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Ariane Web: Conseil d'État 308145, lecture du 29 février 2008, ECLI:FR:CESJS:2008:308145.20080229

Décision n° 308145
29 février 2008
Conseil d'État

N° 308145
ECLI:FR:CESJS:2008:308145.20080229
Inédit au recueil Lebon
10ème sous-section jugeant seule
M. Vigouroux, président
Mme Fabienne Lambolez, rapporteur
Mme Landais Claire, commissaire du gouvernement
SPINOSI, avocats


Lecture du vendredi 29 février 2008
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°), sous le numéro 308145, la requête, enregistrée le 2 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Thierry A, demeurant centre Pénitentiaire, ..., et M. Mohamed B, demeurant Maison d'arrêt, ... ; MM. A et B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la note de service n° 000131 du garde des sceaux, ministre de la justice, du 20 octobre 2003 relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt, en tant que celle-ci institue un régime de " rotations de sécurité " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le numéro 308147, la requête, enregistrée le 2 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, dont le siège est 31, rue des Lilas à Paris (75019) ; la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la note de service n° 000131 du garde des sceaux, ministre de la justice, du 20 octobre 2003 relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt, en tant que celle-ci institue un régime de " rotations de sécurité " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Spinosi, avocat de M. Thierry A et de la SECTION FRANCAISE DE l'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS,

- les conclusions de Mme Claire Landais, Commissaire du gouvernement ;



Considérant que les requêtes présentées, d'une part, par MM. A et B, et, d'autre part, par la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS doivent être l'une et l'autre regardées comme dirigées contre la note de service du garde des sceaux, ministre de la justice, du 20 octobre 2003 intitulée note relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt, en tant que celle-ci institue un régime de " rotations de sécurité " applicable à ces détenus ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;

Sur les conclusions aux fins de non-lieu présentées par le garde des sceaux, ministre de la justice :

Considérant que si, par une circulaire en date du 16 août 2007, le garde des sceaux, ministre de la justice, a abrogé la note du 20 octobre 2003 attaquée, il est constant que cette note a cependant reçu exécution jusqu'à son abrogation ; que, par suite, les deux requêtes susvisées ne sont pas devenues sans objet ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes ;

Considérant qu'aux termes de l'article 717 du code de procédure pénale : " Les condamnés purgent leur peine dans un établissement pour peines. / Les condamnés à l'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à un an peuvent, cependant, à titre exceptionnel, être maintenus en maison d'arrêt et incarcérés, dans ce cas, dans un quartier distinct, lorsque des conditions tenant à la préparation de leur libération, leur situation familiale ou leur personnalité le justifient. Peuvent également, dans les mêmes conditions, être affectés, à titre exceptionnel, en maison d'arrêt, les condamnés auxquels il reste à subir une peine d'une durée inférieure à un an. " ; que l'article 717-1 du même code dispose : " La répartition des condamnés dans les prisons établies pour peines s'effectue compte tenu de leur catégorie pénale, de leur âge, de leur état de santé et de leur personnalité. (...) " ; qu'aux termes de l'article D. 80 du même code : " Le ministre de la justice dispose d'une compétence d'affectation des condamnés dans toutes les catégories d'établissement. Sa compétence est exclusive pour les affectations dans les maisons centrales. (...) " ; qu'aux termes de l'article D. 82 : " L'affectation peut être modifiée soit à la demande du condamné, soit à la demande du chef de l'établissement dans lequel il exécute sa peine. (...) / L'affectation ne peut être modifiée que s'il survient un fait ou un élément d'appréciation nouveau. " ;

Considérant que la note de service relative aux détenus particulièrement dangereux incarcérés en maison d'arrêt instaure un régime de " rotations de sécurité " consistant notamment en des changements d'affectation fréquents des intéressés vers d'autres établissements en dehors d'une même direction régionale sur décision des services de l'administration centrale, afin de " perturber les auteurs des tentatives d'évasions et leurs complices dans la préparation et la réalisation de leurs projets " ; que s'il résulte des prescriptions précitées du code de procédure pénale que le garde des sceaux, ministre de la justice, dispose, dans les limites et conditions fixées par celles-ci, d'une compétence d'affectation des condamnés dans toutes les catégories d'établissements, il ne tenait d'aucune disposition législative ou réglementaire le pouvoir de créer un régime de détention spécifique caractérisé par des rotations régulières et systématiques des détenus considérés comme particulièrement dangereux ; que, par suite, MM. A et B et la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS sont fondés à demander l'annulation de la note du 20 octobre 2003 relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt, en tant que celle-ci institue un régime de " rotations de sécurité " ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement des sommes de 750 euros à M. A, de 750 euros à M. B et de 1 500 euros à la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :
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Article 1er : La note du 20 octobre 2003 relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt est annulée en tant qu'elle institue un régime de " rotations de sécurité ".
Article 2 : L'Etat versera les sommes de 750 euros à M. A, de 750 euros à M. B et de 1 500 euros à LA SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Thierry A, à M. Mohamed B, à la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS et à la garde des sceaux, ministre de la justice.