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Ariane Web: Conseil d'État 328178, lecture du 7 juillet 2010, ECLI:FR:CESSR:2010:328178.20100707

Décision n° 328178
7 juillet 2010
Conseil d'État

N° 328178
ECLI:FR:CESSR:2010:328178.20100707
Publié au recueil Lebon
4ème et 5ème sous-sections réunies
M. Martin, président
M. Olivier Talabardon, rapporteur
Mme Dumortier Gaëlle, rapporteur public


Lecture du mercredi 7 juillet 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le pourvoi, enregistré le 22 mai 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par Mme Catherine CAORS, demeurant ... ; Mme CAORS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 26 mars 2009 par lequel la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement du 21 juin 1999 du tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 juillet 1998 du ministre de la défense lui refusant l'attribution d'une pension de veuve du chef du décès de M. Sylvain Alloard, premier maître de la marine nationale ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Talabardon, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;



Considérant qu'aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service (...) ; qu'aux termes de l'article L. 43 du même code, dans sa rédaction applicable à la présente affaire : Ont droit à pension : / 1° Les veuves des militaires et marins dont la mort a été causée (...) par des accidents ou suites d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service (...) ;

Considérant qu'il incombe à la personne qui se prévaut de ces dispositions, si elle ne peut, comme en l'espèce, prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, de rapporter la preuve de l'existence d'un lien direct et certain entre le décès de son conjoint et un fait précis ou des circonstances particulières du service de ce dernier ; que l'accident dont est victime un militaire ou un marin lorsqu'il rejoint son service dans des conditions normales de temps et de trajet doit être réputé survenu en service à moins d'une faute de l'intéressé ou de toute autre circonstance particulière détachant cet accident du service ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Alloard, premier maître de la marine nationale, a été mortellement blessé par balles, le 23 mars 1998, alors qu'il quittait son domicile pour prendre son service ; que l'information suivie devant la juridiction pénale du chef d'assassinat a été clôturée par un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 8 novembre 2006 confirmant, à défaut d'identification de l'auteur de l'homicide, le non-lieu prononcé par le juge d'instruction ; que, par un jugement du 21 juin 1999, le tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône a rejeté la demande de Mme CAORS, tendant à l'annulation de la décision du 23 juillet 1998 du ministre de la défense refusant de lui attribuer une pension de veuve sur le fondement de l'article L. 43 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; que, par son arrêt du 26 mars 2009, contre lequel se pourvoit Mme CAORS, la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence a confirmé le rejet de sa demande au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve d'une relation certaine et déterminante entre un ou des faits précis ou circonstances particulières de service et l'origine du décès de son conjoint ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;

Considérant qu'après avoir relevé dans sa décision que l'agression mortelle dont a été victime M. Alloard a été perpétrée alors que l'intéressé venait de quitter son domicile pour prendre son service, la cour régionale des pensions n'a pu, sans commettre d'erreur de droit, juger qu'il incombait à Mme CAORS d'apporter la preuve que l'origine du décès de son conjoint n'était pas détachable de ce service ; que, par suite, Mme CAORS est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que la circonstance que M. Alloard a été victime, sur son trajet, d'un homicide volontaire ne permet pas en elle-même et à elle seule d'établir que la cause de son décès serait détachable du service ; que le caractère détachable des faits ne résulte d'aucun autre élément recueilli au cours de l'instruction suivie devant les juges du fond ; que, par suite, Mme CAORS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande d'annulation de la décision ministérielle lui refusant le bénéfice d'une pension de veuve ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense, Mme CAORS peut prétendre à l'attribution d'une pension du chef du décès de son conjoint ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de la renvoyer devant le ministre pour qu'il soit procédé à la liquidation de ses droits ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme CAORS de la somme de 3 000 euros ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour régionale des pensions d'Aix-en-Provence du 26 mars 2009, ainsi que le jugement du tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône du 21 juin 1999 et la décision du 23 juillet 1998 du ministre de la défense, sont annulés.

Article 2 : Mme CAORS est renvoyée devant le ministre de la défense pour qu'il soit procédé à la liquidation de la pension de veuve à laquelle elle a droit.

Article 3 : L'Etat versera à Mme CAORS une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Catherine CAORS et au ministre de la défense.


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