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Ariane Web: CAA NANCY 18NC00333, lecture du 8 avril 2020

Décision n° 18NC00333
8 avril 2020
CAA de NANCY

N° 18NC00333

3ème chambre
M. WURTZ, président
Mme Guénaëlle HAUDIER, rapporteur
Mme SEIBT, rapporteur public
CM.AFFAIRES PUBLIQUES, avocats


Lecture du mercredi 8 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la délibération du 13 décembre 2016 par laquelle le conseil d'administration de l'université de Strasbourg a déclaré M. B... C... élu président de cette université ainsi que les décisions par lesquelles le président de l'université de Strasbourg, le secrétaire d'Etat chargé de l'enseignement supérieur et la rectrice de l'académie de Strasbourg ont implicitement rejeté les recours gracieux et hiérarchiques formés le 10 février 2017 et tendant à l'annulation de cette délibération.

Par un jugement n° 1703016 du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 février 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 25 février 2019, le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP - FSU, représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 décembre 2017 ;

2°) d'annuler la délibération du 13 décembre 2016 par laquelle le conseil d'administration de l'université de Strasbourg a déclaré M. B... C... élu président de cette université, ainsi que les décisions par lesquelles le président de l'université de Strasbourg, le secrétaire d'Etat chargé de l'enseignement supérieur et la rectrice de l'académie de Strasbourg ont implicitement rejeté les recours gracieux et hiérarchiques formés le 10 février 2017 et tendant à l'annulation de la délibération du 13 décembre 2016 ;

3°) d'enjoindre à l'université de Strasbourg de procéder à de nouvelles élections ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'université de Strasbourg une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- les moyens qu'il avait invoqués devant le tribunal administratif n'ont pas tous été examinés par les premiers juges ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en se bornant à constater une absence d'incompatibilité de principe, sans tenir compte des éléments factuels qu'il avait développés ;
- l'engagement ecclésiastique de M. C... est incompatible avec un mandat de représentant d'un établissement public d'enseignement supérieur et de recherche ; l'élection de de M. C... porte atteinte au principe de laïcité et de neutralité, méconnaît l'article L. 141-6 du code de l'éducation et méconnaît le principe constitutionnel d'indépendance de la recherche.

Par un mémoire, enregistré le 24 juillet 2018, l'université de Strasbourg, représentée par la SELARL CM. Affaires publiques, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du syndicat national de l'enseignement supérieur sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par le syndicat national de l'enseignement supérieur n'est fondé.

Par des mémoires, enregistrés le 30 août 2018 et le 19 juillet 2019, le ministre de l'éducation nationale conclut au rejet de la requête.

Il indique qu'il se réfère aux écritures qu'il avait produites en première instance et fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par le syndicat national de l'enseignement supérieur n'est fondé.

Par un mémoire distinct, enregistré le 12 février 2018, le syndicat national de l'enseignement supérieur a demandé à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'éducation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a présenté ses observations sur cette demande.

Par une ordonnance du 6 avril 2018, le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Nancy a transmis au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 712-2 du code de l'éducation.

Par une décision n° 419595 du 27 juin 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat national de l'enseignement supérieur.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la Constitution ;
- le code de l'éducation ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me E... pour l'université de Strasbourg.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., professeur de théologie à l'université de Strasbourg et vice-président de cette université depuis 2009, est également prêtre de l'église catholique. Par une délibération du 13 décembre 2016, le conseil d'administration de l'université de Strasbourg l'a élu président de cet établissement. Le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cette délibération ainsi que les décisions par lesquelles le président de l'université, le secrétaire d'Etat chargé de l'enseignement supérieur et la rectrice de l'académie de Strasbourg ont implicitement rejeté les recours qu'il avait formés le 10 février 2017 à l'encontre de la délibération du 13 décembre 2016. Le syndicat relève appel du jugement du 14 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, si le syndicat national de l'enseignement supérieur fait valoir que les premiers juges n'ont pas répondu à l'ensemble des moyens qu'il avait développés en première instance, il ne précise pas le ou les moyens auxquels le tribunal administratif n'aurait pas répondu. Il ne résulte, en outre, pas de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif a omis de se prononcer sur l'un des moyens que le requérant avait invoqués. Enfin, la circonstance que le tribunal n'aurait pas répondu à l'ensemble des arguments de fait invoqués par le requérant est, par elle-même, sans incidence sur la régularité du jugement.

