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Ariane Web: Conseil d'État 354907, lecture du 11 janvier 2012, ECLI:FR:CEORD:2012:354907.20120111

Décision n° 354907
11 janvier 2012
Conseil d'État

N° 354907
ECLI:FR:CEORD:2012:354907.20120111
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Jacques Arrighi de Casanova, rapporteur
SPINOSI ; FOUSSARD, avocats


Lecture du mercredi 11 janvier 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 15 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour LA CIMADE, dont le siège est 64, rue Clisson à Paris (75013), l'ASSOCIATION ACTION DES CHRÉTIENS POUR l'ABOLITION DE LA TORTURE - France (ACAT - France), dont le siège est 7, rue Georges Lardennois à Paris (75019), l'ASSOCIATION D'ACCUEIL AUX MÉDECINS ET AUX PERSONNELS DE SANTÉ RÉFUGIÉS EN FRANCE (APSR), dont le siège est à l'Hôpital Sainte-Anne pavillon Piera Aulagnier, 1, rue Cabanais à Paris (75014), AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE, dont le siège est 76, boulevard de la Villette à Paris (75019), le COMITÉ MÉDICAL POUR LES EXILÉS (COMEDE), dont le siège est à l'Hôpital de Bicêtre, 78, rue du Général Leclerc BP31 au Kremlin Bicêtre Cedex (94272), l'ASSOCIATION GROUPE ACCUEIL ET SOLIDARITÉ (GAS), dont le siège est 17, place Maurice Thorez à Villejuif (94800), le GROUPE D'INFORMATION ET SOUTIEN DES IMMIGRÉS (GISTI), dont le siège est 3, villa Marcès à Paris (75011), l'ASSOCIATION JESUIT REFUGEE SERVICE FRANCE, dont le siège est 14, rue d'Assas à Paris (75006), la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME (LDH), dont le siège est 138, rue Marcadet à Paris (75018) et le SECOURS CATHOLIQUE, dont le siège est 106, rue du Bac à Paris (75007), représentés par leur président en exercice et regroupés au sein de la coordination française pour le droit d'asile ; les requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la note du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 3 novembre 2011 ;

2°) d'enjoindre au directeur général de l'OFPRA de réexaminer les demandes d'asile qui ont fait l'objet d'un rejet selon le modèle type indiqué par l'instruction en convoquant pour une audition les personnes et de les indemniser de leur préjudice ;

3°) de mettre à la charge de l'OFPRA le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


ils soutiennent qu'ils ont intérêt à agir dès lors qu'ils ont pour mission d'apporter leur soutien aux demandeurs d'asile et de défendre leurs droits ; que la condition d'urgence est remplie eu égard à l'atteinte grave et immédiate aux intérêts qu'ils entendent défendre ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de la note de service contestée ; que celle-ci méconnaît l'obligation qui s'attache à l'étude au fond des demandes d'asile conformément aux dispositions des articles L. 723-1 et L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que les situations considérées ne relèvent pas des cas d'irrecevabilité découlant des dispositions de l'article L. 741-4 de ce code ; que les décisions de rejet prises en application de cette note sont entachées d'insuffisance de motivation en fait et en droit, au regard notamment des dispositions des articles L. 711-1 et L. 712-1 du même code ; qu'il est ainsi porté atteinte au droit d'asile ; qu'en préconisant le rejet de demandes d'asile sans audition préalable des demandeurs, la note contestée méconnaît les dispositions des articles L. 723-3 et R. 723-1-1 ;


Vu la note dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de la note contestée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2012, présenté pour l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que la requête est irrecevable en ce qu'elle est présentée par un groupement d'associations n'ayant pas en lui-même la personnalité juridique lui permettant d'ester en justice ; que, constituant un acte préparatoire ne produisant aucun effet juridique, la note contestée ne peut faire l'objet d'un recours ; qu'aucune atteinte grave et immédiate aux intérêts défendus par les requérants ne peut être établie ; qu'il existe un intérêt public à ne pas suspendre l'exécution de la note de service dont l'objectif est de faire face au phénomène de multiplication des demandes frauduleuses ; qu'aucune cause d'irrecevabilité nouvelle des demandes d'asile ou de refus d'examen n'est instituée par la note litigieuse, celle-ci ne faisant que rappeler l'obligation de coopération qui pèse sur les demandeurs d'asile ; que cette obligation de coopération permettant l'identification indispensable au traitement de la demande d'asile résulte de textes nationaux, communautaires et internationaux ; que le défaut d'audition ne peut être valablement invoqué s'agissant de cas où les éléments fournis à l'appui de la demande sont manifestement infondés ;

