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Ariane Web: Conseil d'État 366067, lecture du 5 juillet 2013, ECLI:FR:CESSR:2013:366067.20130705

Décision n° 366067
5 juillet 2013
Conseil d'État

N° 366067
ECLI:FR:CESSR:2013:366067.20130705
Inédit au recueil Lebon
4ème et 5ème sous-sections réunies
M. Bruno Bachini, rapporteur
Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public
FOUSSARD ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, avocats


Lecture du vendredi 5 juillet 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu le mémoire, enregistré le 15 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. B...A..., demeurant..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A...demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de la décision du 15 novembre 2012 de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 145-6 et L. 145-7 du code de la sécurité sociale ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de la sécurité sociale, notamment ses articles L. 145-6 et L. 145-7 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M. A...et à Maître Foussard, avocat du médecin régional du service médical de La Réunion et du médecin-conseil chef de service de l'échelon local de La Réunion ;



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changements de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que le requérant soutient que les dispositions des articles L. 145-6 et L. 145-7 du code de la sécurité sociale, qui fixent la composition respectivement de la section des assurances sociales du conseil régional et de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, sont contraires aux principes d'indépendance et d'impartialité qui s'imposent à cette juridiction en vertu de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles prévoient, parmi les membres de ces juridictions, la présence d'au moins un praticien-conseil sans que le législateur ait institué les garanties appropriées lui permettant de satisfaire aux principes d'indépendance et d'impartialité, alors que cet assesseur, nommé par l'autorité compétente de l'Etat, est un agent de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, établissement public placé sous le contrôle de l'Etat, en position d'activité et soumis à l'autorité hiérarchique de son directeur général, relevant, en outre, de l'organisme exerçant un pouvoir de contrôle sur la caisse intéressée au litige et appartenant au même corps que l'autorité ayant mené l'instruction et éventuellement décidé des poursuites ;

3. Considérant que le principe d'indépendance, qui est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles, impose que toute personne appelée à siéger dans une juridiction se prononce en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit ; que le principe d'impartialité des juridictions s'oppose notamment à ce que soient conférés à une même autorité le pouvoir de poursuivre et celui de juger ;

4. Considérant que si le requérant soutient que les praticiens conseils sont en position de subordination à l'égard de l'Etat, il résulte des dispositions de l'article L. 224-7 du code de la sécurité sociale que ces derniers sont des agents de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés ; que celle-ci est un établissement public administratif placé sous la tutelle de l'Etat, doté de l'autonomie financière en vertu des dispositions de l'article L. 221-2 du même code ; que, l'autonomie des organismes de sécurité sociale revêtant le caractère d'un principe fondamental déterminé par la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution, elle n'est soumise à cette tutelle de l'Etat que dans les limites et les cas prévus par la loi ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 123-2-1 du code de la sécurité sociale, les praticiens-conseils relèvent de conventions collectives spéciales et n'ont ni la qualité de fonctionnaire ni celle d'agent public ; qu'en ne fixant pas la durée des mandats des assesseurs praticiens-conseils, le législateur a entendu qu'il ne puisse y être mis fin par voie d'autorité et priver l'autorité de nomination dans la fonction d'assesseur de toute influence sur l'exercice par ces derniers de leurs fonctions juridictionnelles ; qu'il résulte des dispositions législatives ainsi rappelées que les praticiens-conseils nommés assesseurs ne se trouvent pas dans une situation de subordination hiérarchique à l'égard de l'Etat ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la loi n'aurait pas instauré les garanties rendues nécessaires par une telle subordination ne revêt pas un caractère sérieux ;

5. Considérant que, s'agissant de la position des assesseurs praticiens-conseils à l'égard des caisses de sécurité sociale, ces chirurgiens-dentistes appartiennent à un corps autonome, comparable à un corps d'inspection, de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, dont le législateur a, en vertu de l'article L. 123-2-1 du code de la sécurité sociale, prévu que les conditions de nomination et d'avancement des membres devaient résulter de conventions collectives spéciales, de nature à concourir à leur indépendance à l'égard des caisses ; que la circonstance que les assesseurs appartiennent au même corps que les praticiens-conseils qui, au sein des services de contrôle médical, engagent les poursuites devant les sections des assurances sociales n'a pas pour effet, par elle-même, de porter atteinte aux exigences d'indépendance et d'impartialité attachées à leurs fonctions juridictionnelles ; que les dispositions législatives contestées ne permettent pas qu'un praticien-conseil ayant participé au contrôle, engagé des poursuites, ou se trouvant placé sous l'autorité hiérarchique de l'auteur de la plainte, siège au sein de la juridiction appelée à juger le praticien poursuivi ; que les praticiens-conseils sont tenus au respect du code de déontologie, prévu par les dispositions de l'article L. 4127-1 du code de la santé publique, en vertu duquel il ne peuvent aliéner leur indépendance professionnelle de quelque façon ou sous quelque forme que ce soit ; qu'ainsi, l'ensemble des dispositions applicables attachées aux fonctions des assesseurs praticiens garantit qu'ils sont à même d'exercer leur activité juridictionnelle de façon indépendante et impartiale ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles L. 145-6 et L. 145-7 du code de la sécurité sociale portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au médecin conseil chef du service de l'échelon local de la Réunion, à la direction régionale du service médical de la Réunion et au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.