CAA de NANTES
N° 19NT03829
5ème chambre
Mme BUFFET, président
Mme Cécile ODY, rapporteur
M. MAS, rapporteur public
LE FLOCH, avocats
Lecture du mardi 2 février 2021
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C..., Mme G... C..., Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté leur recours formé contre la décision du 25 janvier 2018 par laquelle l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer à Mme G... C..., à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C... des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié.
Par un jugement n° 1903499 du 26 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 septembre 2019, M. D... C..., Mme G... C..., Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté leur recours formé contre la décision du 25 janvier 2018 par laquelle l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer à Mme G... C..., à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois, sous astreinte de 10 euros par jour de retard, à défaut, de réexaminer les demandes, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me F..., leur avocate, de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée a été prise en méconnaissance de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les liens de filiation entre les demandeurs de visa et le réunifiant sont établis tant par les actes d'état civil produits que par de nombreux éléments de possession d'état ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 4 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, qui n'est toujours pas transposée correctement en droit national ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il se réfère à ses écritures en défense de première instance et fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 décembre 2019 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes (section administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me F..., pour M. C... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C... est entré en France en 2012 et a obtenu le statut de réfugié par une décision du 3 septembre 2013 de la Cour nationale du droit d'asile. Le 30 novembre 2017, des visas de long séjour ont été demandés pour ses quatre enfants, Mme G... C..., Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C.... L'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer les visas demandés. Saisie d'un recours formé contre cette décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a implicitement rejeté. Par un jugement du 26 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. D... C..., de Mme G... C..., de Mme B... C..., de M. H... C... et de Mme E... C... tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours. M. D... C..., Mme G... C..., Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C... relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) ". Aux termes de l'article R. 752-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa mentionnée au troisième alinéa du II de l'article L. 752-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. "
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il ressort des écritures en défense présentées en première instance par le ministre de l'intérieur que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision sur les motifs tirés, d'une part, de l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits, ne permettant pas d'établir l'identité des demandeurs de visas et leur lien de filiation avec M. D... C..., d'autre part, s'agissant de Mme G... C..., que celle-ci était âgée de plus de dix-neuf ans à la date de la demande de visa et ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. S'agissant de l'identité et du lien de filiation, il ressort des pièces du dossier qu'ont été produits, à l'appui des demandes de visas, les actes de naissance des quatre enfants établis sur la base de jugements supplétifs de naissance. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Pour remettre en cause le caractère probant des actes de naissance produits, le ministre de l'intérieur relève, d'une part, que les actes comportent des mentions différentes de celles, relativement sommaires des jugements supplétifs, concernant notamment des éléments substantiels tels que les dates de naissance, les lieux de naissance, la nationalité et les professions des deux parents, d'autre part, que les actes de naissance ont été dressés opportunément vingt, dix-huit, dix-sept et seize ans après la naissance des demandeurs et postérieurement à l'obtention du statut de réfugié par M. C... et, enfin, que cette tardiveté n'est pas justifiée dans la mesure où la production d'un acte de naissance est nécessaire à la scolarisation des enfants et à l'accès aux soins en République démocratique du Congo. Toutefois, contrairement à ce que soutient le ministre, les mentions relatives aux dates de naissance, lieux de naissance, nationalité et professions des deux parents sont des mentions supplémentaires par rapport aux jugements supplétifs et non des mentions différentes de celles de ces jugements qui ne les énoncent pas. En outre, aucune des circonstances invoquées par le ministre de l'intérieur n'est de nature à établir le caractère frauduleux des jugements supplétifs et à retirer aux actes de naissance leur valeur probante, en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents dont la finalité est différente. Enfin, les énonciations contenues dans les actes de naissance sont conformes aux déclarations faites par M. C... dès sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il suit de là que la commission de recours a commis une erreur d'appréciation en retenant l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits à l'appui des demandes de visas.
6. S'agissant, toutefois, de Mme G... C..., ainsi qu'il a été dit au point 4, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a également fondé sa décision de refus sur ce que celle-ci étant âgée de plus de dix-neuf ans à la date de la demande de visa, elle ne pouvait se prévaloir des dispositions relatives à la réunification familiale.
7. D'une part, aux termes de l'article 4 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 : " 1. Les États membres autorisent l'entrée et le séjour, conformément à la présente directive et sous réserve du respect des conditions visées au chapitre IV, ainsi qu'à l'article 16, des membres de la famille suivants : / a) le conjoint du regroupant ; / b) les enfants mineurs du regroupant et de son conjoint, y compris les enfants adoptés conformément à une décision prise par l'autorité compétente de l'État membre concerné ou à une décision exécutoire de plein droit en vertu d'obligations internationales dudit État membre ou qui doit être reconnue conformément à des obligations internationales ; / c) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord ; / d) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du conjoint, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord. / Les enfants mineurs visés au présent article doivent être d'un âge inférieur à la majorité légale de l'État membre concerné et ne pas être mariés. ".
