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Ariane Web: Conseil d'État 368082, lecture du 21 mars 2016, ECLI:FR:CEASS:2016:368082.20160321

Décision n° 368082
21 mars 2016
Conseil d'État

N° 368082
ECLI:FR:CEASS:2016:368082.20160321
Publié au recueil Lebon
Assemblée
Mme Clémence Olsina, rapporteur
Mme Suzanne von Coester, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP VINCENT, OHL, avocats


Lecture du lundi 21 mars 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 10 juin 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi des requêtes des sociétés Fairvesta International GmbH, Fairvesta Europe AG, Fairvesta Europe AG II et Fairvesta Vermögensverwaltung International AG tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de communiqués publiés par l'Autorité des marchés financiers et du refus de les rectifier, ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice en résultant, a sursis à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître de ces requêtes.

Par une décision n° 4026 du 16 novembre 2015, le Tribunal des conflits a déclaré la juridiction administrative seule compétente pour connaître de l'action intentée par ces sociétés contre l'Autorité des marchés financiers.

En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que la décision du Conseil d'Etat était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, tiré de que le recours tendant à l'annulation des communiqués litigieux est tardif, faute d'avoir été introduit dans le délai de deux mois à partir du jour de leur publication, conformément à l'article R. 421-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièces des dossiers, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 10 juin 2015 ;

Vu :
- le code des marchés financiers ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Clémence Olsina, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Fairvesta International GmbH, de la société Fairvesta Europe AG, de la société Fairvesta Europe AG II et de la société Fairvesta Vermögensverwaltung International AG et à la SCP Vincent, Ohl, avocat de l'Autorité des marchés ;


1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus présentent à juger des questions connexes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société Fairvesta International GmbH, société domiciliée..., a proposé aux investisseurs en France, à compter de 2009, des produits de placements immobiliers, dénommés Mercatus VIII, Lumis et Chronos, prenant la forme de prises de participation dans des sociétés en commandite simple de droit allemand ayant pour objet l'acquisition, la gestion ou le négoce d'immeubles ; que ces placements étaient commercialisés en France par l'intermédiaire d'agents immobiliers et de conseillers en gestion du patrimoine qui démarchaient les investisseurs potentiels ; que, le 21 juillet 2011, l'Autorité des marchés financiers a publié sur son site Internet, dans la rubrique " Mises en garde ", un communiqué intitulé " L'Autorité des marchés financiers attire l'attention du public sur les activités de la société Fairvesta ", rédigé comme suit : " L'Autorité des marchés financiers (AMF) reçoit de nombreuses questions de la part d'investisseurs particuliers et de professionnels relatives aux activités de la société Fairvesta. Cette société (...) propose des placements immobiliers tels que Mercatus VIII, Lumis, ou encore Chronos avec des perspectives de rendement élevées. Ces placements sont souvent commercialisés en France de manière très active par des personnes tenant des discours parfois déséquilibrés au regard des risques en capital encourus. Ces produits ne relèvent pas de la réglementation applicable aux titres financiers. La société Fairvesta n'est d'ailleurs ni autorisée à fournir en France des services d'investissement ou des conseils en investissement financier ni habilitée à se livrer à une activité de démarchage bancaire ou financier et les placements proposés n'ont pas donné lieu à l'élaboration d'un document d'information visé ou revu par l'AMF " ; que le communiqué invitait ensuite les épargnants, d'une manière générale, à appliquer des règles de vigilance avant tout investissement, et notamment à mesurer le risque des produits, à se renseigner de façon approfondie sur leurs caractéristiques, sur les intermédiaires les proposant, sur leurs modes de valorisation et leurs modalités de revente, en précisant que les épargnants pouvaient s'adresser à l'Autorité pour obtenir de plus amples informations ; que, le 17 juillet 2012, l'Autorité des marchés financiers a publié, dans les mêmes conditions, un communiqué attirant à nouveau l'attention du public sur les activités de la société Fairvesta, qui reprenait les termes du premier communiqué et précisait, dans une note de bas de page, que deux autres sociétés du groupe Fairvesta, les sociétés Fairvesta Europe AG et Fairvesta Europe AG II, domiciliées au Liechtenstein, émettaient des obligations ayant fait l'objet de visas délivrés par l'autorité de régulation de ce pays et de certificats d'approbation et prospectus notifiés à l'Autorité des marchés financiers ; que, le 5 novembre 2012, l'Autorité a publié un nouveau communiqué attirant cette fois l'attention du public sur le site Internet " Fairvesta ", dans des termes quasiment identiques à ceux utilisés en juillet 2012 ; que, par un courrier reçu par l'Autorité des marchés financiers le 16 janvier 2013, la société Fairvesta International GmbH a demandé l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi à la suite de la publication de ces trois communiqués ainsi que la publication d'un communiqué rectificatif sur son site Internet ; que, par un courrier du 13 février 2013, l'Autorité des marchés financiers a refusé de faire droit à cette demande, position qu'elle a confirmée dans un courrier du 12 avril 2013 en réponse à une nouvelle demande de la société ; que la société Fairvesta International GmbH et autres demandent l'annulation de ces trois communiqués, des décisions ayant refusé de les rectifier, et, dans le dernier état des conclusions, la condamnation de l'Autorité des marchés financiers à verser une somme de 15 millions d'euros à la société Fairvesta International GmbH au titre du préjudice financier et du préjudice d'image qu'elle estime avoir subis ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

