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Ariane Web: Conseil d'État 372097, lecture du 15 avril 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:372097.20160415

Décision n° 372097
15 avril 2016
Conseil d'État

N° 372097
ECLI:FR:CESSR:2016:372097.20160415
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème / 10ème SSR
M. Julien Anfruns, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR, avocats


Lecture du vendredi 15 avril 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société LifeStand Vivre Debout (LSVD) a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2003, 2004 et 2005 ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2005 au 31 mars 2006. Par un jugement nos 0901811, 0901806, 0901873 du 28 décembre 2010, le tribunal administratif de Lyon, après avoir déchargé la société des pénalités correspondant aux droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n°s 11LY00819, 11LY00678 du 11 juillet 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société LSVD contre ce jugement en tant qu'il lui était défavorable.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre 2013, 10 décembre 2013 et 8 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société LSVD demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'article 55 de la Constitution ;
- la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Anfruns, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société LSVD ;


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société LifeStand Vivre Debout (LSVD) exerce une activité de conception, fabrication et commercialisation de " fauteuils verticalisateurs " pour personnes handicapées ou à mobilité réduite ; que, le 7 janvier 2003, elle a conclu un contrat de distribution exclusif avec la société de droit suisse LifeStand International SA (LSI) chargeant cette dernière de la distribution des produits LifeStand dans le monde entier, excepté la France, l'Allemagne, la Grèce et les pays de l'Europe de l'Est ; que, faisant application des dispositions de l'article 57 du code général des impôts, l'administration fiscale a notamment, à l'issue de deux vérifications de comptabilité, estimé que la société LSVD avait indirectement transféré à la société LSI une partie de son bénéfice, compte tenu des sommes qu'elle lui avait versées en exécution du contrat de distribution exclusif, a rehaussé à due concurrence le résultat imposable de la société LSVD et l'a assujettie, dans cette mesure, à une retenue à la source au taux de 18 % ; que la société LSVD se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2013 de la cour administrative d'appel de Lyon rejetant son appel contre le jugement du 28 décembre 2010 du tribunal administratif de Lyon ;

Sur la recevabilité du pourvoi :

2. Considérant que, pour contester la recevabilité du pourvoi, le ministre soutient que la SAS LifeStand Vivre Debout a été dissoute le 31 décembre 2008, avec transmission universelle de patrimoine à la SAS LFP Développement, et qu'ainsi elle ne dispose plus de la capacité juridique pour contester une imposition antérieure mise à sa charge ; que, toutefois, la société requérante fait valoir que si la SAS LifeStand Vivre Debout a été dissoute fin 2008, la SAS LFP a repris son patrimoine puis a changé de dénomination sociale pour prendre le nom et l'adresse de sa filiale dissoute, soit SAS LifeStand Vivre Debout (LSVD), et qu'elle forme un pourvoi en qualité de société venue aux droits de sa filiale dissoute et portant le même nom qu'elle ; qu'en sa qualité d'ayant-cause universel de la société absorbée, la société absorbante acquiert de plein droit, à la date d'effet de la fusion, la qualité de partie aux instances antérieurement engagées par la société absorbée ; que, dès lors, le ministre n'est pas fondé à soutenir que la société LSVD n'a pas qualité pour se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 11 juillet 2013 ;

Sur le bien-fondé du pourvoi :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 57 du code général des impôts : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix payés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont supérieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d'autres fournisseurs dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des fournisseurs dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart ne s'explique par la situation différente de ces fournisseurs, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes ; qu'à défaut d'avoir procédé à de telles comparaisons, l'administration n'est, en revanche, pas fondée à invoquer une présomption de transfert de bénéfices mais doit établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu ;

S'agissant de l'existence d'un lien de dépendance entre les sociétés LSVD et LSI :

4. Considérant, en premier lieu, que l'existence d'un lien de dépendance entre deux sociétés, pour l'application des dispositions citées au point 3, n'est pas subordonnée à celle d'un lien capitalistique ou à la présence de dirigeants de droit communs ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant sur l'existence d'une dépendance de fait de la société LSI à l'égard de la société LSVD pour regarder comme applicables les dispositions de l'article 57 du code général des impôts ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu des stipulations de l'article 9 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée : " Lorsque : a) Une entreprise d'un État contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d'une entreprise de l'autre État contractant, ou que b) Les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, ou au contrôle ou au capital d'une entreprise d'un État contractant et d'une entreprise de l'autre État contractant, et que, dans et l'un et l'autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions acceptées ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient conclues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été obtenus par l'une des entreprises mais n'ont pu l'être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence " ; que ces stipulations ne faisant pas obstacle à l'interprétation de l'article 57 du code général des impôts donnée au point 4 ci-dessus, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en retenant une telle interprétation pour regarder la société LSVD comme participant au contrôle de la société LSI ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que la société LSI était placée sous la dépendance de la société LSVD, la cour a notamment relevé, en premier lieu, qu'elle était établie en Suisse à une adresse de domiciliation sans qu'aucun loyer afférent à des locaux commerciaux ne figure dans sa comptabilité au titre de 2004, en deuxième lieu, que l'essentiel des fonctions confiées à la société LSI continuaient à être exercé par la société LSVD, qui conservait la maîtrise de la production des documents relatifs aux actions de promotion de la société LSI ainsi que le développement de son site internet et, enfin, que le gérant de la société LSVD exerçait en fait la direction et le contrôle de la société LSI ; qu'en regardant ces faits, qu'elle a souverainement appréciés, comme caractérisant la dépendance de fait de la société LSI à l'égard de la société LSVD, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique ;

S'agissant de l'existence d'un transfert indirect de bénéfices :

7. Considérant que, ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, il incombait à la cour, une fois établie l'existence d'un lien de dépendance entre la société LSI et la société LSVD, soit de vérifier si le taux de commission de 25% prévu par le contrat de distribution était supérieur à ceux que des entreprises similaires exploitées normalement pratiquaient avec des fournisseurs dépourvus de liens de dépendance avec elles pour des prestations telles que celles dont ce contrat prévoyait la fourniture, soit, à défaut, de rechercher si l'administration établissait que la société LSVD avait consenti à la société LSI une libéralité en acquittant un prix excessif pour les prestations qu'elle avait reçues d'elle ;

8. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, d'une part, que la cour, n'a pas recherché si le taux de commission de 25% devait en l'espèce être regardé comme normal et, d'autre part, qu'elle n'a pas regardé comme entièrement dépourvue de contrepartie l'intervention de la société LSI ; qu'il lui incombait de rechercher si l'administration avait établi que la société LSVD avait acquitté un prix excessif pour les prestations en cause ; que, faute d'une telle recherche, elle a commis une erreur de droit ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon doit être, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, annulé ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros à verser à la société LSVD au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 11 juillet 2013 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : L'État versera à la société LSVD une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société LSVD et au ministre des finances et des comptes publics.