Vu les observations, enregistrées le 5 janvier 2012, présentées par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 6 janvier 2012, présenté pour LA CIMADE et autres, qui reprennent les conclusions de leur requête et les mêmes moyens ; ils soutiennent en outre que la note contestée porte atteinte au droit à un recours effectif, lequel est garanti par les articles 13 et 34 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 39 de la directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 et l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, LA CIMADE ainsi que les autres associations requérantes et, d'autre part, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 9 janvier 2012 à 11 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de LA CIMADE et autres ;

- les représentants de LA CIMADE, de l'ASSOCIATION ACTION DES CHRÉTIENS POUR l'ABOLITION DE LA TORTURE - France (ACAT - France), d'AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE, du COMITÉ MÉDICAL POUR LES EXILÉS (COMEDE), du GROUPE D'INFORMATION ET SOUTIEN DES IMMIGRÉS (GISTI) et du SECOURS CATHOLIQUE ;

- Me Foussard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

- les représentants de l'OFPRA ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;


Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ;

Considérant que, par note du 3 novembre 2011, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a donné instruction aux chefs de divisions géographiques de l'Office de statuer sans tarder par la prise d'une décision de rejet reposant impérativement sur une motivation-type fournie en annexe pour toutes les demandes d'asile relevant du cas où un demandeur ne produisant aucun document d'identité ou de voyage est placé en procédure prioritaire, après s'être volontairement soustrait au relevé de ses empreintes digitales, lors de l'examen en préfecture de son admission au séjour au titre de l'asile ; que LA CIMADE et neuf autres associations regroupées au sein d'une Coordination française pour le droit d'asile demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de cette instruction ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par l'OFPRA :

Considérant, d'une part, que les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief ; qu'elles sont, dès lors, susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation et, par suite, d'une demande de suspension ; qu'il résulte des termes mêmes de la note du 3 novembre 2011 qu'elle comporte des dispositions impératives à caractère général et peut en conséquence, contrairement à ce que soutient l'OFPRA, faire l'objet d'une requête présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;


Considérant, d'autre part, qu'il est constant que les statuts respectifs des associations requérantes, qui confèrent à leur président la qualité pour les représenter en justice, leur donnent intérêt à agir contre la note litigieuse ; que la circonstance qu'elles ont déclaré se regrouper au sein d'une coordination , elle-même dépourvue de la personnalité morale, est sans incidence sur la recevabilité de leur requête ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par l'OFPRA doivent être écartées ;

Sur les conclusions à fin de suspension :

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort tant de la procédure écrite que des indications recueillies à l'audience que l'instruction contenue dans la note du 3 novembre 2011 a pour objet, et a eu systématiquement pour effet depuis qu'elle est appliquée, de conduire à des décisions de rejet des demandes d'asile, dans tous les cas, en pratique très nombreux, qu'elle vise ; que, même s'ils saisissent la Cour nationale du droit d'asile, les intéressés perdent alors tout droit à se maintenir sur le territoire, compte tenu des dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et à bénéficier des conditions matérielles d'accueil normalement prévues pour les demandeurs d'asile ; que, contrairement à ce que soutient l'OFPRA, l'intérêt public qui s'attache à la lutte contre la fraude n'est pas susceptible de justifier une atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d'asile concernés ; qu'ainsi, compte tenu des conséquences de la note contestée, il est satisfait à la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

Considérant, en second lieu, que les moyens tirés de ce que la note contestée, d'une part, fait obstacle à l'examen individuel des demandes d'asile qu'impliquent, même lorsque la procédure prioritaire est mise en oeuvre, les dispositions des articles L. 723-1 et L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, méconnaît les dispositions de l'article L. 723-3 du même code en écartant toute possibilité d'audition préalable des demandeurs concernés sont de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de la note du directeur général de l'OFPRA du 3 novembre 2011 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que la suspension ainsi ordonnée implique nécessairement que les services de l'OFPRA cessent d'appliquer la procédure définie par la note du 3 novembre 2011 et examinent les demandes correspondant aux cas qu'elle entendait régir dans les conditions et selon la procédure définies par les dispositions mentionnées plus haut du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette suspension des injonctions demandées par les associations requérantes ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des requérants qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'OFPRA une somme totale de 3 000 euros à verser aux associations requérantes, au titre de ces mêmes dispositions ;


O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la note du directeur général de l'OFPRA du 3 novembre 2011 est suspendue.
Article 2 : L'OFPRA versera à LA CIMADE et autres une somme totale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de LA CIMADE et autres est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de l'OFPRA présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à LA CIMADE, premier requérant dénommé, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Les autres requérants seront informés de la présente décision par Maître Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.