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Ariane Web: CAA NANCY 17NC02124, lecture du 4 juillet 2019

Décision n° 17NC02124
4 juillet 2019
CAA de NANCY

N° 17NC02124

2ème chambre
M. MARTINEZ, président
Mme Sandra BAUER, rapporteur
Mme PETON, rapporteur public
CABINET ASA, avocats


Lecture du jeudi 4 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C...B...ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des contributions sociales et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2015 à raison de revenus de capitaux mobiliers.

Par un jugement n° 1700440 du 11 juillet 2017, le tribunal administratif de Strasbourg les a déchargés desdites impositions.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 août 2017, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du
11 juillet 2017 ;

2°) de rétablir les impositions dont le tribunal a prononcé la décharge ;

3°) de réformer en ce sens le jugement entrepris.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu à tous les arguments présentés par l'administration ;
- le principe d'unicité de législation sociale ne saurait faire obstacle à ce que des impositions soient affectées au financement de prestations dont l'attribution n'est pas soumise à une condition d'affiliation à la sécurité sociale en France ;
- s'agissant des prélèvements sociaux affectés au Fonds de solidarité vieillesse (FSV), le tribunal s'est à tort appuyé sur l'affaire C-169/98, jugée par la cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le 15 février 2000, alors que la législation sociale applicable était différente de celle en cause dans la présente affaire ; depuis la loi de financement de la sécurité sociale
pour 2016, le produit de la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du capital est affecté presque exclusivement à la première section du FSV, de manière à garantir que les ressources de cette section soient dédiées exclusivement au financement de prestations sociales non contributives relevant de la solidarité nationale ; ces prestations, énumérées au I de
l'article L. 135- 2 du code de la sécurité sociale, constituent des prestations mixtes, lesquelles, à supposer qu'elles entrent, pour certaines d'entre elles, dans le champ d'application matériel du règlement (CE) n° 883/2004, relèvent en toute hypothèse des dispositions dérogatoires fixées à son article 70 ;
- s'agissant des prélèvements affectés à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), c'est également à tort que le tribunal a estimé, par analogie avec d'autres prestations analysées par la CJUE dans ses arrêts, que les principales prestations gérées par cet organisme, à savoir l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH) sont des prestations de maladie, dès lors qu'elles sont destinées à couvrir des dépenses supplémentaires de la vie quotidienne ; la jurisprudence de la CJUE n'est pas transposable, dès lors que dans ces affaires, le montant des prestations versées était indépendant des ressources des bénéficiaires ; au cas particulier, le montant définitif de l'APA versé par les organismes sociaux dépend du niveau de ressources de l'intéressé ; il en va de même de la PCH dont le taux de prise en charge peut varier selon les ressources du bénéficiaire ; les prestations en cause, qui ont pour objet premier d'assurer à leurs bénéficiaires des moyens minimum de subsistance, tenant compte de leurs ressources propres, dans des situations de particulière vulnérabilité tenant au handicap ou à l'âge, ne peuvent être qualifiées de prestations de maladie, mais ont une caractéristique indéniable d'assistance sociale ;
- s'agissant des prélèvements sociaux affectés à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), le tribunal s'est borné à se référer à l'arrêt de la CJCE du 15 février 2000
C-34/98 ayant jugé que les prélèvements affectés à la CADES entraient dans le champ d'application du règlement communautaire précité, sans prendre position sur l'argument de l'administration selon lequel les circonstances de fait avaient été modifiées par l'évolution de la structure des dettes prises en charge par la CADES ; depuis 2008, la CADES a procédé à des reprises de dette du FSV, en particulier liées aux prestations figurant dans la liste du I de l'article L. 135-2 du code de la sécurité sociale tel qu'issu de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale ; dès lors que les prélèvements affectés au financement de la première section du FSV n'entrent pas dans le champ d'application de la jurisprudence " de Ruyter " pour les motifs exposés ci-dessus, il serait contradictoire de conclure que les impositions affectées au remboursement de la dette contractée par les fonds qui financent ces prestations soient considérées comme relevant de ce champ d'application ;

Par un mémoire enregistré le 1er décembre 2017, M. et MmeB..., représentés par
MeD..., demandent à la cour :

1°) en tant que de besoin, avant dire droit, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question préjudicielle suivante :

