique aussi à des questions collectives, relatives à la vie en commun, telles que la laïcité et les signes religieux dans l’espace public ou l’accueil et l’intégration des étrangers. Son extension ou non à la fiscalité ou à la législation pénale fait débat. Si la législation fiscale ne relève pas du champ des réformes relatives à la politique économique ou sociale qui sont déjà dans le champ de l’article 11 de la Constitution, son inclusion dans le périmètre des questions de société pourrait prêter à discussion. Dès lors que l’intention du Gouvernement est de ne pas inclure dans l’extension proposée les questions fiscales et pénales, le Conseil d’Etat recommande que l’exposé des motifs le mentionne expressément. La seule existence de sanctions pénales ne suffit toutefois pas à faire entrer une question de société dans le champ pénal.

Les questions de société, quelle que soit leur étendue, appellent en outre souvent des examens préalables approfondis et demandent échanges et réflexions. L’utilisation du référendum à leur sujet appelle en conséquence prudence et précaution.

Le Conseil d’Etat estime toutefois que les interrogations qu’inspirent ces observations peuvent être surmontées. Il rappelle d’abord que les projets soumis à référendum en application de l’article 11 de la Constitution doivent respecter l’ensemble des droits et libertés garantis par la Constitution. Il constate ensuite qu’une aspiration existe à un recours plus ouvert au référendum, que les élargissements apportés par les révisions du 4 août 1995 puis du 23 juillet 2008 aux réformes économiques et sociales puis environnementales et aux services publics qui y concourent n’ont pas permis de satisfaire. S’agissant du référendum à l’initiative du président de la République sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, l’ensemble des garanties offertes par la procédure est de nature à assurer un choix pesé sur le sujet de société soumis au référendum. En outre, le Conseil constitutionnel pourrait sans doute, même s’il ne s’est pas encore expressément prononcé sur ce point, contrôler, au travers des recours qu’il admet contre les décrets qui organisent un référendum en application de l’article 11 de la Constitution, que la question posée entre dans le champ de cet article et se trouve formulée dans des conditions qui garantissent la clarté et la sincérité du scrutin. S’agissant de l’initiative partagée pouvant conduire à l’organisation d’un référendum, telle qu’elle est aménagée par le projet de loi constitutionnelle, il appartiendra à la loi organique qui sera prise pour son application de prévoir les garanties appropriées pour en assurer suffisamment en amont le contrôle de constitutionnalité (voir points 37 à 38 du présent avis). Dans ces conditions, l’élargissement prévu par le projet de loi constitutionnelle, qui s’inscrit dans le respect des équilibres républicains, n’appelle pas de réserves de la part du Conseil d’Etat.

Conséquences de la réduction du nombre de parlementaires sur la saisine du Conseil constitutionnel ou de la Cour de justice de l’Union européenne

17.    Le projet réduit d’un quart, pour le ramener de soixante à quarante-cinq, le nombre des parlementaires nécessaire pour saisir le Conseil constitutionnel, soit pour lui demander de vérifier, après 30 jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, si les conditions de leur mise en œuvre demeurent réunies, soit pour lui demander d’examiner si un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, soit pour lui déférer une loi avant qu’elle soit promulguée.

Est réduit dans les mêmes proportions le nombre des parlementaires nécessaire pour former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité.

Ces mesures sont justifiées par les dispositions du projet de loi organique prévoyant la diminution d’un quart du nombre des parlementaires et n’appellent pas d’autre observation.

Service national universel

18.    Le projet de loi constitutionnelle complète le deuxième alinéa de l’article 34 de la Constitution pour prévoir que la loi fixe les règles concernant les sujétions imposées aux citoyens par « le service national » en leur personne et leurs biens. Le Conseil d’Etat constate que la rédaction actuelle de l’article 34 ne permet d’imposer aux citoyens de telles sujétions que pour « la défense nationale ». La modification résultant du projet de loi constitutionnelle est donc nécessaire pour donner une base constitutionnelle au projet du Gouvernement d’instituer un « service national », c’est à dire civil et « universel », et donc obligatoire. Par ailleurs le Conseil d’Etat prend acte du choix du Gouvernent de ne rendre obligatoire ce service national universel que pour les « citoyens » et donc les personnes de nationalité française, laissant au législateur le soin de déterminer si et comment les ressortissants étrangers pourront, sans y être contraints, participer.

