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Ariane Web: Conseil d'État 358103, lecture du 1 août 2013, ECLI:FR:CECHR:2013:358103.20130801

Décision n° 358103
1 août 2013
Conseil d'État

N° 358103
ECLI:FR:Code Inconnu:2013:358103.20130801
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème SSR
M. Guillaume Odinet, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, avocats


Lecture du jeudi 1 août 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu, 1°, sous le n° 358103, la requête, enregistrée le 29 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM), dont le siège est 21, chemin de Pau à Montardon (64121), représentée par son président, et par la Fédération nationale de la production de maïs et de sorgho, dont le siège est 21, chemin de Pau à Montardon (64121), représentée par son président ; l'AGPM et autre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire en date du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu, 2°, sous le n° 358615, la requête, enregistrée le 17 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'EARL de Commenian, dont le siège est au Commenian à Lavernose (31410), représentée par son gérant, et pour l'EARL de Candelon, dont le siège est Villa de Candelon à Auvillar (82340), représentée par son gérant ; l'EARL de Commenian et autre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire en date du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


....................................................................................

Vu, 3°, sous le n° 359078, la requête et le mémoire, enregistrés les 2 mai et 7 septembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Union française des semenciers (UFS), dont le siège est 17, rue du Louvre à Paris (75001), représentée par son président ; l'UFS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire en date du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juillet 2013, présentée par l'Union nationale de l'apiculture française ;

Vu la note en délibérée enregistrée, le 12 juillet 2013, présentée par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la directive 90/220/CEE du 23 avril 1990 ;

Vu le règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002 ;

Vu le règlement (CE) n° 1829/2003 du 22 septembre 2003 ;

Vu le règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 ;

Vu la décision de la Commission n° 98/294/CE du 22 avril 1998 ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Odinet, Auditeur,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de l'Earl de Commenian et de l'Earl de Candelon et à la SCP Monod, Colin, avocat de l'Union française des semenciers et à Me Foussard, avocat de l'Assocation les amis de la terre et autres ;



1. Considérant que les requêtes présentées sous les numéros 358103, 358615 et 359078 sont dirigées contre le même arrêté ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le maïs MON 810 est une variété de maïs génétiquement modifiée en vue de lui donner une plus grande résistance aux insectes ravageurs de cette plante ; que sa mise sur le marché a été autorisée le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur le fondement des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, alors en vigueur ; que, le 12 juillet 2004, cet organisme génétiquement modifié (OGM) a été notifié en tant que produit existant dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés ; que l'association générale des producteurs de maïs et autres demandent l'annulation de l'arrêté du 16 mars 2012 par lequel le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire a interdit la mise en culture des variétés de semences de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON 810 jusqu'à l'adoption de mesures communautaires ;

Sur la compétence du Conseil d'Etat :

3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : / (...) / 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres (...) " ;

4. Considérant que l'arrêté attaqué, qui interdit à toute personne de mettre en culture les variétés de semences de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON 810, présente un caractère réglementaire ; que, par suite, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort de recours pour excès de pouvoir dirigés contre cet acte ;

Sur les interventions, dans l'affaire n° 358103, de l'association Greenpeace France et de l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et, dans l'affaire n° 358615, de l'UNAF, de l'association Les amis de la Terre France, de l'association La confédération paysanne, de la fédération française d'apiculteurs professionnels, de la fédération nationale d'agriculture biologique, de l'association France nature environnement (FNE), de l'association Nature et progrès et de l'association Réseau semences paysannes :

5. Considérant que ces associations ont intérêt au maintien de la décision attaquée ; qu'ainsi leurs interventions sont recevables ;