" Des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine et produits de placement, tels que les contributions sociales généralisées des articles L. 136-6 et L. 136-7 du code de la sécurité sociale, le prélèvement social, sa contribution additionnelle et le prélèvement solidarité, présentent-ils du seul fait qu'ils participent au financement pour le premier d'entre eux en partie de la Caisse d'amortissement de la dette sociale et pour l'essentiel du Fonds de solidarité vieillesse et pour les trois autres soit de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, soit le fonds de solidarité vieillesse, soit au financement de l'une ou de l'autre, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de la sécurité sociale énumérées à l'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 et entrent-ils ainsi dans le champ d'application de ce règlement ' " ;

2°) de rejeter les conclusions du ministre de l'action et des comptes publics ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés.

Par un arrêt avant-dire droit du 31 mai 2018, la cour, d'une part, a rejeté le recours du ministre en tant qu'il demandait le rétablissement de la contribution sociale généralisée (CSG), de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), du prélèvement social et enfin du prélèvement de solidarité, auxquels M. et Mme B...ont été assujettis au titre de l'année 2015, d'autre part, a sursis à statuer sur les conclusions du recours relatives au rétablissement du prélèvement social et de la contribution additionnelle audit prélèvement affectés au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) auxquels les époux B...ont été assujettis au titre de l'année 2015, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne, saisie à cette fin d'une question préjudicielle, se soit prononcée sur le point de savoir si lesdits prélèvements entraient dans le champ d'application de l'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004.


Par un arrêt du 14 mars 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a statué sur la question dont elle était saisie à titre préjudiciel.

L'instruction a été close par ordonnance au 29 avril 2019.

Un mémoire a été enregistré le 16 mai 2019 pour M. et MmeB....chez eux

Vu :
- les autres pièces du dossier.

Vu :
- le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;
- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale, notamment son article 24 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., représentant M. et MmeB....chez eux



Considérant ce qui suit :


1. Par un arrêt avant-dire droit du 31 mai 2018, la cour a, d'une part, rejeté la requête du ministre de l'action et des comptes publics en tant qu'il demandait le rétablissement de la contribution sociale généralisée (CSG), de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), du prélèvement social et enfin du prélèvement de solidarité, auxquels M. et Mme B... ont été assujettis au titre de l'année 2015, et, d'autre part, sursis à statuer sur les conclusions du ministre relatives au rétablissement du prélèvement social et de la contribution additionnelle audit prélèvement affectés au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) auxquels les époux B...ont été assujettis au titre de l'année 2015, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne, saisie à cette fin d'une question préjudicielle, se soit prononcée sur le point de savoir si lesdits prélèvements entraient dans le champ d'application de l'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004. La Cour de justice de l'Union européenne a rendu sa décision préjudicielle dans un arrêt du 14 mars 2019. Il y a donc lieu de statuer sur les conclusions du ministre relatives à la légalité des prélèvements susmentionnés affectés au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).

Sur les conclusions à fin de rétablissement relatives aux impositions affectées au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) :

2. L'article 1600-0 F bis du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " I. - Le prélèvement social sur les revenus du patrimoine est établi conformément aux dispositions de l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale. (...) ". L'article L. 245-16 du même code dispose que : " I. - Le taux des prélèvements sociaux mentionnés aux articles L. 245-14 et L. 245-15 est fixé à 4,5 %. II. - Le produit des prélèvements mentionnés au I est ainsi réparti : - une part correspondant à un taux de 1,15 % à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ; (...) ". L'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Les produits affectés à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie sont constitués par : (...) 2° Une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale et une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-15 du même code. Ces contributions additionnelles sont assises, contrôlées, recouvrées et exigibles dans les mêmes conditions et sous les mêmes sanctions que celles applicables à ces prélèvements sociaux. Leur taux est fixé à 0,3 % ; (...) ".

3. Aux termes de l'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, applicable à la Suisse en vertu de l'accord conclu le 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes : " 1. Le présent règlement s'applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent : a) les prestations de maladie ; b) les prestations de maternité et de paternité assimilées ; c) les prestations d'invalidité ; d) les prestations de vieillesse ; e) les prestations de survivant ; f) les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles ; g) les allocations de décès ; h) les prestations de chômage ; i) les prestations de préretraite ; j) les prestations familiales. (...) 5. Le présent règlement ne s'applique ni à l'assistance sociale et médicale, ni aux régimes de prestations en faveur des victimes de la guerre ou de ses conséquences. ". L'article 11 du même règlement dispose que : " 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre (...) ".

4. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 26 février 2015, Ministre de l'économie et des finances contre Gérard de Ruyter (C-623/13), d'une part, que " la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par une législation nationale n'exclut pas que, au regard du règlement
n° 1408/71, ce même prélèvement puisse être regardé comme relevant du champ d'application de ce règlement ", y compris lorsque, comme en l'espèce, ce prélèvement est " assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l'exercice par ces dernières de toute activité professionnelle " et, d'autre part, que " l'élément déterminant aux fins de l'application du règlement n° 1408/71 réside dans le lien, direct et suffisamment pertinent, que doit présenter la disposition en cause avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement n° 1408/71 ", " l'existence ou l'absence de contrepartie en termes de prestations est dépourvue de pertinence aux fins de l'application du règlement
n° 1408/71, le critère déterminant étant celui de l'affectation spécifique d'une contribution au financement d'un régime de sécurité sociale d'un Etat membre ". Par un arrêt Hugues
du 16 juillet 1992 (C-78/91), la Cour de justice de l'Union européenne avait déjà précisé que " la distinction entre prestations exclues du champ d'application du règlement n° 1408/71 et prestations qui en relèvent repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment ses finalités et ses conditions d'octroi, et non pas sur le fait qu'une prestation est qualifiée ou non par une législation nationale de prestation de sécurité sociale ". Le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, applicable au présent litige, a remplacé le règlement précité n° 1408/71 et a repris ses dispositions.

5. Selon les travaux préparatoires de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale, afin de tenir compte pour l'avenir de la jurisprudence De Ruyter précitée et de garantir l'assujettissement des personnes concernées aux prélèvements sociaux sur leurs revenus du capital, l'article 24 de ladite loi a modifié l'affectation du produit budgétaire de ces prélèvements sociaux en vue d'assurer le financement de prestations non contributives. Le produit global des prélèvements sociaux mis en recouvrement en 2016 est ainsi affecté, à l'issue de ces modifications législatives, sur un total de 15,5 points, à la première section du Fonds de solidarité vieillesse à hauteur de 12,95 points, à la Caisse d'amortissement de la dette sociale pour 1,1 point et à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie à hauteur de 1,45 point. Le législateur s'est ainsi assigné comme objectif, comme cela ressort clairement des travaux préparatoires, non seulement de rendre le droit français compatible avec les exigences du droit de l'Union européenne mais aussi de maintenir dans la " sphère sociale " le produit des prélèvements sur les revenus du capital pour l'affecter, hors des régimes de sécurité sociale au sens du droit de l'Union, à des organismes servant des prestations non contributives, dont l'attribution n'est pas subordonnée à une condition tenant à l'affiliation à un régime de sécurité sociale français.

6. Toutefois, aux termes de l'article 4 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté : " 2. Le présent règlement s'applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs (...) ". Ces dispositions ont été reprises par l'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 précité aux termes duquel : " 2. Sauf disposition contraire prévue à l'annexe XI, le présent règlement s'applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, soumis ou non à cotisations, ainsi qu'aux régimes relatifs aux obligations de l'employeur ou de l'armateur. 3. Le présent règlement s'applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l'article 70. ". L'article 70 du même texte dispose que : " 1. Le présent article s'applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif relevant d'une législation qui, de par son champ d'application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d'éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale visée à l'article 3, paragraphe 1, et d'une assistance sociale. 2. Aux fins du présent chapitre, on entend par "prestations spéciales en espèces à caractère non contributif" les prestations a) qui sont destinées : i) soit à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondant aux branches de sécurité sociale visées à l'article 3, paragraphe 1, et à garantir aux intéressés un revenu minimum de subsistance eu égard à l'environnement économique et social dans l'État membre concerné; ii) soit uniquement à assurer la protection spécifique des personnes handicapées, étroitement liées à l'environnement social de ces personnes dans l'État membre concerné; b) et qui sont financées exclusivement par des contributions fiscales obligatoires destinées à couvrir des dépenses publiques générales et dont les conditions d'attribution et modalités de calcul ne sont pas fonction d'une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs bénéficiaires. Les prestations versées à titre de complément d'une prestation contributive ne sont toutefois pas considérées, pour ce seul motif, comme des prestations contributives; et c) qui sont énumérées à l'annexe X ".

