Conseil d'État
N° 401013
ECLI:FR:CECHR:2016:401013.20161205
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Grégory Rzepski, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats
Lecture du lundi 5 décembre 2016
Vu la procédure suivante :
Par un jugement avant dire droit du 26 janvier 2012, le tribunal de grande instance de Meaux, d'une part, a sursis à statuer sur la demande de M. B...A...visant à constater qu'il est propriétaire d'un jardin situé sur la parcelle AB 115 du territoire de la commune de Fresnes-sur-Marne et sur la demande de la commune tendant à ce qu'il soit dit que cette parcelle fait partie de son domaine public et, d'autre part, a invité la collectivité à saisir le tribunal administratif de Melun de la question de l'appartenance à son domaine public de la parcelle AB 115.
La commune de Fresnes-sur-Marne, agissant en exécution de ce jugement, a demandé au tribunal administratif de Melun de déclarer que la parcelle cadastrée AB 115 située sur le territoire de la commune de Fresnes-sur-Marne appartient au domaine public communal. Par un jugement n° 1203756 du 10 avril 2015, le tribunal administratif de Melun a déclaré que la parcelle AB 115 fait partie du domaine public communal depuis son acquisition par la collectivité.
Par une ordonnance n° 15PA02367 du 23 juin 2016 enregistrée le 28 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 12 juin 2015 au greffe de cette cour, présenté par M.A.... Par ce pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistré le 8 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 10 avril 2015 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de déclarer que la parcelle AB 115 ne fait pas partie du domaine public ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Fresnes-sur-Marne la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Grégory Rzepski, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de M.A..., et à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la commune de Fresnes-sur-Marne.
1. Considérant qu'il ressort des énonciations du jugement attaqué que M. A...est propriétaire, depuis 1975, d'un ensemble immobilier se trouvant sur la parcelle cadastrée AB 186 située sur le territoire de la commune de Fresnes-sur-Marne ; qu'il a demandé au tribunal de grande instance de Meaux de déclarer qu'il est aussi propriétaire, par la voie de la prescription acquisitive, du jardin qui jouxte sa propriété et se trouve sur la parcelle cadastrée AB 115 ; que, par un jugement avant dire droit du 26 janvier 2012, ce tribunal a sursis à statuer sur cette demande dans l'attente de la réponse du tribunal administratif de Melun à la question préjudicielle suivante : " La parcelle sise à Fresnes-sur-Marne cadastrée AB 115 appartenant à la commune de Fresnes-sur-Marne fait-elle partie du domaine public de la commune ' Dans l'affirmative : depuis quelle date ' Dans l'affirmative également, cette appartenance au domaine public a-t-elle été continue ' " ;
2. Considérant que, pour qualifier la parcelle litigieuse de dépendance du domaine public communal, le tribunal administratif de Melun, après avoir relevé qu'il n'était ni établi, ni allégué que cette parcelle, propriété de la commune, aurait fait l'objet d'une décision de classement dans le domaine public de la commune, a relevé qu'elle avait été un espace public planté d'arbres ouvert sur la rue de l'Eglise avant de servir de parking tant pour l'église que pour la salle des fêtes et en a déduit qu'elle constituait une place qui avait toujours été librement accessible à la population jusqu'à la démolition de la salle des fêtes lors de la construction d'un foyer polyvalent de loisirs en 1993 ; qu'il a estimé qu'elle était ainsi entrée dans le domaine public communal depuis qu'elle avait été acquise par la commune et qu'en l'absence de décision de déclassement, elle en faisait toujours partie ; qu'en se fondant sur la simple accessibilité physique de la parcelle en cause et sur le fait qu'un stationnement occasionnel était possible, toléré et constaté, pour en déduire son affectation à l'usage direct du public, le tribunal administratif s'est fondé sur une situation de fait sans rechercher si la commune pouvait être regardée comme ayant manifesté sa volonté d'affecter cette parcelle à l'usage direct du public, notamment en réalisant un aménagement nécessaire à cet usage ; qu'il a, ce faisant, commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son jugement doit être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