8. Par l'arrêt C-133-19 du 16 juillet 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que : " L'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride non marié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, est celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins du regroupement familial pour enfants mineurs, et non celle à laquelle il est statué sur cette demande par les autorités compétentes de cet État membre ". Par suite, les requérants, qui soutiennent que l'âge de l'enfant pour lequel la réunification familiale est demandée doit s'apprécier au moment de l'introduction de la demande d'asile du parent, ne sont pas fondés à soutenir que la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 n'a pas été correctement transposée par les dispositions citées au point 3 des articles L. 752-1 et R. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile selon lesquelles l'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. Le moyen tiré de " la méconnaissance de l'article 4 de la directive européenne du 22 septembre 2003 " doit dès lors, et en tout état de cause, être écarté.
9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment des jugements supplétifs de naissance, que les enfants pour lesquels des visas de long séjour ont été demandés sont de mères différentes. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier et n'est pas allégué que Mme G... C... qui est la plus âgée de ces enfants, vivait avec son père lorsque celui-ci a été contraint de fuir la République démocratique du Congo en 2012, ou qu'elle a vécu avec les autres enfants, ni davantage qu'elle se trouverait isolée et sans attaches familiales dans son pays d'origine. Par suite, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne porte pas, en ce qu'elle refuse de délivrer le visa sollicité à Mme G... C..., une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale eu égard aux buts dans lesquels elle a été prise. Le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, être écarté. En outre, Mme G... C... étant âgée de vingt ans à la date de la décision contestée, elle ne peut davantage invoquer la méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission en tant qu'elle concerne Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C....
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement que les visas de long séjour demandés soient délivrés à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C.... Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à Me F... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 26 juillet 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de M. D... C... et autres dirigées contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle refuse la délivrance de visas de long séjour à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C....
Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle refuse la délivrance de visas de long séjour à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C....
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour demandés à Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me F... la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à Mme G... C..., à Mme B... C..., à M. H... C..., à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
C. BUFFET
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°
N° 19NT03829
5ème chambre
Mme BUFFET, président
Mme Cécile ODY, rapporteur
M. MAS, rapporteur public
LE FLOCH, avocats
Lecture du mardi 2 février 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C..., Mme G... C..., Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté leur recours formé contre la décision du 25 janvier 2018 par laquelle l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer à Mme G... C..., à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C... des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié.
Par un jugement n° 1903499 du 26 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 septembre 2019, M. D... C..., Mme G... C..., Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté leur recours formé contre la décision du 25 janvier 2018 par laquelle l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer à Mme G... C..., à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois, sous astreinte de 10 euros par jour de retard, à défaut, de réexaminer les demandes, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me F..., leur avocate, de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée a été prise en méconnaissance de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les liens de filiation entre les demandeurs de visa et le réunifiant sont établis tant par les actes d'état civil produits que par de nombreux éléments de possession d'état ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 4 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, qui n'est toujours pas transposée correctement en droit national ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il se réfère à ses écritures en défense de première instance et fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 décembre 2019 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes (section administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me F..., pour M. C... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C... est entré en France en 2012 et a obtenu le statut de réfugié par une décision du 3 septembre 2013 de la Cour nationale du droit d'asile. Le 30 novembre 2017, des visas de long séjour ont été demandés pour ses quatre enfants, Mme G... C..., Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C.... L'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer les visas demandés. Saisie d'un recours formé contre cette décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a implicitement rejeté. Par un jugement du 26 juillet 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. D... C..., de Mme G... C..., de Mme B... C..., de M. H... C... et de Mme E... C... tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours. M. D... C..., Mme G... C..., Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C... relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) ". Aux termes de l'article R. 752-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa mentionnée au troisième alinéa du II de l'article L. 752-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. "
