Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 366606, lecture du 29 mai 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:366606.20130529

Décision n° 366606
29 mai 2013
Conseil d'État

N° 366606
ECLI:FR:CESSR:2013:366606.20130529
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
Mme Laurence Marion, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, avocats


Lecture du mercredi 29 mai 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 15 mars 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le ministre de l'intérieur ; le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1300597 du 26 février 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, à la demande de la société Artéis, a suspendu le marché de prestation de maintenance multiservices et multitechniques des centres de rétention administratives n° 2 et n° 3 du Mesnil Amelot ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Artéis ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Marion, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Artéis ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. (...) " ; que, selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué (...) " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Versailles que le ministre de l'intérieur a lancé une procédure d'appel d'offres en vue de l'attribution d'un marché de maintenance multiservices et multitechniques pour les centres de rétention du Mesnil Amelot n° 2 et n° 3 ; que la société Artéis, titulaire des deux lots du précédent marché, a été informée que son offre pour le lot n° 1 n'avait pas été retenue, que l'offre qu'elle avait présentée pour le lot n° 2 avait été déclarée irrégulière et que ces lots avaient été attribués respectivement à la société Gepsa et à la société Ineo ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, saisi par la société Artéis, a, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, annulé l'ensemble de la procédure de passation ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du code des marchés publics, ceux-ci respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que selon l'article 53 du même code : " I. - Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : / 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché (...) 2° Soit, compte tenu de l'objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix. / (...) III. - Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. L'offre la mieux classée est retenue (...) " ; que l'article 55 de ce même code dispose que : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies (...) Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; / 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ; 3° L'originalité de l'offre ; / 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat. (...) " ;

4. Considérant que le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public ; qu'il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre ;

5. Considérant que, pour juger que l'administration avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la qualité respective des offres des deux sociétés concurrentes pour le lot n° 1, du fait du caractère anormalement bas de l'offre de la société Gepsa, attributaire de ce lot, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a relevé que celle-ci avait présenté une offre dont le prix était nettement inférieur à celui que proposait la société Artéis et que les explications fournies n'étaient pas de nature à justifier la différence de prix entre les deux offres ; qu'en se fondant ainsi, pour estimer que l'offre de l'attributaire était anormalement basse, sur le seul écart de prix avec l'offre concurrente, sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché, le juge des référés a commis une erreur de droit ;

6. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le marché litigieux, divisé en deux lots, avait pour objet, pour le lot n° 1, différentes prestations de services, comme l'hygiène et la propreté ou le couchage et le blanchissage, et, pour le lot n° 2, différentes prestations techniques relatives au chauffage, à l'électricité ou à la plomberie faisant appel à divers corps d'états ; que l'article 1er du règlement de la consultation précisait que le dossier de consultation comportait des pièces propres à chaque lot ainsi que des pièces communes aux deux lots, au nombre desquelles, le cahier des clauses techniques particulières " dispositions communes " ; que celui-ci faisait état de prestations de coordination et stipulait notamment, à ce titre, à son article 3.3.1 que " le titulaire du marché s'engage au titre du présent marché à affecter un responsable de site pour l'exécution des prestations objet du présent marché " ; que, par suite, en jugeant que le pouvoir adjudicateur avait prévu trois types de prestations et seulement deux lots, sans indiquer si des prestations de coordination étaient demandées pour chacun des deux lots, et que l'imprécision des documents de la consultation sur ce point avait porté atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats, alors qu'il ressortait clairement des documents produits devant lui, notamment de la définition des deux lots, des indications du règlement de la consultation et des stipulations du cahier des clauses techniques particulières " dispositions communes ", que, pour chacun des deux lots, le titulaire aurait à coordonner les prestataires de services et les prestataires techniques, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, que le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Artéis ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'article 3.3.1 du cahier des clauses techniques particulières " dispositions communes " impose clairement la présence d'un responsable de site à plein temps, chargé d'assurer les fonctions de coordination, pour chacun des deux lots ; que la société Artéis a proposé un chef de site à temps plein commun pour les deux lots ; que ses offres étaient ainsi irrégulières, sans que cette irrégularité ne soit la conséquence d'un manquement du pouvoir adjudicateur ; que, dès lors, elle n'est pas susceptible d'avoir été lésée par les manquements qu'elle invoque ; que ses conclusions tendant à l'annulation de la procédure de passation litigieuse ne peuvent donc qu'être rejetées ;

10. Considérant que les conclusions de la société Artéis tendant à ce que soit mis à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme ne peuvent qu'être rejetées, dès lors que l'Etat n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Artéis la somme de 1 500 euros que la société Gepsa demandait au titre des mêmes dispositions devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles ;






D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 26 février 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Artéis devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles est rejetée, ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Arteis versera à la société Gepsa une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et à la société Artéis.
Copie en sera adressée, pour information, à la société Gepsa.


Voir aussi