Suppression des membres de droit du Conseil Constitutionnel

19.    Le projet de loi constitutionnelle supprime les dispositions du deuxième alinéa de l’article 56 de la Constitution en vertu desquelles les anciens Présidents de la République font, de droit, partie à vie du Conseil constitutionnel.

Comme le relevait déjà le Conseil d’Etat dans son avis du 3 mai 2018, cette mesure a pu être justifiée dans le contexte particulier de transition historique où elle a été prise. Mais l’évolution du rôle du Conseil constitutionnel, consécutive en particulier à l’élargissement du « bloc de constitutionnalité » auquel il a procédé en 1971, à la réforme de son mode de saisine en 1974 et à l’instauration en 2008 de la question prioritaire de constitutionnalité, a rendu inopportunes les dispositions en question. Leur abrogation avait d’ailleurs été votée par l’Assemblée nationale et par le Sénat en 1990 et figurait dans le projet de révision soumis au Parlement en 1993.

Le projet de loi constitutionnelle prévoit cependant que cette mesure n’est pas applicable aux membres de droit qui ont siégé au Conseil constitutionnel l’année précédant la délibération en conseil des ministres du projet de loi constitutionnelle. Cette disposition permet de prendre en compte la participation effective des membres de droit aux travaux du Conseil et n’appelle pas d’autre observation.

Réforme du Conseil supérieur de la magistrature

20.    En vertu de l’article 65 de la Constitution, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet donne son avis sur les nominations de ces derniers et sur les sanctions qui leur sont infligées.

Le projet de loi constitutionnelle prévoit que les magistrats du parquet seront désormais nommés sur l’avis conforme de la formation compétente, et que celle-ci statuera à leur égard comme conseil de discipline.

21.    Le projet s’inscrit dans la continuité des révisions constitutionnelles de 1993 et de 2008, qui ont accru les prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature à l’égard des magistrats du parquet. Une disposition comparable figurait d’ailleurs dans le projet de loi constitutionnelle relatif à la justice proposé par le Gouvernement en 2013, et la mesure avait été adoptée dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et par le Sénat.

Le régime de nomination et de sanction des magistrats du parquet se rapproche ainsi de celui des magistrats du siège, même si certaines différences subsistent : c’est ainsi que la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour les magistrats du siège émet des propositions pour les nominations des magistrats de la Cour de cassation, des premiers présidents de cour d’appel et des présidents de tribunal de grande instance.

22.    Il est vrai que les magistrats du parquet, contrairement à ceux du siège, sont placés sous l’autorité du Garde des sceaux, ministre de la justice. Celui-ci conduit la politique pénale déterminée par le gouvernement en application de l’article 20 de la Constitution et, s’il ne peut adresser aux magistrats du parquet d’instructions individuelles depuis la loi du 25 juillet 2013, il peut les rendre destinataires d’instructions générales.

Pour autant, l’indépendance de l’autorité judiciaire, qui s’applique aux magistrats du parquet comme à ceux du siège, est proclamée par l’article 64 de la Constitution. Le Conseil d’Etat considère, comme il l’a fait dans son avis du 3 mai 2018, que les mesures envisagées contribueront à renforcer l’indépendance des magistrats du parquet, sans pour autant que ne soit remise en cause l’autorité que le Garde des sceaux, ministre de la justice, tient de l’article 20 de la Constitution.

Responsabilité pénale des ministres

23.    En application de l’article 68-1 de la Constitution, les membres du Gouvernement sont jugés par la Cour de justice de la République pour les délits et les crimes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, après autorisation d’une commission des requêtes. Le projet prévoit qu’ils seront désormais jugés par les formations compétentes de la cour d’appel de Paris, seuls des magistrats professionnels pouvant prendre part au jugement.

