Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 373470, lecture du 1 juin 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:373470.20150601

Décision n° 373470
1 juin 2015
Conseil d'État

N° 373470
ECLI:FR:CESSR:2015:373470.20150601
Inédit au recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
M. Laurent Cytermann, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats


Lecture du lundi 1 juin 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C...B...épouse A...a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser des sommes de 8 699,83 euros au titre de son préjudice financier et de 4 000 euros au titre de son préjudice moral, en raison de sa mise en disponibilité d'office pour raison médicale et des conditions de sa réintégration. Par un jugement n° 1001726 du 26 juillet 2012, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12PA03971 du 19 septembre 2013, à la demande de Mme A..., la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Melun, condamné l'Etat à verser à Mme A...une somme de 2 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 novembre 2013 et 25 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et, ce faisant, d'annuler le jugement attaqué et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 26 625,29 euros, assortie des intérêts et des intérêts capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cytermann, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de MmeA... ;




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C...B...épouseA..., agent d'administration du Trésor public, a été placée en congé de maladie à compter du 1er juin 2004 pour un syndrome du canal carpien ; que le 19 avril 2005, le comité médical départemental a émis un avis défavorable à l'octroi d'un congé de longue maladie à l'expiration du congé de maladie ; que, saisi le 31 mai 2005 par l'administration pour se prononcer sur la reprise du service par MmeA..., le comité médical a rendu un avis favorable le 4 novembre 2005 ; que, par une décision du 28 novembre 2005, le directeur général de la comptabilité publique a décidé de placer MmeA..., de façon rétroactive, en disponibilité d'office pour raison de santé du 1er juin 2005, date de l'expiration de ses droits à congé de maladie, au 30 novembre 2005, et de la réintégrer à compter du 1er décembre 2005 ; que le 26 octobre 2007, le trésorier-payeur général du Val-de-Marne a informé Mme A...que des retenues sur traitement seraient effectuées à compter du mois de janvier 2008 afin de recouvrer les sommes versées à tort pendant sa période de disponibilité d'office du 1er juin au 30 novembre 2005, l'administration ayant maintenu son traitement dans l'attente de l'avis du comité médical ;

Sur la faute de l'Etat tenant au délai mis à statuer sur la réintégration de Mme A... :

2. Considérant que selon les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit :/ (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...)/ 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Les comités médicaux sont (...) consultés obligatoirement en ce qui concerne:/ (...) 2. L'octroi des congés de longue maladie et de longue durée ; (...)/ 4. La réintégration après douze mois consécutifs de congé de maladie ou à l'issue d'un congé de longue maladie ou de longue durée (...) " ; que selon le deuxième alinéa de l'article 27 du même décret, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsqu'un fonctionnaire a obtenu pendant une période de douze mois consécutifs des congés de maladie d'une durée totale de douze mois, il ne peut, à l'expiration de sa dernière période de congé, reprendre son service sans l'avis favorable du comité médical (...) " ;

3. Considérant, en premier lieu, que la cour administrative d'appel de Paris a jugé que l'administration n'avait pas commis de faute en saisissant le comité médical départemental le 31 mai 2005 pour qu'il se prononce sur la réintégration de MmeA..., soit dans un délai raisonnable après la notification de l'avis du 19 avril 2005 du même comité défavorable à l'octroi d'un congé de longue maladie ; qu'en statuant ainsi, elle n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l'espèce ;

4. Considérant, en second lieu, que l'article D. 712-12 du code de la sécurité sociale dispose : " En cas de maladie, le fonctionnaire qui ne peut bénéficier de l'un des régimes de congé de maladie, de congé de longue maladie ou de congé de longue durée, prévus par la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, mais qui remplit les conditions fixées par le livre III du présent code pour avoir droit à l'indemnité journalière mentionnée au 4° de l'article L. 321-1, a droit à une indemnité égale à la somme des éléments suivants : / 1°) la moitié ou les deux tiers, suivant le cas, du traitement et des indemnités accessoires, à l'exclusion de celles qui sont attachées à l'exercice des fonctions ou qui ont le caractère de remboursement de frais ; / 2°) la moitié ou les deux tiers, suivant les cas, (...) de l'indemnité de résidence perçue au moment de l'arrêt de travail (...) ; / 3°) la totalité des avantages familiaux (...) " ; que le fonctionnaire placé en disponibilité d'office à l'expiration de ses droits à congé de maladie ne peut donc prétendre au titre de la sécurité sociale qu'à une indemnité représentant une partie de sa rémunération ; que si le comité médical s'était prononcé plus rapidement sur la reprise d'activité de MmeA..., celle-ci aurait pu percevoir la totalité de sa rémunération ; que la cour, qui a jugé que le délai de cinq mois mis par le comité médical pour se prononcer sur cette reprise d'activité était constitutif d'une faute de l'Etat, ne pouvait, dès lors, sans commettre d'erreur de droit, se fonder sur les dispositions de l'article D. 712-12 du code de la sécurité sociale pour écarter tout préjudice financier résultant de la faute ainsi commise par l'administration ;

