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Ariane Web: Conseil d'État 375767, lecture du 27 février 2014, ECLI:FR:CEORD:2014:375767.20140227

Décision n° 375767
27 février 2014
Conseil d'État

N° 375767
ECLI:FR:CEORD:2014:375767.20140227
Inédit au recueil Lebon



Lecture du jeudi 27 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 25 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Brenntag SA, dont le siège social est situé 90, avenue du Progrès à Chassieu (69680), la société Brenntag France Holding SAS, dont le siège social est situé 90, avenue du Progrès à Chassieu (69680), la société Brachem France Holding SAS, dont le siège social est situé 90, avenue du Progrès à Chassieu (69680), la société Brenntag Foreign Holding GmbH, dont le siège social est situé Stinnes Platz 1 à Mülheim (45472), en Allemagne, la société Brenntag Beteiligung GmbH, dont le siège social est situé Stinnes Platz 1 à Mülheim (45472), en Allemagne, la société Brenntag Holding GmbH, dont le siège social est situé Stinnes Platz 1 à Mülheim (45472), en Allemagne ; les sociétés requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1401423/9 du 13 février 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande tendant, d'une part, à ce qu'il soit enjoint au président de l'Autorité de la concurrence et aux agents de cette autorité de s'abstenir de prendre des positions publiques et de divulguer des informations au sujet des sociétés Brenntag et de la sanction que l'Autorité de la concurrence a infligée à la société Brenntag SA, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'Autorité de la concurrence d'apposer la mention " recours pendant devant la cour d'appel de Paris ", dans son communiqué de presse du 29 mai 2013, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

2°) de faire droit à leur demande de première instance ;

3°) d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence et, plus généralement, à l'ensemble de ses agents, d'indiquer en toutes circonstances que la sanction du 28 mai 2013 est frappée d'un recours devant la cour d'appel de Paris ;

4°) d'enjoindre à l'éditeur du site Internet et à son directeur de publication qui a diffusé un diaporama les concernant de le supprimer sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que les sociétés requérantes souffrent de ces attaques médiatiques qui portent atteinte à la présomption d'innocence ;
- l'ordonnance attaquée a dénaturé les faits ;
- l'ordonnance est entachée d'un défaut de motivation ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis des erreurs de droit et a fait une application erronée des règles applicables ;
- la communication de l'Autorité de la concurrence sur leur lourde condamnation méconnaît le droit à la présomption d'innocence et à un procès équitable et porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire distinct, enregistré le 25 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par la société Brenntag SA, la société Brenntag France Holding SAS, la société Brachem France Holding SAS, la société Brenntag Foreign Holding GmbH, la société Brenntag Beteiligung GmbH et la société Brenntag Holding GmbH, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; les sociétés requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 464-8 du code de commerce en tant qu'il est entaché d'incompétence négative au regard des dispositions combinées de l'article 34 de la Constitution et des articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son préambule, son article 34 et son article 61- 1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu le code de justice administrative ;


1. Considérant que, par une décision du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la commercialisation des commodités chimiques, l'Autorité de la concurrence a infligé à la société Brenntag SA une sanction pécuniaire à raison d'une entente anticoncurrentielle ; que la société a introduit contre cette décision de sanction un recours devant la cour d'appel de Paris, compétente pour en connaître ; qu'elle a en outre saisi, conjointement avec d'autres sociétés appartenant au groupe dont elle fait partie, le juge des référés du tribunal administratif de Paris d'une requête, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il soit enjoint au président et aux agents de l'Autorité de la concurrence de s'abstenir de faire publiquement état de la sanction qui lui a été infligée ; que la société Brenntag SA et les autres sociétés requérantes de première instance font appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant que l'article L. 464-8 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2008 ratifiée par la loi du 12 mai 2009, est relatif aux recours qui peuvent être introduits devant la cour d'appel de Paris contre les sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence et aux pourvois en cassation susceptibles d'être introduits à l'encontre des arrêts de la cour d'appel ; que, même s'il leur est reproché de ne pas comporter en outre des prescriptions relatives au comportement du président et des agents de l'Autorité de la concurrence, ces dispositions ne sont pas applicables au litige, relatif aux agissements de ces derniers, introduit par les sociétés requérantes ; qu'il n'y a, dès lors, pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée à leur sujet ;
Sur l'appel :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ; qu'en vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée ; qu'à cet égard, il appartient au juge d'appel de prendre en considération les éléments recueillis par le juge du premier degré dans le cadre de la procédure écrite et orale qu'il a diligentée ;

5. Considérant qu'ainsi que l'a jugé à bon droit le juge des référés du tribunal administratif de Paris, et pour les motifs qu'il a retenus, il ne ressort d'aucun des documents produits que les propos tenus ou les publications assurées par le président ou les agents de l'Autorité de la concurrence, à la suite de la sanction prononcée à l'encontre de la société Brenntag SA, à laquelle il est loisible de faire connaître qu'elle conteste cette sanction et qu'elle l'a déférée devant la cour d'appel de Paris, constitueraient une méconnaissance grave et manifestement illégale de la présomption d'innocence ou porteraient une atteinte grave et manifestement illégale à une autre liberté fondamentale ; qu'il est ainsi manifeste que l'appel des sociétés requérantes ne peut être accueilli ; que la requête, y compris ses conclusions à fin d'injonction et à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit dès lors être rejetée selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 de ce code ;


O R D O N N E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Brenntag SA et autres.
Article 2 : La requête de la société Brenntag SA et autres est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Brenntag SA, à la société Brenntag France Holding SAS, à la société Brachem France Holding SAS, à la société Brenntag Foreign Holding GmbH, à la société Brenntag Beteiligung GmbH et à la société Brenntag Holding GmbH.
Copie en sera transmise pour information au Conseil constitutionnel, au ministre du redressement productif et à l'Autorité de la concurrence.