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Ariane Web: Conseil d'État 395466, lecture du 4 mai 2016, ECLI:FR:CECHR:2016:395466.20160504

Décision n° 395466
4 mai 2016
Conseil d'État

N° 395466
ECLI:FR:CECHR:2016:395466.20160504
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Clément Malverti, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mercredi 4 mai 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme D...A..., Mme F...E..., M. C...H..., M. B...H..., M. G...H..., M. I...H...et Mme L...H...ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis en qualité d'ayants droit de Mme K...J...et M. M...-C... H...du fait de l'ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 portant nationalisation des usinesH.... Par un jugement n° 1408284/6-2 du 17 novembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 15PA00239 du 20 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant elle par Mme A...et autres, mettant en cause la conformité à la Constitution des articles 1er à 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945, et rejeté l'appel formé par ces derniers contre le jugement du tribunal administratif.

Par un pourvoi, enregistré le 21 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés le 21 décembre 2015 et le 4 avril 2016, présentés en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, Mme A...et autres contestent le refus opposé par la cour administrative d'appel de Paris de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 1er à 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945.

Par un mémoire distinct, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire enregistrés les 10 février, 4 avril et 14 avril 2016, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme A...et autres demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 148 de la loi n° 45-0195 du 31 décembre 1945, abrogeant et remplaçant l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi du 29 janvier 1831 portant règlement du budget et des dispositions sur la déchéance des créanciers de l'Etat ;
- l'ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 ;
- la loi n° 45-0195 du 31 décembre 1945 ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Malverti, auditeur,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de Mme A...et autres ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 avril 2016, présentée par Mme A...et autres ;




1. Considérant que les productions enregistrées sous les numéros 395466 et 395467 se rapportent au même litige ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant que Mme A...et autres ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à réparer l'intégralité des préjudices qu'ils estiment avoir subis, en qualité d'ayants droit de Mme K...J...et de M. M...-C...H..., du fait des ordonnances des 16 janvier et 18 juillet 1945 portant nationalisation des usinesH... ; que, par un jugement du 17 novembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ; que, par un arrêt du 20 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel contre ce jugement, en se fondant sur le motif que la créance invoquée était prescrite par application des dispositions de l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945, abrogeant et remplaçant l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831 et en refusant, en conséquence, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre des dispositions des articles 1er à 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945 ;

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause les dispositions de l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945 :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation (...). Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945, qui a abrogé et remplacé l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831 : " Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics, sans préjudice des déchéances prononcées par des lois antérieures ou consenties par des marchés et conventions, toutes créances qui, n'ayant pas été acquittées avant la clôture de l'exercice auquel elles appartiennent, n'auraient pu être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de quatre années à partir de l'ouverture de l'exercice pour les créanciers domiciliés en Europe et de cinq années pour les créanciers domiciliés hors du territoire européen " ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'ordonnance du 16 janvier 1945 portant nationalisation des usinesH..., modifiée par l'ordonnance du 18 juillet 1945, qu'ont été confisqués, à compter du 1er janvier 1945, les biens rentrant dans les catégories qu'elles ont énoncées ; que la réclamation présentée par Mme A...et autres en leur qualité d'ayants droit de Mme K...J...et de M. M...-C... H...tend à obtenir une indemnité en réparation des préjudices qu'ils imputent à cette confiscation ; que le fait générateur de la créance invoquée, ainsi que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'a jugé par une décision du 10 novembre 1961 ayant rejeté une précédente réclamation de M. M...-C...H..., remonte à la date à laquelle la confiscation a été prononcée par le législateur ; que cette créance se rattache ainsi à l'exercice 1945 et a été prescrite, par application des dispositions résultant de l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945, à l'expiration du délai de quatre années, courant à compter de cette date, prévu par ces dispositions ;

6. Considérant que si Mme A...et autres font valoir, à l'appui de leur pourvoi, que ces dispositions de l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945 seraient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif ainsi qu'au droit de propriété garantis par la Constitution, ils ne sauraient toutefois utilement invoquer les droits et libertés que cette dernière garantit à l'encontre de dispositions de nature législative antérieures à la Constitution du 4 octobre 1958, dont tous les effets sur la situation en litige ont été définitivement produits avant l'entrée en vigueur de cette Constitution ; que les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sauraient d'aucune manière impliquer que le Conseil d'Etat renvoie au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ; que, par suite, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945 porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne le pourvoi en cassation :

Sur la contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause les dispositions des articles 1er à 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945 :

7. Considérant, ainsi qu'il a été dit plus haut, que la cour administrative d'appel de Paris a, à bon droit, jugé que la créance invoquée par les requérants était prescrite par application des dispositions de l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945, abrogeant et remplaçant l'article 9 de la loi du 29 janvier 1831 ; que, dès lors, se fondant sur cette circonstance, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, refuser de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre des dispositions des articles 1er à 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945 ;

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux " ;

9. Considérant que, pour demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent, Mme A...et autres soutiennent que la cour administrative d'appel de Paris a insuffisamment motivé sa décision en jugeant que le fait générateur de leur créance était constitué par l'attribution à l'Etat de l'actif et du passif de la société anonyme des usines H...prononcée par l'ordonnance du 16 janvier 1945 ; que la cour a insuffisamment motivé sa décision en retenant que l'impossibilité de contester, à l'occasion d'un litige, la constitutionnalité de dispositions de valeur législative avant l'introduction du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité n'avait pas eu pour effet de prolonger le délai de déchéance applicable à leurs créances ; que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article 148 de la loi du 31 décembre 1945 permettaient de rejeter leur requête sans qu'il soit besoin de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils avaient soulevée ;

10. Considérant qu'aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi ;


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A...et autres.

Article 2 : La contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause les dispositions des articles 1er à 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945 est écartée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme A...et autres n'est pas admis.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D...A..., à Mme F...E..., à M. C... H..., à M. B...H..., à M. G...H..., à M. I...H..., à Mme L... H...et au ministre des finances et des comptes publics. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


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