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Ariane Web: Conseil d'État 53002, lecture du 21 mars 1986, ECLI:FR:CESSR:1986:53002.19860321

Décision n° 53002
21 mars 1986
Conseil d'État

N° 53002
ECLI:FR:CESSR:1986:53002.19860321
Mentionné au tables du recueil Lebon
Section du Contentieux
M. M. Bernard, président
M. Turquet de Beauregard, rapporteur
M. Fouquet, commissaire du gouvernement


Lecture du 21 mars 1986
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le recours enregistré le 4 août 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° réforme le jugement du 17 février 1983 par lequel de tribunal administratif de Paris a accordé à la société anonyme "Auriège" la décharge des droits et pénalités d'impôt sur les sociétés établis au titre des exercices 1975 et 1976 et de la contribution exceptionnelle de 1976 ;
2° remette intégralement les impositions contestées à la charge de la société "Auriège" ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Turquet de Beauregard, Maître des requêtes,
- les observations de la SCP Guiguet, Bachellier, Potier de La Varde, avocat de la société "Auriège",
- les conclusions de M. Fouquet, Commissaire du gouvernement ;

Sur le recours du ministre :
Considérant que pour dénier à la société "Auriège" le droit au report déficitaire prévu par le 1 de l'article 209 du code général des impôts, le ministre soutient que la fusion intervenue en 1975 entre la société "Promobel" et la société "Vermance-Beverley France-Diffusion", toutes deux spécialisées dans la vente de produits de beauté, et réalisée par l'absorption de la seconde par la première, qui a alors pris la dénomination d'"Auriège", a donné naissance à un être moral nouveau et a constitué un abus de droit ;
Considérant, en premier lieu, que si ainsi qu'il vient d'être dit, la dénomination de la société "Promobel" a été modifiée lors de la fusion et si, à l'occasion de celle-ci, par l'effet d'une augmentation de capital et de la vente de leurs parts par deux actionnaires, la participation de l'actionnaire principal a été portée de 44 % à 99 %, ces circonstances ne suffisent pas, alors que l'objet social et la nature de l'activité exercée n'ont pas été modifiés, à entraîner la création d'un être moral nouveau et à faire regarder la société "Auriège" comme n'étant plus la même que la société "Promobel" ;
Considérant, en second lieu, que si le ministre critique les conditions dans lesquelles a été réalisée la fusion susmentionnée, il résulte de l'instruction que celle-ci n'a pas eu un caractère fictif et répondait à un intérêt économique ainsi que d'ailleurs le reconnaît le ministre ; que, dès lors, ce dernier n'établit pas l'abus de droit allégué ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le recours du ministre doit être rejeté ;
Sur le recours incident de la société "Auriège" :

Considérant, en premier lieu, que le recours du ministre ne concerne que l'impôt sur les sociétés auquel la société "Auriège" a été assuettie au titre des exercices 1975 et 1976 ainsi que la contribution exceptionnelle instituée par la loi de finances rectificative du 29 octobre 1976 ; que les conclusions du recours incident de la société relatives à la retenue à la source de 5 %, au titre de l'impôt sur le revenu de 1975 et 1976, opérée par l'administration en application de la convention fiscale francosuisse du 9 septembre 1976 sur des sommes qu'elle a estimé avoir été distribuées par la société "Auriège" à la société suisse "R.Y.B.", ont été présentées après l'expiration du délai d'appel et portent sur une imposition autre que celle sur laquelle porte l'appel principal ; que, par suite, ces conclusions, qui soulèvent un litige différent de celui qui a fait l'objet de l'appel principal, sont irrecevables ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 238-A du code général des impôts "les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. -Pour l'application de l'alinéa qui précède, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France..." ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle s'en prévaut pour contester la déduction de rémunérations, l'administration doit justifier que le bénéficiaire de ces rémunérations est soumis hors de France à un régime fiscal privilégié ;

Considérant que l'administration invoque les dispositions précitées de l'article 238-A pour refuser à la société "Auriège" le droit à déduction de ses résultats des sommes versées en 1975 et 1976 pour des factures de prestations de services, à la société "R.Y.B." dont le siège est en Suisse dans le canton de Genève ; que si elle fait état de divers documents, et notamment du "rapport annuel sur la charge fiscal en Suisse" établi pour l'année 1976 par le bureau fédéral de la statistique de Berne, qui donnent à penser que les sociétés pourraient être soumises en Suisse à des impôts sur les bénéfices notablement moins élevés qu'en France, ces documents sont toutefois insuffisants pour permettre au Conseil d'Etat d'apprécier si la société "R.Y.B." est soumise, dans le canton de Genève, à un régime fixcal privilégié au sens de l'article 238-A précité du code général des impôts ; que, par suite, il y a lieu, avant de statuer sur le recours incident de la société "Auriège", d'ordonner un supplément d'instruction sur ce point ;
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de la société "Auriège" relatives à la retenue à la source de 5 % au titre des années 1975 et 1976 sont rejetées.

Article 3 : Il sera, avant de statuer sur le surplus des conclusions du recours incident de la société "Auriège", procédé par les soins du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET, contradictoirement avec la société "Auriège" à un supplément d'instruction aux fins de rechercher tous les éléments de nature à établir si la société suisse "R.Y.B." est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238-A du code général des impôts.

Article 4 : Il est accordé au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET un délai de 4 mois à dater de la notification de la présente décision pour faire parvenir au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat les renseignements définis à l'article 3 ci-dessus.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société "Auriège" et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et du budget.


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