3. En second lieu, si le syndicat requérant soutient que les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur de droit, une telle erreur, à la supposer établie, se rapporte au bien-fondé du jugement attaqué et est, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 712-2 du code de l'éducation : " Le président de l'université est élu à la majorité absolue des membres du conseil d'administration parmi les enseignants-chercheurs, chercheurs, professeurs ou maîtres de conférences, associés ou invités, ou tous autres personnels assimilés, sans condition de nationalité. Son mandat, d'une durée de quatre ans, expire à l'échéance du mandat des représentants élus des personnels du conseil d'administration. Il est renouvelable une fois ". Le troisième alinéa du même article dispose que les fonctions de président d'université " sont incompatibles avec celles de membre élu du conseil académique, de directeur de composante, d'école ou d'institut ou de toute autre structure interne de l'université et avec celles de dirigeant exécutif de tout établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel ou de l'une de ses composantes ou structures internes ".

5. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (...) ". Le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit. Il en résulte notamment la neutralité de l'Etat, le respect de toutes les croyances et l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion.

6. Dans la décision n° 419595 du 27 juin 2018 le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat national de l'enseignement supérieur et tirée de la non-conformité aux principes de laïcité et de neutralité ainsi qu'à un " principe d'indépendance de la recherche et des enseignants-chercheurs " des dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'éducation en tant qu'elles ne prohibent pas l'élection de ministres du culte à la présidence d'universités publiques.

7. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'éducation ne fixent pas d'incompatibilités entre les fonctions de ministres du culte et celles de président d'université. Par ailleurs, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans sa décision du 27 juin 2018, il résulte du principe constitutionnel de laïcité que l'accès aux fonctions publiques, dont l'accès aux fonctions de président d'université, s'effectue sans distinction de croyance et de religion et que, par suite, il ne peut, en principe, être fait obstacle à ce qu'une personne ayant la qualité de ministre d'un culte puisse être élue aux fonctions de président d'université, celle-ci étant alors tenue, eu égard à la neutralité des services publics qui découle également du principe de laïcité, à ne pas manifester ses opinions religieuses dans l'exercice de ses fonctions ainsi qu'à un devoir de réserve en dehors de l'exercice de ces fonctions. En outre, la circonstance que le président élu d'une université aurait la qualité de ministre d'un culte est, par elle-même, sans rapport avec les garanties qui s'attachent au respect du principe constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs. Enfin, les dispositions de l'article L. 141-6 du code de l'éducation qui prévoient que " le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ", ne peuvent pas davantage être regardées comme faisant par elles-mêmes obstacle à ce qu'un ministre des cultes soit élu président d'une université.
8. En second lieu, le syndicat requérant ne peut utilement se prévaloir de ce que, postérieurement à son élection, M. C... aurait manifesté ses opinions religieuses dans l'exercice de ses fonctions ou qu'il n'aurait pas respecté le devoir de réserve auquel il était tenu en dehors de l'exercice de ces fonctions. En outre, il ne peut pas davantage utilement se prévaloir, à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'élection de M. C..., d'un article de presse paru au mois de septembre 2016 relatant les explications de l'intéressé sur la pratique de " la bénédiction des enfants avec leur cartable ".

9. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat ou de l'université de Strasbourg, qui ne sont pas les parties perdantes en la présente instance, la somme demandée par le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a, en outre, pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU la somme demandée par l'université de Strasbourg au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'université de Strasbourg présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... pour le syndicat national de l'enseignement supérieur SNESUP-FSU en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, à l'université de Strasbourg, à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et à M. B... C....