4. Considérant qu'avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance d'un bien au domaine public était subordonnée à la condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ou affecté à l'usage direct du public après, si nécessaire, son aménagement ; que, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que si, jusqu'à la création du foyer polyvalent en 1993, la parcelle litigieuse était accessible au public et utilisée pour le stationnement occasionnel, la commune ait manifesté son intention de l'affecter à l'usage direct du public, notamment en procédant à un aménagement nécessaire ; que, d'autre part, si la parcelle AB 115 a fait l'objet en 1993 d'un aménagement consistant en la création d'une voie et d'un parking destinés aux usagers du foyer polyvalent de loisirs et a, de ce fait, été affectée aux besoins de la circulation routière, la fraction de la parcelle qui constitue le terrain d'emprise du jardin occupé par M. A...n'a pas fait l'objet de tels aménagements et son usage n'a pas été remis en cause à cette occasion, ainsi qu'il ressort des pièces et documents graphiques annexés au permis de construire délivré le 11 juin 1993 ; que ce jardin clôturé est un espace clairement délimité, dissociable de la fraction principale de la parcelle ayant fait l'objet d'aménagements et dépourvu de tout lien fonctionnel avec elle ; que, par suite, ce terrain d'assiette ne fait pas partie du domaine public de la commune, contrairement à la partie restante, qui est incorporée au domaine public routier communal depuis 1993 ;
5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A...qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A...au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 10 avril 2015 est annulé.
Article 2 : La fraction de la parcelle AB 115 qui constitue le terrain d'assiette du jardin qui jouxte la parcelle AB 186 ne fait pas partie du domaine public de la commune, contrairement à la partie restante, qui y est incorporée depuis 1993.
Article 3 : Les conclusions de M. A...et de la commune de Fresnes-sur-Marne présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la commune de Fresnes-sur-Marne.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances.
N° 401013
ECLI:FR:CECHR:2016:401013.20161205
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Grégory Rzepski, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats
Lecture du lundi 5 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un jugement avant dire droit du 26 janvier 2012, le tribunal de grande instance de Meaux, d'une part, a sursis à statuer sur la demande de M. B...A...visant à constater qu'il est propriétaire d'un jardin situé sur la parcelle AB 115 du territoire de la commune de Fresnes-sur-Marne et sur la demande de la commune tendant à ce qu'il soit dit que cette parcelle fait partie de son domaine public et, d'autre part, a invité la collectivité à saisir le tribunal administratif de Melun de la question de l'appartenance à son domaine public de la parcelle AB 115.
La commune de Fresnes-sur-Marne, agissant en exécution de ce jugement, a demandé au tribunal administratif de Melun de déclarer que la parcelle cadastrée AB 115 située sur le territoire de la commune de Fresnes-sur-Marne appartient au domaine public communal. Par un jugement n° 1203756 du 10 avril 2015, le tribunal administratif de Melun a déclaré que la parcelle AB 115 fait partie du domaine public communal depuis son acquisition par la collectivité.
Par une ordonnance n° 15PA02367 du 23 juin 2016 enregistrée le 28 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 12 juin 2015 au greffe de cette cour, présenté par M.A.... Par ce pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistré le 8 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 10 avril 2015 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de déclarer que la parcelle AB 115 ne fait pas partie du domaine public ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Fresnes-sur-Marne la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Grégory Rzepski, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de M.A..., et à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la commune de Fresnes-sur-Marne.