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

6. Considérant que les aliments génétiquement modifiés pour animaux qui ont été légalement mis sur le marché avant la date de publication du règlement (CE) n° 1829/2003 sont soumis aux dispositions de ce règlement et notamment, aux termes du paragraphe 5 de son article 20, " de ses articles 21, 22 et 34, qui s'appliquent mutatis mutandis " ; qu'aux termes de l'article 34 de ce règlement : " Lorsqu'un produit autorisé par le présent règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ou si, au regard d'un avis de l'Autorité délivré conformément aux articles 10 et 22, il apparaît nécessaire de suspendre ou de modifier d'urgence une autorisation, des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002. " ; qu'aux termes de l'article 53 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires : " la Commission (...) arrête sans délai, de sa propre initiative ou à la demande d'un Etat membre, en fonction de la gravité de la situation, une ou plusieurs des mesures suivantes : / a) pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux d'origine communautaire : (...) / ii) suspension de la mise sur le marché ou de l'utilisation des aliments pour animaux en question ; / iii) fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question ; iv) toute autre mesure conservatoire appropriée ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 54 du même règlement : " 1. Lorsqu'un Etat membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d'urgence et que la Commission n'a pris aucune mesure conformément à l'article 53, cet Etat membre peut prendre des mesures conservatoires. Dans ce cas, il en informe immédiatement les autres Etats membres et la Commission. (...) / 3. L'Etat membre peut maintenir les mesures conservatoires qu'il a prises au niveau national jusqu'à l'adoption des mesures communautaires. " ;

En ce qui concerne le moyen de défense tiré de ce que le ministre aurait été placé en situation de compétence liée pour interdire la mise en culture du maïs MON 810 sur le fondement du règlement (CE) n° 1107/2009 :

7. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF), le maïs génétiquement modifié MON 810, qui est soumis au règlement (CE) n° 1829/2003 qui régit les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, n'est pas soumis au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil ; que par suite, le moyen tiré de ce que le ministre aurait été en situation de compétence liée pour interdire la mise en culture du maïs MON 810, quelle que soit l'appréciation sur la légalité de l'acte attaqué au regard des dispositions citées ci-dessus de l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 qu'il vise, au motif que la toxine produite par ce maïs n'avait pas été autorisée sur le fondement du règlement (CE) n° 1107/2009, ne peut qu'être écarté ;


En ce qui concerne la légalité de la mesure d'interdiction de mise en culture du maïs MON 810 :

8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 22 du règlement (CE) n° 1829/2003, intitulé " Modification, suspension et révocation des autorisations " : " 1. De sa propre initiative ou à la demande d'un État membre ou de la Commission, l'Autorité émet un avis sur la question de savoir si une autorisation délivrée pour un produit (...) est toujours conforme aux conditions du présent règlement. (...) / 2. La Commission examine l'avis de l'Autorité dans les plus brefs délais. Toute mesure appropriée est prise conformément à l'article 34. Le cas échéant, l'autorisation est modifiée, suspendue ou révoquée (...) " ;

9. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'avis du 8 décembre 2011 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), que, si une pratique suffisamment intensive de la culture de maïs génétiquement modifié Bt 11, similaire au maïs MON 810, est susceptible de donner lieu au développement d'une résistance chez les insectes cibles, l'utilisation de zones-refuges de maïs non génétiquement modifié, dont il ressort des pièces du dossier qu'elle était prévue dès la demande d'autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810 présentée à la Commission, permet de retarder ce risque ; qu'il en ressort également que, si l'exposition, pendant plusieurs années consécutives, d'hypothétiques espèces de lépidoptères extrêmement sensibles à des niveaux élevés de pollen de maïs Bt 11 est susceptible de réduire les populations de ces espèces dans les régions où la culture de ce maïs est pratiquée de façon suffisamment intense, un tel risque peut être réduit à un niveau d'absence de préoccupation par l'adoption de mesures de gestion dans les régions où les populations de lépidoptères concernées pourraient être présentes et sujettes à une exposition suffisante ; que cet avis conclut que, lorsque des mesures de gestion du risque appropriées sont mises en place, le maïs génétiquement modifié MON 810 n'est pas susceptible de soulever davantage de préoccupations pour l'environnement que le maïs conventionnel ;

10. Considérant qu'en estimant qu'il apparaissait nécessaire, au regard de l'avis du 8 décembre 2011 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), dont il ne résulte pas que le maïs MON 810 présenterait un risque important pour l'environnement, qui ne fait état d'aucune urgence et qui n'adresse aucune recommandation à la Commission, de suspendre ou de modifier d'urgence l'autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

11. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'arrêt Monsanto SAS et autres de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 septembre 2011, C-58/10 à C-68/10, que la première hypothèse mentionnée par l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 impose aux Etats membres de démontrer, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ; qu'un tel risque doit être constaté sur la base d'éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables ;

