Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 370896, lecture du 5 juin 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:370896.20150605

Décision n° 370896
5 juin 2015
Conseil d'État

N° 370896
ECLI:FR:CESSR:2015:370896.20150605
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème / 9ème SSR
M. Romain Godet, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP MONOD, COLIN, STOCLET, avocats


Lecture du vendredi 5 juin 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des conditions de sa détention à la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine, de mettre à la charge de l'Etat les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés par ordonnance du 7 avril 2010 et d'enjoindre, sous astreinte, à l'administration pénitentiaire d'effectuer les travaux nécessaires afin de rendre la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine conforme aux prescriptions du règlement sanitaire départemental. Par un jugement n° 0910656 du 8 juillet 2011, le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser la somme de 500 euros à titre de préjudice moral et mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise, tout en rejetant ses conclusions aux fins d'injonction.
Par un arrêt n° 11VE03065 du 26 mars 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du garde des sceaux, ministre de la justice, annulé ce jugement et rejeté les demandes de M.A.la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine, du 15 février 2009 au 5 juin 2010, sa libération étant intervenue à cette date en fin de peine
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 5 août et 30 octobre 2013 et les 5 septembre et 18 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt n° 11VE03065 du 26 mars 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du garde des sceaux, ministre de la justice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Romain Godet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M. A...;



1. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'il résulte de l'article D. 189 du code de procédure pénale qu'" à l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ; qu'aux termes de l'article D. 349 du même code : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques " ; qu'aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus " ; qu'en outre, aux termes de l'article D. 354 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " Les détenus doivent recevoir une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité et la quantité aux règles de la diététique et de l'hygiène, compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de la nature de leur travail et, dans toute la mesure du possible, de leurs convictions philosophiques ou religieuses " ;

2. Considérant qu'en raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes ; que seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 à D. 351 ainsi que de l'article D. 354, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ; qu'une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée de quatre ans assortie d'un sursis de vingt-huit mois a été incarcéré à la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine, du 15 février 2009 au 5 juin 2010, sa libération étant intervenue à cette date en fin de peine; que, pour annuler le jugement du tribunal administratif de Versailles lui accordant une somme de 500 euros à titre de réparation du préjudice moral subi à raison des conditions de sa détention dans cet établissement, la cour administrative d'appel a retenu l'existence de " dysfonctionnements matériels " dans l'aération et le chauffage des cellules ou de certaines douches ainsi que dans la distribution des repas et a jugé qu'à supposer certains d'entre eux fautifs, ils ne pouvaient en tout état de cause engager la responsabilité de l'administration pénitentiaire dès lors que le requérant n'établissait pas l'existence d'un préjudice moral ; qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que seules des conditions de détention caractérisant une atteinte à la dignité humaine sont de nature à engager la responsabilité de l'administration et que, d'autre part, une telle atteinte est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral sans que la victime ait à en établir l'existence, la cour a commis une erreur de droit ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, M. A...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

5. Considérant que M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à cette SCP ;




D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 26 mars 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Monod, Colin, Stoclet une somme de 3 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.




Voir aussi