7. Il résulte de ces dispositions que la seule circonstance que le produit des prélèvements sociaux en litige soit désormais affecté au financement de prestations non contributives ne saurait suffire à les exclure par principe du champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004. Il résulte d'ailleurs de l'alinéa 3 de l'article 3 précité que le législateur de l'Union européenne a notamment expressément entendu soumettre à l'application dudit règlement les prestations en espèces non contributives ayant un caractère mixte dont la liste est fixée à l'annexe X visée par les dispositions de l'article 70 précité. Il y a, dès lors, lieu de procéder à l'analyse approfondie de l'affectation du produit des prélèvements litigieux afin de déterminer si ces derniers financent des prestations de sécurité sociale entrant dans le champ du règlement (CE) n° 883/2004, et sont soumis dès lors au principe d'unicité de législation sociale prévu par ce texte, ou s'ils financent des prestations d'assistance sociale, exclues de l'application dudit règlement.

8. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 28 mai 1974, Odette Callemeyn contre Etat belge
(C-187/73), qu'une prestation relève de l'assistance sociale pour l'application de ce règlement " notamment lorsqu'elle retient le besoin comme critère essentiel d'application et fait abstraction de toute exigence relative à des périodes d'activité professionnelle, d'affiliation ou de cotisation ". Dans son arrêt du 18 octobre 2007 Commission contre Parlement et Conseil (C-299/05), repris dans un arrêt du 1er février 2017 Secretary of State for Work and Pensions contre Tolley (C-430/15), elle a par ailleurs indiqué " qu'une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d'une situation légalement définie et où elle se rapporte à l'un des risques expressément énumérés à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 ".

9. En l'espèce, aux termes de l'article L. 14-10-1 du code de l'action sociale et des familles : " I.-La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie a pour missions : 1° De contribuer au financement de la prévention et de l'accompagnement de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, à domicile et en établissement, ainsi qu'au financement du soutien des proches aidants, dans le respect de l'égalité de traitement des personnes concernées sur l'ensemble du territoire ; (...) 10° De contribuer au financement de l'investissement destiné à la mise aux normes techniques et de sécurité, à la modernisation des locaux en fonctionnement ainsi qu'à la création de places nouvelles en établissements et services sociaux et médico-sociaux ; (...) ".

10. Il résulte de l'instruction que la CNSA, à travers notamment les dispositions du 1° du I de l'article précité, gère pour l'essentiel les prestations de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation compensatoire du handicap (PCH), dont les conditions d'attribution sont également définies par le code de l'action sociale et des familles.

11. S'agissant de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'article L. 232-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Toute personne âgée résidant en France qui se trouve dans l'incapacité d'assumer les conséquences du manque ou de la perte d'autonomie liés à son état physique ou mental a droit à une allocation personnalisée d'autonomie permettant une prise en charge adaptée à ses besoins. Cette allocation, définie dans des conditions identiques sur l'ensemble du territoire national, est destinée aux personnes qui, nonobstant les soins qu'elles sont susceptibles de recevoir, ont besoin d'une aide pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie ou dont l'état nécessite une surveillance régulière. ". L'article L. 232-2 du même code prévoit que : " L'allocation personnalisée d'autonomie, qui a le caractère d'une prestation en nature, est accordée, sur sa demande, dans les limites de tarifs fixés par voie réglementaire, à toute personne attestant d'une résidence stable et régulière et remplissant les conditions d'âge et de perte d'autonomie, évaluée à l'aide d'une grille nationale, également définies par voie réglementaire. ".