3. Considérant que, sur renvoi effectué par la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 10 juin 2015 visée ci-dessus, le Tribunal des conflits a déclaré, par une décision du 16 novembre 2015 visée ci-dessus, la juridiction administrative seule compétente pour connaître du litige né des demandes des sociétés Fairvesta International GmbH, Fairvesta Europe AG, Fairvesta Europe AG II et Fairvesta Vermögensverwaltung International AG tendant à l'annulation des communiqués litigieux et du refus de les rectifier, ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice en résultant ; que l'Autorité des marchés financiers n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la juridiction administrative ne serait pas compétente pour en connaître ;

Sur le recours pour excès de pouvoir, introduit sous le n° 368082, tendant à l'annulation des communiqués publiés par l'Autorité des marchés financiers :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par l'Autorité des marchés financiers :

4. Considérant que les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu'ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ; que ces actes peuvent également faire l'objet d'un tel recours, introduit par un requérant justifiant d'un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ; que, dans ce dernier cas, il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité de régulation ; qu'il lui appartient également, si des conclusions lui sont présentées à cette fin, de faire usage des pouvoirs d'injonction qu'il tient du titre Ier du livre IX du code de justice administrative ;

5. Considérant que les communiqués attaqués ont été émis par l'Autorité des marchés financiers dans le cadre de sa mission de protection de l'épargne investie dans les placements offerts au public ; qu'ils sont destinés aux investisseurs et ont pour objet de les mettre en garde contre les conditions dans lesquelles sont commercialisés plusieurs produits de placement, précisément identifiés, offerts au public par la société Fairvesta International GmbH et de leur adresser des recommandations de vigilance ; qu'ils ont été publiés sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers, ont connu une large diffusion et sont depuis lors restés accessibles sur ce site ; que la société Fairvesta International GmbH fait valoir des éléments sérieux attestant que la publication de ces communiqués a eu pour conséquence une diminution brutale des souscriptions des produits de placement qu'elle commercialisait en France ; qu'ainsi, les communiqués contestés doivent être regardés comme étant de nature à produire des effets économiques notables et comme ayant pour objet de conduire des investisseurs à modifier de manière significative leur comportement vis-à-vis des produits qu'ils désignent ; que, dans les circonstances de l'espèce, ces communiqués, qui font référence à " la société Fairvesta " doivent être regardés comme faisant grief à la société Fairvesta International GmbH et aux sociétés Fairvesta Europe AG, Fairvesta Europe AG II et Fairvesta Vermögensverwaltung International AG, filiales du groupe Fairvesta, qui sont recevables à en demander l'annulation ; que, par suite, la fin de non-recevoir soulevée par l'Autorité des marchés financiers doit être écartée ;

En ce qui concerne la légalité des communiqués :

6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 621-1 du code monétaire et financier : " L'Autorité des marchés financiers, autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, veille à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et les actifs mentionnés au II de l'article L. 421-1 donnant lieu à une offre au public ou à une admission aux négociations sur un marché réglementé et dans tous autres placements offerts au public. Elle veille également à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers et d'actifs mentionnés au II de l'article L. 421-1. Elle apporte son concours à la régulation de ces marchés aux échelons européen et international " ;

7. Considérant qu'en vertu de ces dispositions, il appartient à l'Autorité des marchés financiers de publier des communiqués invitant les épargnants ou investisseurs à faire preuve de vigilance vis-à-vis de certains types de placements ou de pratiques financières risqués ; qu'il résulte des termes des dispositions citées ci-dessus que le législateur a entendu confier à l'Autorité des marchés financiers une mission de protection de l'épargne et d'information des investisseurs qui s'étend non seulement aux instruments financiers, définis par l'article L. 211-1 du code monétaire et financier, et aux actifs mentionnés au II de l'article L. 421-1 du même code admis aux négociations sur un marché réglementé, mais également à tous les autres placements offerts au public ; que, par suite, alors même que les placements immobiliers proposés par la société Fairvesta International GmbH ne relevaient pas, ainsi que le soulignaient les communiqués attaqués, de la réglementation applicable aux titres financiers, il était loisible à l'Autorité des marchés financiers, sans excéder sa compétence, d'appeler l'attention des investisseurs sur leurs caractéristiques et leurs modalités de commercialisation, dès lors qu'il s'agissait de placements offerts au public ; que les sociétés requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que l'Autorité des marchés financiers n'était pas compétente pour publier les communiqués litigieux ;

