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Ariane Web: CAA MARSEILLE 20MA01949, lecture du 17 octobre 2022

Décision n° 20MA01949
17 octobre 2022
CAA de MARSEILLE

N° 20MA01949

5ème chambre
Mme HELMLINGER, président
Mme Aurélia VINCENT, rapporteur
M. PECCHIOLI, rapporteur public
FREICHET, avocats


Lecture du lundi 17 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante


Procédure contentieuse antérieure :
M. C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite par laquelle La Poste a rejeté sa demande du 26 avril 2018 de compensation financière pour les jours de congés annuels non pris du 1er janvier 2015 au 31 janvier 2018, d'enjoindre à La Poste de procéder à la liquidation et au versement de la somme due au titre de ces congés annuels, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de condamner La Poste à lui verser la somme de 6 000 euros au titre d'un préjudice moral et de mettre à la charge de La Poste la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Par jugement n° 1806391 du 1er avril 2020, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision implicite par laquelle La Poste a rejeté la demande du 26 avril 2018 en tant qu'elle refusait le versement d'une compensation financière pour 21,5 jours de congés annuels non pris, enjoint à La Poste de verser à M. C... une compensation financière correspondant à 21,5 jours de congés annuels dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et mis à la charge de La Poste le paiement d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Procédure devant la Cour :


Par une requête enregistrée le 2 juin 2020, M. A... C..., représenté par Me Semeriva, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er avril 2020 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande de versement d'une indemnité compensatrice au titre de congés annuels non pris pour l'année 2016, qu'il a limité à 20 jours cette indemnité au titre de l'année 2017 et à 1,5 jours au titre de l'année 2018 ;
2°) de condamner La Poste à lui verser une compensation financière équivalente à 30 jours au titre des années 2016 et 2017 et 2,5 jours au titre de 2018 ;
3°) de mettre à la charge de La Poste le paiement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la durée de droit au report de quinze mois ne lui est pas opposable dès lors, d'une part, qu'il a été mis à la retraite à compter du 1er février 2018 et n'a pu, par suite, reprendre son service et, d'autre part, qu'elle doit être reportée à l'expiration des droits à congés de maladie ;
- il a subi un préjudice moral.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 décembre 2020, La Poste, représentée par Me Freichet, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de M. C... ;
2°) de mettre à la charge de M. C... le paiement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête sont infondés.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.




Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me Semeriva pour M. C... et de Me Freichet pour La Poste.


Considérant ce qui suit :

1. M. C..., cadre professionnel au sein de La Poste, a été placé en congé de maladie du 21 janvier 2015 au 31 janvier 2018 puis admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er février 2018. Par une lettre du 26 avril 2018, réceptionnée le 30 avril 2018, il a présenté une demande tendant au versement d'une indemnité compensatrice correspondant à 92,5 jours au titre des congés payés non pris de 2015 au 31 janvier 2018. Sa demande a été implicitement rejetée. M. C... interjette appel du jugement n° 1806391 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision implicite par laquelle La Poste a rejeté la demande du 26 avril 2018 et enjoint à La Poste de verser à M. C... une compensation financière correspondant à 21,5 jours de congés annuels, en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande de versement d'une indemnité compensatrice au titre de congés annuels non pris pour l'année 2016, qu'il a limité à 20 jours cette indemnité au titre de l'année 2017 et à 1,5 jours au titre de l'année 2018.


2. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ".


3. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. ". En application de la partie B de l'annexe I de cette directive, le délai de transposition de l'article 7 était fixé au 23 mars 2005.


4. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 6 novembre 2018 " Stadt Wuppertal " et " Volker Willmeroth " (C-569/16 et C-570/16), lorsque la relation de travail prend fin, la prise effective du congé annuel payé n'est plus possible. Afin de prévenir que, du fait de cette impossibilité, toute jouissance par le travailleur de ce droit, même sous forme pécuniaire, soit exclue, l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE prévoit que le travailleur a droit à une indemnité financière, qui n'est soumise à aucune autre condition que celle tenant au fait, d'une part, que la relation de travail a pris fin, et, d'autre part, que le travailleur n'a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin. Ce droit est conféré directement par cette directive et ne saurait dépendre de conditions autres que celles qui y sont explicitement prévues. Les dispositions de l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE remplissent ainsi les conditions requises pour produire un effet direct. En outre, dans son arrêt rendu le 6 novembre 2018 " Kreuziger " (C-619/16), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE s'oppose à des législations ou réglementations nationales qui prévoient que, lors de la fin de la relation de travail, aucune indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris n'est versée au travailleur qui n'a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels auxquels il avait droit avant la fin de cette relation de travail. Par suite, les dispositions de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, et s'opposent à l'indemnisation de ces congés lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, sont incompatibles dans cette mesure avec les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.


5. En l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant ainsi une période de report des congés payés qu'un agent s'est trouvé, du fait d'un congé maladie, dans l'impossibilité de prendre au cours d'une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d'assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d'une période de quinze mois après le terme de cette année. La CJUE a en effet jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une telle durée de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive. Toutefois ce droit au report s'exerce, en l'absence de dispositions, sur ce point également, dans le droit national, dans la limite de quatre semaines prévue par cet article 7.


6. Si le droit à indemnisation financière au titre des congés payés non pris pendant un congé de maladie d'un agent dont la relation de travail a pris fin est conditionné par la circonstance que la cessation de la relation de travail soit intervenue dans le délai de 15 mois à compter du terme de l'année civile au cours de laquelle les congés sont dus, il n'est, en revanche, pas subordonné à la présentation d'une demande d'indemnisation dans lesdits 15 mois, cette demande restant régie par les seules règles de prescription des créances.


7. Il résulte de l'instruction qu'à la date de la fin de la relation de travail, soit le 1er février 2018, date de mise à la retraite, le droit au report des congés annuels de M. C... au titre des années 2016 à 2018 n'était, en application de ce qui a été dit précédemment, pas expiré. Par suite, M. C..., quand bien même il n'aurait présenté sa demande indemnitaire que le 26 avril 2018, pouvait prétendre au bénéfice d'une indemnisation maximale de 20 jours par année civile, soit 20 jours au titre de l'année 2016, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, 20 jours en 2017 et 1,5 jours du 1er au 31 janvier 2018 comme ces derniers l'ont, en revanche, à juste titre retenu.


8. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a limité son droit à indemnisation à 21,5 jours au lieu de 41,5 jours. Il suit de là que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées par M. C... au titre de l'année 2016 et que La Poste doit, en conséquence, verser au requérant, outre la compensation financière équivalent à 21,5 jours de congés annuels portant sur la période du 1er janvier 2017 au 31 janvier 2018, une compensation financière équivalant à 20 jours de congés annuels au titre de l'année 2016, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.


9. En second lieu, si M. C... sollicite une indemnisation au titre d'un préjudice moral, il n'assortit ses conclusions d'aucune précision permettant d'apprécier le bien-fondé d'un tel chef de préjudice. Par suite, cette demande ne peut être que rejetée.


Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. C..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à La Poste la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de La Poste le versement à M. C... de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions précitées.

DECIDE :

Article 1er : La décision implicite par laquelle La Poste a rejeté la demande du 26 avril 2018 de M. C... est annulée en tant qu'elle lui refuse le versement d'une compensation financière pour 41,5 jours de congés annuels non pris.
Article 2 : Il est enjoint à La Poste de verser à M. C... une compensation financière correspondant à 41,5 jours de congés annuels. Pour la fraction de cette somme non versée à M. C... en exécution du jugement n° 1806391 du tribunal administratif de Marseille du 1er avril 2020, La Poste devra s'en acquitter dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n° 1806391 du tribunal administratif de Marseille du 1er avril 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La Poste versera à M. C... la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à La Poste.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2022.
N° 20MA01949 2


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