12. S'agissant de la prestation compensatoire du handicap, l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " I. - Toute personne handicapée résidant de façon stable et régulière en France métropolitaine, dans les collectivités mentionnées à l'article L. 751-1 du code de la sécurité sociale ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, dont l'âge est inférieur à une limite fixée par décret et dont le handicap répond à des critères définis par décret prenant notamment en compte la nature et l'importance des besoins de compensation au regard de son projet de vie, a droit à une prestation de compensation qui a le caractère d'une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix du bénéficiaire, en nature ou en espèces. Lorsque la personne remplit les conditions d'âge permettant l'ouverture du droit à l'allocation prévue à l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale, l'accès à la prestation de compensation se fait dans les conditions prévues au III du présent article. Lorsque le bénéficiaire de la prestation de compensation dispose d'un droit ouvert de même nature au titre d'un régime de sécurité sociale, les sommes versées à ce titre viennent en déduction du montant de la prestation de compensation dans des conditions fixées par décret. (...) ". L'article L. 245-6 du code de l'action sociale et des familles prévoit que : " La prestation de compensation est accordée sur la base de tarifs et de montants fixés par nature de dépense, dans la limite de taux de prise en charge qui peuvent varier selon les ressources du bénéficiaire. Les montants maximums, les tarifs et les taux de prise en charge sont fixés par arrêtés du ministre chargé des personnes handicapées. Les modalités et la durée d'attribution de cette prestation sont définies par décret. Sont exclus des ressources retenues pour la détermination du taux de prise en charge mentionné à l'alinéa précédent : - les revenus d'activité professionnelle de l'intéressé ; - les indemnités temporaires, prestations et rentes viagères servies aux victimes d'accidents du travail ou à leurs ayants droit mentionnées au 8° de l'article 81 du code général des impôts ; - les revenus de remplacement dont la liste est fixée par voie réglementaire ; - les revenus d'activité du conjoint, du concubin, de la personne avec qui l'intéressé a conclu un pacte civil de solidarité, de l'aidant familial qui, vivant au foyer de l'intéressé, en assure l'aide effective, de ses parents même lorsque l'intéressé est domicilié ...chez eux; - les rentes viagères mentionnées au 2° du I de l'article 199 septies du code général des impôts, lorsqu'elles ont été constituées par la personne handicapée pour elle-même ou, en sa faveur, par ses parents ou son représentant légal, ses grands-parents, ses frères et soeurs ou ses enfants ; - certaines prestations sociales à objet spécialisé dont la liste est fixée par voie réglementaire. ".

13. Par son arrêt susmentionné du 14 mars 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale doit être interprété en ce sens que des prestations, telles que l'allocation personnalisée d'autonomie et la prestation compensatoire du handicap, doivent être qualifiées de " prestations de sécurité sociale " au sens de cette disposition, dès lors qu'elles sont octroyées en dehors de toute appréciation individuelle des besoins personnels du bénéficiaire, les ressources de ce dernier étant prises en compte aux seules fins du calcul du montant effectif de ces prestations sur la base de critères objectifs et légalement définis.
14. Par ailleurs, l'allocation personnalisée autonomie et la prestation compensatoire du handicap, qui sont des prestations portant sur le risque de dépendance et qui visent à améliorer l'état de santé et la vie des personnes dépendantes, tout en présentant des caractéristiques qui leur sont propres, doivent être assimilées à des " prestations de maladie ", au sens du a) de l'article 3, paragraphe 1, du règlement du 29 avril 2004.
15. Il découle de l'ensemble de ces considérations que le prélèvement social et la contribution additionnelle à ce prélèvement affectés au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie doivent, pour l'application de l'article 3 du règlement du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, être regardés comme affectés de manière spécifique et directe au financement du régime de sécurité sociale français. Ils relèvent par conséquent du champ d'application de ce règlement.

16. Il résulte de ce qui précède que les épouxB..., qui ne sont pas affiliés au régime obligatoire de sécurité sociale en France, sont fondés à se prévaloir de la méconnaissance du principe d'unicité de la législation de sécurité sociale énoncé par ce règlement CE n° 883/2004 et de son corollaire, le principe d'interdiction de double cotisation, pour soutenir que c'est à tort qu'ils ont été assujettis aux prélèvements sociaux affectés au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), à raison de leurs revenus du patrimoine perçus en 2015.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé les époux B...des impositions litigieuses.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.



D É C I D E :


Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée en tant qu'il a demandé le rétablissement du prélèvement social et de la contribution additionnelle audit prélèvement affectés au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) auxquels les époux B...ont été assujettis au titre de l'année 2015.

Article 2 : L'Etat versera aux époux B...une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à M. et Mme C...B....chez eux

Copie en sera adressée au Premier Ministre, au président de la Cour de justice de l'Union européenne et au greffe de la Cour de justice de l'Union européenne