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Ariane Web: CAA LYON 21LY02799, lecture du 16 mars 2023

Décision n° 21LY02799
16 mars 2023
CAA de LYON

N° 21LY02799

5ème chambre
M. BOURRACHOT, président
Mme Vanessa REMY-NERIS, rapporteur
Mme LE FRAPPER, rapporteur public
ALEO, avocats


Lecture du jeudi 16 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure

La société Brico Calade a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 19 juin 2019 par lequel le maire d'Anse a délivré un permis de construire modificatif à la société Anse Développement, ensemble la décision du préfet du Rhône rejetant son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1909534 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 13 août 2021, 8 mars 2022 et 30 mai 2022, la société Brico Calade, représentée par Me Leraisnable, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 17 juin 2021 ainsi que les décisions susvisées ;
2°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune d'Anse la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors qu'en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, il ne comporte aucune signature ;
- elle est fondée à demander l'annulation de la décision du préfet du Rhône rejetant son recours hiérarchique ;
- l'arrêté en litige méconnaît l'article L. 752-15 du code de commerce et l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme ; le permis de construire modificatif accordé emporte des modifications substantielles du projet et aurait dû être à nouveau soumis à examen de la commission départementale d'aménagement commercial ; le maire de la commune a entaché son arrêté d'un détournement de pouvoir et de procédure.

Par un mémoire, enregistré le 5 novembre 2021, la SCCV Anse Developpement, représentée par Me Robert Vedie, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Brico Calade la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés sont infondés.

Par un mémoire, enregistré le 24 février 2022, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés sont infondés.

Par un mémoire, enregistré le 12 avril 2022, la commune d'Anse, représentée par Me Gautier, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Brico Calade la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un courrier du 7 septembre 2021, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence du tribunal administratif pour statuer en premier ressort sur un permis de construire modifiant un permis de construire initial dans l'hypothèse où ce permis initial a été soumis à l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial et a été délivré après l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014.

Par un mémoire enregistré le 21 septembre 2021, la commune d'Anse, représentée par Me Gautier, a présenté des observations en réponse à ce moyen d'ordre public.

Par un mémoire enregistré le 15 octobre 2021, la SCCV Anse Deloppement, représentée par Me Robert Vedie, a présenté des observations en réponse à ce moyen d'ordre public.

Une ordonnance du 31 mai 2022 a fixé la clôture de l'instruction au 30 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère,
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,
- et les observations de Me Leraisnable pour la société Brico Calade, de Me Espeisse pour la SCCV Anse Développement et de Me Gautier pour la commune d'Anse ;

Une note en délibéré, présentée pour la SCCV Anse Développement, a été enregistrée le 23 février 2023.


Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 27 avril 2016, le maire d'Anse a délivré à la société Anse Développement un permis de construire en vue de la réalisation d'un ensemble commercial comprenant un magasin de bricolage et cinq autres moyennes surfaces, sur un terrain situé au sein de la zone d'aménagement concertée de Bel Air La Logère, dans le cadre de la création du parc d'activités " Viadorée ". Le 14 décembre 2018, la société Anse Développement a demandé un permis de construire modificatif, que le maire d'Anse lui a accordé par un arrêté du 19 juin 2019. La société Brico Calade relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ainsi que celle de la décision du préfet du Rhône du 31 octobre 2019 rejetant sa demande d'exercice du contrôle de légalité.

Sur la compétence du tribunal administratif pour statuer en premier ressort :

2. Il résulte de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de l'article 39 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, et de l'article 6 du décret n° 2015-165 du 12 février 2015 que lorsqu'un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale en vertu des dispositions de l'article L. 752-1 du code de commerce doit également faire l'objet d'un permis de construire, ce permis tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale dès lors que la demande de permis a donné lieu à un avis de la commission départementale d'aménagement commercial et que le permis de construire a été délivré après le 14 février 2015. Ce permis peut ainsi, sous la seule réserve mentionnée ci-après au point 3, faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Il résulte des dispositions de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme que ce recours est ouvert aux personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du code de commerce et que seuls sont recevables à l'appui de ce recours les moyens relatifs à la légalité du permis en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.

