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Ariane Web: Conseil d'État 388345, lecture du 24 mars 2015, ECLI:FR:CEORD:2015:388345.20150324

Décision n° 388345
24 mars 2015
Conseil d'État

N° 388345
ECLI:FR:CEORD:2015:388345.20150324
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats


Lecture du mardi 24 mars 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 27 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Taxilibre et la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de Paris Ile-de-France (CSLA) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2014-1725 du 30 décembre 2014 relatif au transport public particulier de personnes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Elles soutiennent que :
- leur demande est recevable ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution du décret contesté causerait un préjudice grave, immédiat et irréversible aux intérêts qu'elles défendent ;
- le décret contesté est entaché d'une illégalité externe tenant à l'absence de contreseing du ministre des affaires étrangères ;
- il viole le principe d'égalité en instaurant un traitement différencié entre les taxis et les véhicules de tourisme avec chauffeur, pour l'accès à la profession de conducteur, pour l'accès à la profession d'exploitant de taxi et de VTC, sur les obligations relatives aux véhicules et sur la tarification des courses, alors que la différence de situation, issue de la réglementation, ne comporte plus d'effets en pratique et qu'aucun motif d'intérêt général ne justifie la différence de traitement ;
- il viole le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, en restreignant l'accès à une profession par les dispositions de l'article R. 3121-12 du code des transports qui permettent à l'autorité compétente de subordonner la délivrance des autorisations de stationnement à des conditions non prévues par la loi ;


Vu le décret dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de ce décret ;

Par un mémoire distinct, enregistré le 3 mars 2015, présenté par l'association Taxilibre et la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de Paris Ile-de-France en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, les requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 3122-3 du code des transports ;

Elles soutiennent que :
- les dispositions contestées sont applicables au litige, lequel porte sur les dispositions réglementaires du code des transports relatives à leur application ;
- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
- la question est nouvelle et sérieuse ;
- l'article L. 3122-3 du code des transports porte atteinte au principe d'égalité, dès lors qu'il introduit une différence de traitement entre l'accès à la profession de taxi et l'accès à la profession d'exploitant de véhicule de tourisme avec chauffeur, alors qu'aucune différence de situation ni aucun motif d'intérêt général ne le justifie ;
,
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2015, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés ;

Par un mémoire en réplique, enregistré le 19 mars 2015, l'association Taxilibre et la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de Paris Ile-de-France (CSLA) maintiennent les conclusions de leur requête, par les mêmes moyens ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2015, le ministre de l'intérieur conclut à ce que le juge des référés ne renvoie pas la question soulevée au Conseil constitutionnel. Il soutient que la question n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux ;

Vu les pièces desquelles il ressort que la requête a été communiquée au Premier ministre, à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, qui n'ont pas produit de mémoires ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Taxilibre et la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de Paris Ile-de-France et, d'autre part, le Premier ministre, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 20 mars 2015 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Rousseau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association Taxilibre et de la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de Paris Ile de France ;

- les représentants de l'association Taxilibre et de la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de Paris Ile de France ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;


1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé... à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat... " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge des référés du Conseil d'Etat statuant sur des conclusions à fin de suspension qui lui sont présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code ; que le juge des référés du Conseil d'Etat peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter de telles conclusions pour irrecevabilité ou pour défaut d'urgence, sans se prononcer sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel ;

Sur l'urgence :

3. Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

4. Considérant que le décret du 30 décembre 2014 dont la suspension de l'exécution est demandée a été pris pour l'application de la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ; qu'il comporte en annexe des dispositions qui constituent le titre II du livre Ier et les titres III, IV et V du livre V de la troisième partie de la partie réglementaire du code des transports ; que ces dispositions résultent, pour partie, de la codification à droit constant des dispositions des décrets abrogés par l'article 5 du décret du 30 décembre 2014 et constituent, pour le surplus, des dispositions nouvelles, applicables selon le cas à l'ensemble des prestations de transports publics particuliers de personnes, aux taxis, aux voitures de transport avec chauffeur (VTC) ou aux véhicules motorisés à deux ou trois roues ;

5. Considérant que pour justifier de l'urgence qui s'attacherait à ce que soit ordonnée la suspension des dispositions du décret du 30 décembre 2014, les requérantes font valoir que l'entrée en vigueur de ce texte qui instaure, selon elles, une discrimination en faveur des VTC, aurait pour conséquence de permettre à celles-ci d'acquérir une position dominante sur le marché du transport public de personnes, qui mettrait en péril l'ensemble du secteur des taxis, qu'il s'agisse des conducteurs, des exploitants d'autorisation de stationnement, des installateurs agréés d'équipements spéciaux ou des écoles de formation au certificat d'aptitude ; qu'elles fournissent à l'appui de cette argumentation de nombreuses données chiffrées, non sérieusement contestées en défense, selon lesquelles le chiffre d'affaires de plusieurs de ces professionnels est en baisse rapide, ce qui est de nature à compromettre l'équilibre financier de leur exploitation ;

6. Considérant toutefois qu'il ne résulte pas de l'instruction que les difficultés ainsi décrites proviendraient de la mise en oeuvre du décret dont la suspension de l'exécution est demandée ; que celui-ci, comparé à la réglementation précédemment en vigueur, ne modifie pas substantiellement les contraintes pesant sur les taxis, tandis qu'il crée de nouvelles obligations à la charge des VTC, relatives notamment à l'inscription au registre des VTC, à la justification des capacités financières de l'exploitant, aux conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs, à la justification de l'existence d'un contrat d'assurance couvrant leur responsabilité civile professionnelle ainsi qu'à la justification d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final ; que la suspension demandée se traduirait par l'impossibilité, pour l'autorité compétente, de veiller au respect de ces nouvelles obligations ; qu'une telle suspension aurait dès lors pour effet immédiat d'accentuer la différence de traitement que dénoncent les requérantes ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le décret du 30 décembre 2014 ne porte pas aux intérêts que défendent les requérantes une atteinte que la suspension de cet acte serait susceptible de faire cesser ; que la condition d'urgence ne peut donc être regardée comme remplie ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

8. Considérant que la présente ordonnance rejetant les conclusions à fin de suspension pour défaut d'urgence, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à ce que soit ordonnée la suspension du décret du 30 décembre 2014 doivent être rejetées ; que les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'association Taxilibre et de la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de Paris Ile-de-France est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Taxilibre, à la chambre syndicale des loueurs d'automobiles de Paris Ile-de-France, au Premier ministre, à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.