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Ariane Web: Conseil d'État 356871, lecture du 12 décembre 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:356871.20141212

Décision n° 356871
12 décembre 2014
Conseil d'État

N° 356871
ECLI:FR:CESSR:2014:356871.20141212
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème / 10ème SSR
Mme Séverine Larere, rapporteur
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, avocats


Lecture du vendredi 12 décembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 février et 16 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Euro-Car SPRL, dont le siège est rue du Grand Courant n° 6, Section Cuesme à Mons (7033), Belgique ; la société Euro-Car SPRL demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07NT00734 de la cour administrative d'appel de Nantes du 15 décembre 2011 en tant qu'après avoir prononcé un non lieu à statuer sur les conclusions de sa requête, à concurrence de la somme de 14 063 euros, en ce qui concerne les cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice 1997, il a rejeté le surplus de ses conclusions dirigées contre le jugement n°03136 du tribunal administratif de Nantes du 29 septembre 2006 rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 1996 à 1999 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention conclue entre la France et la Belgique en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus, signée le 10 mars 1964, modifiée par les avenants des 15 février 1971 et 8 février 1999 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Euro-Car SPRL ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de droit belge Euro-Car SPRL, qui exerçait une activité de négoce de véhicules automobiles et disposait en France d'un établissement déclaré le 30 octobre 1997, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration, après avoir procédé, en l'absence de toute comptabilité de cet établissement, à la reconstitution de son bénéfice imposable, l'a assujettie à des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, assorties de pénalités, au titre des exercices clos de 1996 à 2000 ; que, par un jugement du 29 septembre 2006, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de la société tendant à la décharge de ces impositions et pénalités ; que, par un arrêt du 24 juin 2009, la cour administrative d'appel de Nantes a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de sa requête d'appel dirigées contre les cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles la société a été assujettie au titre de l'année 1996 et a sursis à statuer sur le surplus de ses conclusions ; que, par l'arrêt attaqué du 15 décembre 2011, la même cour a prononcé un nouveau non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 14 063 euros en ce qui concerne les impositions et pénalités mises à la charge de la société au titre de l'exercice clos en 1997 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête ; que la société se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il lui est défavorable ;

Sur le non-lieu à statuer :

2. Considérant que le ministre soutient que, par un jugement du 3 avril 2013, postérieur à l'introduction du pourvoi, le tribunal de commerce de Saint-Nazaire a prononcé la clôture, pour insuffisance d'actif, de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la société Euro-Car par un jugement du même tribunal du 1er juin 2005 et que la mention de cette liquidation a été transcrite au registre du commerce et des sociétés le 2 mai 2013, ce qui a entraîné la radiation de la société, la perte de sa personnalité morale ainsi que la fin du mandat de ses différents mandataires ; qu'il en déduit que, faute pour l'affaire d'être en état d'être jugée à la date de la notification au Conseil d'Etat de ce jugement de clôture, il n'y a pas lieu, en l'état, de statuer sur le pourvoi ;

3. Considérant, toutefois, que les dispositions de l'article L. 237-2 du code du commerce aux termes desquelles " la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la clôture de celle-ci " ne font, en tout état de cause, pas obstacle à ce que, même après la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif par l'effet d'un jugement de liquidation judiciaire, une société demande la désignation par le tribunal de commerce d'un mandataire ad hoc à l'effet de la représenter pour engager ou poursuivre en son nom des actions devant les juridictions ; que, par un mémoire de reprise d'instance, enregistré le 14 février 2014, la société Euro-Car indique qu'elle est désormais représentée par la SCP Philippe Delaere, mandataire ad hoc désigné par une ordonnance du président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 10 février 2014, et produit cette ordonnance, aux termes de laquelle la SCP Delaere est désignée aux fins de la représenter dans le litige l'opposant à l'administration fiscale française pour la durée de la procédure et des actions s'y rapportant ; qu'il en résulte que la société dispose d'un représentant régulièrement habilité à poursuivre l'instance en son nom ; que, par ailleurs, des échanges de mémoires ont eu lieu entre les parties ; que l'affaire est, ainsi, en état d'être jugée ; qu'il y a lieu, en conséquence, contrairement à ce que soutient le ministre, de statuer sur le pourvoi ;

Sur la fin de non recevoir opposée au pourvoi et à la requête d'appel :

4. Considérant que le ministre soutient également que le pourvoi introduit par la société Euro-Car, représentée par son gérant, est irrecevable faute pour ce dernier de justifier de sa qualité pour agir et que seul le liquidateur pouvait représenter la société postérieurement à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire prononcée par le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 1er juin 2005 ;

5. Considérant, toutefois, que les règles prévoyant que le jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire d'une entreprise emporte de plein droit, pour le débiteur, le dessaisissement de l'administration et de la disposition de ses biens et que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ne sont édictées que dans l'intérêt des créanciers ; que, dès lors, seul le liquidateur peut s'en prévaloir pour exciper de l'irrecevabilité du dirigeant de la société dont la liquidation judiciaire a été prononcée à se pourvoir en justice ou à poursuivre une instance en cours ; que, faute pour le liquidateur d'avoir contesté la recevabilité du pourvoi formé par le gérant de la société Euro-Car, ce pourvoi doit être regardé comme régulièrement formé ; qu'il en résulte que la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par le ministre doit être écartée ; que, pour les mêmes motifs, le ministre n'est pas fondé à soutenir que la requête d'appel présentée par la société était irrecevable et que la cour aurait dû soulever d'office cette irrecevabilité ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

En ce qui concerne le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :

6. Considérant, d'une part, qu'aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles imposition." ;

7. Considérant que pour juger que la société de droit belge Euro-Car devait être regardée comme ayant exploité une entreprise en France au sens de ces dispositions et que les bénéfices tirés de cette activité étaient, dès lors, imposables à l'impôt sur les sociétés en application de la loi fiscale française, la cour, après avoir indiqué qu'il résultait de l'instruction que la société , créée en 1996, avait souscrit le 30 octobre 1997 une déclaration d'ouverture d'un premier établissement en France, dont le siège était à Vigneux-de-Bretagne (Loire-Atlantique) et qui avait débuté une activité de commerce de véhicules automobiles le 26 août 1997, a ensuite relevé, en premier lieu, que la direction de cet établissement était assurée par M. A...B..., domicilié ...lui étaient adressés au siège de cette SARL et que des bons de transport de véhicules mentionnaient comme destinataire " Euro-Car Vigneux-de-Bretagne ", enfin, qu'il n'était pas contesté que les véhicules en cause étaient réceptionnés, vendus et remis aux clients français à Vigneux-de-Bretagne ; qu'il ressort de ces motifs que la cour a estimé que la société Euro-Car avait exercé en France une activité, de manière habituelle, dans le cadre d'un établissement autonome ; qu'ainsi, son arrêt est suffisamment motivé et n'est entaché d'aucune erreur de droit ; qu'en outre, en déduisant des faits qui lui étaient soumis, qu'elle n'a pas dénaturés, que l'existence d'un établissement autonome de la société en France était caractérisée, la cour leur a donné une exacte qualification juridique ;

8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 4, relatif aux bénéfices industriels et commerciaux, de la convention conclue entre la France et la Belgique en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus, signée le 10 mars 1964, modifiée par les avenants des 15 février 1971 et 8 février 1999 : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux ne sont imposables que dans l'Etat contractant où se trouve situé l'établissement stable dont ils proviennent. (...) 3. Le terme "établissement stable" désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. 4. Constituent notamment des établissements stables : a. Un siège de direction ; b. Une succursale ; c. Un bureau ; d. Une usine ; e. Un atelier ; (...) h. Les installations dont disposent dans l'un des deux Etats (...) les artisans ou autres personnes exerçant une activité entrant dans le cadre du présent article, lorsque ces installations sont à leur disposition dans cet Etat pendant une durée totale d'au moins trente jours au cours d'une année civile. 5. On ne considère pas qu'il y a établissement stable si : a. Il est fait usage d'installations aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l'entreprise ; b. Des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison ; (...) " et qu'aux termes de l'article 5 de la même convention : " 1. Les bénéfices industriels ou commerciaux de l'établissement stable sont ceux qui proviennent de l'ensemble des opérations traitées par cet établissement ainsi que l'aliénation totale ou partielle des biens investis dans ledit établissement. (...) " ;