Le Conseil d’Etat considère, dans la lignée de son avis précédent, que cette mesure est justifiée, au regard des critiques que suscite notamment la composition de la Cour de justice de la République, par la nécessité de rapprocher du droit commun la responsabilité pénale des membres du Gouvernement. Le recours à un juge de premier et dernier ressort, s’il prive la personne poursuivie de la possibilité de faire appel, permet de traiter plus rapidement ces affaires, alors qu’une longue procédure pourrait avoir un effet déstabilisant sur l’ensemble du Gouvernement.

24.    Le projet de loi constitutionnelle introduit au début de l’article 68-1 un alinéa selon lequel « Les membres du Gouvernement sont responsables dans les conditions de droit commun pour les actes qui ne se rattachent pas directement à l’exercice de leurs attributions ». Cela permet de préciser utilement que les règles particulières définies par les autres dispositions de l’article ne s’appliquent qu’aux actes se rattachant directement à l’exercice des attributions ministérielles, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation par l’arrêt n°95-82333 du 26 juin 1995.

25.    Le projet prévoit également d’inscrire à l’article 68-1 que la responsabilité des membres du Gouvernement « ne peut être mise en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable. » Cette disposition vise à prendre en compte le fait que les actes accomplis dans l’exercice de fonctions gouvernementales s’inscrivent parfois dans des processus complexes de choix de politiques publiques, susceptibles d’être constitutifs d’infractions involontaires, comme le Conseil d’Etat l’a déjà relevé dans les avis qu’il a rendus sur les projets de loi constitutionnelle qui lui ont été soumis en 2013 et en 2018. Sa rédaction, qui reprend celle proposée par le Conseil d’Etat dans ce dernier avis de 2018, traduit bien cette finalité.

26.    Eu égard au caractère particulier des actes en question, il est nécessaire de maintenir le filtre de la commission des requêtes, comme le fait le projet, afin de ne pas exposer les membres du Gouvernement à des poursuites abusives ou dictées par des considérations partisanes.

27.    Le Conseil d’Etat relève enfin que les éventuels co-auteurs et complices des infractions seront jugés selon la procédure de droit commun. Il s’ensuit que deux juridictions différentes pourront être conduites à se prononcer sur des faits proches, voire identiques. Une telle situation est source de complexité, voire de contradictions, d’autant qu’une seule de ces juridictions rendra sa décision en premier et dernier ressort.

Le Conseil d’Etat observe cependant que tel est déjà l’état du droit. Au demeurant, la séparation des procès peut permettre de mieux tenir compte de la spécificité de la responsabilité ministérielle, que le jugement simultané de personnes relevant du droit commun serait susceptible de faire perdre de vue. En outre, le fait d’attraire au procès les co-auteurs et les complices priverait ces derniers de la possibilité de faire appel et interdirait aux victimes de se constituer partie civile, en application des dispositions législatives qui régissent le jugement des ministres et que le Gouvernement n’entend pas modifier.

Référendum d’initiative partagée

28.    Au sein du nouveau Titre XI « De la participation citoyenne » le projet de loi constitutionnelle introduit dans l’article 69 de la Constitution, en les modifiant, les dispositions relatives au référendum d'initiative partagée qui jusque-là figuraient à l’article 11 de la Constitution dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République. Le projet de loi comporte les dispositions de coordination aux articles 60 et 61 de la Constitution relatifs au contrôle du Conseil constitutionnel rendues nécessaires par le déplacement du référendum d’initiative partagée dans le Titre XI.

Si les dispositions relatives au référendum d’initiative partagée continuent de s’inscrire dans le champ d’application du premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, le projet de loi constitutionnelle en modifie l’encadrement et les conditions de déclenchement.