12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que tant l'avis de l'AESA du 30 juin 2009 relatif à la demande de renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810 que l'avis du 22 décembre 2009 du comité scientifique du Haut conseil des biotechnologies sur les réponses de l'AESA aux questions posées par les Etats membres au sujet du maïs MON 810 et l'avis de ce comité du 21 octobre 2011 sur le rapport de surveillance de culture du MON 810 en 2010 ont conclu à l'absence de risque important pour l'environnement ; que, si une étude publiée le 15 février 2012 par des chercheurs de l'institut fédéral suisse de technologie de Zurich constate une augmentation de la mortalité de larves de coccinelles nourries constamment en laboratoire avec la toxine Bt, cette étude relève que ses résultats n'ont pas été retrouvés dans des études en plein champ et ne conclut pas à l'existence d'un risque mais uniquement à la nécessité de mener des études complémentaires ;

13. Considérant, par ailleurs, que la seule circonstance que la Commission européenne n'ait, à la suite de l'avis émis par l'AESA le 8 décembre 2011, pas imposé la mise en oeuvre de mesures de gestion telles que celles préconisées par cet avis n'est pas, par elle-même, de nature à établir l'existence d'une situation d'urgence et d'un risque important mettant en péril de façon manifeste l'environnement, dès lors, d'une part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les risques potentiels identifiés par l'AESA présenteraient un caractère de gravité, d'autre part, qu'il n'est ni établi, ni même allégué que de telles mesures de gestion auraient été rendues nécessaires en raison de la réalisation des hypothèses envisagées par l'AESA ;

14. Considérant, enfin, que la circonstance que le maïs génétiquement modifié MON 810 ait été autorisé en 1998 sur le fondement de la directive 90/220/CEE dont les exigences en matière d'évaluation du risque seraient plus faibles que celles mises en place par la directive 2001/18/CE qui l'a remplacée n'est pas, par elle-même, de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence et d'un risque important mettant en péril de façon manifeste l'environnement ; que ne le sont pas davantage, ni la circonstance que le Conseil de l'Union européenne ait déclaré en 2008 que les procédures d'évaluation du risque environnemental lié aux OGM devaient être renforcées, ni la circonstance que l'AESA ait publié de nouvelles lignes directrices postérieurement à l'avis qu'elle avait émis sur le renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810 ; que la circonstance, à la supposer établie, que la culture du maïs MON 810 soit susceptible d'entraîner la présence de traces de pollen de ce maïs dans le miel commercialisé, qui imposerait à celui-ci d'obtenir une autorisation de mise sur le marché dont il ne dispose pas encore, d'où des conséquences économiques importantes pour la filière apicole, n'est pas au nombre des motifs permettant d'adopter une mesure d'urgence sur le fondement de l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 ;

15. Considérant, dès lors, qu'en estimant, au vu de ces éléments, qu'était caractérisé, outre une situation d'urgence, un risque important mettant en péril de façon manifeste l'environnement, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation ;


En ce qui concerne les moyens en défense mettant en cause la validité des conditions posées par l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 :

16. Considérant, toutefois, qu'il est soutenu en défense que les conditions auxquelles l'article 34 du règlement (CE) n°1829/2003 subordonne la possibilité pour les autorités d'un Etat membre de prendre une mesure d'urgence, tenant à ce que le produit soit susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement, devraient être écartées comme méconnaissant, d'une part, l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, d'autre part, l'article 5 de la Charte de l'environnement ;

17. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du 2 de l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur. / Dans ce contexte, les mesures d'harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l'environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l'Union. " ;

18. Considérant qu'en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment ses arrêts National Farmers' Union et autres du 5 mai 1998, C-157/96, Royaume-Uni c. Commission du 5 mai 1998, C-180/96 et Commission c. France du 28 janvier 2010, C-333/08, il découle du principe de précaution consacré par ces dispositions que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées ; qu'une application correcte de ce principe présuppose l'identification des conséquences potentiellement négatives d'un produit et une évaluation complète du risque fondée sur les données scientifiques les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale ; que, lorsqu'il s'avère impossible de déterminer avec certitude l'existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d'un dommage réel persiste dans l'hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l'adoption de mesures restrictives ;