8. Considérant, en second lieu, d'une part, que les communiqués attaqués ne sont entachés d'aucune des inexactitudes alléguées par les sociétés requérantes ; que, notamment, en mentionnant que les placements immobiliers offerts par la société Fairvesta sont " souvent commercialisés en France de manière très active par des personnes tenant des discours parfois déséquilibrés au regard des risques en capital encourus ", les termes des communiqués attaqués n'impliquent pas nécessairement que les placements en cause seraient commercialisés en France par la société Fairvesta elle-même ; que les communiqués n'opèrent pas de confusion entre les activités de commercialisation de placements immobiliers de la société Fairvesta International GmbH et les activités de commercialisation de titres obligataires et de prestations de services d'investissement exercées par des filiales du même groupe, l'Autorité des marchés financiers ayant d'ailleurs inséré, dans ses communiqués des 17 juillet et 5 novembre 2012, une note de bas de page faisant clairement la distinction entre les activités respectives de ces différentes sociétés ; qu'il est constant que la société Fairvesta n'est ni autorisée à fournir en France des services d'investissements financiers, ni habilitée à se livrer à une activité de démarchage bancaire ou financier, et que les placements qu'elle propose n'ont pas donné lieu à l'élaboration de documents d'informations visés ou revus par l'Autorité des marchés financiers ; que, d'autre part, en publiant les communiqués attaqués, l'Autorité des marchés financiers n'a pas excédé les limites de sa mission d'information des investisseurs ni commis d'erreur de droit, et n'a pas entaché son appréciation d'erreur manifeste ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des communiqués qu'elles attaquent ; que le surplus de leurs conclusions ne peut, dès lors, qu'être rejeté ;

Sur le recours pour excès de pouvoir, introduit sous le n° 368084, tendant à l'annulation du refus de rectifier les communiqués publiés par l'Autorité des marchés financiers :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par l'Autorité des marchés financiers :

10. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la société Fairvesta International GmbH est recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à sa demande de rectification des communiqués litigieux ; qu'il en va de même, dans les circonstances de l'espèce, des sociétés Fairvesta Europe AG, Fairvesta Europe AG II et Fairvesta Vermögensverwaltung International AG, filiales du groupe Fairvesta ;

11. Considérant, en second lieu, que l'Autorité des marchés financiers soutient que la requête est irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre le refus de rectifier les communiqués litigieux signifié aux sociétés intéressées par un courrier du 12 avril 2013, qui ne ferait que confirmer le refus déjà opposé aux mêmes sociétés par un courrier du 13 février 2013, lequel n'aurait pas été contesté dans le délai de recours contentieux ; que, toutefois, la décision de refus opposée par l'Autorité des marchés financiers par son courrier du 13 février 2013 ne comportait pas la mention des voies et délais de recours prévue par l'article R. 421-5 du code de justice administrative, de sorte que le délai de recours contentieux n'a pas commencé à courir à l'égard des sociétés requérantes ; qu'ainsi, la requête enregistrée le 25 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat n'est pas tardive ; qu'il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par l'Autorité des marchés financiers doit être écartée ;

En ce qui concerne la légalité externe :

12. Considérant que le refus de l'Autorité des marchés financiers de rectifier un communiqué de mise en garde des investisseurs n'entre dans aucune des catégories de décisions dont l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, alors applicable, exige la motivation ; qu'aucune autre disposition réglementaire ou législative n'exige la motivation d'un tel refus ; qu'ainsi, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le refus qu'elles attaquent serait insuffisamment motivé ;

En ce qui concerne la légalité interne :

13. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 7 que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'Autorité des marchés financiers ne serait pas compétente pour publier les communiqués litigieux et que son refus de les rectifier serait, dans cette mesure, entaché d'erreur de droit ;

14. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point 8 que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu'en refusant de rectifier les communiqués litigieux sur les différents points mentionnés ci-dessus, l'Autorité des marchés financiers aurait commis une erreur manifeste d'appréciation et une erreur de droit ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision de refus qu'elles attaquent ; que le surplus de leurs conclusions ne peut, dès lors, qu'être rejeté ;

Sur le recours indemnitaire introduit sous le n° 368083 :

16. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la société Fairvesta International GmbH n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Autorité des marchés financiers serait engagée à raison de la publication des communiqués litigieux et du refus d'en rectifier certaines des mentions ; que, par suite, ses conclusions indemnitaires sont vouées au rejet ;

En ce qui concerne les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Autorité des marchés financiers ou de l'Etat, qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la société Fairvesta International GmbH et autres sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Fairvesta International GmbH, premier requérant dénommé et à l'Autorité des marchés financiers. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Foussard-Froger, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.



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