Encadrement de l’objet l’initiative partagée

29.    Le projet de loi constitutionnelle porte, en premier lieu, de un à trois ans le délai durant lequel une proposition de loi d’initiative partagée ne peut avoir pour « objet » l'abrogation d'une disposition législative promulguée. Le Conseil d’Etat relève que, sans avoir explicitement pour objet l’« abrogation » d’une loi existante, une proposition d’initiative partagée pourrait, en prévoyant des dispositions incompatibles avec une telle loi, avoir cet « effet ». Pour inclure cette hypothèse le Conseil d’Etat suggère de modifier le projet de loi constitutionnelle.

30.    En deuxième lieu, le projet de loi constitutionnelle prévoit, sans remettre en cause le processus d’initiative partagée actuellement en cours, qu’une proposition de loi d’initiative partagée ne peut davantage « porter sur le même objet qu’une disposition en cours de discussion au Parlement. ». Le Conseil d’Etat observe que cette prohibition ne permettrait pas d’écarter une proposition de loi d’initiative partagée visant à faire échec à une disposition définitivement adoptée par le Parlement mais non encore promulguée. Pour parer à cette éventualité le Conseil d’Etat propose donc de compléter le projet du Gouvernement.

31.    Par ailleurs le Conseil d’Etat estime qu’une acception trop large de la notion de « disposition en cours de discussion au Parlement » aurait pour conséquence de rendre irrecevable un grand nombre de propositions d’initiative partagée, faisant perdre à l’innovation voulue par le Gouvernement une part de son intérêt. Le Conseil d’Etat suggère en conséquence de modifier la rédaction du projet de loi constitutionnelle pour que l’interdiction qu’elle institue ne concerne que les dispositions, introduites au cours de la législature, ayant fait l’objet d’un examen en commission.

32.    Le projet de loi constitutionnelle prévoit, en troisième lieu, que lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même objet ne peut être présentée dans un délai de deux ans suivant la date du scrutin. Enfin, lorsque le référendum a conclu à l'adoption de la proposition de loi, le projet de loi constitutionnelle interdit au Parlement d’adopter au cours de la même législature une disposition ayant un objet contraire à loi promulguée à l’issue de ce référendum.

33.    Le Conseil d’Etat estime que l’ensemble de ces dispositions sont de nature à préserver la stabilité de l’ordre juridique et le bon fonctionnement des pouvoirs publics en contribuant à ce que les expressions de la souveraineté nationale par ses représentants et par la voie du référendum ne s’opposent pas.

Assouplissement des conditions de déclenchement du référendum d'initiative partagée

34.    Le projet de loi constitutionnelle abaisse d’abord d’un cinquième à un dixième des membres du Parlement le nombre des députés et sénateurs exigé pour engager le processus d’initiative partagée. Dans la composition actuelle du Parlement ce nombre passe de 185 à 93. En outre le nombre d’électeurs requis à l’appui de cette initiative, exprimé en valeur absolue et non plus en pourcentage du corps électoral, est désormais fixé à un million.

35.    Le projet de loi constitutionnelle modifie en second lieu les modalités de déclenchement de l’initiative partagée. La procédure exige aujourd’hui que le recueil des soutiens des électeurs n’intervienne qu’à l’appui d’une proposition parlementaire, dont le Conseil constitutionnel a préalablement vérifié la conformité à la Constitution. Ce mécanisme est maintenu. Mais la proposition de loi peut désormais trouver son origine dans une initiative citoyenne.  

36.    Le Conseil d’Etat constate que les modalités nouvelles retenues par le projet de loi constitutionnelle qui viennent d’être décrites, ne remettent pas en cause le caractère partagé de l’initiative d’une proposition pouvant conduire, le cas échéant, à l’organisation d’un référendum.

Il estime que les évolutions envisagées du référendum d’initiative partagée n’appellent pas de sa part d’objections de principe. Mais elles le conduisent à formuler les observations qui suivent.

37.    Dans l’hypothèse probable où la combinaison de l’abaissement des seuils et de l’extension de l’objet du référendum aux « questions de société » conduirait à de nombreuses initiatives citoyennes, le Conseil d’Etat estime nécessaire qu’une procédure de filtre confiée au Conseil constitutionnel soit instituée suffisamment en amont dans le processus sur le texte objet de l’initiative, que celle-ci soit d’origine parlementaire ou citoyenne. Ce filtre permettrait d’écarter de façon précoce et efficace les propositions faites hors du champ de l’article 11 ou contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution.

