Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 396670, lecture du 13 juillet 2016, ECLI:FR:CECHS:2016:396670.20160713

Décision n° 396670
13 juillet 2016
Conseil d'État

N° 396670
ECLI:FR:CECHS:2016:396670.20160713
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Mireille Le Corre, rapporteur
Mme Suzanne Von Coester, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du mercredi 13 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

La SCEA Côte de la Justice a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 1er juillet 2015 par lequel le préfet de la Somme l'a mise en demeure, sous un délai de quinze jours à compter de sa signification, de mettre en conformité ses effectifs avec les dispositions de l'arrêté préfectoral du 1er février 2013 l'autorisant à exploiter un élevage de 500 vaches laitières auquel est associée une unité de méthanisation sur le territoire des communes de Buigny-Saint Maclou et Drucat, d'autre part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 28 août 2015 par lequel le préfet de la Somme lui a infligé une astreinte journalière de 780 euros en application de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, enfin de suspendre l'exécution de l'arrêté du 28 août 2015 par lequel le préfet de la Somme lui a infligé une amende administrative de 7 800 euros en application de l'article L. 171-8 du code de l'environnement. Par une ordonnance n° 1503543, 1503544, 1503541 du 18 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a suspendu l'exécution de l'arrêté du préfet de la Somme en date du 1er juillet 2015 et de celui du 28 août 2015 fixant à 780 euros par jour l'astreinte associée au non-respect de l'arrêté précédent et a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 août 2015 du préfet de la Somme ordonnant le paiement d'une amende administrative de 7 800 euros.

1° Sous le n° 396670, par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 17 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Novissen, l'association Picardie Nature, l'association L 214, la Confédération paysanne, syndicat pour une agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs et l'association mouvement national de lutte pour l'environnement réseau Homme et Nature demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à leurs demandes ;

3°) de mettre à la charge de la SCEA Côte de la Justice la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 396759, par un pourvoi et deux mémoires en réplique, enregistrés les 3 février, 17 juin et 1er juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie demande au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance visée au 1°.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de l'Association Novissen et autres et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société SCEA Côte de la Justice ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 juillet 2016, présentée par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ;



1. Considérant que les pourvois de l'association Novissen et autres et du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer sont dirigés contre la même ordonnance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la recevabilité du pourvoi n° 396670 présenté par l'association Novissen et autres :

2. Considérant que la personne qui, devant le juge des référés du tribunal administratif, est régulièrement intervenue en défense, n'est recevable à se pourvoir en cassation contre l'ordonnance rendue contrairement aux conclusions de son intervention que lorsqu'elle aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce-opposition contre l'ordonnance faisant droit à la demande de suspension ;

3. Considérant que si, devant le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, l'association Novissen et les autres associations intervenantes sont intervenues en défense, elles ne justifient pas d'un droit qui leur aurait donné qualité, à défaut d'intervention de leur part, pour former tierce-opposition contre l'ordonnance rendue sur la demande de la SCEA Côte de la Justice ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, il y a lieu de faire droit à la fin de non-recevoir opposée par la SCEA Côte de la Justice et de rejeter le pourvoi de l'association Novissen et autres comme irrecevable ;

Sur le pourvoi n° 396759 présenté par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer :

4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction un doute sérieux quant à la légalité de la décision. " ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article R. 515-53 du code de l'environnement : " I. Tout projet de regroupement d'installations d'élevages relevant respectivement des rubriques 2101, 2102 ou 2111 de la nomenclature prévue à l'article L. 511-2 sur une installation d'élevage doit être porté, avant sa réalisation et par l'exploitant de l'installation sur laquelle il doit être réalisé, à la connaissance du préfet avec les éléments d'appréciation prévus à l'article R. 515-54. / Si le préfet estime, après avis de l'inspection des installations classées, que le projet de regroupement est de nature à entraîner une modification substantielle de l'installation, il invite l'exploitant à déposer une nouvelle demande d'autorisation dans les conditions prévues au deuxième alinéa du II de l'article R. 512-33. La nouvelle autorisation est soumise aux mêmes formalités que la demande initiale./ Si le préfet estime au vu du dossier prévu à l'article R. 515-54 que le projet de regroupement n'est pas de nature à entraîner une modification substantielle, il accorde son autorisation dans les formes prévues à l'article R. 512-31. (...) " ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la SCEA Côte de la Justice a sollicité, le 23 février 2011, l'autorisation d'exploiter un élevage de 1 000 vaches laitières associé à une unité de méthanisation de 1,489 MW ; que par un arrêté du 1er février 2013, le préfet de la Somme l'a autorisée à exploiter un élevage de 500 vaches laitières associé à une unité de méthanisation de 1,388 MW ; que, par un dossier enregistré en préfecture de la Somme le 16 mars 2015, la SCEA Côte de la Justice a porté à la connaissance du préfet de la Somme qu'elle projetait de procéder à un regroupement d'élevages, afin d'atteindre un total de 880 vaches laitières, dans les conditions prévues par l'article R. 515-53 du code de l'environnement cité ci-dessus ; qu'à la suite d'une inspection du site, le 9 juin 2015, mettant en évidence que l'exploitant avait porté son cheptel à 763 vaches, le préfet de la Somme l'a mise en demeure, par un arrêté du 1er juillet 2015, de mettre en conformité ses effectifs de bovins avec les dispositions de l'arrêté préfectoral du 1er février 2013 ; que cet arrêté a été suivi, le 28 août 2015, par deux arrêtés infligeant à la société, d'une part, une amende de 7 800 euros, d'autre part, une astreinte de 780 euros par jour, en application des dispositions de l'article L. 171-8 du code de l'environnement ; que la SCEA Côte de la Justice a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens de suspendre l'exécution de ces trois arrêtés ; que par une ordonnance du 18 janvier 2016, contre laquelle le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de suspension de l'arrêté du 28 août 2015 ordonnant une amende administrative et a suspendu l'exécution de l'arrêté du 1er juillet 2015 et de l'arrêté du 28 août 2015 ordonnant une astreinte journalière ;

7. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'en relevant, dans le cadre de l'appréciation portée sur la condition d'urgence, que la SCEA Côte de la Justice pouvait " raisonnablement estimer " qu'elle était titulaire, à compter du 16 mai 2015, soit à l'issue d'un délai de deux mois après le dépôt de son dossier dit de " porter à connaissance " prévu à l'article R. 515-53 cité ci-dessus, d'une autorisation tacite de regrouper les élevages, le juge des référés n'a pas, en faisant cette constatation, eu égard à son office, commis d'erreur de droit ; que, d'autre part, si le ministre soutient que le préfet avait, devant le juge des référés, mis en avant le caractère incomplet du dossier déposé par la société le 16 mars 2015, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que le préfet avait développé une argumentation fondée sur l'application des dispositions du 3ème alinéa de l'article 20 de la loi du 12 avril 2000, devenu l'article L. 114-3 du code des relations entre le public et l'administration ; qu'eu égard à son office et au vu des pièces qui lui avaient été soumises, en n'évoquant pas la question du caractère complet du dossier avant l'expiration du délai de deux mois à compter du 16 mars 2015, le juge des référés, qui a suffisamment motivé son ordonnance, n'a ni commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'en jugeant d'une part, que le préfet était en situation de compétence liée pour mettre la société en demeure de se conformer à l'effectif fixé par l'arrêté du 1er février 2013, d'autre part, que la société avait pu raisonnablement estimer être titulaire d'une autorisation tacite, sans pour autant se prononcer sur le caractère effectif de cette autorisation, le juge des référés, qui a suffisamment motivé son ordonnance, ne l'a pas entachée d'une contradiction de motifs ;

9. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 171-8 du code de l'environnement : " I. - Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. En cas d'urgence, elle fixe les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l'environnement. / II. - Lorsque la mise en demeure désigne des travaux ou opérations à réaliser et qu'à l'expiration du délai imparti l'intéressé n'a pas obtempéré à cette injonction, l'autorité administrative compétente peut : (...) 4° Ordonner le paiement d'une amende au plus égale à 15 000 ? et une astreinte journalière au plus égale à 1 500 ? applicable à partir de la notification de la décision la fixant et jusqu'à satisfaction de la mise en demeure. (...) " ; que si, comme le soutient le ministre, l'astreinte n'est pas la conséquence nécessaire de la mise en demeure, le juge des référés, en retenant, dans le cadre de son appréciation souveraine, que la société était fondée à soutenir que la mise en demeure lui imposant de réduire son effectif de vaches laitières était assortie de conséquences qui préjudiciaient de manière suffisamment grave à ses intérêts, a suffisamment motivé son ordonnance et n'a pas commis d'erreur de droit ;

10. Considérant, en quatrième lieu, qu'en jugeant que la société justifiait d'une situation d'urgence eu égard tant aux conséquences financières des arrêtés dont la suspension était demandée qu'à sa situation économique, le juge des référés a suffisamment motivé son ordonnance et n'a pas commis d'erreur de droit, ni entaché son appréciation souveraine sur la condition d'urgence de dénaturation ;

11. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée qu'après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 171-8 du code de l'environnement citées ci-dessus, permettant au préfet de mettre en demeure les exploitants de satisfaire aux conditions qui leur sont imposées, le juge des référés a précisé que, saisi d'un recours de plein contentieux formé contre un arrêté préfectoral ayant cet objet, le juge administratif peut être amené à constater que les mesures, qui étaient légalement justifiées lorsqu'elles ont été prises, ne sont plus nécessaires à la date à laquelle il statue ; qu'en estimant que la situation d'infraction avait disparu à la date de son ordonnance, sans rechercher, par ailleurs, si un arrêté complémentaire avait été pris, et en jugeant, en conséquence, qu'en l'état de l'instruction, il existait un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté du 1er juillet 2015 mettant la société en demeure de réduire son effectif, le juge des référés n'a, eu égard à son office, ni commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la SCEA Côte de la Justice au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les pourvois de l'association Novissen et autres et du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SCEA Côte de la Justice sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, à l'association Novissen, à l'association Picardie Nature, à l'association L 214, à la Confédération paysanne, syndicat pour une agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs, à l'association mouvement national de lutte pour l'environnement réseau Homme et Nature et à la société civile d'exploitation agricole Côte de la Justice.