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Ariane Web: Conseil d'État 375071, lecture du 5 février 2014, ECLI:FR:CEORD:2014:375071.20140205

Décision n° 375071
5 février 2014
Conseil d'État

N° 375071
ECLI:FR:CEORD:2014:375071.20140205
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 5 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°, sous le n° 375071, la requête, enregistrée le 31 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association Humanité et Biodiversité, dont le siège est 110, boulevard Saint-Germain, à Paris (75006), représentée par son président en exercice ; l'association requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie du 20 janvier 2014 relatif à la chasse de l'oie cendrée, de l'oie rieuse et de l'oie des moissons au cours du mois de février 2014 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté contesté prolonge la période de chasse à l'oie cendrée, l'oie rieuse et l'oie des moissons au cours du mois de février 2014, créant ainsi un préjudice irréparable ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté, qui méconnaît les dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, viole la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 et ne respecte pas les périodes de migration prénuptiale et de reproduction des oies ;

Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cet arrêté ;


Vu 2°, sous le numéro 375073, la requête, enregistrée le 31 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association France nature environnement, dont le siège est 10, rue Barbier au Mans (72000), représentée par sa présidente ; l'association requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du même arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la prolongation de la période de la chasse au 10 février 2014 va entraîner la destruction irréversible de nombreux oiseaux migrateurs pendant la période de migration prénuptiale ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté, pour les mêmes motifs que ceux exposés par la requête n° 375071 ;
Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cet arrêté ;


elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la prolongation de la période de la chasse au 10 février 2014 va entraîner la destruction irréversible de nombreux oiseaux migrateurs pendant la période de migration prénuptiale ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté, pour les mêmes motifs que ceux exposés par la requête n° 375071 ;
Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cet arrêté ;


Vu 3°, sous le numéro 375075, la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 31 janvier et 3 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), dont le siège est 2, rue Henri Bergson, à Strasbourg (67087), représentée par sa présidente ; l'association requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du même arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la prolongation de la période de la chasse au 10 février 2014 va entraîner la destruction irréversible de nombreux oiseaux migrateurs pendant la période de migration prénuptiale ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté pour les mêmes motifs que ceux exposés par la requête n° 375071, l'arrêté méconnaissant en outre le principe de participation du public mis en oeuvre par l'article 3 de la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 et par le décret n° 2013-1303 du 27 décembre 2013 ;
Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cet arrêté ;


Vu 4°, sous le numéro 375079, la requête, enregistrée le 31 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), dont le siège est 8-10, rue du docteur Pujos, BP 90263, à Rochefort cedex (17305), représentée par son président ; la LPO demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du même arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la prolongation de la période de la chasse au 10 février 2014 va entraîner la destruction irréversible de nombreux oiseaux migrateurs pendant la période de migration prénuptiale ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté, pour les mêmes motifs que ceux exposés par la requête n° 375071 ;

Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cet arrêté ;


Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 février 2014, présenté par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui conclut au rejet des requêtes ; il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et que la condition d'urgence n'est pas remplie ;

Vu l'intervention, enregistrée le 5 février 2014, présentée pour la Fédération nationale des chasseurs, dont le siège est 48, rue d'Alésia à Paris (75014), qui demande au juge des référés du Conseil d'Etat de rejeter les requêtes et soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et que la condition d'urgence n'est pas remplie ;
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Humanité et Biodiversité, l'association France nature environnement, l'Association pour la protection des animaux sauvages et la Ligue pour la protection des oiseaux, d'autre part, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ainsi que la Fédération nationale des chasseurs ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 5 février 2014 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Association pour la protection des animaux sauvages ;

- le représentant de l'association Humanité et Biodiversité ;

- la représentante de l'association France nature environnement ;
- les représentants du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ;

- Me Farge, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération nationale des chasseurs ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus tendent à la suspension de l'exécution du même arrêté ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;

Sur l'intervention en défense de la Fédération nationale des chasseurs :

2. Considérant qu'eu égard à son caractère accessoire par rapport au litige principal, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable au titre d'une procédure de suspension qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale ; qu'en l'espèce, la Fédération nationale des chasseurs n'est, à la date de la présente ordonnance, pas intervenue en défense contre les requêtes à fin d'annulation présentées par les associations requérantes ; qu'ainsi son intervention est irrecevable ;