38.    A cet effet, le Conseil d’Etat suggère en premier lieu de clarifier le texte en substituant, au premier alinéa de l’article 69, au terme de « proposition de loi » celui de « proposition de texte de loi » qui s’appliquera tant à la proposition émanant de l’initiative citoyenne qu’à celle portée par une initiative parlementaire. Il suggère également de compléter les dispositions de renvoi à la loi organique pour permettre à celle-ci de fixer les règles de présentation de la proposition de texte de loi et de déterminer les conditions dans lesquelles le Conseil Constitutionnel contrôle l’ensemble du processus d’initiative partagé.

39.    Le Conseil d’Etat observe que la réforme conduira à modifier substantiellement les dispositions de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel issues de la loi organique n°2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution. Il lui appartiendra, le cas échéant, de tenir compte de l’abaissement du seuil de signatures requises pour fixer la durée de la période pendant laquelle celles-ci sont recueillies.

40.    Enfin, le Conseil d’Etat suggère, à l’instar de ce qui se pratique dans différents pays comme dans le cadre national pour certaines consultations que l’adoption d’un référendum trouvant son origine dans l’initiative d’une fraction du corps électoral exige une participation minimale des électeurs inscrits sur les listes électorales, qu’il appartiendra à la loi organique de fixer. De même, la loi organique pourrait prévoir que les opérations référendaires ne peuvent se dérouler en période électorale.

Conseil de la participation citoyenne

41.    Le projet de loi constitutionnelle crée dans le titre XI de la Constitution un « Conseil de la participation citoyenne » qui se substitue au Conseil économique, social et environnemental. Il représente la société civile et a pour mission d’éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, en particulier sur les conséquences à long terme de leurs décisions. Dans ce cadre, il organise la consultation du public.
Ses compétences sont significativement élargies par rapport à celles du Conseil économique, social et environnemental. Dans le même temps le nombre de ses membres est fixé à 155 au plus, contre 233 pour le Conseil auquel il se substitue.

42.    Le projet consacre l’expression « société civile » dans la Constitution. Le Conseil d’Etat ne voit pas d’objection à sa mention dans la Constitution pour les raisons précisées dans son avis du 3 mai 2018. Comme il l’avait énoncé dans ce même avis, il rappelle :

  • que l’expression « société civile » peut être comprise comme incluant notamment les organisations syndicales et patronales ainsi que les associations qui défendent les intérêts et les valeurs de leurs membres dans tous les domaines de la vie civile, y compris religieux,

  • que dès lors que ce nouveau Conseil est exclusivement composé de représentants de la société civile, il ne peut comprendre de personnalités désignées en fonction de leurs seules compétences ou expériences individuelles, comme c’est le cas du Conseil économique, social et environnemental.

43.    Le projet prévoit, en premier lieu, que le Conseil de la participation citoyenne organise la consultation du public afin d’éclairer le Gouvernement et le Parlement sur les enjeux, en particulier économiques, sociaux et environnementaux des décisions des pouvoirs publics et sur leurs conséquences à long terme. Le Conseil d’Etat propose de supprimer le terme « en particulier », en raison des incertitudes qu’il crée quant à la portée de cette disposition qui détermine l’une des compétences du Conseil que celui-ci peut exercer en s’autosaisissant.

Le projet envisage, en deuxième lieu, que sur son initiative ou celle du Gouvernement, il peut réunir des conventions de citoyens tirés au sort, dans des conditions fixées par la loi organique. Le Conseil d’Etat considère que l’inscription dans la Constitution du principe du recours au tirage au sort afin d’enrichir les outils de consultation dont dispose le Conseil de la participation citoyenne pour lui permettre de remplir ses missions et notamment d’éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux et conséquences décrits plus haut ne soulève pas de difficulté particulière. Il relève que la possession de la nationalité française, qui est liée à la qualité de citoyen, est une condition de la participation à ces conventions.
En troisième lieu, le projet dispose que le Conseil de la participation citoyenne assure la participation du public au processus d’élaboration des projets d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national, dans les conditions fixées par la loi organique. Cette compétence nouvelle, actuellement confiée à la Commission nationale du débat public, appellera une modification des compétences de celle-ci.