1. Considérant qu'il ressort des énonciations du jugement attaqué que M. A...est propriétaire, depuis 1975, d'un ensemble immobilier se trouvant sur la parcelle cadastrée AB 186 située sur le territoire de la commune de Fresnes-sur-Marne ; qu'il a demandé au tribunal de grande instance de Meaux de déclarer qu'il est aussi propriétaire, par la voie de la prescription acquisitive, du jardin qui jouxte sa propriété et se trouve sur la parcelle cadastrée AB 115 ; que, par un jugement avant dire droit du 26 janvier 2012, ce tribunal a sursis à statuer sur cette demande dans l'attente de la réponse du tribunal administratif de Melun à la question préjudicielle suivante : " La parcelle sise à Fresnes-sur-Marne cadastrée AB 115 appartenant à la commune de Fresnes-sur-Marne fait-elle partie du domaine public de la commune ' Dans l'affirmative : depuis quelle date ' Dans l'affirmative également, cette appartenance au domaine public a-t-elle été continue ' " ;
2. Considérant que, pour qualifier la parcelle litigieuse de dépendance du domaine public communal, le tribunal administratif de Melun, après avoir relevé qu'il n'était ni établi, ni allégué que cette parcelle, propriété de la commune, aurait fait l'objet d'une décision de classement dans le domaine public de la commune, a relevé qu'elle avait été un espace public planté d'arbres ouvert sur la rue de l'Eglise avant de servir de parking tant pour l'église que pour la salle des fêtes et en a déduit qu'elle constituait une place qui avait toujours été librement accessible à la population jusqu'à la démolition de la salle des fêtes lors de la construction d'un foyer polyvalent de loisirs en 1993 ; qu'il a estimé qu'elle était ainsi entrée dans le domaine public communal depuis qu'elle avait été acquise par la commune et qu'en l'absence de décision de déclassement, elle en faisait toujours partie ; qu'en se fondant sur la simple accessibilité physique de la parcelle en cause et sur le fait qu'un stationnement occasionnel était possible, toléré et constaté, pour en déduire son affectation à l'usage direct du public, le tribunal administratif s'est fondé sur une situation de fait sans rechercher si la commune pouvait être regardée comme ayant manifesté sa volonté d'affecter cette parcelle à l'usage direct du public, notamment en réalisant un aménagement nécessaire à cet usage ; qu'il a, ce faisant, commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son jugement doit être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
4. Considérant qu'avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance d'un bien au domaine public était subordonnée à la condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ou affecté à l'usage direct du public après, si nécessaire, son aménagement ; que, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que si, jusqu'à la création du foyer polyvalent en 1993, la parcelle litigieuse était accessible au public et utilisée pour le stationnement occasionnel, la commune ait manifesté son intention de l'affecter à l'usage direct du public, notamment en procédant à un aménagement nécessaire ; que, d'autre part, si la parcelle AB 115 a fait l'objet en 1993 d'un aménagement consistant en la création d'une voie et d'un parking destinés aux usagers du foyer polyvalent de loisirs et a, de ce fait, été affectée aux besoins de la circulation routière, la fraction de la parcelle qui constitue le terrain d'emprise du jardin occupé par M. A...n'a pas fait l'objet de tels aménagements et son usage n'a pas été remis en cause à cette occasion, ainsi qu'il ressort des pièces et documents graphiques annexés au permis de construire délivré le 11 juin 1993 ; que ce jardin clôturé est un espace clairement délimité, dissociable de la fraction principale de la parcelle ayant fait l'objet d'aménagements et dépourvu de tout lien fonctionnel avec elle ; que, par suite, ce terrain d'assiette ne fait pas partie du domaine public de la commune, contrairement à la partie restante, qui est incorporée au domaine public routier communal depuis 1993 ;
5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A...qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A...au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 10 avril 2015 est annulé.
Article 2 : La fraction de la parcelle AB 115 qui constitue le terrain d'assiette du jardin qui jouxte la parcelle AB 186 ne fait pas partie du domaine public de la commune, contrairement à la partie restante, qui y est incorporée depuis 1993.
Article 3 : Les conclusions de M. A...et de la commune de Fresnes-sur-Marne présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la commune de Fresnes-sur-Marne.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances.