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Ariane Web: Conseil d'État 362317, lecture du 1 avril 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:362317.20150401

Décision n° 362317
1 avril 2015
Conseil d'État

N° 362317
ECLI:FR:CESSR:2015:362317.20150401
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème / 10ème SSR
Mme Maïlys Lange, rapporteur
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public
SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats


Lecture du mercredi 1 avril 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Rexel Distribution a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a renvoyé sa demande au tribunal administratif de Montreuil, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sur cet impôt et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2002, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 0808968 du 15 avril 2010, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 10VE02045 du 26 juin 2012, la cour administrative d'appel de Versailles a partiellement fait droit à l'appel formé par la société Rexel Distribution contre ce jugement, en prononçant la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sur cet impôt et de contributions sociales de l'année 2002 correspondant à une réduction de 6 290 000 euros de la base d'imposition.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique enregistrés les 29 août 2012 et 19 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre délégué, chargé du budget demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1er à 4 de l'arrêt n° 10VE02045 du 26 juin 2012 de la cour administrative d'appel de Versailles ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions d'appel de la société Rexel Distribution relatives à la réintégration de la somme de 6 290 000 euros dans son résultat imposable ;

3°) de rejeter les conclusions de la société Rexel Développement, venant aux droits de la société Rexel Distribution, présentées par la voie du pourvoi incident et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Maïlys Lange, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société société Rexel Distribution ;


1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 225-209 du code de commerce, dans sa version en vigueur pendant l'année 2002 : " L'assemblée générale d'une société dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé peut autoriser le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, à acheter un nombre d'actions représentant jusqu'à 10 % du capital de la société. (...) / (...) Ces actions peuvent être annulées dans la limite de 10 % du capital de la société par périodes de vingt-quatre mois. (...) / Les sociétés qui font participer les salariés aux fruits de l'expansion de l'entreprise par l'attribution de leur propres actions ainsi que celles qui entendent consentir des options d'achat d'actions à des salariés peuvent utiliser à cette fin tout ou partie des actions acquises dans les conditions prévues ci-dessus. (...) / En cas d'annulation des actions achetées, la réduction de capital est autorisée ou décidée par l'assemblée générale extraordinaire qui peut déléguer au conseil d'administration ou au directoire, selon le cas, tous pouvoirs pour la réaliser. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'assemblée générale extraordinaire d'une société dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé peut autoriser ou décider l'annulation, en vue d'une réduction du capital, d'actions propres initialement rachetées dans d'autres buts, notamment l'attribution aux salariés ;

2. Considérant que l'article 332-6 du plan comptable général prévoit que la valeur comptable des titres détenus explicitement dans le but de réduire le capital n'est soumise à aucune dépréciation et reste égale à leur prix d'achat jusqu'à leur annulation dès lors que, dès l'origine, leur inscription doit être regardée comme équivalant à une réduction des capitaux propres ; que l'article 442-27 du même plan comptable général dispose que l'opération d'annulation équivaut à un partage partiel de l'actif social au profit des vendeurs des actions rachetées ; qu'il précise que, compte tenu de la concomitance entre la réduction de capital et le transfert de propriété des actions du patrimoine des actionnaires dans celui de la société, l'inscription des titres rachetés explicitement en vue de leur annulation au compte " actions propres ou parts propres en voie d'annulation " est effectuée pour mémoire, dès lors qu'en toute hypothèse, ces titres auront disparu de l'actif à la clôture de l'exercice ; qu'il résulte de ces dispositions que les règles qu'elles fixent ne sont applicables qu'à compter de la date à laquelle l'affectation des titres à la réduction du capital devient explicite ;

3. Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période (...). L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. " ; qu'aux termes du 1 de l'article 39 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / (...) / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) / Les provisions qui, en tout ou en partie, reçoivent un emploi non conforme à leur destination ou deviennent sans objet au cours d'un exercice ultérieur sont rapportées aux résultats dudit exercice. Lorsque le rapport n'a pas été effectué par l'entreprise elle-même, l'administration peut procéder aux redressements nécessaires dès qu'elle constate que les provisions sont devenues sans objet. Dans ce cas, les provisions sont, s'il y a lieu, rapportées aux résultats du plus ancien des exercices soumis à vérification. (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au même code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt. " ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'assemblée générale extraordinaire de la société Rexel Distribution, alors cotée en bourse, a autorisé, le 13 mai 2002, le conseil d'administration à annuler tout ou partie des actions acquises dans le cadre de l'autorisation donnée en vertu de l'article L. 225-209 du code de commerce cité au point 1 et à réduire le capital à due concurrence ; que ces actions avaient été acquises, pour partie, dans le cadre de la mise en place, en 1998 et 1999, de plans d'attribution aux salariés d'options d'achat d'actions et, pour le surplus, en vue de la régulation du cours de bourse ; que, le 31 décembre 2001, la société avait passé une provision d'un montant de 1 061 885,15 euros, égal au produit du nombre de ses propres actions acquises dans le cadre des plans d'attribution d'actions aux salariés par la différence entre le coût de revient de ces actions et le prix de souscription proposé aux salariés ; que, dans les comptes semestriels établis au 30 juin 2002 conformément aux obligations incombant aux sociétés faisant appel à l'épargne publique, elle a passé une provision " complémentaire " d'un montant de 6 290 000 euros pour dépréciation de l'ensemble de ses propres actions qu'elle détenait à cette date ; que, par une décision du 29 octobre 2002, le conseil d'administration a pris la décision d'annuler 524 719 titres propres détenus par la société Rexel Distribution ; que, le 20 décembre 2002, se conformant à un avis n° 2002-D du 18 décembre 2002 du comité national d'urgence du Conseil national de la comptabilité, la société a procédé à un reclassement de ses actions propres des comptes " valeurs mobilières de placement " et " autres titres de placement " vers le compte " actions propres à annuler ", pour la valeur nette des actions correspondant à leur valeur d'acquisition diminuée du montant total des deux provisions, soit la somme de 31 883 331 euros, puis a annulé les titres en cause pour leur valeur nominale de un euro par titre et inscrit la somme de 31 358 612 euros au compte " prime d'émission " ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant notamment sur l'exercice clos en 2002, l'administration a réintégré au résultat de cet exercice les deux provisions, d'un montant total de 7 351 885 euros ; que le ministre délégué, chargé du budget, se pourvoit en cassation contre les articles 1er à 4 de l'arrêt du 26 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société Rexel Distribution dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant de cette réintégration, réduit sa base d'imposition de la somme de 6 290 000 euros correspondant au montant de la seconde provision ; que la société Rexel Développement, venant aux droits de la société Rexel Distribution, a formé un pourvoi incident contre l'article 5 de cet arrêt, qui rejette le surplus des conclusions de son appel ;