19. Considérant, d'une part, que la dissémination volontaire et la mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810 ont été soumises à autorisation sur le fondement de la directive 90/220/CEE, alors en vigueur ; que, ce produit ayant été notifié en tant que produit existant dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003, il est soumis à l'article 34 de ce règlement, qui fixe les mesures de sauvegarde susceptibles d'être adoptées à l'égard des produits autorisés ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment les arrêts Monsanto agricoltura Italia SpA du 9 septembre 2003, C-236/2001, et Gowan Comercio Internacional e Serviços Lda du 22 décembre 2010, C-77/09, que tant l'instauration d'un régime d'autorisation de produits susceptibles de présenter un risque pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement que l'instauration d'une clause de sauvegarde permettant d'adopter des mesures d'urgence relatives à ces produits, telle que celle de l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003, constituent des expressions particulières du principe de précaution ;

20. Considérant, d'autre part, que contrairement à ce que soutient l'association Greenpeace France, l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003, tel qu'interprété la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt Monsanto SAS et autres du 8 septembre 2011, C-58/10 à C-68/10, n'impose pas aux autorités compétentes pour adopter des mesures d'urgence d'apporter la preuve scientifique de la certitude du risque, mais de se fonder sur une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d'espèce ; qu'une telle interdiction d'adopter des mesures de protection relatives à un produit autorisé en se fondant sur une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées résulte de l'interprétation même du principe de précaution donnée par la Cour de justice ;

21. Considérant, dès lors, qu'il résulte clairement des dispositions litigieuses que les conditions fixées par l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 ne méconnaissent pas le principe de précaution énoncé par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

22. Considérant, en second lieu, qu'en vertu des dispositions de l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne citées au point 17, la politique de l'Union dans le domaine de l'environnement est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 18 qu'eu égard à sa nature et sa portée, ce principe, tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, garantit l'effectivité du respect du principe de précaution énoncé à l'article 5 de la Charte de l'environnement ; que dès lors, il résulte, en tout état de cause, de ce qui a été dit aux points 19 à 21 que l'auteur de l'arrêté attaqué a pu se fonder sur l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 sans méconnaître le principe constitutionnel de précaution ;

23. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, l'association générale des producteurs de maïs et autres sont fondées à demander l'annulation de l'arrêté qu'elles attaquent ;


Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

24. Considérant que ces dispositions font, en tout état de cause, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Association générale des producteurs de maïs et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, d'une part, la somme de 1 500 euros chacune à verser à l'Association générale des producteurs de maïs, à la Fédération nationale de la production de maïs et de sorgho, à l'EARL de Commenian et à l'EARL de Candelon au titre de ces dispositions, d'autre part la somme de 3 000 euros à verser à l'Union française des semenciers au titre de ces dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1 : Les interventions de l'association Greenpeace France et de l'Union nationale de l'apiculture française dans l'affaire n° 358103 et de l'Union nationale de l'apiculture française et de l'association Les amis de la Terre France, l'association La confédération paysanne, la fédération française d'apiculteurs professionnels, la fédération nationale d'agriculture biologique, l'association France nature environnement (FNE), l'association Nature et progrès et l'association Réseau semences paysannes dans l'affaire n° 358615 sont admises.
Article 2 : L'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire en date du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) est annulé.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros chacune à l'Association générale des producteurs de maïs, à la Fédération nationale de la production de maïs et de sorgho, à l'EARL de Commenian et à l'EARL de Candelon et la somme de 3 000 euros à l'Union française des semenciers au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'Union nationale de l'apiculture française et par l'association Les amis de la Terre France, l'association La confédération paysanne, la fédération française d'apiculteurs professionnels, la fédération nationale d'agriculture biologique, l'association France nature environnement (FNE), l'association Nature et progrès et l'association Réseau semences paysannes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association générale des producteurs de maïs, à la fédération nationale des producteurs de semences de maïs et de sorgho, à l'EARL de Commenian, à l'Union française des semenciers, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, à l'association Greenpeace France, à l'Union nationale de l'apiculture française et à l'association Les amis de la Terre France. L'EARL de Candelon sera informée de la présente décision par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui la représente devant le Conseil d'Etat. L'association La confédération paysanne, la fédération française d'apiculteurs professionnels, la fédération nationale d'agriculture biologique, l'association France nature environnement (FNE), l'association Nature et progrès et l'association Réseau semences paysannes seront informées de la présente décision par Me Foussard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


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