44.    Le projet de loi constitutionnelle prévoit que le Conseil de la participation citoyenne est saisi par voie de pétition dans les conditions fixées par la loi organique. Le Conseil d’Etat estime opportun que la loi organique et les règlements des assemblées précisent les conditions dans lesquelles les assemblées prennent les pétitions en considération ainsi que les suites qui leur seront données. Il souscrit à l’objectif du Gouvernement de permettre aux pétitions de prendre une forme numérique.

45.    Le Conseil d’Etat ne présente pas d’observation sur les dispositions du projet relative aux consultations facultatives du Conseil de la participation citoyenne.

46.    Le projet rend les cas de consultation obligatoire du Conseil de la participation citoyenne sur des projets de loi considérablement plus nombreux que pour le Conseil économique, social et environnemental. Tandis que ce dernier n’est obligatoirement consulté que sur les plans et les projets de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental, le Conseil de la participation citoyenne doit l’être sur tous les projets de loi ayant un objet économique, social ou environnemental, cette saisine ne concernant pas des articles ayant ce caractère, figurant dans des projets de loi ayant un autre objet à titre principal.

La consultation préalable du Conseil de la participation sur tous ces projets, sera désormais une obligation constitutionnelle dont la méconnaissance exposera la loi votée à une déclaration d’inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel.

47.    Le Conseil d’Etat estime que les avis du Conseil de la participation citoyenne sur les projets de loi ayant un objet économique, social ou environnemental, pourront apporter un éclairage utile au Gouvernement. Toutefois, ainsi qu’il l’avait souligné dans son avis du 3 mai 2018, il résultera de leur caractère obligatoire un allongement de leur procédure d’adoption. Les contraintes fortes de délai qui s’imposeront nécessairement au Conseil dans un grand nombre de cas pourront rendre difficile son examen de ces textes alors que, dans le même temps, la charge du Conseil sera accrue par ses attributions nouvelles dans le domaine de la participation du public au processus d’élaboration des projets d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national mentionnées au point 43 du présent avis.
Pour surmonter ces risques et difficultés le Conseil d’Etat recommande au Gouvernement de prévoir :

  • dans la Constitution, la réserve du cas d’urgence,

  • dans le projet de loi organique, des conditions d’examen des textes par le Conseil de la participation citoyenne permettant de concilier l’objectif de rapidité de leur adoption avec le bon accomplissement de sa fonction consultative,

  • et, comme annoncé dans l’exposé des motifs, que la consultation du Conseil se substitue à la consultation de divers organismes de concertation  prévue par des lois et règlements, et que le réseau d’experts sur lequel il pourra s’appuyer soit constitué,

48.    Le projet de loi constitutionnelle prévoit que le Conseil de la participation citoyenne est consulté avant l’examen du texte par le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat considère que cette procédure est de nature à donner leur effet utile aux avis du Conseil de la participation citoyenne, et à lui permettre d’éclairer le Conseil des ministres sur l'ensemble des questions posées par le texte, conformément au rôle qu’il tient de l’article 39 de la Constitution ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012.

49.    Le Conseil d’Etat propose de supprimer la disposition selon laquelle le Conseil de la participation citoyenne peut désigner un de ses membres pour exposer devant les assemblées parlementaires son avis sur les projets ou propositions qui lui ont été soumis, qui relève de la loi organique.

50.    Le Conseil d’Etat propose de modifier le projet pour prévoir que les dispositions relatives au Conseil de la participation entrent en vigueur dans les conditions fixées par la loi organique prise pour leur application.