3. Si, en raison de la situation transitoire créée par l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, un projet a fait l'objet d'une décision de la Commission nationale d'aménagement commercial avant le 15 février 2015 et d'un permis de construire délivré, au vu de cette décision, après le 14 février 2015, seule la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir en tant qu'acte valant autorisation d'exploitation commerciale. En effet, l'autorisation d'exploitation commerciale ayant déjà été accordée, le permis de construire ne peut alors, par exception à ce qui a été dit au point 2, faire l'objet d'un recours qu'en tant qu'il vaut autorisation de construire.

4. Une cour administrative d'appel est compétente pour statuer en premier et dernier ressort sur une requête dirigée contre un refus de délivrance d'un permis de construire modificatif relatif à l'extension d'un ensemble commercial, dès lors que le projet avait été soumis pour avis à une commission départementale d'aménagement commercial. La cour n'a pas, pour retenir sa compétence, à rechercher au préalable si le projet à l'origine de la demande de permis modificatif emporte des modifications substantielles, au sens de l'article L. 752-15 du code de commerce, du projet qui avait antérieurement obtenu une autorisation d'exploitation commerciale.

5. En l'espèce, par décisions du 10 décembre 2013 de la commission départementale d'aménagement commercial du Rhône puis du 1er avril 2014 de la Commission nationale d'aménagement commercial, la SCCV Anse Développement a obtenu l'autorisation de réaliser un ensemble commercial d'une surface de vente de 10 094 m² comprenant un magasin de bricolage, cinq magasins d'équipement de la maison, un magasin de culture et loisirs et équipement de la personne et un magasin de culture et loisirs à Anse (Rhône). Après avoir déposé sa demande le 23 décembre 2015, la SCCV s'est vu délivrer par arrêté du 27 avril 2016 du maire d'Anse un permis de construire en vue de la réalisation de son projet. Un permis de construire modificatif a été obtenu le 19 juin 2019. Il ressort des principes exposés ci-dessus que le permis de construire initialement accordé a la nature d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale quand bien même en raison de la situation transitoire créée par l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, seule pouvait être contestée en tant qu'acte valant autorisation d'exploitation commerciale l'autorisation délivrée par la Commission nationale d'aménagement commercial. Par suite, la demande présentée par la société Brico Calade en première instance, qui tendait à contester l'arrêté du 19 juin 2019 portant permis modificatif, relevait en application de l'article L. 60010 du code de l'urbanisme, de la compétence de la cour administrative d'appel de Lyon, statuant en premier et dernier ressort. En conséquence, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon, qui n'était pas compétent pour ce faire, s'est prononcé sur la demande de la société Brico Calade. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à la régularité du jugement invoqué, le jugement du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Lyon est entaché d'irrégularité et doit être annulé.

6. Il y a lieu de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Brico Calade devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2131-8 du code général des collectivités territoriales : " Sans préjudice du recours direct dont elle dispose, si une personne physique ou morale est lésée par un acte mentionné aux articles L. 2131-2 et L. 2131-3, elle peut, dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle l'acte est devenu exécutoire, demander au représentant de l'Etat dans le département de mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article L. 2131-6. (...) ".

8. Ces dispositions permettent à une personne qui s'estime lésée par un acte d'une autorité communale relevant du contrôle de légalité du représentant de l'Etat dans le département de saisir ce dernier en vue qu'il le défère au tribunal administratif. Cette saisine n'ayant pas pour effet de priver cette personne de la faculté d'exercer un recours direct contre cet acte, le refus du préfet de déférer celui-ci au tribunal administratif ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. En revanche, si elle a été formée dans le délai du recours contentieux ouvert contre cet acte, la demande ainsi présentée au préfet a pour effet de proroger ce délai jusqu'à l'intervention de la décision explicite ou implicite par laquelle le préfet se prononce sur ladite demande.

9. Il revient au juge administratif, lorsqu'il est appelé à qualifier une demande adressée à l'administration, d'apprécier la portée de cette demande au vu des termes dans lesquels elle est formulée mais aussi de l'ensemble des circonstances de l'espèce, en s'attachant à donner à la saisine de l'administration un effet utile.

