Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 338505, lecture du 8 octobre 2010, ECLI:FR:CESSR:2010:338505.20101008

Décision n° 338505
8 octobre 2010
Conseil d'État

N° 338505
ECLI:FR:CESSR:2010:338505.20101008
Publié au recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
M. Stirn, président
M. Tanneguy Larzul, rapporteur
Mlle Lieber Sophie-Justine, rapporteur public
SPINOSI ; FOUSSARD, avocats


Lecture du vendredi 8 octobre 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le mémoire, enregistré le 9 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Kamel A, demeurant chez Mme Sandra B, ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de la décision du 30 juillet 2009 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision prise par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'asile, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du IV de l'article 1° de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant l'article 2 de la loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 66-1 ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003 ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-9 QPC du 2 juillet 2010 ;

Vu la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 22 juin 2010, Aziz Melki et Sélim, affaires jointes C-188/10 et C-189/10 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Tanneguy Larzul, Conseiller d'Etat,

- les observations de Me Spinosi, avocat de M. A et de Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de M. A et à Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;



Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur lesquelles la Cour nationale du droit d'asile a fondé la décision dont M. A demande au Conseil d'Etat l'annulation, sont applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; que si le Conseil constitutionnel, examinant la conformité à la Constitution de la loi du 10 décembre 2003, a déclaré, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, que cette loi, et notamment son article 1er en tant qu'il a pour effet d'exclure du bénéfice de la protection subsidiaire les auteurs de crimes graves de droit commun, de même que les personnes dont les activités constituent une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique, ou la sûreté de l'Etat, dont sont issues les dispositions contestées de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, était conforme à la Constitution, il n'a cependant pu examiner la constitutionnalité de ces dispositions au regard de l'article 66-1 de la Constitution, introduit postérieurement à sa décision par la loi constitutionnelle du 23 février 2007 et dont la méconnaissance des droits et libertés qu'il garantit est invoquée par le requérant ; que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 712-2, en tant qu'elles excluent les personnes qu'elles désignent du bénéfice de la protection subsidiaire prévue par l'article L. 712-1 du même code, les exposent dès lors à des risques de condamnation à la peine de mort à l'étranger et méconnaissent, de ce fait, le principe selon lequel nul ne peut être condamné à la peine de mort énoncé par l'article 66-1 de la Constitution, dont le Conseil constitutionnel n'a pas fait application à ce jour, soulève une question non dénuée de rapport avec les termes du litige, qui présente un caractère nouveau au sens et pour l'application de l'article de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Considérant qu'il résulte des dispositions du même article 23-5 que le caractère nouveau de la question impose au Conseil d'Etat d'en transmettre l'examen au Conseil constitutionnel ; qu'ainsi les moyens par lesquels il est fait valoir en défense que la question serait par ailleurs dépourvue de sérieux sont sans incidence sur la nécessité du renvoi ;

Considérant, enfin, que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, soutient en défense que devrait être posée à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle de la conformité de l'article 17 de la directive 2000/83 du 29 avril 2004, dont les dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile assurent l'exacte transposition, au droit de l'Union ; qu'il résulte toutefois clairement des dispositions de cette directive, qu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet de conduire les Etats membres à prévoir des cas dans lesquels un demandeur d'asile, auquel la protection subsidiaire serait refusée, devrait être reconduit dans un pays où il pourrait être exposé à la peine de mort ou à des traitements contraires au principe de dignité de la personne humaine ; que par suite, il n'y a, en tout état de cause, pas matière pour le Conseil d'Etat à poser une telle question préjudicielle ;

Considérant qu'il y a lieu dans ces conditions de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;





D E C I D E :
--------------

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de M. A jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Kamel A, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et au Premier ministre.



Voir aussi