Sur les conclusions à fins de suspension :

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; que selon le deuxième alinéa de l'article R. 522-13 du même code, le juge des référés peut décider que sa décision sera exécutoire aussitôt qu'elle aura été rendue ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 424-2 du code de l'environnement : " Nul ne peut chasser en dehors des périodes d'ouverture de la chasse fixées par l'autorité administrative selon des conditions déterminées par décret en Conseil d'État. / Les oiseaux ne peuvent être chassés ni pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance. Les oiseaux migrateurs ne peuvent en outre être chassés pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification (...) " ; qu'il appartient au ministre chargé de la chasse, compétent en vertu de l'article R. 424-9 du même code pour fixer les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d'eau, de se conformer à l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée des dispositions de l'article 7, § 4 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dont l'article L. 424-2 assure la transposition ; qu'il en résulte que la protection prévue pour ces espèces, tant pour la période nidicole et les différents stades de reproduction et de dépendance que pour le trajet de retour des espèces migratrices vers leur lieu de nidification, doit être une protection complète, excluant des risques de confusion entre espèces différentes, et que la fixation de dates échelonnées en fonction des espèces ou en fonction des différentes parties du territoire n'est légalement possible que s'il peut être établi, au regard des données scientifiques et techniques disponibles, que cet échelonnement est compatible avec l'objectif de protection complète ; qu'à cet égard, la Cour de justice a notamment précisé que les méthodes de détermination des dates de la chasse aux oiseaux qui visent ou aboutissent à ce qu'un pourcentage donné des oiseaux d'une espèce échappent à cette protection ne sont pas conformes à la directive ;

5. Considérant que, par une décision du 23 décembre 2011, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé le refus du ministre chargé de la chasse d'abroger l'arrêté du 19 janvier 2009 relatif aux dates de fermeture de la chasse des oiseaux de passage et au gibier d'eau en tant qu'il fixait au 10 février la date de fermeture de la chasse aux oies cendrées, rieuses et des moissons et a enjoint à ce ministre de fixer, en ce qui concerne ces oiseaux, une date de clôture de la chasse qui ne soit pas postérieure au 31 janvier ; que l'arrêté du 19 janvier 2009 a été modifié en ce sens par l'arrêté du 12 janvier 2012 ; que, toutefois, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a, par l'arrêté contesté du 30 janvier 2014, dérogé aux dispositions de l'arrêté du 19 janvier 2009 pour la saison 2013-2014 et fixé au 10 février 2014 la date de fermeture de la chasse de l'oie cendrée, de l'oie des moissons et de l'oie rieuse ;

6. Considérant qu'eu égard à l'objet de l'arrêté dont la suspension est demandée et à la date qu'il fixe, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ; qu'au vu, d'une part, des éléments mis en avant par l'administration, reposant essentiellement sur des études en cours, pour justifier la remise en cause des règles fixées en 2012 conformément à la décision du Conseil d'Etat et, d'autre part, des données scientifiques invoquées par les associations requérantes pour soutenir que ces règles doivent être maintenues, le moyen tiré de ce que la modification de la date de la clôture de la chasse aux oies cendrées, rieuses et des moissons méconnaît l'objectif de protection complète résultant de la directive du 30 novembre 2009 est de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté du 30 janvier 2014 ; que dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de cet arrêté ;


Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'Association pour la protection des animaux sauvages de la somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions ; que si les autres associations requérantes n'ont pas eu recours au ministère d'un avocat, elles ont néanmoins exposé des frais pour les besoins de la présente procédure ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacune d'entre elles de la somme de 500 euros au titre des mêmes dispositions ;


O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des chasseurs n'est pas admise.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie du 30 janvier 2014 relatif à la chasse de l'oie cendrée, de l'oie rieuse et de l'oie des moissons au cours du mois de février 2014 est suspendue.
Article 3 : En application de l'article R. 522-13 du code de justice administrative, la présente ordonnance est immédiatement exécutoire.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à l'Association pour la protection des animaux sauvages et la somme de 500 euros, respectivement à l'association Humanité et Biodiversité, à l'association France nature environnement et à la Ligue pour la protection des oiseaux, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Humanité et Biodiversité, à l'association France Nature Environnement, à l'Association pour la protection des animaux sauvages, à la Ligue pour la protection des oiseaux, au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et à la Fédération nationale des chasseurs.