10. En l'espèce, le courrier adressé par la société requérante au préfet du Rhône le 16 août 2019 demandait expressément au préfet d'exercer " son contrôle de légalité " en demandant au maire de procéder au retrait du permis de construire modificatif. Si cette demande ne visait pas l'article L. 2131-6 du code précité ni ne demandait au préfet de déférer le permis en cause au tribunal administratif, il comportait une demande de réformation de l'acte litigieux et avait été présenté dans le délai de recours contentieux. Dans ces conditions, ce courrier doit s'analyser comme une demande de mise en oeuvre par le préfet de son contrôle de légalité, quand bien même l'acte en cause, délivré au nom de l'Etat par le maire, ne relève pas des dispositions du 6° de l'article L. 2131-2 du code précité. Il s'en suit que les conclusions présentées par la société Brico Calade tendant à l'annulation de la décision du préfet du 31 octobre 2019, qui ne constitue pas le rejet d'un recours hiérarchique mais une demande de déféré préfectoral, sont irrecevables.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. Une modification du projet qui revêt un caractère substantiel, au sens de l'article L. 752-15 du même code, mais n'a pas d'effet sur la conformité des travaux projetés par rapport aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6 du présent code nécessite une nouvelle demande d'autorisation d'exploitation commerciale auprès de la commission départementale. " L'article L. 752-15 du code de commerce prévoit que : " (...) Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d'instruction ou lors de sa réalisation, subit, du fait du pétitionnaire, des modifications substantielles au regard des critères énoncés à l'article L. 752-6. Lorsqu'elle devient définitive, l'autorisation de modifier substantiellement le projet se substitue à la précédente autorisation d'exploitation commerciale accordée pour le projet. "

12. La société Brico Calade soutient que le permis en litige méconnaît les dispositions précitées dès lors que ce permis emporte des modifications substantielles du projet et aurait dû être à nouveau soumis à examen de la commission départementale d'aménagement commercial. Elle soutient qu'en accordant le permis de construire modificatif litigieux, le maire de la commune a entaché sa décision d'un détournement de pouvoir et de procédure.

13. Il ressort des pièces du dossier que les modifications apportées par le pétitionnaire à son projet initial dans le dossier de demande de permis modificatif ont consisté dans le remplacement d'une partie de la toiture végétalisée par une toiture en bac acier et la suppression d'une verrière, le déplacement de la cour des matériaux, non ouverte au public, de la cellule " Brico " vers la partie Est du bâtiment et la modification de la toiture en conséquence avec création d'un auvent au-dessus d'une partie de la cour et réduction de la surface de plancher, la création d'un sas pour l'entrée de cette cellule avec modification de la façade principale du bâtiment recevant cette cellule et de la façade donnant sur la cour des matériaux et enfin la création d'un espace de vente " jardinerie " contre la façade ouest du bâtiment " Brico " couvert d'une verrière. Ces modifications concernent essentiellement le déplacement des surfaces de vente incluses dans le projet initial et des adaptations nécessaires à ce déplacement, la création d'un sas d'entrée permettant quant à elle d'assurer la sécurité des personnels. Il ressort des pièces versées au dossier que l'insertion paysagère du bâtiment dans son environnement ne sera pas substantiellement modifiée, la partie de la toiture végétalisée supprimée étant remplacée pour partie par une verrière côté ouest et par un auvent côté est. Si le permis modificatif autorise également la création d'un espace jardinerie, cet espace est inclus dans la surface de vente du magasin de bricolage autorisée par le permis initial. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet litigieux aurait subi des modifications substantielles au regard des critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce nécessitant de présenter une nouvelle demande d'autorisation d'exploitation commerciale conformément aux dispositions de l'article L. 752-15 du code de commerce. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées et du détournement de pouvoir et de procédure doivent être écartés.

14. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par la société Brico Calade devant le tribunal administratif de Lyon doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la commune d'Anse, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, la somme que la société Brico Calade demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante le versement à la commune d'Anse et à la SCCV Anse Développement d'une somme de 2 000 euros chacune sur le fondement des mêmes dispositions.


DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1909534 du 17 juin 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Brico Calade devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions présentées devant la cour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Brico Calade versera la somme de 2 000 euros à la commune d'Anse sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La société Brico Calade versera la somme de 2 000 euros à la SCCV Anse Développement sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Brico Calade, à la commune d'Anse, à la société Anse Développement, à la présidente de la Commission nationale d'aménagement commercial et au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 23 février 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mars 2023.

La rapporteure,




V. Rémy-NérisLe président,




F. Bourrachot
La greffière,
A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,
La greffière,
N° ar