Sur le pourvoi du ministre :

5. Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre, une société qui décide d'annuler des titres propres initialement rachetés dans un autre but que la réduction du capital est en droit de tenir compte, pour l'application des dispositions du code général des impôts citées au point 3 relatives à la détermination du bénéfice net de l'exercice au cours duquel la décision d'annulation est intervenue, de l'éventuelle perte de valeur de ces titres entre leur date de rachat et la date à laquelle la décision d'annulation a été prise par le conseil d'administration ; qu'en effet, en pareille hypothèse, la décision d'annuler les titres en vue de la réduction du capital, qui n'intervient pas en même temps que leur rachat, doit être regardée comme emportant les mêmes effets économiques qu'une cession des titres suivie de leur rachat au même prix ; qu'à moins que l'administration ne s'estime fondée à mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit, elle ne peut réintégrer au résultat de l'exercice au cours duquel une perte a été constatée à ce titre la provision éventuellement passée pour l'anticiper ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel, qui n'a pas méconnu les dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts en jugeant que les deux provisions litigieuses, pour un montant total de 7 351 885 euros, n'existaient plus dans les écritures comptables de la société au 31 décembre 2002 et ne pouvaient donc donner lieu à réintégration au motif qu'elles auraient été dépourvues d'objet à cette date, n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que l'annulation des titres propres initialement détenus par la société Rexel Distribution en vue d'une attribution aux salariés et de la régulation du cours de bourse devait se traduire par la constatation de la perte résultant de leur dévalorisation intervenue pendant leur inscription à l'actif comme titres de placement ; que le pourvoi principal du ministre délégué, chargé du budget doit, par suite, être rejeté ;

Sur le pourvoi incident de la société :

6. Considérant qu'en jugeant que l'administration était fondée à rapporter la provision passée par la société à la clôture de l'exercice 2001 au résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2002, au motif que cette provision avait selon son libellé pour objet unique de couvrir le risque lié au droit offert aux salariés de l'entreprise de lever l'option d'achat des titres à un prix inférieur à leur coût d'acquisition et que cet objet n'avait pas été ultérieurement modifié ou complété, notamment lors de la passation de la seconde provision, afin de prendre en compte, comme cette dernière, la dépréciation des titres de la société, alors que, ainsi qu'elle le relevait, la seconde provision était une provision complémentaire et que la perte correspondant à la dépréciation des titres annulés que la société était en droit de constater à la clôture de l'exercice 2002 comprenait nécessairement la somme de 1 061 885,15 euros correspondant à la provision passée le 31 décembre 2001, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, dans cette mesure, être annulé ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans la mesure de la cassation prononcée, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que la perte de 7 351 885 euros correspondant à la dépréciation des titres rachetés par la société Rexel Distribution pour d'autres motifs que la réduction du capital et finalement annulés, que la société était en droit de constater à la clôture de l'exercice 2002, comprenait la somme de 1 061 885,15 euros correspondant à la provision passée le 31 décembre 2001 ; qu'il suit de là que, s'il eût été préférable que la société reprenne cette provision le 30 juin 2002 avant de passer une provision pour dépréciation de l'ensemble de ses propres actions d'un montant total de 7 351 885 euros, l'administration n'était pas fondée, en l'absence de mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit, à réintégrer cette provision au résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2002 au motif qu'elle n'aurait pas été utilisée conformément à son objet ; que la société est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sur cet impôt et de contributions sociales restant en litige ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la société Rexel Développement au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget est rejeté.
Article 2 : Les articles 3 et 5 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 26 juin 2012 et le jugement du 15 avril 2010 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 3 : La base d'imposition à l'impôt sur les sociétés, à la contribution sur cet impôt et aux contributions sociales de la société Rexel Distribution au titre de l'année 2002 est réduite de 1 061 885,15 euros.
Article 4 : La société Rexel Distribution, aux droits de laquelle vient la société Rexel Développement, est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution assise sur cet impôt et de contributions sociales de l'année 2002 correspondant à cette réduction de la base d'imposition, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 5 : L'Etat versera la somme de 3 500 euros à la société Rexel Développement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société Rexel Développement.


Voir aussi