9. Considérant que la cour a jugé que les éléments rappelés au point 7 permettaient de regarder la société Euro-Car comme ayant disposé, pour l'exercice de son activité, d'une installation fixe d'affaires caractérisant un établissement stable au sens et pour l'application des stipulations précitées de l'article 4 de la convention fiscale franco-belge ; qu'elle en a déduit que la société requérante n'était pas fondée à soutenir que ces stipulations s'opposaient à l'imposition en France des bénéfices qu'elle avait tirés de l'activité de son établissement de Vigneux-de-Bretagne au cours de la période litigieuse ; qu'en statuant ainsi, la cour, qui n'a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis, a estimé, par une appréciation souveraine, que l'installation dont disposait la société présentait un caractère permanent et, contrairement à ce que soutient la société requérante, n'a pas jugé que les locaux utilisés par la société en France étaient seulement des locaux de stockage au sens du a) du 5 de l'article 4 précité de la convention ; qu'elle a, ainsi, suffisamment motivé son arrêt et n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits ;

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

10. Considérant que la cour a écarté le moyen soulevé par la société Euro-Car, tiré de l'irrégularité des opérations de visite et de saisie entreprises par l'administration en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, à l'égard de la société Findlux et de M.B..., au motif que ces opérations avaient été déclarées régulières par une ordonnance du premier président de la cour d'appel de Rennes du 15 décembre 2010 ;

11. Considérant, d'une part, qu'une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort présente un caractère définitif et est, dès lors, revêtue de la force de chose jugée même si elle peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou est effectivement l'objet d'un tel pourvoi et si, par suite, elle n'est pas irrévocable ; qu'il en résulte que c'est sans erreur de droit que la cour s'est fondée, pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité des opérations de visite diligentées par l'administration, sur l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Rennes du 15 décembre 2010 alors même que cette ordonnance faisait l'objet d'un pourvoi en cassation ;

12. Considérant, d'autre part, que si l'ordonnance précitée du premier président de la cour d'appel de Rennes du 15 décembre 2010 a été annulée par un arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2012, il résulte de l'instruction que l'ordonnance du 21 mai 2001 autorisant les opérations de visite et de saisie a été confirmée par une ordonnance du 21 septembre 2012 du premier président de la cour d'appel d'Angers, juridiction de renvoi désignée par la Cour de cassation, qui a également validé les opérations elles-mêmes ; qu'il en résulte que la société Euro-Car n'est pas fondée à soutenir que l'arrêt attaqué devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation des opérations de visite et de saisie ;

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

13. Considérant qu'après avoir rappelé qu'ayant été régulièrement taxée d'office, la société supportait, en application des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales, la charge d'apporter la preuve de l'exagération des impositions restant en litige, la cour a indiqué qu'en l'absence de comptabilité de l'établissement exploité en France par la société Euro-Car, le vérificateur avait regardé comme des recettes provenant de cet établissement les crédits enregistrés sur les comptes bancaires ouverts en France par la société à l'adresse de Vigneux-de-Bretagne, dont il n'était pas sérieusement contesté qu'ils retraçaient les activités de cet établissement, et comme des charges les débits correspondant à des achats de véhicules ou à d'autres charges identifiées ; qu'elle a ensuite jugé qu'en soutenant que l'administration aurait dû déterminer les bases taxables à l'impôt sur les sociétés au vu des documents comptables qui étaient toujours en sa possession, la société n'établissait pas que la méthode appliquée serait excessivement sommaire ou radicalement viciée ; que la cour a notamment relevé, en premier lieu, que les factures produites par la société ne permettaient pas d'établir que les crédits constatés au titre de l'année 1998 concernaient des opérations réalisées en Belgique et imposables dans cet Etat, en deuxième lieu, que les affirmations de la société requérante selon lesquelles, d'une part, les sommes portées au crédit de ses comptes sous l'intitulé " virement de RégisB... " correspondaient nécessairement à des avances en compte courant d'associé et, d'autre part, le chiffre d'affaires encaissé en 1999 était imputable à l'activité réalisée en 1998, n'étaient assorties d'aucune précision ni justificatif, enfin, que la société n'apportait pas davantage la preuve de l'exagération des bases ainsi reconstituées en faisant valoir que les déclarations de résultats déposées en Belgique feraient apparaître des résultats très inférieurs ou que les impôts acquittés dans ce pays auraient dû être imputés sur son résultat taxable ;

14. Considérant, dès lors, que c'est par une appréciation souveraine et sans erreur de droit que la cour a jugé que la société ne démontrait pas que tout ou partie des opérations imposées en France auraient été réalisées en Belgique ; que c'est sans erreur de droit qu'elle en a déduit que la méthode de reconstitution utilisée par l'administration ne présentait pas un caractère excessivement sommaire ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Euro-Car SPRL n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa requête ; que ses conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en conséquence, être rejetées ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Euro-Car SPRL est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Euro-Car SPRL et au ministre des finances et des comptes publics.


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