Différenciation territoriale, collectivité de Corse, collectivités de l’article 73

51.    Les articles du projet de loi constitutionnelle respectivement relatifs à la différenciation territoriale, à la Corse et à la différenciation territoriale outre-mer étant identiques à ceux adoptés par l’Assemblée générale dans sa séance du 3 mai 2018 (Avis sur un projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace n°394658), le Conseil d’Etat reprend les observations formulées dans son avis du même jour.

52.    Le projet modifie les articles 72 et 73 de la Constitution, et crée un article 72-5 relatif à la Corse.
Le Conseil d’Etat veille à ce que les dispositions nouvelles préservent la cohérence du titre XII de la Constitution qui repose sur les distinctions, d’une part, entre les communes, les départements et les régions, d’autre part, entre les collectivités territoriales de droit commun, les collectivités territoriales à statut particulier, les collectivités d’outre-mer de l’article 73 et celles de l'article 74.

Ces distinctions permettent en effet, par des règles claires, de prendre en compte les caractéristiques et les contraintes particulières à certains territoires, dans le respect de la souveraineté nationale, de l’indivisibilité de la République et du principe d’égalité.

Compétences des collectivités territoriales

53.    Le projet de loi constitutionnelle modifie l’article 72 de la Constitution en reprenant les préconisations faites par le Conseil d’Etat dans son avis du 7 décembre 2017 relatif aux compétences des collectivités territoriales.

54.    En premier lieu, il permet à certaines communes, départements ou régions, y compris d’outre-mer, de se voir attribuer des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie.
Le Conseil d’Etat est d’avis que cette souplesse est de nature à donner son effectivité au principe de subsidiarité énoncé au deuxième alinéa de l’article 72, et que la limitation du nombre de compétences qui peuvent être attribuées à une même collectivité préserve la cohérence de l’article 72 de la Constitution et de son titre XII.

55.    Conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales, le Conseil d’Etat propose que la loi organique exige l’accord des collectivités entre lesquelles s’opère un transfert de compétence, dès lors que celui-ci n’est pas décidé par la loi elle-même. Il estime opportun de fixer des critères objectifs, comme celui de l’échelon propre à permettre une plus grande efficacité, au meilleur coût, de l’action des collectivités territoriales, et utile que le représentant de l’Etat dans la collectivité concernée donne son avis sur l’intérêt général du transfert et sur la préservation des intérêts nationaux.
Le Conseil d’Etat considère que ces conditions sont de nature à assurer une mise en œuvre des nouvelles dispositions de façon cohérente avec le principe de subsidiarité et à préserver l’effort de clarification des compétences engagé par le législateur ces dernières années.

56.    En second lieu, le projet permet aux collectivités territoriales et à leurs groupements, lorsque la loi ou le règlement le prévoit, de déroger pour un objet limité aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences. Cette dérogation pérenne peut être décidée, le cas échéant, après l’expérimentation déjà prévue à l’article 72.
Le Conseil d’Etat interprète ainsi cette disposition : les mesures prises dans ce cadre par les collectivités territoriales ne pourront porter atteinte au principe d’égalité entre les personnes auxquelles elles s’appliquent.

Cette modification de la Constitution, recommandée par le Conseil d’Etat dans son avis du 7 décembre 2017, est de nature à renforcer la démocratie locale et à permettre aux collectivités territoriales d’exercer leurs compétences avec une plus grande efficacité, grâce aux responsabilités supplémentaires données aux élus pour innover et adapter leur action aux réalités des territoires ainsi qu’aux besoins de la population et de l’économie.

Collectivité de Corse

57.    Le projet de loi constitutionnelle crée un article 72-5 nouveau relatif à la Corse. Le Conseil d’Etat considère que l’emplacement choisi pour ces dispositions au sein du titre XII de la Constitution est approprié à leur contenu.
Le premier alinéa du nouvel article consacre la Corse comme collectivité à statut particulier au sens de l’article 72.

Les deux autres alinéas apportent les modifications suivantes au cadre constitutionnel en vigueur.