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il ressort des écritures en défense présentées en première instance par le ministre de l'intérieur que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision sur les motifs tirés, d'une part, de l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits, ne permettant pas d'établir l'identité des demandeurs de visas et leur lien de filiation avec M. D... C..., d'autre part, s'agissant de Mme G... C..., que celle-ci était âgée de plus de dix-neuf ans à la date de la demande de visa et ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. S'agissant de l'identité et du lien de filiation, il ressort des pièces du dossier qu'ont été produits, à l'appui des demandes de visas, les actes de naissance des quatre enfants établis sur la base de jugements supplétifs de naissance. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Pour remettre en cause le caractère probant des actes de naissance produits, le ministre de l'intérieur relève, d'une part, que les actes comportent des mentions différentes de celles, relativement sommaires des jugements supplétifs, concernant notamment des éléments substantiels tels que les dates de naissance, les lieux de naissance, la nationalité et les professions des deux parents, d'autre part, que les actes de naissance ont été dressés opportunément vingt, dix-huit, dix-sept et seize ans après la naissance des demandeurs et postérieurement à l'obtention du statut de réfugié par M. C... et, enfin, que cette tardiveté n'est pas justifiée dans la mesure où la production d'un acte de naissance est nécessaire à la scolarisation des enfants et à l'accès aux soins en République démocratique du Congo. Toutefois, contrairement à ce que soutient le ministre, les mentions relatives aux dates de naissance, lieux de naissance, nationalité et professions des deux parents sont des mentions supplémentaires par rapport aux jugements supplétifs et non des mentions différentes de celles de ces jugements qui ne les énoncent pas. En outre, aucune des circonstances invoquées par le ministre de l'intérieur n'est de nature à établir le caractère frauduleux des jugements supplétifs et à retirer aux actes de naissance leur valeur probante, en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents dont la finalité est différente. Enfin, les énonciations contenues dans les actes de naissance sont conformes aux déclarations faites par M. C... dès sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il suit de là que la commission de recours a commis une erreur d'appréciation en retenant l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits à l'appui des demandes de visas.
6. S'agissant, toutefois, de Mme G... C..., ainsi qu'il a été dit au point 4, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a également fondé sa décision de refus sur ce que celle-ci étant âgée de plus de dix-neuf ans à la date de la demande de visa, elle ne pouvait se prévaloir des dispositions relatives à la réunification familiale.
7. D'une part, aux termes de l'article 4 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 : " 1. Les États membres autorisent l'entrée et le séjour, conformément à la présente directive et sous réserve du respect des conditions visées au chapitre IV, ainsi qu'à l'article 16, des membres de la famille suivants : / a) le conjoint du regroupant ; / b) les enfants mineurs du regroupant et de son conjoint, y compris les enfants adoptés conformément à une décision prise par l'autorité compétente de l'État membre concerné ou à une décision exécutoire de plein droit en vertu d'obligations internationales dudit État membre ou qui doit être reconnue conformément à des obligations internationales ; / c) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord ; / d) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du conjoint, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord. / Les enfants mineurs visés au présent article doivent être d'un âge inférieur à la majorité légale de l'État membre concerné et ne pas être mariés. ".
8. Par l'arrêt C-133-19 du 16 juillet 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que : " L'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride non marié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, est celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins du regroupement familial pour enfants mineurs, et non celle à laquelle il est statué sur cette demande par les autorités compétentes de cet État membre ". Par suite, les requérants, qui soutiennent que l'âge de l'enfant pour lequel la réunification familiale est demandée doit s'apprécier au moment de l'introduction de la demande d'asile du parent, ne sont pas fondés à soutenir que la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 n'a pas été correctement transposée par les dispositions citées au point 3 des articles L. 752-1 et R. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile selon lesquelles l'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. Le moyen tiré de " la méconnaissance de l'article 4 de la directive européenne du 22 septembre 2003 " doit dès lors, et en tout état de cause, être écarté.
9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment des jugements supplétifs de naissance, que les enfants pour lesquels des visas de long séjour ont été demandés sont de mères différentes. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier et n'est pas allégué que Mme G... C... qui est la plus âgée de ces enfants, vivait avec son père lorsque celui-ci a été contraint de fuir la République démocratique du Congo en 2012, ou qu'elle a vécu avec les autres enfants, ni davantage qu'elle se trouverait isolée et sans attaches familiales dans son pays d'origine. Par suite, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne porte pas, en ce qu'elle refuse de délivrer le visa sollicité à Mme G... C..., une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale eu égard aux buts dans lesquels elle a été prise. Le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, être écarté. En outre, Mme G... C... étant âgée de vingt ans à la date de la décision contestée, elle ne peut davantage invoquer la méconnaissance du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission en tant qu'elle concerne Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C....
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement que les visas de long séjour demandés soient délivrés à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C.... Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à Me F... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 26 juillet 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de M. D... C... et autres dirigées contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle refuse la délivrance de visas de long séjour à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C....
Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle refuse la délivrance de visas de long séjour à Mme B... C..., à M. H... C... et à Mme E... C....
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour demandés à Mme B... C..., M. H... C... et Mme E... C..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me F... la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à Mme G... C..., à Mme B... C..., à M. H... C..., à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
C. BUFFET
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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