Sur la faute de l'Etat tenant à l'irrégularité du placement en disponibilité d'office :

5. Considérant que le second alinéa de l'article 51 de la loi du 11 janvier 1984 dispose que : " La disponibilité est prononcée, soit à la demande de l'intéressé, soit d'office à l'expiration des congés prévus aux 2°, 3° et 4° de l'article 34 ci-dessus (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 63 de la même loi : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes " ; que selon le premier alinéa de l'article 43 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat et à certaines modalités de mise à disposition et de cessation définitive de fonctions, dans sa rédaction alors applicable : " La mise en disponibilité ne peut être prononcée d'office qu'à l'expiration des droits statutaires à congés de maladie prévus à l'article 34 (2°, 3° et 4°) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée et s'il ne peut, dans l'immédiat, être procédé au reclassement du fonctionnaire dans les conditions prévues à l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée " ;

6. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'administration doit, après avis du comité médical, inviter le fonctionnaire qui a été déclaré inapte à l'exercice de ses fonctions par suite de l'altération de son état physique et dont le poste de travail ne peut être adapté, à présenter une demande de reclassement dans un emploi d'un autre corps ; qu'en revanche, lorsque le fonctionnaire a été déclaré apte à reprendre ses fonctions et que le placement en disponibilité d'office n'intervient, comme en l'espèce, qu'à titre rétroactif pour régulariser la situation du fonctionnaire, l'administration ne saurait être tenue de l'inviter à présenter une demande de reclassement ;

7. Considérant, par suite, que l'administration n'était pas tenue d'inviter Mme A... à présenter une demande de reclassement avant de la placer en disponibilité d'office et n'a ainsi pas commis de faute en s'abstenant de le faire ; que ce motif, qui répond au moyen invoqué devant les juges du fond et ne comporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué, tiré de ce que la faute commise par l'administration n'aurait pas entraîné de préjudice certain, dont il justifie légalement le dispositif ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et insuffisamment motivé son arrêt en jugeant que la perte de rémunération résultant de l'illégalité de la mise en disponibilité d'office présentait un caractère éventuel et non certain doivent être écartés ;

Sur la faute de l'Etat tenant aux conditions de réintégration de MmeA... :

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le médecin de prévention a recommandé le 29 novembre 2005 que Mme A...soit affectée à un poste lui évitant le port de charges lourdes, en indiquant que cette recommandation était valable un an à compter de la reprise du travail ; que le directeur général de la comptabilité publique a affecté Mme A...à un emploi informatique à compter du 1er décembre 2005, en notifiant à sa hiérarchie l'instruction de lui éviter le port de charges lourdes ; que si le compte rendu de l'examen de Mme A...par un rhumatologue, effectué le 12 décembre 2008, montrait qu'à cette date, Mme A...était de nouveau exposée au port de charges lourdes, il n'en résultait pas que cette exposition aurait débuté avant l'expiration de la période d'un an recommandée par le médecin de prévention le 29 novembre 2005 ; que, par suite, en estimant, par un arrêt suffisamment motivé sur ce point, qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'administration aurait affecté Mme A...sur un poste qui ne correspondait pas aux recommandations du médecin de prévention et aurait été incompatible avec son état de santé, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A...est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour qu'elle attaque en tant seulement qu'il statue sur le préjudice financier résultant de la faute de l'administration tenant à la remise tardive de son avis par le comité médical départemental ; que le moyen d'erreur de droit retenu suffisant à entraîner l'annulation de l'arrêt dans cette mesure, il n'est pas nécessaire d'examiner l'autre moyen du pourvoi dirigé contre la même partie de l'arrêt ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 19 septembre 2013 est annulé en tant qu'il statue sur le préjudice financier résultant de la faute de l'administration tenant à la remise tardive de son avis par le comité médical départemental.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris dans la mesure de la cassation prononcée ci-dessus.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A...est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme C...B...épouse A...et au ministre des finances et des comptes publics.