58.    En premier lieu, la loi ou le règlement, selon le cas, peut comporter des règles adaptées aux spécificités liées à l’insularité et aux caractéristiques géographiques, économiques ou sociales de la Corse.
Le Conseil d’Etat considère que cette disposition, d’une portée comparable à celle prévue au premier alinéa de l’article 73, offre au législateur et au pouvoir réglementaire des possibilités de différenciation plus étendues que celles permises dans le cadre constitutionnel en vigueur, y compris en matière fiscale, dans le respect des critères qui suivent.

59.    Ces adaptations devront être justifiées par les spécificités et caractéristiques de la Corse énumérées au nouvel article 72-5, en rapport avec l’objet de la réglementation en cause et proportionnées.
Elles ne pourront porter atteinte au principe d’égalité entre les personnes auxquelles elles s’appliquent, ni mettre en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.

60.    En second lieu, le projet permet à la loi ou au règlement, selon le cas, d’habiliter la collectivité de Corse à décider elle-même de ces adaptations, dans les conditions prévues par la loi organique.
Le projet limite le champ des habilitations aux matières où s’exercent les compétences de la collectivité de Corse, ce qui exclut une habilitation dans un domaine relevant de la compétence de l’Etat, des communes ou de leurs groupements. Le projet exclut aussi une habilitation lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d’une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.

61.    Le Conseil d’Etat interprète ces dispositions, tant en ce qui concerne les habilitations elles mêmes que les mesures prises dans leur cadre, comme impliquant qu’elles soient justifiées par les spécificités et caractéristiques de la Corse énumérées au nouvel article 72-5, en rapport avec l’objet de la réglementation en cause et proportionnées.
Les dispositions prises en application de l’habilitation ne pourront porter atteinte au principe d’égalité entre les personnes auxquelles elles s’appliquent, ni mettre en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.

Collectivités régies par l’article 73

62.    Le troisième alinéa de l’article 73 de la Constitution dispose que les collectivités régies par cet article peuvent être habilitées par la loi ou par le règlement, selon le cas, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.
Le projet de loi constitutionnelle prévoit que l’habilitation est désormais délivrée, dans tous les cas, par un décret en conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat. Il prévoit également que les actes pris dans le domaine de la loi sont ratifiés par le Parlement dans les vingt-quatre mois suivant l’habilitation, à peine de caducité.

Le projet ne modifie pas le champ des matières ne pouvant faire l’objet d’une habilitation, ni le régime particulier du département et de la région de La Réunion, lesquels ne peuvent faire l’objet d’adaptations que dans les matières relevant de leurs compétences.

Le Conseil d’Etat considère que la modification de procédure envisagée est de nature à faciliter la mise en œuvre de la faculté reconnue aux départements et régions d'outre-mer par le troisième alinéa de l’article 73 de la Constitution.

Entrée en vigueur de la réforme

63.    Deux précisions sont apportées par l’article 13 du projet de loi constitutionnelle quant à son entrée en vigueur.

64.    Le renvoi à la loi organique qui sera prise pour l’application des nouvelles dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature à l’égard des magistrats du parquet et à la responsabilité pénale des membres du Gouvernement n’appelle pas par lui-même d’observation. Le Conseil d’Etat recommande toutefois de prévoir également un tel renvoi pour l’entrée en vigueur des articles 70, 70-1, 70-2 et 71 relatifs au Conseil de la participation citoyenne, de manière à ce que l’actuel Conseil économique, social et environnemental puisse poursuivre ses activités jusqu’à la mise en place de ce nouveau Conseil.

65.    Le projet de loi constitutionnelle prévoit par ailleurs que l’abrogation des dispositions selon lesquelles les anciens Présidents de la République sont, de droit, membres à vie du Conseil constitutionnel n’est pas applicable aux membres de droit qui ont siégé au Conseil constitutionnel l’année précédant la délibération en conseil des ministres de ce projet. Une telle disposition, qui figurait déjà dans le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, prend en compte la participation effective des membres de droit aux travaux du Conseil et n’appelle pas d’autre observation que celle formulée au point 19 du présent avis.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 20 juin 2019.